Non seulement des adultes, mais aussi des enfants se retrouvent dans des organisations sectaires. Le nombre d’enfants dans ces organisations serait d’ailleurs en augmentation. On remarque d’ailleurs que lorsque ces enfants deviennent adultes, ils restent dans la secte. En dehors de ces enfants qui sont nés au sein des sectes, il y a encore un nombre important d’enfants, dont les parents (un des parents) font (fait) partie d’une organisation sectaire, qui sont confrontés à la vie sectaire.

Les organisations sectaires diffèrent toutefois sensiblement les unes des autres de par la place et la fonction qu’elles accordent aux enfants en leur sein. Dans certains groupements (par exemple, Nouvelle Acropole), il n’y a guère de place pour les enfants et les mineurs d’âge. D’autres groupements s’intéressent beaucoup aux enfants, fût-ce à des fins souvent perfides. On peut distinguer plusieurs situations types :

— les enfants qui vivent avec leurs parents dans un mouvement sectaire et qui y sont éventuellement nés, comme dans La Famille ou dans Ogyen Kunzang Chöling (OKC) ;

— les enfants dont les parents ne vivent pas en milieu sectaire, mais dans un milieu familial ordinaire, mais qui sont néanmoins soumis par leurs deux parents aux activités sectaires (par exemple, Témoins de Jéhovah, Sahaja Yoga) ;

— les enfants dont un des parents ou les deux parents sont adeptes d’une secte et qui sont victimes de la lutte que se livrent les parents pour s’occuper des enfants, ou de la lutte que se livrent les parents-adeptes et les grands-parents ;

— les enfants et, surtout, les adolescents qui sont enrôlés par un groupement à l’insu et souvent contre le gré de leurs parents (par exemple, Opus Dei, Eglise du Christ de Bruxelles) ;

— et les enfants qui sont utilisés par l’organisation sectaire pour réaliser, notamment par le biais de l’adoption, les objectifs perfides du chef ou du groupe.

Les enfants qui grandissent au sein d’une communauté sectaire évoluent dans un système social fermé qui réduit au minimum les contacts avec le monde extérieur. Le groupement sectaire dont ils font partie est en effet convaincu que ce n’est pas le monde extérieur, mais uniquement leur propre groupe qui constitue une communauté religieuse ou spirituelle idéale. Tout comme aux adultes, on inculque aux enfants des valeurs univoques et un mode de vie présentant toutes les caractéristiques de la pensée totalitaire : un monde caractérisé par un système de valeurs propre, des conceptions et des règles de vie propres, une mentalité d’opposition au monde extérieur, l’opposition entre la bienveillance du monde intérieur et la malveillance du monde extérieur, le secret, l’isolation, l’élitisme et la peur du monde extérieur. Le monde extérieur, et surtout la civilisation occidentale, sont mauvais et à éviter. Le corollaire de telles conceptions est (a) l’émergence d’une communauté plutôt fermée, ayant peu de contacts avec l’extérieur, et (b) l’organisation d’un enseignement propre.

Ainsi, le représentant de La Famille a déclaré que ce groupement ne souhaite pas exposer ses enfants à une socialisation négative, ni à une influence dont il est clair qu’elle est pernicieuse. Cela signifie que le groupe préfère se charger lui-même de l’éducation des enfants par le biais d’un enseignement dispensé à domicile et d’un enseignement à distance, même si les membres de La Famille sont libres d’envoyer leurs enfants dans une école traditionnelle. On s’étonnera à ce propos que ce groupement n’ait jamais été soumis à une inspection par le ministère de l’éducation.

Les membres de l’OKC adoptent une attitude similaire. Ce groupement organise son propre enseignement au Château des Soleils à Castellane. Les trente- deux enfants qui y séjournaient au moment de l’audition des représentants de l’OKC (parmi lesquels se trouvaient un tiers d’enfants belges) y suivent un programme d’apprentissage propre comprenant (outre un programme classique) une heure d’enseignement bouddhiste, une heure de cérémonie bouddhiste, incluant la prière, la méditation et des rituels religieux, du travail manuel, du jardinage ou du travail de la terre, du sport ou de la danse (sports de combat japonais), ainsi que des cours de tibétain. La vie y est décrite comme étant la synthèse d’un village provençal et d’une forme de formation religieuse. Il n’en demeure pas moins qu’il s’agit d’un régime assez spartiate. Selon les représentants du mouvement, les parents séjournent auprès de leurs enfants pendant les vacances, alors qu’en cours d’année scolaire, les mères ont de temps à autre la possibilité de passer une semaine avec leurs enfants. Les en vaak tegen de wil van hun ouders in (bijvoorbeeld Opus Dei, Eglise du Christ de Bruxelles) ; enfants dont les parents ne résident pas à Castellane vivent chez des amis. Le mouvement assimile en quelque sorte cette école à un pensionnat. Les enfants auraient, sur place, des contacts suffisants avec la culture occidentale ; ils ont la possibilité de lire et de regarder la télévision.

Les enfants peuvent subir une forte influence de l’organisation sectaire, même lorsque les deux parents mènent une vie de famille normale. Dans certains groupes sectaires, on affirme aux adeptes que la doctrine du groupe implique une attitude particulière à l’égard des enfants.

La secte Sahaya Yoga offre à cet égard un exemple typique. La dirigeante déclare aux adeptes qu’ils ne peuvent pas trop s’attacher à leurs enfants, qu’ils n’en sont que les géniteurs biologiques et qu’en fait ces enfants lui appartiennent. Elle exerce dès lors des pressions sur les adeptes afin qu’ils envoient leurs enfants dans des écoles organisées par la secte à l’étranger. En France, des tribunaux ont estimé que les parents qui envoient leurs enfants en Italie à l’âge de trois ans ou en Inde à l’âge de six ans manquaient à leurs devoirs parentaux. En revanche, un tribunal autrichien a donné gain de cause aux parents.

Le mouvement Ecoovie adoptait, lui aussi, une attitude équivoque à l’égard des enfants. Un témoin affirme même que les parents devaient également y renoncer à leurs enfants.

Dans d’autres cas (un parent est adepte contre le gré de son partenaire, les deux parents sont membres contre le gré des grands-parents), l’enfant est souvent l’enjeu d’un conflit entre les parties. Le délégué général aux droits de l’enfant et à l’aide à la jeunesse de la Communauté française a indiqué à la commission que la majeure partie des plaintes qu’il recevait concernaient des problèmes de droit de garde et de droit de visite. La commission a entendu plusieurs personnes directement concernées par ces problèmes. Plusieurs témoins ont déclaré qu’ils étaient systématiquement éloignés de leurs (petits)-enfants par le partenaire/enfant adepte de la secte. Des témoins ont par ailleurs dénoncé l’influence du groupement auxquels sont exposés les (petits-) enfants, avec un certain nombre de conséquences négatives qui en découlent.

Il ressort de témoignages produits en commission que le dirigeant et/ou les adeptes d’un mouvement se servent parfois des enfants comme d’instruments, en vue de réaliser les objectifs cachés du dirigeant ou du mouvement. Afin d’obtenir leur soumission totale (qui équivaut à une prise d’otages psychologique), le dirigeant de la secte incite les adeptes à lui confier, ainsi qu’au mouvement, leurs enfants, voire à les leur céder. Ce faisant, le dirigeant oblige les parents à rester membres du mouvement. Dans un certain nombre d’organisations sectaires, le dirigeant s’immisce d’ailleurs dans la relation entre époux. Plusieurs témoins ont dénoncé des tentatives du dirigeant de briser des mariages et d’attribuer des enfants à d’autres parents membres du mouvement. Certains groupements sectaires encouragent les mariages arrangés, les divorces et les adoptions. Ces dernières peuvent être une manière de tenter d’augmenter le nombre des adeptes du groupe. Un exemple douloureux d’une pratique encore plus perfide a par ailleurs été rapporté à la commission. Un adepte a été incité à se marier et à adopter un enfant, qui lui a été ensuite retiré par le dirigeant. L’objectif inavoué de la manoeuvre était de faire main basse sur l’héritage de l’adepte en question par l’intermédiaire de l’enfant adopté.

Un certain nombre de mouvements recrutent des mineurs sans que leurs parents n’en sachent rien ou qu’ils soient d’accord avec les méthodes de recrutement. Des plaintes ont été et sont formulées à cet égard à l’encontre de L’OEuvre (recrutement d’adeptes dans une école secondaire, jadis par l’intermédiaire de formations déguisées) et de l’Opus Dei.

Il ressort également de témoignages et d’autres sources que la vie au sein d’un tel groupement présente souvent une série d’aspects négatifs pour les enfants :

— Les enfants faisant partie de l’organisation sectaire ne peuvent mener l’existence d’enfants ordinaires. C’est ainsi que les enfants des Témoins de Jéhovah ne peuvent participer aux activités amusantes auxquelles se livrent les autres enfants, telles que les fêtes organisées à l’occasion de la Saint-Nicolas et des anniversaires et les fêtes familiales. Dans d’autres sectes, les enfants doivent se livrer à la méditation dès leur plus jeune âge et participer à d’autres activités de la secte (notamment à l’évangélisation).

— L’adepte néglige souvent la vie familiale. Les parents faisant partie d’une organisation sectaire consacrent tellement de temps à cette dernière qu’ils négligent leurs enfants et leur partenaire.

— Dans certains cas, le gourou tente de provoquer une rupture entre le membre de la secte et son ou sa partenaire, ce qui entraîne souvent l’intégration des enfants dans le groupe. Si le partenaire ne faisant pas partie de la secte conserve malgré tout la garde des enfants, ces derniers vivent dans une famille éclatée, avec toutes les conséquences que l’on sait.

— Les enfants sont élevés au sein du groupe selon les principes édictés par (le dirigeant de) la secte, qui sont souvent opposés aux normes et usages courants. Dans un groupement donné, les enfants devaient apprendre à manger de la main gauche et commencer à mâcher du côté gauche de la bouche. Ce genre de pratique pose des problèmes une fois que les enfants sont soustraits à l’influence du groupe.

— Nombreux sont les groupements dans lesquels les soins médicaux sont insuffisants. Des témoins ont attesté que les enfants n’étaient pas vaccinés contre les maladies infantiles, que l’on ne faisait pas appel à un médecin en cas de blessure et de maladie et que l’on ne recourait qu’à des formes de médecine alternative (notamment, l’imposition des mains), (même) en cas d’affections graves. Les témoins de Jéhovah refusent que l’on fasse des transfusions sanguines aux enfants qui en ont besoin.

— On reproche souvent aux parents qui sont membres d’organisations sectaires de ne pas s’occuper assez de leurs enfants, de les sous-alimenter ou de leur donner une alimentation mal équilibrée.

— Les enfants sont parfois obligés de participer aux activités de leurs parents-adeptes, bien qu’ils n’aient pas la maturité psychique et physique nécessaire pour ce faire : ils sont soumis à de longues périodes de méditation, doivent assister souvent à des sessions de lecture de la Bible jusque tard dans la soirée, rester longuement assis dans une position déterminée, etc.

— Un certain nombre de groupements préconisent de sévères châtiments corporels pour les enfants.

— Le risque d’abus sexuels est élevé au sein des communautés fermées. De nombreuses organisations sectaires (par exemple : Ecoovie, La Famille) sont accusées d’attentats à la pudeur et de pédophilie. Certaines organisations sectaires préconisent d’ailleurs dans leurs publications des pratiques sexuelles intenses avec les enfants. C’était notamment le cas des Enfants de Dieu et de Raël (méditation sensuelle), où des mineurs ont été victimes de harcèlement sexuel.

— Nombre de jeunes qui ont été élevés au sein de mouvements sectaires cherchent, après un certain temps, à échapper à ces groupes. Ainsi, les comités d’assistance spéciale à la jeunesse signalent que de nombreux enfants de témoins de Jéhovah tentent d’échapper aux normes strictes que le mouvement leur impose.

— Des témoins signalent que leurs enfants qui vivent avec leur ex-partenaire dans la secte présentent un retard mental, sont angoissés, renfermés, négligés et dressés contre le partenaire ou les grands-parents vivant en dehors du groupe.

D’autre part, les enfants qui quittent un mouvement sectaire se trouvent brutalement confrontés à un monde étranger, régi par des valeurs et des règles différentes. Une telle situation peut engendrer une autre forme d’aliénation, la méfiance et la crainte.

On reproche aux services judiciaires, notamment aux services de police, au service social du tribunal de la jeunesse et à certains magistrats, de ne pas accorder une attention suffisante au problème des enfants élevés au sein de mouvements sectaires :

— En cas de conflit entre les parents à propos du droit de garde, les enfants sont assez souvent confiés à la mère, même si c’est précisément elle qui fait partie d’un mouvement sectaire.

— Un témoin a fait observer qu’il devait payer une pension alimentaire à sa partenaire, qui avait rejoint un mouvement sectaire avec les enfants. Le juge lui avait confié la garde des enfants, alors qu’elle avait quitté le domicile conjugal avec ses enfants.

— A cet égard, M. De Geest, le conseiller principal du comité d’assistance spéciale à la jeunesse de Gand fait observer que dans le cadre de l’assistance spéciale à la jeunesse, le problème de la déstabilisation mentale des jeunes au sein de groupes sectaires n’est pas pris au sérieux et que les problèmes qui ont donné lieu à la saisine des comités sont analysés essentiellement en termes de problèmes relationnels. Les assistants sociaux qui sont tenus de faire rapport au parquet ou aux comités d’assistance spéciale à la jeunesse n’osent en effet pas établir le lien avec la secte, parce qu’ils ne disposent pas de connaissances suffisantes en la matière et qu’ils craignent ne pas être pris au sérieux par les personnes qui leur ont confié la mission.

— Les services de police soulignent que dans ces cas, ils sont souvent avertis trop tard et qu’ils ne peuvent donc intervenir à temps. Une approche proactive est par ailleurs exclue. La police doit en effet disposer d’indices concrets et de plaintes pour pouvoir intervenir.

Un témoin a rapporté à la commission qu’il existerait des cas de recrutement de mineurs dans le but de les utiliser dans le cadre de rites sataniques.


Source : Chambre des Représentants de Belgique http://www.lachambre.be