La question de la dissolution du DPS a souvent été évoquée au cours des auditions auxquelles la Commission a procédé. Elle est d’ailleurs très directement à l’origine de sa constitution, ainsi que le prouvent les débats sur les propositions de résolution tendant à sa création qui ont eu lieu à l’Assemblée nationale le 9 décembre 1998. Il est donc indispensable d’étudier les conditions dans lesquelles une association ou un groupement de fait comme le DPS pourrait être dissous par la voie administrative, sur le fondement de la loi du 10 janvier 1936. Il convient de rappeler le contexte de l’adoption de cette loi, qui concernait - déjà - des mouvements d’extrême-droite à caractère paramilitaire.

A) UNE LOI DE CIRCONSTANCE

C’est en raison de la prolifération des ligues et de l’agitation qu’elles entretenaient dans la rue pendant l’entre-deux-guerres que le législateur et le Gouvernement ont été amenés à prendre des mesures exceptionnelles de défense républicaine

 Les ligues d’extrême-droite dans l’entre-deux guerres

L’Action française restait un modèle par sa pratique de la violence. Les Camelots du Roi étaient les meilleurs combattants de rue de ce temps et les étudiants d’Action française régnaient par la matraque sur le quartier Latin.

Les Jeunesses patriotes (JP) de Pierre Taittinger n’avaient d’influence que dans la capitale (100 000 adhérents) et leur valeur au combat était très inférieure à celle des royalistes, pourtant moins nombreux.

La Solidarité française, créée en 1933 par M. François Coty, recrutait ses troupes de choc dans le sous-prolétariat maghrébin.

Le Parti franciste était une organisation ouvertement fascisante, avec des militants activistes prêts à lancer un coup de main contre le régime. Pour sa création, M. Marcel Bucard déclarait, le 29 septembre 1933 à onze heures du soir sous l’Arc de Triomphe (!), vouloir " fonder publiquement un mouvement d’action révolutionnaire dont le but est de conquérir le pouvoir et d’arrêter la course à l’abîme. " Il semble que M. Bruno Gollnisch s’en soit souvenu le 21 octobre 1996...

Enfin, les Croix de Feu, dirigées par le lieutenant-colonel de La Rocque à partir de 1931, comptaient 150 000 adhérents à la fin de 1934. Ses troupes de choc, les dispos, étaient organisées militairement en division et en mains mobilisables à tout moment. Il s’agissait d’un mouvement d’inspiration mussolinienne par ses méthodes de mobilisation permanente, de nettoyage et d’occupation de la rue et de chasse aux communistes. Sa structure était très centralisée, avec une stricte discipline, le port du béret et des défilés au pas cadencé. Il était largement subventionné par les fonds secrets, à l’initiative des Présidents du Conseil Tardieu et Laval qui souhaitaient disposer ainsi de brigades d’acclamation et de services d’ordre musclés. En dépit de ses parades paramilitaires, ce mouvement n’était pas fasciste de par son idéologie. Il était essentiellement composé d’anciens combattants.

 L’agitation de la rue

Du fait de l’existence des ligues, la rue était devenue, surtout à Paris, le théâtre de l’affrontement entre l’extrême-gauche et l’extrême-droite. Entre les deux, la police n’était pas impartiale car le préfet de police Jean Chiappe l’utilisait uniquement contre la gauche (par des arrestations préventives notamment). Le 6 février 1934 ne fut ainsi que l’aboutissement d’une série non interrompue de manifestations (qui voyait d’ailleurs la création d’un Front National des ligues).

La droite manifestait dans un espace symbolique tenant lieu de rituel : la rue de Rivoli et la statue de Jeanne d’Arc, face aux Tuileries, la place de la Concorde, les Champs-Elysées et l’Arc-de-Triomphe avec les traditionnelles cérémonies de la Flamme. Les cortèges défilaient bras tendu, dans d’impeccables alignements uniformisés avec bannières et drapeaux.

Il faut noter que les ligues, notamment les Croix de Feu, évitaient soigneusement tout affrontement direct avec les forces de l’ordre. Le colonel de La Rocque a retenu ses troupes au soir du 6 février 1934 et ainsi sauvé le Palais-Bourbon d’une invasion par les manifestants. Cela ne l’empêchait pas, bien au contraire, d’entretenir l’activité de ses troupes par l’organisation de parades motorisées et de manoeuvres quasi-militaires (16 000 hommes ont été ainsi rassemblés à l’hippodrome de Chantilly le 30 novembre 1934).

 Les premières applications de la loi du 10 janvier 1936

A la suite du 6 février 1934, perçu par la gauche comme un complot fasciste soutenu par des hauts fonctionnaires, les parlementaires radicaux ont demandé que des mesures de défense républicaine soient prises contre les ligues. Le décret-loi du 23 octobre 1935 a ainsi réglementé plus strictement les manifestations de rue. La question revenant régulièrement en débat à la Chambre, la loi du 10 janvier 1936, composée de dispositions de circonstance, fut adoptée dans des conditions de précipitation. Elle s’inspirait d’un projet de loi mis à l’étude en 1926, à la fin du Cartel des gauches, et de plusieurs propositions de loi et projets de loi à l’étude à partir de janvier 1935.

Sa première application fut immédiate. Le 13 février 1936, la voiture de M. Léon Blum quittant le Palais-Bourbon croisait le convoi funèbre de M. Jacques Bainville, organisé par l’Action française. Le chef de la SFIO fut sérieusement blessé par les manifestants et échappa de peu à un lynchage physique, grâce à l’intervention d’ouvriers travaillant sur un chantier voisin. Le Gouvernement intérimaire du radical Albert Sarraut décida en conséquence de dissoudre les ligues d’Action française.

En application du programme électoral du Front populaire, M. Léon Blum devenu Président du Conseil décida le 19 juin 1936, de dissoudre quatre ligues : les Croix de Feu, les Jeunesses patriotes, la Solidarité française et le Parti franciste.

Certains des éléments les plus durs des ligues dissoutes se sont retrouvés au sein du Comité secret d’action révolutionnaire (CSAR), alias la Cagoule, dirigé par M. Eugène Deloncle. Le CSAR voulait entraîner l’armée contre les institutions de la République en faisant croire à un complot communiste. Il a perpétré divers attentats qui ne sont apparus initialement que comme des crimes de droit commun (Navachine, frères Rosselli, fusillade de Clichy le 16 mars 1937,...). Il était subventionné par l’étranger et avait accumulé, notamment par un trafic d’armes, plusieurs stocks d’armes (fusils de chasse et fusils mitrailleurs, grenades,...), dissimulés dans la région parisienne. Plusieurs centaines d’hommes en arme se livraient à des exercices de tir et à des entraînements militaires, selon une stricte discipline et une surveillance de ses membres. Le CSAR se livrait également à des opérations de renseignement contre les communistes. Il bénéficiait de la participation active de cadres de l’état-major et de militaires de haut rang. Il fut découvert le jour de sa tentative avortée de renversement de la République, en novembre 1937.

B) LES CAS DE DISSOLUTION ET LES SANCTIONS PREVUS PAR LA LOI

Loi de circonstance, la loi du 10 janvier 1936 a bien survécu aux conditions de sa naissance puisqu’elle est toujours applicable. Ses fondements - la possibilité offerte au Gouvernement de dissoudre un groupe à risque - n’ont pas été remis en cause au fil des Républiques qui se sont succédées. Bien au contraire, d’autres cas d’application, non prévus en 1936, ont été ajoutés.

Le texte actuellement en vigueur sur les groupes de combat et milices privées prévoit, dans son article premier, que " seront dissous, par décret rendu par le Président de la République en Conseil des ministres, toutes les associations ou groupement de fait :

" 1° Qui provoqueraient à des manifestations dans la rue ;

" 2° Ou qui, en dehors des sociétés de préparation au service militaire agréées par le Gouvernement, des sociétés d’éducation physique et de sport, présenteraient par leur forme et leur organisation militaires, le caractère de groupes de combat ou de milices privées ;

" 3° Ou qui auraient pour but de porter atteinte à l’intégrité du territoire national ou d’attenter par la force à la forme républicaine du Gouvernement ;

" 4° Ou dont l’activité tendrait à faire échec aux mesures concernant le rétablissement de la légalité républicaine" ; (alinéa ajouté par l’ordonnance du 30 décembre 1944) ;

" 5° Ou qui auraient pour but soit de rassembler des individus ayant fait l’objet de condamnation du chef de collaboration avec l’ennemi, soit d’exalter cette collaboration ; (alinéa ajouté par la loi n° 51-18 du 5 janvier 1951) ;

" 6° Ou qui, soit provoqueraient à la discrimination, à la haine ou à la violence envers une personne ou un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée, soit propageraient des idées ou théories tendant à justifier ou encourager cette discrimination, cette haine ou cette violence ; (alinéa ajouté par la loi n° 72-546 du 1er juillet 1972) ;

" 7° Ou qui se livreraient, sur le territoire français ou à partir de ce territoire, à des agissements en vue de provoquer des actes de terrorisme en France ou à l’étranger " (alinéa ajouté par la loi n°86-1020 du 9 septembre 1986).

Cette loi a été appliquée à de multiples reprises, concernant 84 associations ou groupements de fait pour être précis. Tous les cas de dissolution prévus par la loi ont été mis en oeuvre. Ils ont concernés des types d’organisation très différents des ligues de l’entre-deux-guerres : des mouvements liés à la collaboration, des organisations militant dans le contexte de la décolonisation pour l’indépendance, mais aussi contre - on pense bien entendu à l’OAS -, des mouvements gauchistes soixante-huitards, des mouvements d’extrême-droite ou néo-nazis, des organisations régionalistes séparatistes, tant en métropole qu’outre-mer, et des Un système de sanctions est également prévu pour que la dissolution d’une association ou d’un groupement soit effective. Les peines figurant aux articles 2 et 3 de la loi du 10 janvier 1936 ont été intégrées dans le nouveau code pénal et actualisées en 1992. Elles relèvent du tribunal correctionnel36.

En application de l’article 431-17 du code pénal, " le fait d’organiser le maintien ou la reconstitution, ouverte ou déguisée, d’un groupe de combat dissous en application de la loi du 10 janvier 1936 précitée est puni de sept ans d’emprisonnement et de 700 000 francs d’amende ". De même, " le fait de participer au maintien ou à la reconstitution, ouverte ou déguisée, d’une association ou d’un groupement dissous en application de la loi du 10 janvier 1936 sur les groupes de combat et les milices privées est puni de trois ans d’emprisonnement et de 300 000 francs d’amende " (article 431-15).

Les sanctions pénales attachées à la méconnaissance de la loi du 10 janvier 1936 ont également été renouvelées à l’occasion de l’élaboration du nouveau code pénal en 1992. Tout d’abord, en application de l’article 431-18 du code pénal, les personnes physiques coupables des infractions d’organisation, de maintien ou de reconstitution d’un groupement dissous peuvent se voir infliger par le tribunal correctionnel les peines complémentaires suivantes : interdiction des droits civiques, civils de famille, diffusion de la décision de justice ou d’un communiqué informant le public des motifs et du dispositif de celle-ci et interdiction de séjour pour les personnes de nationalité étrangère.

Quant aux personnes morales, l’article 431-20 du même code permet de les déclarer elles aussi responsables pénalement et de leur infliger des peines d’amende, d’interdiction d’exercice d’une activité professionnelle, de placement sous surveillance judiciaire ou d’interdiction d’émettre des chèques.

Enfin, les personnes physiques ou morales coupables des infractions susmentionnées peuvent se voir confisquer les biens mobiliers et immobiliers appartenant au mouvement dissous, ainsi que les uniformes, insignes, emblèmes, armes et tous matériels utilisés ou destinés à être utilisés par le groupe de combat ou par l’association ou le groupement maintenu ou reconstitué (article 431-21).

C) L’INTERPRETATION DE LA LOI DU 10 JANVIER 1936 PAR LE CONSEIL D’ETAT

S’agissant d’un décret du Président de la République, la décision de dissolution administrative d’une association ou d’un groupement de fait peut faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir devant le Conseil d’Etat. Celui-ci a donc été amené à développer une jurisprudence relativement abondante en la matière, qui permet d’éclairer utilement la Commission dans son analyse.

Avant d’étudier la jurisprudence administrative relative aux différents cas de dissolution prévus par la loi, il convient de rappeler quelles sont les exigences procédurales en la matière.

 La procédure de dissolution

Les décrets de dissolution devaient être signés par le chef de l’Etat sous la IIIème République, et par le Président du Conseil sous la IVème République. En vertu des articles 13 et 19 de la Constitution du 4 octobre 1958, ils doivent désormais être signés par le Président de la République et contresignés par le Premier ministre et le ministre de l’intérieur, seul ministre responsable au sens de la jurisprudence du Conseil d’Etat37, puisque compétent en matière de maintien de l’ordre public et chargé du contrôle des associations et groupements.

Des garanties procédurales sont accordées à l’association ou au mouvement dissous, dans la mesure où le Conseil d’Etat38 impose que les droits de la défense soient respectés, sauf urgence ou circonstances exceptionnelles. De ce fait, le décret doit être motivé, en application de la loi n° 79-587 du 11 juillet 1979 relative à la motivation des actes administratifs, et les dirigeants de l’organisation dont la dissolution est envisagée doivent être en mesure de présenter des observations écrites au Gouvernement, en application de l’article 8 du décret n° 83-1025 du 28 novembre 1983.

Pour autant, il s’agit d’un acte discrétionnaire du pouvoir exécutif seul. Celui-ci peut s’appuyer sur les conclusions d’une commission d’enquête parlementaire pour motiver un décret de dissolution39. Le Conseil d’Etat se limite à un contrôle normal de la qualification juridique des faits, sans exercer le plein contrôle de proportionnalité auquel il soumet en principe les mesures administratives de police. Le Gouvernement apprécie seul l’opportunité de proposer au Président de la République la dissolution d’un groupement ou d’une association, et il n’est pas obligé de le faire même si les conditions prévues par la loi sont réunies40.

 Les conditions d’une dissolution administrative

Il faut d’abord préciser que la loi vise à la fois les associations et les groupements de fait. Le DPS relève de cette deuxième catégorie puisqu’il n’a pas d’autonomie juridique ni de statut mais dépend de l’association Front National. M. Jean-Marie Delarue, directeur des libertés publiques et des affaires juridiques au ministère de l’intérieur, a considéré qu’il s’agissait là d’un problème réel mais non infranchissable. " Les dissolutions auxquelles il a été procédé jusqu’alors ont visé des organisations prises dans leur ensemble et pour lesquelles, dans la totalité des cas, un service d’ordre éventuellement très musclé n’était pas séparable du reste de l’organisation. J’en veux pour preuve la dissolution par un décret du même jour de la Ligue communiste et d’Ordre nouveau. " Cela ne semble cependant pas constituer un problème pour le juge administratif, qui a déjà été amené à valider des dissolutions de groupements de fait41.

. S’agissant de la provocation à des manifestations armées dans la rue (1°), il suffit qu’il y ait incitation par diffusion de tracts et de journaux, indépendamment de tout début d’exécution. Il suffit de ne pas rejeter la possibilité de recourir à la force pour encourir la dissolution42. De la même façon, il n’y a pas lieu de tenir compte des instructions criminelles passées ou en cours43. En effet, selon le commissaire du Gouvernement Bruno Genevois dans l’affaire du SAC44, les actions de violence criminelle

 comme la tuerie d’Auriol en 1982 - n’entrent pas dans le champ d’application de la loi du 10 janvier 1936. A contrario donc, il n’est pas nécessaire qu’un meurtre soit commis pour pouvoir dissoudre un groupement.

. Pour la définition des associations ou groupements de fait qui présentent, par leur forme et leur organisation militaire, le caractère d’un groupe de combat ou d’une milice privée (2°), plusieurs critères doivent être pris en compte. Il existe toutefois quelque difficulté pour apprécier juridiquement ces critères, compte tenu de l’imprécision des termes mêmes de la loi.

Dans le contexte des années 1930, le commissaire du Gouvernement Detton a défini les ligues comme des groupes de combat au motif qu’il s’agissait de " formations hiérarchisées, encadrées, soumises à une rigoureuse discipline, à des exercices de rassemblement ; dès lors que leur organisation et leur entraînement tendent à les rendre aptes à des coups de main, ne serait-ce que de stricte défense, on est en présence pour le moins d’une milice privée au sens de la loi de 1936. Peu importe l’absence d’armes, ce qui importe, c’est l’organisation, l’entraînement et l’esprit "45.

Le commissaire du Gouvernement Bruno Genevois a proposé au Conseil d’Etat de reprendre cette définition en 1985, tout en l’adaptant à l’époque contemporaine qui est assurément moins ostensiblement paramilitaire. S’agissant du SAC, il considère que sont présents la hiérarchie, l’encadrement, la discipline et l’aptitude aux coups de main, mais que font défaut et l’entraînement régulier des membres et la pratique des rassemblements. Pour autant il conclut, suivi en cela par le Conseil d’Etat, que cette différence quant aux aspects extérieurs de l’organisation ne conduit pas à lui dénier le caractère d’une milice privée, en raison de ses structures, de ses méthodes, de ses valeurs et de son recrutement46.

Analysant la jurisprudence du Conseil d’Etat en se présentant lui-même comme un gardien de la liberté d’association, M. Jean-Marie Delarue, directeur des libertés publiques et des affaires juridiques au ministère de l’intérieur et à ce titre chargé de la préparation de tout décret de dissolution, a estimé qu’il fallait la réunion de quatre critères cumulatifs pour pouvoir caractériser un groupe de combat. " Le juge administratif a défini quatre critères cumulatifs, à ses yeux nécessaires pour permettre à l’autorité administrative d’utiliser l’arme de la dissolution. Le premier de ces critères est l’organisation de l’association ou du groupement de fait qui doit être solidement hiérarchisé - cela va de soi. Le deuxième est une discipline extrêmement stricte des membres de l’association ou du groupement, assortie de sanctions très sévères et quasiment automatiques. Selon la troisième condition, les membres de l’association doivent être soumis à un entraînement régulier, périodique, organisé et, pour tout dire, proche de l’entraînement militaire. Le quatrième et dernier critère, qui figure déjà dans la décision "Croix de Feu", tient dans l’intention belliqueuse des responsables de l’association. "

S’interrogeant sur la pertinence d’une telle analyse, la Commission a souhaité obtenir le point de vue d’un juriste totalement indépendant. M. Bertrand Mathieu, professeur de droit public à l’Université de Paris I Panthéon Sorbonne, n’a pas confirmé l’exigence de quatre critères cumulatifs. Il a en effet indiqué que " l’analyse de la jurisprudence montre que la méthode retenue est celle du faisceau d’indices. Ainsi, et pour schématiser, la présence d’un seul critère ne suffit pas, mais la réunion de tous les critères n’est pas nécessairement exigée ".

Il semble bien que le Conseil d’Etat ait adopté, au fil de ses décisions, une attitude assez pragmatique pour caractériser un groupe de combat ou une milice privée, compte tenu du caractère particulier de chaque mouvement en cause. Les indices du caractère paramilitaire de l’association sont recherchés au niveau de son organisation interne (obéissance et discipline de ses membres), de son recrutement, de son entraînement et de ses activités (intentions belliqueuses). A cet égard d’ailleurs, il faut préciser qu’il suffit que l’organisation soit " apte à des actions de commando "47 ou à des coups de main, indépendamment du passage à l’acte : comme l’a si bien indiqué le commissaire du Gouvernement Detton, " qui dit défense dit combat "48.

. Le critère de l’atteinte à l’intégrité du territoire national (3°) a permis quant à lui de justifier la dissolution de multiples mouvements indépendantistes à l’époque de la décolonisation ou régionalistes aujourd’hui. Le Conseil d’Etat a considéré que la prise en compte du seul programme de l’organisation en cause est suffisant, indépendamment de tout acte d’exécution49.

. L’intention de porter atteinte par la force à la forme républicaine du Gouvernement50 (3°) suffit également, sans qu’il y ait eu un début d’exécution. Le but seul ne suffit pas, il faut qu’il y ait au moins intention d’utiliser la force. Il peut s’agir d’une action en faveur du rétablissement de la monarchie51 ou de l’instauration d’une dictature52. Par contre, le seul refus du pluralisme démocratique ne semble pas correspondre au motif visé par la loi.

. Les dispositions visant à dissoudre les groupements politiques dont l’activité tend à faire échec aux mesures concernant le rétablissement de la légalité républicaine (4°) ou ceux exaltant la collaboration (5°) s’inscrivent dans le contexte très particulier de l’après-guerre. Le Conseil d’Etat a toutefois été amené à considérer qu’elles sont toujours applicables53. Elles ont d’ailleurs servi de fondement au décret du 2 septembre 1993 qui a dissous le groupement de fait Heimattreue Vereinigung Elsass (HVE), au motif qu’il avait participé à des activités pronazies célébrant les " combattants européens " sous l’uniforme allemand de la dernière guerre et à des rencontres avec d’anciens SS français.

. Le motif de dissolution pour incitation au racisme (6°) a été mis en oeuvre à l’encontre d’Ordre nouveau, de la FANE et du HVE. On doit toutefois rappeler que selon M. Michaël Darmon, journaliste à France 2 qui a vu les membres du DPS à l’oeuvre notamment à Montceau-les-Mines, " je n’ai pas entendu de propos antisémites, racistes ou xénophobes, pour la seule bonne raison que les membres du DPS se vivent comme une élite. [...] Je fréquente les réunions du Front National depuis trois ans, et je puis vous affirmer que les remarques racistes qui peuvent fuser ne viennent jamais des membres du DPS ".

. Enfin, les actes de terrorisme (7°) sont aussi en eux-mêmes susceptibles de justifier une dissolution administrative. Ce fondement a déjà été utilisé pour dissoudre l’organisation indépendantiste basque Iparretarak et le Comité du Kurdistan. Dans ce cas, en vertu de la loi n° 96-647 du 22 juillet 1996 tendant à renforcer la répression du terrorisme, les sanctions applicables au groupement dissous sont plus importantes car elles relèvent alors du régime des actes de terrorisme54.