Les entreprises de gardiennage, de surveillance et de transports de fonds exercent des activités de sécurité de nature privée. Elles concourent ainsi à la sécurité générale de la Nation. Etant donné le domaine dans lequel elles interviennent, une réglementation de leurs activités s’impose, notamment pour définir les conditions de création des entreprises en cause, les conditions d’agrément de leurs dirigeants et de leur personnel, ainsi que les modalités d’exercice de leurs activités. La réglementation actuelle, qui date de 1983, n’est cependant pas suffisante au regard du développement commercial de ce secteur65 et des missions particulières qu’il remplit, aux frontières de celles de l’Etat. Le fait que des liens étroits aient été établis entre certaines sociétés de sécurité et l’extrême-droite en général - et le DPS en particulier - ne doit pas amener à jeter la suspicion sur toute une profession, mais inciter au contraire à éviter toute dérive. C’est pourquoi la Commission souhaite que le contrôle sur ces sociétés soit renforcé.

A) UN SECTEUR EN PLEIN ESSOR MAIS PEU REGLEMENTE

 Un secteur professionnel très particulier

Un panorama très général du secteur de la sécurité privée en France peut être établi à partir des statistiques fournies par le ministère de l’intérieur, sur la base d’une enquête réalisée au niveau des préfectures tous les trois ans.

En 1996, 4 131 entreprises privées de surveillance et de gardiennage ont été recensées (hors services internes de sécurité des entreprises). 4 630 personnes ayant le statut de dirigeants et 78 475 employés de ces sociétés ont été déclarés à l’administration. L’importance de ces effectifs doit être relativisée en raison du turn-over important qui existe dans le secteur. Les personnels sont souvent employés sur des CDD pour des missions précises, allant de quelques semaines à quelques mois. Il s’agit souvent d’un travail peu qualifié, par manque de formation initiale ou continue. Il est alors logique qu’en raison de leur expérience professionnelle de nombreux policiers ou militaires se reconvertissent dans ce milieu.

Les tailles des entreprises en cause sont très diverses : de quelques salariés à plusieurs milliers, mis à la disposition d’autres entreprises. Il s’agit souvent de SARL ou d’EURL. Par exemple, le Groupe Onze France, la société de M. Nicolas Courcelle, emploie dix à quinze salariés pour un chiffre d’affaires de un à cinq millions de francs. La société Normandy dispose quant à elle de vingt-cinq à trente permanents. L’ACDS jouait par contre dans un autre registre puisqu’elle avait plus de mille employés.

Toutes ces sociétés recrutent dans le même milieu, qui est assez restreint et facilement identifiable : d’anciens militaires et policiers, des mercenaires en déshérence... Comme l’a indiqué M. Gilles Kuntz, président de la société Normandy, " tout le monde se connaît. On a vite fait le tour. C’est un milieu très restreint ". M. Nicolas Courcelle ne le dément pas, bien au contraire : " Je suis dans le milieu de la sécurité, à Paris, depuis 1982. Je connais donc beaucoup de monde. Je recrute essentiellement par relation ".

 La loi du 12 juillet 1983

Alors que la profession est relativement ancienne, la réglementation est cependant beaucoup plus récente en France puisqu’elle date de la loi n° 83-629 du 12 juillet 1983 réglementant les activités privées de surveillance, de gardiennage et de transport de fonds qui, il faut le signaler, est d’origine parlementaire. Face au développement croissant et mal maîtrisé de ce secteur d’activités, le législateur est donc intervenu afin de moraliser la profession et de limiter le champ d’action de ces sociétés, en élaborant une réglementation spécifique.

La création d’une société de surveillance privée est soumise à l’obtention d’un agrément préfectoral. Cette autorisation administrative de fonctionnement est accordée sans limitation de durée. L’exercice de cette profession (autant par les dirigeants que par les agents de surveillance) est interdit à toute personne ayant fait l’objet d’une sanction disciplinaire ou d’une condamnation pénale. A cette fin, un extrait du casier judiciaire (le bulletin n° 2) doit être fourni à l’administration.

Le décret n° 86-1099 du 10 octobre 1986 précise que le personnel des entreprises de surveillance, de gardiennage et de transports de fonds doit être, dans l’exercice de ses fonctions, revêtu d’uniformes ne prêtant pas à confusion avec les uniformes de la force publique. Cet uniforme doit comporter des insignes distinctifs et visibles permettant d’identifier la dénomination ou le siège de l’entreprise de gardiennage. L’agent de sécurité ou le gardien doit également être en possession d’une carte professionnelle, délivrée par l’employeur, mentionnant ses coordonnées et l’autorisation administrative obtenue par l’entreprise de gardiennage. Elle doit comporter une photographie de son détenteur.

Les dirigeants ou employés des entreprises en cause ne peuvent faire état de la qualité d’anciens fonctionnaires de police ou d’anciens militaires qu’ils pourraient avoir dans tout document, publicité ou correspondance de la société.

Dans l’exercice de ses missions, l’agent de surveillance est considéré comme un simple citoyen. Il est donc soumis aux règles juridiques de la légitime défense, de l’assistance à personne en danger et du flagrant délit. Il peut être armé dans les conditions réglementaires en vigueur pour la protection des biens, mais pas des personnes.

B) LA NECESSITE D’ELABORER UNE LEGISLATION PLUS RIGOUREUSE

 Le projet de loi Debré

L’annexe I de la loi n° 95-73 du 21 janvier 1995 de programmation relative à la sécurité a annoncé le principe d’une loi ultérieure redéfinissant le statut et les missions des entreprises de gardiennage, de surveillance, de transport de fonds et des agences de recherche privées. M. Jean-Louis Debré, ancien ministre de l’intérieur, a ainsi élaboré un projet de loi déposé sur le bureau du Sénat66 le 21 juin 1995 qui n’est jamais venu en discussion devant le Parlement.

Ce projet visait à poursuivre l’oeuvre entreprise en 1983 dans le sens d’une plus grande exigence de qualité des prestations de sécurité privée, en renforçant les conditions d’exercice de la profession, en encadrant plus strictement les missions de ces entreprises et en exerçant sur elles un contrôle plus étroit.

Les conditions requises des dirigeants d’une société exerçant des activités privées de surveillance, gardiennage, transport de fonds ou protection de personnes devaient être renforcées. Actuellement, le préfet ne peut faire obstacle à l’exercice de ces activités par un dirigeant que dans un seul cas : lorsque l’intéressé a fait l’objet, pour agissements contraires à l’honneur, à la probité ou aux bonnes moeurs ou pour atteinte à la sécurité des personnes ou des biens, d’une sanction disciplinaire ou d’une condamnation à une peine d’emprisonnement correctionnelle ou criminelle. Le projet de loi instituait un véritable agrément individuel, délivré au vu de critères tenant non seulement à l’absence de mention au bulletin n° 2 du casier judiciaire, mais aussi à la circonstance que l’intéressé n’a pas été l’auteur de faits contraires aux bonnes moeurs ou de nature à porter atteinte à la sécurité des personnes ou des biens, à la sécurité publique ou à la sûreté de l’Etat.

Cette condition nouvelle aurait dû permettre à l’autorité de police de s’opposer à l’exercice des fonctions de direction d’une entreprise de sécurité privée lorsque l’intéressé est connu pour des activités ou un comportement dénotant un risque pour la sécurité. Dans le même esprit, il était prévu d’exclure que les dirigeants de ces sociétés puissent exercer toute autre activité professionnelle incompatible avec leur métier principal dans une société de gardiennage ou de sécurité. Enfin, il était prévu d’exiger des dirigeants la justification d’une qualification ou d’une aptitude professionnelle, afin de garantir la qualité des prestations rendues.

Ce projet de loi prévoyait de la même façon de renforcer les conditions d’aptitude et d’honorabilité auxquelles devraient satisfaire les salariés des entreprises de ce secteur. Ces conditions devaient être les mêmes que celles prévalant pour les dirigeants ou gérants, à la différence près que la condition de qualification professionnelle serait remplie dans des conditions naturellement différentes pour un salarié et pour un dirigeant. S’agissant des salariés, une simple obligation de déclaration devait être mise à la charge des entreprises, afin de permettre le contrôle de l’administration et de lutter contre le travail clandestin.

Le dossier de demande d’autorisation administrative pour une société de sécurité privée devait comporter de nouveaux éléments sur la répartition du capital de la société et les participations financières détenues dans d’autres entreprises. Ces éléments seraient en effet utiles à l’appréciation de la situation financière de l’entreprise qui sollicite l’autorisation.

Les conditions dans lesquelles l’autorisation administrative dont bénéficie une entreprise de surveillance ou de gardiennage peut être retirée étaient précisées. Le retrait pouvait intervenir lorsque l’entreprise ne satisfaisait pas les obligations qui sont les siennes en vertu de la loi ou bien lorsqu’il apparaissait qu’elle constituait, par ses activités, une menace pour la sécurité publique ou la sûreté de l’Etat. La suspension provisoire à titre conservatoire était notamment prévue, lorsque des poursuites pénales sont engagées.

Pour cela, une faculté nouvelle était aussi instituée au profit des commissaires de police, des officiers de police et des officiers et gradés de la gendarmerie nationale, en vue d’exercer une surveillance sur les entreprises régies par la loi. Ces personnes auraient eu en effet, au nom de l’administration, la faculté de contrôler sur place les conditions dans lesquelles les entreprises respectent les obligations auxquelles la loi les astreint, en particulier en matière d’emploi de salariés qualifiés régulièrement déclarés.

Enfin, l’ensemble des sanctions pénales applicables en cas d’inobservation de la loi étaient redéfinies. Les peines encourues étaient majorées jusqu’à trois ans d’emprisonnement et 300 000 francs d’amende dans les cas les plus graves. Il était par ailleurs bien précisé que le fait d’exercer ou de faire exercer des activités de surveillance, gardiennage, transport de fonds ou protection des personnes en méconnaissance des règles prescrites par la loi ferait encourir une sanction pénale, afin de faire échec à des activités de cette nature sous le couvert d’autres activités commerciales.

 Les recommandations de la Commission

Compte tenu des dérives et des liens constatés entre certaines sociétés de sécurité privées et l’extrême-droite, la Commission estime nécessaire qu’un texte s’inspirant de ces principes vienne en discussion rapidement devant le Parlement. M. Jean-Marie Delarue, directeur des libertés publiques et des affaires juridiques au ministère de l’intérieur, a indiqué lors de son audition qu’un projet de loi en ce sens, dont il n’a pas dévoilé le contenu, allait être soumis à arbitrage interministériel. Le ministre de l’intérieur a lui-même souhaité que ce texte vienne en discussion car il s’agit, selon lui, d’" un des éléments de garantie du respect de la légalité républicaine ".

Il serait souhaitable qu’un agrément administratif, délivré sur justificatifs par l’autorité préfectorale, soit exigé non seulement des dirigeants de la société mais aussi de ses employés. Une simple déclaration en préfecture ne permet pas en effet à l’Etat de contrôler les qualifications professionnelles et les qualités " morales " de ces personnes. Le retrait d’agrément, lui aussi absent du texte préparé par M. Jean-Louis Debré, doit être organisé car il s’agit du seul moyen de contrôle efficace de l’activité de ces sociétés, notamment à l’issue de visites de surveillance par les autorités de police ou de gendarmerie. Il serait tout à fait possible de s’inspirer de la loi n° 99-291 du 15 avril 1999 relative aux polices municipales, qui prévoit notamment un agrément préalable des agents de police municipale par le préfet, cet agrément pouvant être retiré ou suspendu. Ainsi que l’a indiqué M. Jean-Marie Delarue, directeur des libertés publiques et des affaires juridiques au ministère de l’intérieur, " je crois davantage à la vertu de l’agrément retiré qu’à la vertu de l’agrément donné ". De même, des exigences de formation pour les personnels en cause doivent être imposées.

Une autre garantie pourrait aussi être trouvée dans un meilleur respect de certaines règles déontologiques par la profession. A cet égard, il faut signaler qu’un projet de loi actuellement en cours de discussion au Parlement67 prévoit la création d’une Commission nationale de la déontologie de la sécurité, notamment compétente à l’égard des personnes employées par les sociétés de sécurité privées régies par la loi n° 83-629 du 12 juillet 1983 précité. Cette commission devrait pouvoir être saisie, selon un système similaire au Médiateur de la République68, par toute personne victime ou témoin de faits constituant un manquement aux règles de déontologie. Si un manquement est effectivement constaté, la Commission nationale de la déontologie de la sécurité devrait pouvoir adresser un avis ou une recommandation au dirigeant de la société en cause. Le problème essentiel consistera à définir ce que l’on peut entendre par règles déontologiques propres à cette profession, et quelle force contraignante elles auront vis-à-vis des personnels concernés.

Enfin, si les entreprises privées semblent aujourd’hui bien implantées dans le domaine de la sécurité intérieure - et aussi extérieure avec la diversification internationale -, il ne faut pas remettre en cause le monopole de l’Etat en matière de maintien de l’ordre et de garantie de la sécurité des biens. On ne peut pas considérer qu’il s’agit d’une activité commerciale comme une autre. Il ne s’agit pas que, sous couvert de sociétés privées de gardiennage, de simili-milices se constituent pour imposer leurs noyaux de sécurité. En toutes circonstances, force doit demeurer la loi, et à elle seule.