Enquête sur les connexions de l’association Positifs, avec, d’une part, les promoteurs de médecines dites alternatives contre le sida ; d’autre part avec les milieux pédophiles d’extrême droite de la revue Gaie France.

Ci-dessus, à gauche, Gaie France Magazine, numéro 32, septembre 1992. A droite, Sida tout va bien, dont l’éditorial met en cause l’Institut Pasteur qui aurrait "contaminé par voie sanguine des milliers d’individus à la suite d’une erreur de manipulation". Au centre, la reprise de cet éditorial dans gaie France Magazine.

Ci-dessous, des photos publiées dans un dosier sur Robert Brasillac, dans Gaie France, numéro 5, septembre 1993. No comment !

Née le 8 septembre 1989, Positifs est une association loi 1901 dont l’objectif est officiellement " la défense des intérêts matériels et moraux des personnes séropositives ". Selon ses statuts, elle entend promouvoir l’entraide et la solidarité des séropositifs entre eux, par eux et pour eux " contre toute forme de discrimination du fait de sa séropositivité ". Ils précisent aussi que l’association est composée exclusivement de personnes atteintes par le VIH.

Depuis 1990, l’association publie un journal (4 à 8 pages) intitulé Sida Tout Va Bien. Son credo : dénoncer et jeter la suspicion sur les traitements existants, en particulier sur l’AZT ; apporter une " information médicale " aux séropositifs ; " promouvoir la recherche et l’utilisation de thérapies alternatives ". Les chevilles ouvrières en ont été Michel Guillou, Bruno Ramponi, Alain Prod’homme et un mystérieux collectif de " conseillers médicaux " regroupés sous le pseudonyme Dr(s) J. Avicenne(s). Le responsable de la " coordination médicale " est le docteur Maurisson, qui exerce au Centre Europe à Paris : il serait en fait le principal auteur des articles à vocation scientifique.

Positifs développe l’idée que l’AZT est un poison, désigne un génocide organisé par l’institut Pasteur, organise la promotion de substances dont les effets pour les patients ne sont pas reconnus par la communauté scientifique. Une constante est la revendication de la diffusion de la THA (Tétrahydroaminoacridine), molécule utilisée contre la maladie d’Alzheimer (sous le nom de tacrine). La THA permettrait tout à la fois de lutter contre les atteintes neurologiques, les rétinites, les atteintes broncho-pulmonaires, les colites, les pancréatites, les myocardites et autres états fébriles. Seul effet secondaire de la THA : quelques nausées et vomissements.

Le Docteur Maurisson était, au début des années 90, un prescripteur actif de la THA. Si depuis beaucoup de ses patients sont morts, certains sont vivants. Nous en avons rencontrés. Ils témoignent de la volonté délibérée d’ignorer les effets secondaires de la THA et des fortes réticences du Docteur Maurisson sur l’AZT. Chaque patient signait un texte oblitérant la responsabilité du médecin, alors que cette prescription n’entrait pas dans le cadre des essais thérapeutiques dûment autorisés par les autorités sanitaires. Il précisait notamment que " la durée du traitement est indéterminée et dépendra de l’évolution de l’infection et de la bonne tolérance à ce médicament dont le seul effet secondaire peut être d’ordre hépatique. " Et plus loin : " Si plus de 30 patients sont traités pendant plus de six mois, il envisage de regrouper anonymement l’ensemble de leurs résultats afin d’en faire une étude statistique qui pourrait éventuellement donner lieu à une publication afin de mieux faire connaître les résultats bénéfiques de ce traitement aux autres médecins français. "

Certains patients, inquiets de voir leur situation personnelle se dégrader, débarquaient dans d’autres cabinets. Les médecins étaient stupéfaits de constater que bien qu’ils soient suivis régulièrement, ils ne se soient pas vu prescrire le seul antirétroviral disponible alors.

Dans le " mouvement " qui organise la promotion des médecines complémentaires ou alternatives, Positifs n’est pas seule. Certains de ses responsables participent régulièrement à la revue Vous et votre santé. En mai-juin 1993, cette revue titre " l’AZT est un poison ? " Au troisième trimestre 1995, Adrien Caprani, directeur de recherche au CNRS et " expert " à l’Inserm, qui est aussi le responsable des questions internationales de Positifs, en est le rédacteur en chef invité. Le " Docteur J. Avicenne " participe à ce numéro aux côtés d’un certain Mark Griffiths et de Marc Crouzier. Le premier est parfois cité comme référence des hygiénistes (voire par exemple une brochure intitulée mensonge sur le sida publiée au 2e trimestre 1995). Le second est le président du Collectif cancer sida (CCS), association regroupant les malades " bénéficiant ou ayant bénéficiés des recherches du Professeur Mirko Beljansky ".

En septembre 1996, le titre de Vous et Votre Santé passe de l’interrogatif à l’affirmatif : " L’AZT est un poison ". En couverture Pierre Andrillon, son rédacteur en chef, parle du " remarquable travail de recensement des traitements contre le sida " qui a " été réalisé par le Docteur Maurisson et le directeur de recherche au CNRS Adrien Caprani, de l’association Positifs ". Dans le même numéro, un article est consacré à une plainte de Marc Crouzier contre les laboratoires Wellcome, accusés d’empoisonner les malades. L’article conclut : " Marc prend la défense des malades que l’on veut éliminer. Quelle belle leçon d’amour ".

Ainsi, Positifs participe à la mouvance du Professeur Mirko Beljansky. L’association est bien discrète sur ce soutien. Jusqu’en juillet 1995, où on peut lire, dans Sida Tout Va Bien : " Il y a deux ans, alors qu’aucune donnée n’avait été divulguée officiellement, notamment à partir du Ministère de la santé, nous avions convaincu le professeur Beljansky de nous remettre les résultats des études concernant Pao Peireira. " En fait il s’agit d’une substance testée aux États-Unis par Mirko Beljansky, substance dont la qualité n’est pas reconnue par les autorités sanitaires. En novembre 1996 Sida Tout Va Bien dénonce les procédures dirigées contre l’inventeur et les distributeurs de ce produit et, par ailleurs, propose aux lecteurs d’utiliser Internet pour faire circuler les informations sur les traitements alternatifs. Au nom du libre choix thérapeutique, l’éditorialiste du " Journal d’information des séropositifs en colère " en défend la diffusion, en dépit du " scepticisme des experts du Ministère de la santé quant à l’intérêt du traitement ".

La rhétorique de Positifs mérite attention. Les dérapages de Sida Tout Va Bien sont nombreux. En novembre 1990, Jean-René Grisoni présente " le séropositif nouveau révolutionnaire social ". " [...] au-delà de l’urgence qui consiste à sauver des vies humaines - nos vies -, nous appelons à l’émergence d’une nouvelle mentalité et l’avènement d’un homme nouveau ". Le même, en mai 1991 écrit : " mais dans dix ans, lorsqu’il y aura un cas de sida dans chaque famille française [] j’espère qu’alors on se souviendra de vous messieurs Charvet, Durieux, Evin, Rocard et qu’au tribunal qui vous jugera pour génocide passif nous serons encore suffisamment nombreux à témoigner ". En juillet 1991, un éditorial de Michel Guillou dont le titre est " aux urnes citoyens ! " se prononce " contre l’importation inhumaine et inadaptée de malades étrangers HIV2 comme si les nôtres ne suffisaient pas " et " contre la présence de trop de médecins étrangers et non compétents dans les hôpitaux ". Manifestement, cet éditorial provoqua un conflit parmi les membres de l’association. Le numéro de février-mars 92 lançait un avertissement à ceux qui voudraient lui nuire.

Dans Sida Tout Va Bien, le thème du génocide ou du crime contre l’humanité est banalisé et instrumentalisé. Le numéro de mai-juin 1992 dénonce les " crimes contre l’humanité que sont la sodomie de garçonnet de quatre ans et la prostitution de jeunes femmes et d’enfant qui s’explique en partie car des pères doivent recourir à la prostitution de leur fille pour arriver à faire vivre leur famille ".

En juillet-aout 1992, sous le titre " Génocide ou cauchemar ", l’éditorial affirme que " la principale voie de transmission du virus du sida ne serait pas sexuelle mais sanguine ". Et Bruno Ramponi, d’expliquer : " pourrait-on en conclure que l’institut Pasteur à l’occasion de l’essai du premier vaccin contre l’hépatite B expérimenté en différents pays aurait contaminé par voie sanguine des milliers d’individus à la suite d’une erreur de manipulation ". C’est ainsi que Sida tout va bien entretient la confusion entre une entreprise systématique d’extermination d’un peuple et un accident médical aboutissant à des contaminations par le sida, accident formulé comme une hypothèse crédible.

Cet éditorial provoqua une réaction indignée du professeur Jean-Claude Shermann, directeur de l’unité de recherche sur les rétrovirus de l’Inserm qui concluait en exigeant que Positifs " arrête ces propos diffamatoires ". Cependant, aucune poursuite ne fut engagée par les pouvoirs publics. Sans doute, les personnes mises en cause par Positifs oscillaient entre le mépris devant une publication dont la diffusion était relativement restreinte - en tout cas, elle n’atteignait pas le grand public - et l’hésitation à poursuivre une structure se revendiquant de la lutte contre le sida.

Or, Positifs et sa publication n’ont pas seulement des amis parmi les promoteurs des médecines " complémentaires ". L’association disposera, à partir de mai 1993, d’une importante rubrique permanente dans la revue Gaie France.

Gaie France a pour directeur de la publication et fondateur Michel Caignet. Celui-ci était le bras droit en France de Mickaël Kühnen qui dirigeait en Allemagne les mouvements néo-nazis jusqu’à sa mort, en 1991. Michel Caignet est un ancien collaborateur au mensuel négationniste Combat Européen. Il fut le premier trésorier des Faisceaux nationaliste européen qui prirent la succession de la FANE dissoute. Au sommaire des numéros de Gaie France, revue luxueuse vendue en kiosque, des articles sur des " théoriciens de l’homosexualité et de la pédérastie ", de nombreuses photos suggestives de jeunes garçons - à prétention artistique, ou venant illustrer des textes " littéraires " -, des articles émanant de la mouvance d’extrême droite, des petites annonces typées - " Cent ans après l’anniversaire d’Hitler le 20 avril 1889, le leader du mouvement Michaël Kühnen explique sa position sur son homosexualité. (...) Pour la première fois en français. Envoi contre 20 F. en timbres poste ". Au fil des pages, Alain de Benoist, Robert Brasillac, Charles Mauras, les camps de scouts, " les uvres artistiques réalisées sur le IIIe Reich " sont à l’honneur.

La collaboration entre Positifs et Gaie France prend d’abord la forme d’encarts ou d’articles publicitaires : Michel Meignez de Cacqueray, conseiller de rédaction, salue en septembre 1992, sous le titre " Les gênantes interrogations de Positifs " l’éditorial de Sida Tout Va Bien intitulé Génocide ou cauchemar évoqué plus haut. A partir de mai 1993, après que la revue " Gaie France magazine " ait été interdit, Gaie France " nouvelle série " publie " Malabsorption et diarrhée chez les séropositifs " en mai 1993, " Pasteur-Mérieux : 18 mois de réflexion pour rendre publics les résultats du protocole Imuthiol ! - comme Welcome ! " (juin), " Bon début pour le virus " (juillet), " L-Cartinite : un espoir à confirmer " (août), " La clef de Pasteur est-elle suffisante ? " (décembre). Par la suite, Complice (nouveau titre de la même revue), publie en février 94 " Les propriétés Anti-VIH in vitro et in vivo de la Papavérine : un exemple parmi d’autres d’inertie scientifique ". Et le Gay Pavois, qui parait en mai 1994 - après une nouvelle interdiction - publie " AZT et procréation ", puis " Tuberculoses une prévention excessive ? Une prévention négligée " (juillet-août) et, par exemple, " Yokohama - Réflexion à vif " (octobre 94) L’ensemble de ces articles sont signés du Dr J. Avicenne.

G. A., F. C. C., A. D., P.-L. M.

Concernant les connexions que nous relatons, précisons qu’elles ne portent aucunement sur des liens éventuels entre l’extrême droite (éditant Gaie France) et la mouvance des médecines alternatives dont " Vous et votre santé " est l’un des supports.

"Combat face au sida", numéro8, avril-mai-juin 1997

L’infiltration néofasciste et néonazie dans la minorité gay