Témoignage de Dominique X

(source : Libération, 13-11-97)


"C’EST UNE ARMEE PARALLELE"

UN EX-GROS BRAS DU FN REVELE LES SECRETS DU DPS

Ancien militaire recruté par le FN pour son service d’ordre, le DPS, "Dominique"(dont Libération a vérifié l’authenticité des propos)décrit dans ces moindres détails comment marche "la petite légion" de Le Pen.

Faut-il dissoudre le DPS ? depuis un an, les incidents impliquants le Département protection sécurité (DPS), le service d’ordre du Front national, se sont multipliés. Affrontement avec des manifestants anti-FN à Montceau-les Mines, en octobre 1996, contrôles d’identités abusifs commis par trois DPS à Strasbourg en mars, condamné à un an de prison avec sursis pour "arrestation illégale" et "usurpation de fonction de policier judiciaire" ect. A tel point que l’ancien ministre de l’intérieur Jean-Louis Debré (RPR) aurait commandé au printemps un rapport à l’Inspection générale de police national (IGPN), étudiant la possiblité de dissoudre le DPS.

Dernier épisode en date : la bagarre entre DPS et manifestants anti-FN sur le marché de Mantes-la Jolie en mai. L’échauffourrée a valu à Jean-Marie Le Pen, qui avait molesté la candidate socialiste PS Annette Peulvast-Bergeal, une mise en examen pour "violence en réunion" et "injures publiques". Le procès aura lieu le 20 novembre au tribunal correctionnel de Versailles.

Ancien militaire, "Dominique", appartenait ces dernières années au DPS.Intégré dans l’un des "groupes de choc" officieux qui compose le Département, il a fait "le coup de poing" pour cette "petite légion" au service de Le Pen.Détaillant les taches que leur assigne la direction du DPS, il raconte aujourd’hui les "opérations de force de frappe" et les "missions punitives " de ces "équipe d’intervention". Et décrit l’impressionant matériel dont elles disposent. De crainte de subir des représailles, il a préféré témoigner anonymement, cachant son identité derrière un pseudonyme. Après plusieurs semaines d’enquêtes pour vérifier l’identité de "Dominique", son passé et la véracité de son récit, Libération a décidé de publier sa confession.

Comment êtes-vous rentré au DPS ?

Je vote FN depuis longtemps. Je n’avais pas de boulot et j’ai rencontré un type du front, en banlieue parisienne, qui m’a fait entrer comme simple DPS. Comme j’ai servi dans l’armée, on m’a intégré dans un groupe un peu spécial : une équipe légère d’intervention. Celle de la région parisienne regroupe 25 types, tous des anciens bérêts rouges ou bérêts verts, c’est à dire anciens paras ou anciens légionnaires. Nous sommes des frappeurs. Nous n’avons peur de rien et devons être capables de faire le coup de poing où il faut et quand il faut. Au total, on doit être un peu plus de 200 sur la France. L’autre nom de ses groupes de choc gérés par le commandant Courcelle, le patron du DPS, c’est le G11 (Groupe 11), un groupe d’intervention qui, officiellement, n’existe pas.

Quelle est votre mission ?

Nous sommes tous des ex-combattants aptes à sauter en parachute et à tirer. La plupart ont participé à des conflits, au Tchad, au Centrafrique ou au Liban. Au FN, il y a beaucoup de paranos : on nous répète que nous sommes mobilisables 24 heures sur 24 en cas de subversion intérieure et que nous devons être capables de renverser un gouvernement en 48 heures si Le pen se fait descendre. L’autre fantasme c’est le Bétar (1). On se prépare à la gué- guerre contre lui. Entre nous, on s’amuse à se surnommer les " pompiers du Reich" et on se salue par de petits " Sieg Heil ! " (2).

Vous êtes une vraie milice ?

Tout à fait, une armée parallèle, une petite légion au service d’un parti. C’est le troisième oeil du FN. Comme toujours, il y a un président, Le Pen - et je pense qu’il ne contrôle pas tout ce qui se passe au DPS - un " premier ministre", Mégret, et un chef des armées : Courcelle, chez nous. Et nous menons des opérations un peu spéciales...

Spéciales ?

Nous ne sommes pas les pères pénards de cinquante balais du DPS officiel qui font les fouilles à l’entrée des réunions publiques. Ce sont des militants, pas des brutes comme nous... Il nous arrive aussi de faire les fouilles avec ce qu’on appelle la tenue numéro 1 : blazer bleu marine, pantalon gris, cravate. Mais nous avons surtout une tenue numéro 2, pour la protection " très rapprochée" : bombers, rangers, dans la journée un gilet clair par dessus, le soir tout en noir. Pour passer inaperçu et se mélanger aux gendarmes mobiles.

Votre rôle ?

Intégrer les groupes de manifestants anti-FN, repérer les meneurs et les casser. On n’agit pas en visu mais discrètement. on débarque par groupes de trois ou quatre dans les manifs, on choppe les meneurs, on les emmène à l’écart, on cogne et on disparaît.

Comment êtes vous recrutés ?

Au hasard des rencontres dans des bars fréquentés par des militants, mais aussi dans des foyers de marginaux. Chez les clochards, on trouve beaucoup d’ex-bérêts rouges ou ex-bérêts verts qui sortent de taule. On te promet du fric, un job et en fait on t’exploite.

Vous n’avez pas un casier judiciaire vierge ?

Officiellement, oui. Mais 80% des ex-combattants qui encadrent le commandant Courcelle sont d’anciens taulards.

Vous avez un entrainement spécifique ?

On a une salle de sports au "Paquebot" (surnom donné au siège du FN situé à Saint-Cloud, NDLR) avec un équippement complet : sacs de sable, gants de boxe, appareils de musculation. Il y a aussi des groupes qui partent s’entraîner au tir dans les bois, comme dans la fôret de Rambouillet.

Le FN vous fournit des armes ?

Non. Une note de service stipule même qu’elles sont interdites. Mais chaque type à son sac perso. Les mecs peuvent avoir des armes dedans, des 9mm, des 38... j’en ai vu.

Et le reste du matériel ?

On a des Goliaths, c’est à dire des mini-bombes lacrymogènes de 50cl pour arroser en cas de problèmes, des matraques, notamment des matraques télescopiques qui tiennent dans la poche d’un blazer, des gants plombés qui pèsent 400 grammes et des gilets pare-balles. Plus l’équipement des opérations de force de frappe.

Quelles sont ces opérations ?

En cas de problèmes avec des contre-manifestants, on charge et on dégage le terrain. C’est ce qu’on a fait à Montceau-les-Mines (3). Pour ça, on a des casques, des boucliers et des extincteurs qui envoient de la lacrymo sur dix mètres. On met des masques à gaz et on travaille en binôme : le premier porte l’extincteur et le second, derrière, appuie et gaze. Ensuite arrive une équipe de choc qui matraque. On a aussi des flash-guns, des pistolets qui tirent des balles en caoutchouc. On reçoit des ordres par talkie-walkie du type "restez en place !", "attention, manifestants en vue !", "Assaut !", etc. La devise, c’est rapidité, efficacité et, surtout, ce replanquer avant que les journalistes arrivent. Pour le reste, on a les mains libres.

C’est à dire ?

On m’a dit : "tu auras toujours un avocat derrière toi". Si on se fait arrêter, on a droit à un coup de fil, on appelle au Paquebot, un avocat arrive, et nous dit ce qu’il faut dire. Il vaut mieux que ce soit un élu qui soit accusé, parce que c’est plus dur à toucher qu’un DPS. La seule consigne, c’est ne pas se faire prendre par les journalistes. Sinon on passe en conseil de discipline.

Le FN se renseigne sur les journalistes ?

Evidemment. Un photographe tire le portrait des nouveaux venus aux conférences de presse. Le FN récupère aussi des infos grâce au numéro de sécu ou par France Télecom et constitue un fichier sur ordinateur avec nom, adresse, photo... Au Paquebot, il y a une caméra avec magnétoscope au dessus de l’entrée presse. Toutes les allées et venues des journalistes sont filmées et enregistrées. On doit surtout se méfier de certains canards : tout ce qui est "coco", et d’abord le Canard enchaîné et Libération, les deux bêtes noires.

Quant un journaliste est trop curieux, par exemple si à la fête des Bleu-Blanc-Rouge il interroge des militants ou des DPS qui ne sont pas aptes à répondre, on intervient. On casse l’appareil photo, évidemment "sans le faire exprès", et on récupère la pellicule ; s’il y a un magnétophone, on prend la bande. Nous avons les photos des meneurs de Ras l’Front et du SCALP. Et tous les postes téléphoniques du Paquebot sont sur écoute. Nous menons aussi des missions punitives.

Qu’est ce que c’est ?

Quand un élu de chez nous est menacé, on peut envoyer un groupe pour le protéger, ou pour se venger s’il s’est fait aggresser. Une cinquantaine de DPS devaient par exemple descendre à Bourges pour massacrer une cité qui avait chahuté un de nos élus. La mission a été annulée. A Rouen, en revanche, après la destruction d’une permanence FN, une équipe parisienne a cassé, dans une cité, des types soupconnés d’être les auteurs. Pendant les campagnes életorales, on a aussi des gardes, soit au siège du FN, soit au bureau de Le Pen à Montretout, soit à la maison de sa femme, Jany, à Rueil. Toujours très correcte, elle offre le casse-croûte. On a une voiture de service, on note le numéro des véhicules qui circulent à proximité et on attend que ça passe.

Comment c’est passée l’agressionde Le Pen sur la cadidate PS à Mantes-la Jolie ?

Le Pen s’est contentée de chopper l’élue par son écharpe. Il était protéger par des DPS en costume-cravate. Mais comme à chaque fois, il y en avait d’autres. Une vingtaine en civile, jeans, baskets, qui faisaient leur marché. Ils ont pris les manifestants à revers et ont cognés, notament avec des matraques téléscopiques.

Le FN recycle-t-il des DPS dans les polices municipales de ses villes ?

C’est pour ça que catherine Mégret a monté une brigade d’intervention habillée tout en noir comme nous pour les opérations spéciales. Normal, comment voulez-vous défendre votre ville si vous n’avez pas des gens à vous ?

Vos rapports avec les forces de l’ordre ?

Sur les manifs excellents, jamais de problèmes. On travaille même avec les commissaires. Ils en ont tous ras-le-bol de se faire taper sur la gueule par les jeunes beurres et sont ravis de collaborer avec nous. A Strasbourg, on n’a pas arrêté de distribuer aux CRS nos pin’s de la flamme tricolore.

Dans quel état en êtes-vous ressortis ?

A bout. Comme à l’armée, on t’épuise pour t’empêcher de réfléchir. Tu dors dans les voitures ou au Paquebot, tu es réveillé au milieu de la nuit pour un intervention. Tu ne rentres plus chez toi pendant des jours. On m’a tellement oussé à la haine que, si on m’avait donné un lance-flammes, je crois que j’aurais pu allumer des manifestants. Dans la rue, je ne pouvais plus voir quelqu’un de couleur sans lui sauter dessus, comme ça, pour me défouler...

Recueilli par RENAUD DELY

(1) Branche française musclée des moiuvements de la droite israélienne.

(2) Le salut nazi.

(3) Le 25 octobre 1996, un "groupe de choc" équipé à la façon des CRS a chargé des manifestants qui protesraient contre un meeting de Bruno Gollnisch.


Réaction du front national

(source : Présent, 15-11-97)


Le Front national a opposé jeudi "le démenti le plus formel aux allégations délirantes" contenues dans un article de Libération rapportant des déclarations attribuées à un membre du DPS, service d’ordre du FN. Pour Bruno Gollnisch, ces affirmations sont une "forgerie" et sont "truffées d’affabulation mensongères".


Illustration de Luz

(Source : Les Mégret gèrent la ville, Charlie Hebdo, Hors série, Luz.)


Dossier du Réseau Voltaire

"Le DPS : une milice contre le République"