Présidence de M. Paul Quilès, Président
Le Président Paul Quilès a ensuite accueilli le Colonel René Galinié.
Le Colonel René Galinié a rappelé qu’il avait été en poste du mois d’août 1988 au mois de juillet 1991 à la fois en tant que chef de la mission d’assistance militaire (MAM), attaché de défense et commandant de l’opération Noroît.
C’est au titre de chef de la MAM qu’il a ordonné à ses hommes (22 personnes), lors de l’offensive du FPR, le 1er octobre 1990, de sortir des camps d’instruction où ils se trouvaient en tant que conseillers militaires, de rejoindre immédiatement les collines centrales aux alentours de Kigali et de revêtir la tenue civile, conformément aux dispositions contenues dans nos accords de coopération. Il s’est félicité de cette décision qui a permis, lors de l’attaque de Kigali dans la nuit du 4 au 5 octobre 1990, de protéger plus facilement les ressortissants français qui avaient été regroupés. Il a précisé que les militaires rwandais avaient remis aux forces françaises les documents de la 9ème brigade ougandaise, saisis le 30 octobre 1990.
Il a reconnu qu’au cours de cette période les militaires rwandais avaient sollicité beaucoup plus que de coutume les conseils de nos armées et que, personnellement, il s’entretenait deux à trois fois par semaine avec le Général Habyarimana.
Il a indiqué qu’une fois le calme revenu au nord-est du pays, fin octobre 1990, les Rwandais se sont installés à la frontière et les militaires français ne sont pas retournés auprès des unités rwandaises, dans les camps qu’ils occupaient avant l’offensive et où ils travaillaient et étaient logés. Ainsi, les militaires qui conseillaient le bataillon parachutiste et les gendarmes de Ruhengeri vivaient-ils pratiquement dans les mêmes camps que leurs camarades rwandais.
La deuxième opération d’évacuation de nos ressortissants s’est effectuée les 23 et 24 janvier 1991, lors d’une nouvelle invasion du FPR à Ruhengeri. Il se trouvait qu’à cette date, deux de nos militaires étaient retournés sur place pour mettre de l’ordre dans le dispositif français d’instruction. Environ 300 personnes ont été évacuées lors de cette opération. Il a précisé que Paris avait alors suggéré la création d’un DAMI et qu’il avait répondu favorablement à cette proposition en limitant à quatre mois la durée de participation au DAMI afin que l’aide à l’instruction des unités de l’armée rwandaise ne revête pas une forme définitive.
Il a indiqué qu’il avait ensuite personnellement demandé la création d’un DAMI-Gendarmerie. Trois hommes ont ainsi été affectés auprès de la Garde présidentielle pour la faire évoluer vers une Garde républicaine, de même qu’une petite unité de police judiciaire a eu pour mission, dans la perspective d’une démocratisation du régime, de mettre en place des procédures judiciaires, notamment destinées a être appliquées dans les prisons.
Au cours des entretiens fréquents qu’il a eus, avec l’accord de l’ambassadeur Georges Martres, avec le Président Habyarimana en sa qualité de chef de l’armée rwandaise, le Colonel Galinié a précisé que ces rencontres avaient essentiellement pour objet l’étude des demandes du Président, qui souhaitait un renforcement en munitions et moyens matériels, l’analyse de la menace constituée par le FPR et la restructuration de l’armée rwandaise qui lors de l’offensive de 1990 était constituée de 6 000 hommes dont 4 000 opérationnels. Il a rappelé que le Président Habyarimana était secondé par deux chefs d’Etat-major, l’un pour la gendarmerie, l’autre pour l’armée de terre, le Colonel Serubuga.
Il a souligné que, de façon constante, la France avait incité le Président Habyarimana à la modération car notre crainte était de voir basculer son régime dans la radicalisation, compte tenu de la menace des massacres de Tutsis qui planait en permanence, comme l’indiquent les messages envoyés à l’époque.
Il a précisé qu’il avait déjà fait état en janvier 1990, dans son rapport d’attaché de défense, de ce risque d’élimination physique et de massacres, qu’il mesurait d’autant mieux que, dès son arrivée dans le pays, le 23 août 1988, il avait été amené par hélicoptère à la frontière et avait été personnellement très troublé par la constatation de visu des massacres perpétrés au Burundi. Cet épisode lui avait permis de bien comprendre une réalité quotidienne marquée par la violence.
Evoquant l’aide apportée par la MAM, il a déclaré que sa présence avait en particulier permis de réactiver l’école française grâce, notamment, au soutien des épouses de nos militaires qui avaient assuré des tâches d’enseignement, lorsqu’elles disposaient d’un diplôme suffisant.
S’agissant de l’opération Noroît, il a indiqué qu’il en avait été responsable, sauf en novembre 1990, lorsque le Colonel Jean-Claude Thomann en a assuré le commandement et mené une opération indispensable de recensement et de localisation de chaque expatrié. Cette action a été très appréciée par nombre d’ambassades qui ne connaissaient pas le nombre de leurs ressortissants. Il a confirmé la mise en place d’un dispositif d’assistance et de sécurité dans Kigali au profit des expatriés de l’école française et de l’ambassade. Il était exclu d’intervenir dans un autre but que celui d’assurer la sécurité des expatriés.
Au début du mois d’octobre 1990, le dispositif d’évacuation était en place uniquement à Kigali et dans ses environs immédiats. Pour l’évacuation de Ruhengeri et Gisenyi, les 23 et 24 janvier 1991, une compagnie Noroît s’est déplacée à Ruhengeri.
M. Jacques Myard a souhaité connaître la teneur précise des instructions reçues par le Colonel René Galinié pour l’opération Noroît.
M. François Lamy a voulu savoir avec quelles autorités publiques françaises -ministère de la Coopération, ministère de la Défense, Elysée- le Colonel René Galinié était en contact direct.
M. Pierre Brana, évoquant le coup de main du FPR sur Ruhengeri, a interrogé le Colonel René Galinié sur la répercussion de cette offensive dans l’opinion publique rwandaise. En outre, après avoir reçu confirmation du Colonel René Galinié que deux soldats français se trouvaient à Ruhengeri lors de l’attaque du FPR, il a souhaité savoir quel compte rendu ils avaient fait de cette opération sur le plan militaire.
Le Colonel René Galinié a apporté les éléments de réponse suivants.
S’agissant de la nature des ordres qui lui avaient été donnés, il a indiqué avoir reçu de l’état-major des armées un message fixant le nombre et la date d’arrivée de parachutistes français, dans le cadre d’une opération baptisée Noroît, dont les objectifs étaient de protéger l’ambassade de France et les ressortissants français, ainsi que d’organiser leur évacuation.
Quant à l’autorité publique de tutelle, il s’agit, dès l’ouverture des opérations, du chef opérationnel, le destinataire des messages étant également la mission d’assistance militaire, du fait de la triple nature des fonctions exercées par le Colonel René Galinié, à la fois Chef de la mission d’assistance militaire, Attaché de défense et Commandant de l’opération Noroît.
Enfin, concernant le coup de main sur Ruhengeri, le Colonel René Galinié a indiqué que, grâce à l’un de ses hommes retourné temporairement sur place, le calme étant revenu dans cette région, il avait été informé de la présence, dans Ruhengeri, de militaires vêtus d’uniformes de l’armée ougandaise et parlant anglais. A Kigali, les Rwandais lui ont confirmé qu’il s’agissait d’une attaque massive venue d’Ouganda par les montagnes. En réponse aux interrogations du Colonel René Galinié sur leurs intentions, les Rwandais ont indiqué qu’ils souhaitaient reprendre les parties nord et ouest de Ruhengeri, alors occupées par les Ougandais. Cependant, face à l’absence d’une réelle initiative rwandaise, le Colonel René Galinié a donné son accord pour l’envoi d’un DAMI, qu’il souhaitait personnellement.
Le Colonel René Galinié a alors expliqué aux membres de la mission qu’en dépit d’une vieille tradition politique, le Rwanda n’avait pas de tradition militaire : l’armée rwandaise a été créée dans les années 1960, la défense ayant été assurée, lors de la période coloniale, par les forces congolaises placées sous l’autorité de la Belgique. D’où une conception du maintien de l’ordre, dans lequel les procédés d’élimination sont admis. Lors de l’accession à l’indépendance, le partage du pouvoir auquel il est procédé confie aux populations du nord-ouest, les Baliga, réputées farouches, le pouvoir militaire, les Hutus du sud recevant le pouvoir politique et les Tutsis le pouvoir religieux et économique. C’est pourquoi, lorsque les gens du nord-ouest, les " militaires " dans l’esprit des Rwandais, subissent un revers, la répercussion de cet événement est dramatique dans l’ensemble de la population. D’où l’immense inquiétude du Président Habyarimana, qui conduisit à un renforcement quantitatif de l’armée et, grâce à l’envoi d’un DAMI, à son renforcement qualitatif.
Evoquant l’attaque du FPR, M. Michel Voisin a interrogé le Colonel René Galinié sur les rumeurs selon lesquelles, outre des Ougandais, des Libyens auraient été présents au sein des troupes du FPR.
Ne disposant pas d’éléments susceptibles d’étayer cette hypothèse, le Colonel René Galinié a cependant indiqué à la mission d’information qu’un attaché de défense libyen avait été en place au Rwanda jusqu’en 1986 ou 1987, pour revenir en octobre 1991 à l’ambassade de Libye, sous un autre nom avec le titre de conseiller.
Source : Assemblée nationale. http://www.assemblee-nationale.fr
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