Présidence de M. Alain TOURRET, Président

MM. Bidou et Doubrère sont introduits.

M. le président leur rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d’enquête leur ont été communiquées. A l’invitation du président, MM. Bidou et Doubrère prêtent serment.

M. Edouard BIDOU : J’aimerais tout d’abord revenir sur le contexte de la création de cette commission d’enquête parlementaire, et faire deux remarques.

La première est qu’il s’agit d’un cas spécifique au sein de la mutualité étudiante. La Cour des comptes a, en effet, souhaité donner des suites judiciaires aux conclusions de son rapport sur la MNEF. La justice suit son cours, nous n’avons pas à nous prononcer là-dessus, mais cela nous inquiète, et j’insiste sur le fait qu’il faut faire la différence entre le dysfonctionnement d’une mutuelle et le régime étudiant de sécurité sociale, qui fonctionne dans les dix autres mutuelles étudiantes. Il faut éviter, si je puis dire, de " jeter le bébé avec l’eau du bain ".

Ma seconde remarque concerne plus généralement la protection sociale qui repose aujourd’hui sur un système qui craque de partout et montre ses limites. Il appartient aux institutions mais aussi aux citoyens que nous sommes de veiller à sa pérennité, en tout cas de s’efforcer à le faire évoluer dans les meilleures conditions. Nous sommes entièrement d’accord avec les différentes conclusions du rapport de la Cour des comptes concernant les mutuelles étudiantes, à l’exception, et vous le comprendrez, de celle qui pose la question du maintien du système étudiant. J’espère vous démontrer le bien-fondé de notre position au cours de cette audition.

Il est, en effet, indispensable de faire évoluer ce système. Pour répondre plus largement à votre question, il est nécessaire de vous décrire la façon dont nous fonctionnons, de vous exposer ce qu’est la mutualité étudiante régionale, comment nous la vivons et comment le régime de sécurité sociale subvient aux besoins des étudiants dans le domaine sanitaire et social.

Nous nous adressons à des jeunes qui prennent progressivement leur autonomie, qui peu à peu deviennent adultes et qui, au-delà du strict et nécessaire accès aux soins et à leur remboursement, ont besoin aussi de découvrir les différents repères leur permettant de gérer leur santé, de découvrir et de connaître les limites de leur organisme et aussi de connaître le système de santé qui sera le leur. Il nous faut donc leur apporter ces repères et leur donner les informations nécessaires pour devenir des citoyens autonomes.

Nous croyons fermement que le rôle de la mutualité étudiante gérant le régime de sécurité sociale étudiant s’inscrit dans trois objectifs, répondant à trois missions complémentaires entre elles : la première est d’assurer un bien-être à l’étudiant pendant ses études ; la seconde est de multiplier les opérations de prévention et d’information, afin de faire prendre conscience à l’étudiant que la santé est un capital qu’il convient de préserver et d’entretenir tout au long de sa vie ; la troisième est d’apporter une meilleure connaissance du système de santé aux jeunes en les amenant à prendre conscience des enjeux qui entourent leur protection sociale afin de leur faire adopter demain un comportement responsable et citoyen.

Aujourd’hui, on ne peut plus se limiter à une approche strictement basée sur les soins, en tout cas pour des jeunes. On ne peut plus se satisfaire du simple accès aux soins et de leur remboursement. Aujourd’hui, le jeune a besoin d’autres informations.

Grâce à notre développement et notre implantation, nous sommes, sur le terrain, en contact constant avec l’étudiant, au moment des inscriptions, mais aussi tout au long de l’année avec des accueils, physiques comme téléphoniques. Nous répondons à leurs questions, les aidons lors des démarches de remboursement que nous leur renvoyons, nous leur faisons parvenir régulièrement des informations leur expliquant le système de santé et la façon de l’utiliser. Tous les jours, des étudiants qui, comme moi, composent la mutuelle étudiante, et connaissent le système de santé peuvent donner des renseignements sur place dans l’université.

Pour donner quelques exemples concrets, je citais tout à l’heure la nécessité de connaissance du système pour être autonome. Cela se traduit par des actions d’explication régulières sur ce qu’est ce système de santé, le tiers payant, comment se fait un remboursement, ce qu’est le secteur 1 ou 2, sur la façon d’utiliser le système à son juste niveau, en fonction de ses besoins et de ses attentes.

Autre exemple : aujourd’hui, lorsque l’on parle de la santé des étudiants, on pense aux problèmes de suicide. C’est malheureusement une réalité. Nous avons entrepris une campagne pour informer et donner aux présidents et responsables des universités les outils nécessaires pour découvrir les personnes à risque.

Il nous semble important de ce point de vue - c’est notre axe de développement - de travailler sur le bien-être de la personne, de faire comprendre à l’étudiant ce qu’est son capital santé, ce qui peut aujourd’hui l’affaiblir et la manière dont il peut le maîtriser.

Nous travaillons pour ce faire en relation avec une centaine d’associations, qui sont autant de relais sur le terrain, et qui fonctionnent sur le système des pairs : ce sera un étudiant qui parlera de la santé à un autre étudiant. Ce sont des méthodes reconnues en santé publique.

Ce système, qui existe maintenant depuis plusieurs années, nous permet de répondre à de nouveaux besoins parce que, finalement, un soin suffit-il à expliquer à l’étudiant ce qu’est le système de santé et comment l’utiliser, et lui permet-il d’acquérir une autonomie ? Le soin à lui seul permet-il de lutter contre le suicide ou de faire comprendre à l’étudiant ce qu’est son capital santé, qu’il lui faut le préserver au maximum, et l’utiliser en pleine conscience ?

Tout cela, ce sont des axes que nous avons développés parce que nous-mêmes, étudiants, étions confrontés à certaines limites quant à nos besoins en santé. Mais aujourd’hui, le système tel qu’il est - pour répondre au problème du régime de sécurité sociale et de son évolution - ne permet pas l’adéquation avec nos attentes et avec notre conception plus large de la santé. Des évolutions sont nécessaires.

L’une des principales modifications serait la simplification du système.

Aujourd’hui, une multitude d’acteurs intervient entre le moment où l’étudiant s’affilie et celui où il reçoit ses remboursements. Cette complexité est source de nombreux problèmes. Comment voulez-vous expliquer à quelqu’un ce qu’est un système quand il est persuadé par avance que celui-ci est complexe et qu’il n’a toujours pas sa carte de sécurité sociale. Pour lui, " la sécu ", c’est compliqué. C’est déjà ce qu’en pensent ses parents. Plus tard, il ne sera donc pas responsabilisé.

D’autre part, plus le système est complexe, plus il y a de personnes pour se renvoyer la balle. Où est la responsabilité ? On ne sait pas au bout du compte, quels sont les problèmes de coût, quels sont les problèmes de santé parce que, lorsque quelqu’un ne peut pas accéder à des soins parce qu’il n’a pas pu apporter sa carte au bon moment parce qu’elle s’est perdue, comme c’est le cas parfois, cela crée des problèmes importants. La simplification est donc, à mon avis, la base, une simplification fondée sur les critères proposés par le rapport de la Cour des comptes.

Autre point capital, il faut inscrire cette sécurité sociale étudiante dans une régionalisation de l’approche de la santé pour trois raisons. La première est qu’il faut être attentif en permanence et laisser les personnes s’exprimer sur leur santé. La dimension régionale permet cette proximité. La deuxième est que, demain, cette proximité nous permettra en tant qu’institution de sécurité sociale d’adapter nos services et notre implication dans la santé en fonction de ces besoins, et donc, d’être bien plus souple. La troisième, qui me semble tout aussi capitale que les deux précédentes, est que cette proximité se fait aussi avec les autres acteurs de la santé. Cela veut dire qu’aujourd’hui, non seulement on peut mener une action vers un objectif précis - par exemple, le suicide - mais il faut aussi faire en sorte que cette action soit en cohérence avec l’ensemble des actions que mènent les autres acteurs.

Aujourd’hui, l’étudiant reçoit de multiples messages. S’ils vont tous dans le même sens, c’est tout de même plus cohérent et plus efficace. De plus, tout le monde n’est pas réceptif à une idée par les mêmes messages et la pluralité dans ce domaine est nécessaire. De ce point de vue, une cohérence entre les acteurs devient indispensable pour mener à bien des missions de sécurité sociale étudiante.

Il me paraît essentiel aussi qu’aujourd’hui, les étudiants bénéficient d’une approche équilibrée entre la prévention, prise au sens large, et le curatif. Malheureusement, si les étudiants en profitent, certains jeunes restent en marge, tout simplement parce qu’ils ne sont pas étudiants alors qu’ils ont le même âge. Est-il normal que les gens de l’alternance ne profitent pas de ce système ? J’estime, pour ma part, qu’il faut élargir ce système à quelques-uns.

Je pense avoir abordé les différents points dont je souhaitais vous parler.

En conclusion, je reviens, tout d’abord, sur cette notion d’amalgame pour redire qu’il ne faut pas tout mélanger. Ensuite, je pense qu’il faut revenir sur cette vision très biomédicale, dépassée pour des jeunes. C’est comme cela que nous l’avons ressentie, et c’est comme cela que notre action a évolué, même si derrière le système n’a pas changé. Enfin, il faut simplifier et régionaliser car, aujourd’hui, c’est capital pour être efficace et savoir pourquoi on dépense l’argent.

M. le Président : Quel est votre statut en tant que président ? Êtes-vous encore étudiant en médecine ?

M. Edouard BIDOU : Je suis étudiant en médecine, interne en troisième année de santé publique. Il me reste trois semestres à effectuer.

M. le Président : Pour être président de votre mutuelle, faut-il être étudiant ?

M. Edouard BIDOU : Il faut être étudiant. C’est une obligation statutaire.

M. le Président : Percevez-vous une rémunération en tant que président de la mutuelle ?

M. Edouard BIDOU : Il ne s’agit pas d’une rémunération, j’ai une indemnité forfaitaire de 5 000 F.

M. le Président : Les administrateurs de votre mutuelle perçoivent-ils également une indemnité ?

M. Edouard BIDOU : Un autre administrateur perçoit une indemnité. Mais c’est tout.

M. le Président : Pensez-vous qu’il faille s’acheminer vers un bénévolat total ou pas ?

M. Edouard BIDOU : Je vais vous parler de mon cas, tout simplement.

Avec le temps que je consacre à la mutuelle, on peut dire que j’ai deux boulots. Mon boulot d’interne que je fais régulièrement et celui de président. Aujourd’hui, mes confrères font des gardes et des remplacements, que je ne fais pas. J’aurais du mal à faire mon travail de mutualiste si je n’avais pas une indemnité.

M. le Président : A l’intérieur de votre indemnisation forfaitaire, que représentent les frais réels ?

M. Edouard BIDOU : Les frais réels ?

M. Christian DOUBRÈRE : Un tiers.

M. le Président : Donc, en réalité, vous touchez à peu près 3 500 F.

M. Edouard BIDOU : Oui, c’est cela.

M. le Président : Le président de la MGEL, qui lui n’est plus étudiant, nous disait qu’ils avaient pris comme décision que seuls des bénévoles exerceraient cette fonction au sein de leur mutuelle.

M. Edouard BIDOU : En effet. C’est un choix par mutuelle, me semble-t-il.

M. le Président : Oui. C’est la raison pour laquelle je voulais avoir votre avis à ce sujet. Les administrateurs qui sont avec vous sont des étudiants. Verriez-vous un inconvénient à ce que parmi ces administrateurs, il y ait des personnes non étudiantes, par exemple, des représentants de la CNAM ?

M. Edouard BIDOU : Non.

M. Christian DOUBRÈRE : Si je puis me permettre, il y a deux formules susceptibles d’être envisagées.

D’une part, il existe ce que l’on appelle le comité des sept, qui est le comité de la section locale, autrement dit le conseil d’administration de la section locale universitaire qui, très honnêtement, ne se réunit pratiquement jamais, mais dont le but est strictement limité à discuter de l’avenir du régime. Ce pourrait être le moment de les réunir dans chacune de nos structures. Sauf erreur de ma part, cela doit faire, chez nous comme pratiquement chez tous nos confrères, entre dix et douze ans qu’ils ne se sont pas réunis.

En revanche, nous avons chaque année dans nos instances nommé des étudiants, puisqu’il faut que les quatre étudiants qui siègent à ce comité des sept soient eux-mêmes au régime étudiant. Il est parfois difficile de trouver des étudiants qui soient au régime parce que, vous le savez, de nos jours, l’étudiant qui n’est pas salarié devient relativement rare, surtout en fin d’études et il faut bien reconnaître que le recrutement des administrateurs mutualistes se fait plutôt parmi les étudiants de deuxième et troisième cycles que chez ceux de premier cycle.

S’agissant de représentants de la CNAM au sein du conseil d’administration, il faudrait que cette disposition s’applique à l’ensemble des mutuelles et je ne suis pas sûr que toutes soient aussi ouvertes que nous pour l’accepter.

M. le Président : Tout à fait, une telle réforme ne toucherait pas uniquement les mutuelles étudiantes. Une des propositions sur laquelle nous travaillerons pourrait être effectivement l’ouverture des conseils d’administration.

M. Edouard BIDOU : Lors de mon exposé liminaire, lorsque je parlais de régionalisation, je parlais d’ouverture. Il s’agissait de faire en sorte que les différents acteurs ayant des responsabilités dans le domaine de la santé travaillent ensemble. Faire en sorte que certains administrateurs puissent intervenir ou, en tout cas, être observateurs au sein d’autres conseils est, en effet, une des propositions qu’il faut faire avancer.

M. Christian DOUBRÈRE : En dehors de la CNAM, il serait peut-être utile aussi d’avoir des représentants des DRASS, des gens de terrain en matière de prévention et d’action sanitaire et sociale, de manière générale.

M. le Président : Ce sera une des propositions sur laquelle la commission aura à se prononcer. Le champ d’action géographique de la SMEREP est-il limité ou celle-ci a-t-elle vocation à agir sur toute la France ?

M. Christian DOUBRÈRE : La création de la mutuelle remonte aux années 70. Les statuts de l’époque prévoyaient la régionalisation stricto sensu. Depuis, plus rien dans le Code de la mutualité ne l’exige, mais nous l’avons conservé dans nos statuts. Notre périmètre, c’est l’Ile-de-France.

M. le Président : En Ile-de-France, que représentez-vous par rapport aux autres mutuelles ?

M. Christian DOUBRÈRE : En nombre d’affiliés, le comptage est facile puisqu’il n’y a que deux mutuelles. Pour l’année 1998-1999, nous devrions être aux alentours de 170 000 à 180 000 étudiants affiliés, soit 50 à 51 %.

En nombre d’adhérents mutualistes, nous devons être aux alentours de 53 à 55 % des mutualisés dans les mutuelles étudiantes, d’après ce que nous estimons, puisque, comme chacun sait, une bonne partie des étudiants relève de la mutuelle de leurs parents, qu’il s’agisse des mutuelles de la fonction publique, de cadres ou d’entreprise.

M. le Président : Comment fonctionne votre mutuelle pour ce qui est des activités complémentaires qui concernent la vie sociale de l’étudiant ? Travaillez-vous avec des filiales ? Avez-vous des participations dans certaines sociétés ? Comment faites-vous ?

M. Christian DOUBRÈRE : Nous avons un peu changé notre fusil d’épaule depuis quatre ans. Nous avons péché, comme d’autres, en pensant qu’il fallait diversifier nos activités pour être maître de ce que nous proposions aux étudiants.

Nos assemblées générales et les conseils qui se sont succédés ont jugé que tout cela était bien onéreux et assez éloigné de notre objet social, même si l’article premier du Code de la mutualité est très clair à ce sujet ; il s’agit d’un bien-être général, de la même manière que la notion de santé ne se limite pas, comme l’a dit Edouard Bidou, aux seuls soins mais à une notion de bien-être.

Nous nous sommes retirés. Nous avions des participations dans des sociétés de courtage d’assurance, que nous avions faites avec nos amis lyonnais de la SMERRA. Nous avions également une participation dans une coopérative d’achat de matériel hi-fi, vidéo, etc., pour permettre à l’étudiant de trouver du matériel moins cher qu’ailleurs. Nous avons eu aussi une expérience, assez désastreuse, il faut bien le reconnaître, en matière de voyage.

Tout cela s’est arrêté assez rapidement parce que l’assemblée générale de la SMEREP a souhaité que l’on se recentre très clairement et précisément sur la santé.

L’optique est aujourd’hui totalement différente : nous avons préféré privilégier des partenariats avec des gens dont c’est le métier de faire de l’assurance, du voyage, du logement, etc., notre objectif étant d’essayer de faire le bon choix pour les étudiants. En effet, ce qui nous préoccupe, c’est de trouver le partenaire fiable, qui assurera à l’étudiant une baisse des prix que nous obtenons parce que nous apportons une masse d’étudiants.

Cet effet de masse, on le trouve d’ores et déjà dans nos garanties mutualistes. Il est évident que tout contrat de groupe d’assistance, de responsabilité civile, qui est obligatoire dans l’enseignement supérieur, permet bien sûr de tirer les prix vers le bas à partir du moment où l’on est plus nombreux.

Ce sont d’ailleurs quelques fois des contrats pas seulement régionaux mais nationaux.

M. le Président : Quelle est votre activité dans le logement social ?

M. Edouard BIDOU : Nous n’en faisons pas.

M. Christian DOUBRÈRE : Malheureusement, le foncier à Paris et en Ile-de-France est tel que, sincèrement, l’occasion ne s’est pas présentée. Les CROUS, les villes, les départements ou la région sont mieux placés que nous de ce point de vue, ne serait-ce que pour obtenir des terrains gratuits ou à moindre prix.

M. le Président : Nous recevions récemment le représentant d’une mutuelle, qui nous disait que l’une de ses activités était d’essayer d’obtenir des réductions de prix pour les étudiants dans les transports en commun. Cela entre-t-il dans le cadre de vos activités ?

M Christian DOUBRÈRE : Nous avons eu la chance de faire partie de Carte Jeunes et que cette carte ait obtenu un accord pour toute l’Ile-de-France. Nous espérons, pour la pérennité de Carte Jeunes SA, que ce genre d’accord - et je pense que l’idée venait des ministères de la jeunesse et des sports et des transports - ne se limitera pas à l’Ile-de-France où, il est vrai, le problème était important. Mais cette possibilité d’accoler un certain nombre d’avantages liés à une carte doit exister de la même manière à Lyon, Marseille ou ailleurs.

M. le Président : Existe-t-il des activités que fait la MNEF et que vous avez refusé de faire ?

M. Edouard BIDOU : Nous n’en avions pas beaucoup de ce type-là !

M. Christian DOUBRÈRE : Je n’en sais rien. Mais je pourrais prendre l’exemple des maisons des jeunes et de la santé.

Edouard Bidou disait que notre conception de la santé est une conception d’information pour que les gens connaissent l’ensemble du système dans lequel ils vont aller plus tard, puisque leur vie d’étudiant est de trois à six ou sept ans, pas plus. Les maisons des jeunes et de la santé sont des centres de soins et d’information limités à des campus ou, en tout cas, à des lieux de vie étudiants, qui nous semblent placer l’étudiant dans une sorte de ghetto. Notre optique est plutôt de le préparer à vivre. Franchement, vu ce qui existe au niveau médical et sociomédical, en particulier en région Ile-de-France, proposer que les médecines préventives universitaires fassent du soin ou qu’il y ait des centres de soins dans les campus, cela nous paraît un peu à côté de la plaque.

En revanche, comme vous le savez peut-être, la SMEREP s’est investie en reprenant la gestion du centre de soins de la caisse d’allocations familiales, rue Viala. C’est une grosse opération. Ce faisant, nous avons souhaité inviter les étudiants à venir dans un centre de soins ouvert à tous, comme d’ailleurs devraient l’être tous les centres de soins. Cela va donc de la vieille dame avec sa carte Paris Santé à l’étudiant qui, malheureusement, a parfois lui aussi la carte Paris Santé.

M. Edouard BIDOU : En ce qui concerne ces maisons des jeunes et de la santé, l’approche de la SMEREP se différencie complètement de celle de la MNEF.

Nous cherchons, parce que nous l’avons ressenti comme cela, à faire en sorte que l’étudiant s’inscrive progressivement dans le système de santé. C’est une action d’éducation que l’on doit mener tous les jours. Ce n’est pas à un moment donné, dans une structure, que se conduit une action de prévention. C’est tous les jours, tout au long de la vie étudiante qu’il faut entamer et poursuivre cette activité. C’est comme cela que l’on fait des choses efficaces. Je pense que le côté : " J’ai un bobo, je vais dans un endroit fait pour moi " va à l’encontre de l’insertion des jeunes en société. Ce n’est vraiment pas ce genre de démarche que nous défendons.

M. le Président : Je reviens sur la santé mentale des étudiants, les nombreux suicides, le stress. J’ai là les chiffres. Pour les vingt à vingt-quatre ans, en France, il y a eu en 1985, 685 suicides, en 1990, cela a diminué à 552, et c’est remonté en 1995 à 600.

Tout le monde nous a parlé de ce véritable problème. Avez-vous mené des actions spécifiques ? Quelle est votre expérience en la matière ? Que proposez-vous dans le cadre de vos maisons ? Que faites-vous pour essayer de remédier à ce problème de santé mentale des étudiants ?

M. Edouard BIDOU : Le problème de la santé mentale des étudiants est un problème capital. Il est vrai que l’étudiant, parce qu’il quitte ses repères, sa famille et rentre à l’université soumis aux pressions que l’on connaît aujourd’hui, est dans une situation de faiblesse psychologique. Il y a d’une part les malades psychiatriques souffrant d’une pathologie, qui risquent de passer à l’acte, dans ce cas, c’est le médecin qui doit intervenir auprès de ces étudiants malades. Ce sont donc des cas à repérer. Mais, il y a aussi les étudiants qui ne sont pas malades, mais qui peuvent avoir une faiblesse passagère. Il faut tout faire pour les aider.

Or, malheureusement, beaucoup d’étudiants qui ne sont pas malades, passent à l’acte. Il faut donc travailler sur l’environnement dans lequel ils sont. Cela veut dire que l’on ne doit pas travailler seul, mais sensibiliser l’ensemble de la communauté universitaire pour essayer de découvrir et de connaître celui qui peut avoir ce type de problème.

C’est ce que nous faisons aujourd’hui. Nous essayons de mettre en place différentes sensibilisations. Nous travaillons avec la Croix-Rouge et d’autres personnes sur les campus. Nous travaillons également avec le Fil Santé Jeunes qui est aussi un lieu d’écoute de l’étudiant à n’importe quel moment. On le trouve dans toutes nos brochures. A tout moment, l’étudiant sait qui appeler et il aura au bout du fil quelqu’un capable de lui répondre - un psychologue, un psychiatre ou une assistante sociale.

M. Christian DOUBRÈRE : Il s’agit pour nous, en fait, de compléter tout ce qui existe déjà. Autour de nous, il y a des associations. Il s’agit d’arriver à faire savoir aux gens qu’ils ne sont pas seuls.

Comme pour la prévention sur les MST, le SIDA, le tabagisme, et autres, il s’agit de faire passer l’information la plus régulière. On nous reproche souvent d’être coûteux en matière d’information, mais le problème c’est qu’une information qui n’est pas permanente, n’est pas bonne. En matière de MST et de SIDA, vous savez sans doute que les pouvoirs publics ont parfois tendance à dire que le message est passé et que l’on peut arrêter. Nous considérons, pour notre part, surtout au vu des générations que nous avons à traiter, que tous les jours, il y a un garçon ou une fille qui s’éveille à quelque chose, et que s’il n’a pas entendu ce message-là, il s’éveillera et se réveillera très mal, parce qu’en l’occurrence, il attrapera ce qu’il n’aurait pas dû attraper.

En matière de bien-être de l’étudiant, lorsque j’étais étudiant il y a une vingtaine d’années, l’emploi était quasiment assuré. Aujourd’hui - je parlais de Paris-Santé tout à l’heure pour les étudiants - j’ai été surpris il y a six ou sept ans lorsque la mairie de Paris nous a demandé de prendre en charge le traitement de la partie sécurité sociale de ces ayants droit. Je pensais avoir deux ou trois dossiers par mois. En fait, la SMEREP compte aujourd’hui 600 étudiants qui ont la carte Paris-Santé.

Cela veut donc dire que ce bien-être n’existe plus, que se pose véritablement un problème de précarisation dans ce milieu étudiant. Au niveau du coût que représente l’intervention de nos mutuelles à l’attention de ces populations, cela veut dire qu’il faut aller les chercher où ils ne sont pas. Qui dit précarité dit désocialisation. On retrouve la même problématique en matière de toxicomanie. Ce sont des gens qui ne peuvent plus avoir de contact.

Edouard Bidou parlait d’un accord avec la Croix-Rouge et les CROUS puisque ce sont des partenaires tout à fait naturels avec leurs assistantes sociales et leurs services médicaux. Il s’agit pour nous d’aller chercher les gens que l’on ne voit plus, les gens gris, qui se laissent aller. Dans les résidences universitaires, ce sont ceux qui ne sortent plus de leur chambre, sauf pour aller aux cours et en revenir. Ils ne descendent plus au restaurant universitaire parce que deux fois 14,50 F par jour, pour eux, ce n’est pas possible.

C’est cette situation qui ne va plus ; certes, elle ne concerne qu’une faible marge de la population étudiante, mais à partir du moment où l’on a décidé de massifier l’accès à l’enseignement supérieur, on ne peut pas se permettre de laisser des gens ainsi au bord de la route. Sinon, ce n’était pas la peine de les amener là.

M. le Président : Avez-vous des liens spécifiques avec un syndicat étudiant ?

M. Edouard BIDOU : Personnellement ?

M. le Président : Non, je ne parle pas de vous personnellement.

M. Edouard BIDOU : Comme vous aviez ma biographie entre les mains ... Il est vrai que je suis passé par quelques associations plutôt que des syndicats.

M. le Président : Je parlais de la SMEREP.

M. Edouard BIDOU : Pas en particulier. Il nous arrive de travailler avec tous les syndicats et associations d’étudiants.

M. le Président : Versez-vous des subventions à des associations ou des syndicats étudiants spécifiques ?

M. Christian DOUBRÈRE : A tous ceux qui veulent bien s’occuper de santé avec nous.

M. Edouard BIDOU : Pour nous, cela fait partie de la politique de santé. Ils doivent être des relais, puisqu’ils sont des leaders d’opinion. Chaque fois que nous travaillons avec eux, c’est dans ce sens. Cela dépasse les clivages de syndicat.

M. le Président : Je précise ma question. Versez-vous éventuellement des subventions à l’UNEF, l’UNEF-ID ou d’autres syndicats ?

M. Christian DOUBRÈRE : Non. Il n’y a pas de subventions versées régulièrement. En revanche, il y a des conventions de partenariat avec des associations de terrain dans les écoles et dans les facultés, mais pas avec les organisations nationales. Il arrive aussi que ce soient nos unions qui, éventuellement, signent des conventions avec des syndicats étudiants reconnus. En ce qui nous concerne, nous sommes plutôt en relation avec les associations de terrain, qui sont ou non affiliées à une organisation nationale.

M. le Président : Des associations qui travaillent à l’intérieur de facultés ?

M. Christian DOUBRÈRE : Il peut aussi s’agir d’écoles, bureaux des élèves, de structures qui appartiennent à la FAGE, ou à d’autres. Ce peut être aussi des associations sportives, car souvent les sportifs sont plus concernés par la santé, ou culturelles puisque le festif a encore une certaine importance dans le milieu étudiant. Tout le monde sait comment peut finir un gala. C’est l’occasion de faire passer un petit message de santé sur le tabac, l’alcool, et le reste !

M. le Président : Quel est votre budget de communication ? Estimez-vous qu’il est normal ou trop important ?

M. Christian DOUBRÈRE : Cela dépend ce que l’on appelle " communication ". Le rapport de l’IGAS que nous aurions aimé recevoir, mais qui a été publié dans Le Monde récemment - on imagine que c’est le bon - parlait d’un certain nombre de dépenses, sans dire à quoi elles servent.

Premièrement, il faut ramener ces sommes à ce que nous sommes en tant que structure. On cite 51 millions pour d’aucuns, soit de l’ordre de 60 à 63 F par affilié. En rapportant les 28 millions de dépenses de communication de l’ensemble des mutuelles régionales au nombre d’affiliés, nous obtenons 28 au 30 F par personne. Cela fait une petite nuance au niveau du montant.

Deuxièmement, comme cela figurait dans le rapport de la Cour des comptes, qui aura au moins eu cette utilité-là, car c’est la première fois que j’en ai la confirmation, les SMER sont majoritaires au sein du monde mutualiste étudiant, c’est-à-dire que nous mutualisons plus. C’est un point important pour nous. Edouard Bidou parlait tout à l’heure d’accès aux soins. L’accès aux soins, ce n’est pas seulement l’accès au régime de sécurité sociale, c’est aussi l’accès à une couverture globale.

Vous examinez en ce moment le projet de loi relatif à la CMU. C’est une avancée majeure pour le monde étudiant de penser que tous ceux qui étaient en dehors de cette protection globale, vont pouvoir être protégés à cent pour cent.

M. le Président : Comment vous situez-vous vis-à-vis de la CMU ?

M. Edouard BIDOU : En plein accord. C’est une bonne chose que des étudiants accèdent à une couverture totale. Mais ce n’est pas parce que, demain, des gens bénéficieront d’une couverture complémentaire maladie qu’ils vont accéder à des soins. Cela demande plus que ça. Il faut être volontaire. Il faut aller chercher les gens pour améliorer leur santé. Il faut leur expliquer ce que c’est, comment utiliser le système, etc.

Si on leur donne seulement un ticket gratuit leur permettant d’aller chercher des soins, c’est bien mais ce n’est pas une réponse suffisante.

M. Christian DOUBRÈRE : Nous sommes en plein accord avec la CMU, à condition que l’on ne sépare pas les catégories d’étudiants, ce qui est déjà le cas. Edouard Bidou expliquait que certains sont déjà exclus parce qu’ils sont soit en alternance soit en apprentissage, alors qu’ils sont de la même génération, et qu’ils sont aussi des étudiants, des " travailleurs en formation ", comme on les appelle.

Si demain la CMU conduit à marquer les étudiants au front, en signalant qu’ils ont moins de tant de revenus en les adressant en complémentaire à la caisse primaire du coin, j’avoue que je ne suis pas particulièrement d’accord avec cette vision des choses. Pas plus que je ne partage la vision de l’assureur. Nous sommes là pour assurer des soins à des gens et à des jeunes en formation et pas pour faire du dumping et attirer des gens pour les garder soixante ans.

L’objectif de la mutualité étudiante en cette matière est très clair. Nous ne gardons les étudiants que de trois à six ans, en fonction de leurs études. Tous les investissements que nous faisons, nous les faisons pour les étudiants et pour la façon dont ils vivront en tant que citoyens dans la société dans laquelle ils vont s’insérer, certainement pas pour capter une population et faire ensuite la mutuelle des jeunes nationale II ou la mutuelle générale II, etc.

A propos de la CMU, il faut aussi faire attention au petit détail juridique suivant : seront-ils adhérents de la mutuelle qui les accueillera en complémentaire maladie ? Chez nous, être adhérent, cela veut dire qu’il faut avoir mis ne serait-ce qu’un franc. Je sais que cela faisait partie de vos discussions de savoir s’il devait y avoir une cotisation, ne serait-ce que symbolique. Un franc, ce n’est pas peine de le collecter, cela coûtera plus cher de le collecter que de ne pas le faire payer mais il est vrai que, juridiquement parlant, il reste ce petit détail : que deviendra l’étudiant géré par nous en complémentaire maladie ? Sera-t-il un adhérent alors que l’autre aura mis de sa poche x francs pour être couvert, sans parler des effets de seuil qui sont aussi pour nous des problèmes. Je crois que vous réfléchissez aussi sur la façon de sortir du système pour éviter les effets de seuils.

M. Bruno BOURG-BROC : Ma première question revêt un caractère historique. Jusqu’à il y a quelques années, il existait des différences de remise de gestion importantes entre la MNEF et les SMER. Comment expliquez-vous cela ? Depuis, un rattrapage s’est opéré, qui s’est effectué par le haut. Pourquoi ?

Ma seconde question a un caractère plus philosophique. Qu’estimez-vous apporter de plus aux étudiants avec la SMEREP ou avec une des mutuelles étudiantes telles qu’elles sont organisées actuellement, qu’un centre de sécurité sociale classique ?

M. Christian DOUBRÈRE : Je me permets de répondre à votre première question puisqu’elle est plus historique et que cela fait un certain temps que je suis dans cette maison.

L’inégalité de traitement est due, si ma mémoire est bonne, à un arrêté de 1985, qui ne prenait plus en compte le principe du paiement par tête d’affilié mais qui était établie selon une équation du style l’âge du capitaine, un peu compliquée à comprendre, y compris pour les pouvoirs publics qui, de temps en temps, n’ont pas très bien su comment calculer nos remises de gestion.

Quand nous avons obtenu l’égalité de traitement - on fait le même métier, on est payé de la même manière, cela paraissait logique et était inscrit dans la loi -, nous n’avions pas de revendication autre que cette égalité de traitement. Notamment, nous n’avions pas de revendication sur le niveau de cette égalité. On peut difficilement cacher qu’effectivement, le nivellement s’est fait par le haut, probablement pour permettre à tous de vivre. Il aurait peut-être été dangereux de niveler par le milieu ou par le bas. Pour ce qui nous concerne, comme nous avions la chance d’être au milieu de la fourchette, nous n’étions pas en péril financier particulier.

En revanche, l’année sur laquelle les rapports de la Cour, de l’IGAS et de l’IGF se basent est la première année du plein rattrapage. Autrement dit, elles ont travaillé sur l’année 1996-1997, qui est la pire des années sur laquelle examiner nos comptes. C’est une année pour laquelle nous avons touché un rattrapage de 12 millions de francs sur 42 millions de francs de remises de gestion, touchés en mars 1998 pour l’exercice 1996-1997. Et ce fut la première année d’affiliation des ayants droit majeurs autonomes (ADMA), dont nous ne savions pas combien ils seraient, combien nous en aurions, et quel montant de remise de gestion nous serait versé les concernant.

Il n’est pas évident d’avoir une vision budgétaire de la SMEREP. Je puis le dire puisque c’est moi qui en ai la charge. Nous avons maintenant des équations à trois inconnues : qui va venir ? A quel prix ? Avec quel taux d’abattement ?

Je vous rappelle d’ailleurs qu’à ce jour, au 5 mai 1999, nous n’avons pas de contrat d’objectif pluriannuel. Le dernier s’est achevé au 31 décembre 1998.

Le grand reproche qui nous est adressé est de ne pas avoir de comptabilité analytique. Mais qu’est-ce que c’est qu’une comptabilité analytique ?

Lorsque quelqu’un fait un métier global de gestion de sécurité sociale concernant le régime obligatoire et le régime complémentaire, il a une gestion globale. On sait, en revanche - ceux que vous entendrez après nous vous l’expliqueront mieux que nous - que le régime obligatoire à des spécificités largement supérieures au régime complémentaire. Le régime complémentaire, c’est de la bête copie, si je puis dire, d’un certain nombre de renseignements qui ont été préfabriqués par le régime obligatoire. Nous, nous faisons un remboursement global. Les investissements que nous avons faits depuis dix ans et que nous ferons demain pour Sesam Vitale, pour le RSS, etc., ce sont des investissements qui, bien évidemment, ne concernent que le régime obligatoire (RO).

Le rapport de L’IGAS, pour ne prendre que cette ligne-là, prend 80 % des frais informatiques à la charge du RO. Que ferons-nous avec 20 % sur le régime complémentaire ? Je ne sais pas puisque, en l’occurrence, l’informatique représente chez nous 95 % du régime obligatoire et pas 80/20. Qu’est-ce que l’informatisation d’un régime complémentaire, même avec 55 000 ou 60 000 mutualistes ? C’est quasiment nul, un ordinateur AS/400 y suffirait largement, avec trois personnes derrière. Mais c’est un message que nous avons beaucoup de mal à faire passer.

Pour en venir à la question précise du montant des remises de gestion, l’année 1996-1997 nous a vu " déborder " d’argent. On n’a pas pris le temps et le soin d’examiner les quatre années précédentes, puisque, globalement, le reproche qui nous est adressé consiste à dire que nous utilisons le surplus versé par la sécurité sociale pour payer la mutuelle. Mais il suffit de regarder nos comptes pour constater que nos marges mutualistes paient très largement nos communications et les éventuels investissements que certains font en matière de diversification, ce qui n’est pas notre cas, comme vous avez pu le constater.

Il est sûr et certain qu’après la loi Veil de 1993, durant les vingt-quatre mois qui ont suivi, il nous a fallu absorber les cinq points de baisse. Nous l’avons fait grâce à des fonds mutualistes pris sur les réserves de gestion que des générations avaient accumulé depuis l’année 1971, comme n’importe quelle tontine que représente une mutuelle d’assurances. La seule différence, c’est qu’en général, les tontines se font sur des gens qui sont tous là alors que, dans ce cas précis, ce sont ceux de 1970 qui ont payé pour ceux de 1990.

M. Edouard BIDOU : En ce qui concerne votre deuxième question, Monsieur le député, le fait que nous gérions nous-mêmes notre régime de sécurité sociale étudiante a permis tout simplement, et cela se voit dans les faits, d’avoir une vision un peu différente de la santé, plus adaptée à nos besoins. C’est ainsi que nous avons pu développer une prévention bien plus adaptée et répondre à ce qu’attend un jeune, un étudiant de l’an 2000, pour pouvoir bien utiliser le système de santé en termes d’information et de prévention.

De même, notre implication dans le monde étudiant, puisque nous sommes nous-mêmes étudiants, est l’outil nécessaire pour mener à bien notre action. Si nous étions complètement étrangers à ce monde et à ses besoins, nous ne pourrions pas le faire. Aujourd’hui, je suis étudiant, les administrateurs aussi ainsi que les personnes avec lesquelles nous travaillons. Tous ces gens sont des relais qui permettent de faire avancer ces problèmes de santé. Cette implication existe parce que c’est nous-mêmes qui gérons ce régime de sécurité sociale étudiant.

Enfin, le troisième aspect qui nous semble capital est celui de la responsabilisation. Nous sommes conscients de ce qui se passe, nous pensons que la collectivité, ce n’est pas un vain mot, les dépenses sont une chose mais la solidarité, cela existe et c’est ensemble que nous nous défendrons mieux.

Le résultat de cette gestion par des étudiants, ce sont tous ces éléments qui nous permettent d’avoir un système non seulement adapté mais qui défend aussi la solidarité, un système auquel nous sommes vraiment attachés.

M. Christian DOUBRÈRE : Quant à la concurrence, puisque vous nous demandez ce que nous apportons de plus, je dirai que notre présence est un plus, c’est-à-dire que la concurrence dans ce domaine assure, tant en matière complémentaire qu’en régime obligatoire, un service de qualité. Conformément au principe de concurrence, quand on fait mal son métier, on est éjecté du marché. Bien que la santé ne soit pas un marché, pas plus que la sécurité sociale et sa gestion, il s’agit d’apporter le meilleur service. Regardons ce qui existait avec une mutuelle unique : non-remboursement des visites, attente du lundi matin pour l’ouverture du centre de soins et non-présence sur les campus universitaires. Aujourd’hui, la présence de deux mutuelles permet, la concurrence aidant, d’apporter un meilleur service à ces étudiants.

On nous reproche d’être coûteux en matière de concurrence. Je pense que la représentation nationale constatera qu’elle retrouvera ailleurs et qu’elle récupérera l’investissement fait sur cette génération.

M. le Rapporteur : Vous avez dit que vous aviez eu à une époque des tentatives de diversification et que vous aviez fait machine arrière. Aujourd’hui, quelles filiales ont été conservées ? Pour quel type d’activité ? Sous quel statut ?

M. Christian DOUBRÈRE : Il reste trois participations essentielles, dont deux sont imbriquées l’une dans l’autre. Nous avons aujourd’hui deux UES qui sont des SARL de l’économie sociale. L’une est l’USCJ, le Club, dont je suis le gérant, qui est là pour porter les parts de notre capital dans Carte Jeunes SA, en commun avec la SMENO, la SMEBA, la SEM, qui est une mutuelle nationale, et la SMERAG qui est la petite dernière des SMER, aux Antilles et en Guyane. Elle porte notre représentation capitalistique à l’intérieur de Carte Jeunes SA. Nous sommes, j’imagine que vous le savez, porteurs de 35 % des parts et la MNEF 65 %.

Notre deuxième diversification, si je puis dire car il ne s’agit pas vraiment d’une diversification mais plutôt d’une gestion parallèle - une mutuelle, c’est pour faire de la santé -, concerne, nos accords avec UGC pour des places de cinéma, avec Bouygues Télécom, avec la Société générale, etc. Ils sont gérés à travers l’UES dite Fortuny, du nom de la rue du siège social. J’en suis également le gérant, à titre gratuit.

Ces deux UES sont là pour gérer ce qui ne relève pas strictement de la santé.

Notre troisième diversification correspond à une obligation légale. Il s’agit du centre de santé dont j’ai parlé qui est géré par une association Etudes et Santé. Ce n’était pas la peine d’intégrer cette structure à la mutuelle pour que la législation européenne nous la fasse ressortir dans quelques mois.

M. le Rapporteur : Que pensez-vous aujourd’hui des procédures de contrôle des mutuelles en général, des mutuelles étudiantes en particulier, et du fait que vous soyez soumis à un double système de contrôle, puisque le régime général est contrôlé par l’IGAS et le régime mutualiste par la commission de contrôle des mutuelles, avec toutes les imbrications existant entre les deux régimes qui ne permettent pas de savoir facilement ce qui relève de l’un ou l’autre. Ce contrôle vous semble-t-il parfaitement adapté pour s’assurer de façon correcte de la gestion d’argent non pas public mais au moins collectif ?

M. Christian DOUBRÈRE : Nous sommes à la fois sur-contrôlés, et mal contrôlés peut-être.

Sur-contrôlées, je dois avouer que, depuis un an, nos activités ont été un peu stoppées. Demain, des échéances s’imposent à nous - Sesam-Vitale, le RSS. Certains rapports disent que nous ne sommes pas prêts, encore faudrait-il nous laisser le temps de nous préoccuper de notre métier de gestion du régime obligatoire et ne pas nous demander de passer notre temps à faire des tonnes de photocopies pour des organismes de contrôle différents. On pourrait effectivement globaliser et faire en sorte qu’il n’y ait qu’un organisme de contrôle : la commission de contrôle, la DRASS, l’IGAS, la Cour des comptes, peu importe qui, mais que ce soit effectivement un contrôle global.

En tout cas, je crois que cela a été remarqué, tous les contrôleurs, quand ils arrivent, reçoivent le paquet cadeau de l’ensemble de nos statuts. Nous n’allons pas procéder de manière sélective. Notre gestion étant globale, nous n’avons strictement rien à cacher.

En revanche, il reste un point purement technique, le contrôle de la sécurité sociale, le contrôle de l’application à l’intérieur de nos mutuelles des normes CNAM - plan de contrôle interne dit PCI. Il s’agit vraiment de technique, savoir si l’on a bien remboursé la vignette bleue à 35 % et pas de la mousse à raser et, demain, si le flux arrivant par le RSS de tel ou tel médecin a bien été renvoyé correctement à son destinataire, soit par tiers payant soit au destinataire assuré. Tout cela est purement technique et évoluera en fonction des avancées technologiques.

Pour ce qui du contrôle global, il serait plus cohérent qu’un seul organisme nous contrôle, peut-être plus longtemps, peut-être plus à fond. Ce n’est pas à nous de nous prononcer mais il est vrai que, comme je l’ai écrit au nom du conseil d’administration dans une de nos réponses, certains nous disent que nous investissons trop, d’autres que nous sommes trop " liquides ". Nous ne savons plus que faire. Les uns disent que nous devrions faire de la location parce que nous ne sommes pas assez " liquides " et les autres nous reprochent de ne pas faire assez de " gras " et se demandent comment nous vivrons demain si nous avons un gros pépin.

On pourrait normaliser la situation en réformant le Code de la mutualité sur ce point qui ne concerne pas spécifiquement le régime étudiant, car nous ne sommes pas les seuls gestionnaires du régime obligatoire. Nous sommes même de toutes petites structures.

Monsieur le président nous demandait si nous ouvririons nos conseils. Tout d’abord, il suffit de nous le demander : la loi, c’est la loi, nous l’appliquons. Reste ensuite à savoir s’il s’agit de commissaires extérieurs inspecteurs permanents dans un conseil, car on ne peut pas être juge et partie. L’ouverture d’un conseil ne peut pas se faire à des contrôleurs, ce sont des partenaires qui sont dans le conseil pour aller ensemble vers la partie gestion et la partie information et prévention, cela évitera peut-être les doublons, à condition toutefois que l’on soit bien conscient de la spécificité du régime.

Edouard Bidou expliquait fort justement tout à l’heure que l’intérêt majeur du régime étudiant résidait dans le fait qu’une génération s’adresse à ses pairs alors que, sauf erreur de ma part, lorsque vous êtes pour la première fois immatriculé au régime général, votre centre de sécurité sociale est loin de vous envoyer une lettre vous disant : " Je m’appelle Untel, si vous avez besoin de moi vous pouvez me contacter. Les centres de soins de votre quartier sont les suivants, vous pouvez avoir le tiers payant là, la liste des pharmacies de garde est systématiquement affichée à tel endroit ... " Pour ma part, en tant qu’assuré social, je n’ai rien reçu du tout.

M. le Rapporteur : La plupart des mutuelles étudiantes proposent des paniers de prestations différentes selon le niveau de cotisation de l’étudiant, est-ce le cas de la SMEREP ?

M. Edouard BIDOU : Nous en avons quatre.

M. le Rapporteur : Cette diversité de prestations offerte à des étudiants en fonction d’un tarif plus ou moins élevé vous paraît-elle appartenir à une logique mutualiste, ou à une logique assurantielle ?

M. Edouard BIDOU : Si elles étaient adaptées à chacun, elles seraient du type assurantiel. En l’occurrence, le risque est toujours collectif, on le mutualise. Il se trouve que les besoins des uns et des autres ne sont pas tous les mêmes. En revanche, elles sont adaptées à certaines populations. Les deux premières permettent un accès aux soins primaires, de base. Tout le monde en a besoin. En revanche, les deux dernières correspondent à des soins, qui sont peut-être plus de confort ou qui répondent à des besoins plus spécifiques.

M. Christian DOUBRÈRE : On a parlé d’argent collectif. La mutuelle, c’est bien de l’argent collectif. Certains ont déjà beaucoup de difficultés à payer les premières garanties qui sont l’accès aux soins les plus courants - les soins dentaires, le généraliste et les médicaments sans parler, bien sûr, de l’hospitalisation. Ces gens ont fait cet effort de mutualisation parce qu’ils sont prévoyants, mais ils ne sont pas à même de payer pour celui qui aura besoin d’un petit peu plus.

Nous avons parlé de psychiatrie. La presse s’en est fait l’écho, à une époque nous avons eu l’obligation de nous désengager du remboursement de la psychiatrie pour la raison très claire que nos camarades de la MNEF s’étaient totalement désengagés. A la Fondation de santé des étudiants de France dont l’essentiel des établissements accueille des étudiants en difficulté mentale, pas un n’était adhérent à la MNEF, mais tous adhérents aux SMER, qui continuaient à rembourser les forfaits journaliers psychiatriques et les séances des centres médico-psychologiques.

Comme le disait Edouard Bidou, l’important pour nous est de rester attachés à la non-sélection du risque.

Vous nous compariez, parce que nous offrons plusieurs garanties, aux assurances. Il suffit de reprendre l’exemple qui s’est produit il y a quatre ou cinq ans dans l’université de Paris II, lorsqu’un assureur, que je ne citerai pas, avait proposé une garantie d’où étaient exclues toute femme en état de maternité, toute personne ayant eu un accident depuis moins de deux ans et qui avait eu des séances de kinésithérapie et, bien sûr, cerise sur le gâteau, toute personne porteuse du VIH. Ce n’est pas vraiment l’esprit de la mutualité, encore moins de la mutualité étudiante.

A l’inverse, si l’on veut pouvoir donner l’accès à chacun, il faut arriver à moduler avec son état de santé, son taux de prévoyance et ses moyens financiers, mais il ne faut pas que quelqu’un puisse être exclu de l’accès à cette complémentaire maladie. On peut faire des efforts sur la répartition des paiements sur l’année et tout un tas de choses, pour autant, cela reste tout de même une somme à sortir.

M. le Rapporteur : A titre indicatif, quel est le tarif le plus bas et le plus élevé ?

M. Christian DOUBRÈRE : De 570 F à 1 700 F. Il existe aussi une garantie B+, qui est véritablement une garantie de confort, de l’ordre de 3 000 F. Il y a douze adhérents.

M. Edouard BIDOU : Mais quand même douze la prennent.

M. Christian DOUBRÈRE : Ce sont des consommateurs de secteur 2, des gens qui ont des besoins spécifiques - suivi gynécologique, dermatologique, etc. - coûteux, dans une région où le secteur 2 est relativement développé. C’est d’ailleurs une garantie qui est totalement déficitaire. Ce sont les autres qui paient. La loi nous oblige à équilibrer chacune de nos garanties. Je dois avouer que, de ce point de vue, la loi n’est pas toujours respectée.

M. Joël GOYHENEIX : C’est une mutualisation un peu étonnante, parce que cela sous-entend que la mutualisation sert surtout à ceux qui ont les moyens de payer l’adhésion à 3 000 F, puisque ce régime est totalement déficitaire.

C’était une parenthèse. Mes questions sont les suivantes : quel est le montant du budget de la mutuelle ? Combien comptez-vous de salariés au sein de la mutuelle ? Croyez-vous que les élus, mutualistes étudiants, ont les moyens réels de contrôle par rapport aux salariés de la mutuelle ?

M. Edouard BIDOU : Christian Doubrère répondra plus spécifiquement à votre question concernant le budget. Les salariés sont au nombre de cent vingt-trois. Je ne les connais pas tous, mais j’en connais beaucoup.

A partir du moment où l’élu comprend que son rôle est important et primordial et qu’il fait son travail, il a tous les moyens. Si je ne m’en occupe pas, il est clair que cela fonctionne quand même, mais j’ai une autre conception de mon rôle.

M. Joël GOIHENEIX : Je vais poser la question autrement : vous êtes interne, combien d’heures passez-vous par semaine à la mutuelle ?

M. Edouard BIDOU : J’y suis tous les soirs, tous les midis. C’est infernal, mais c’est nécessaire, sinon, je ne serais pas président. Heureusement, on me laisse partir lorsque j’ai des rendez-vous dans la journée. Mais j’évite de le faire. En général, les gens qui travaillent avec une mutuelle étudiante comprennent que les rendez-vous se prennent à partir de 18 heures. Donc, tous les soirs, à partir de 18 heures. Quand j’ai des rendez-vous avec les salariés, ils attendent parfois très tard le soir, parce que nous n’avons pas le choix. Et c’est aussi les week-ends.

M. Christian DOUBRÈRE : Pour compléter la réponse, je pense qu’un élu étudiant aura les moyens de gérer sa mutuelle en fonction de l’équipe administrative qu’il aura. Si l’équipe administrative ne lui dit rien, l’étudiant ne saura rien. Ce n’est pas le cas chez nous.

M. Joël GOYHENEIX : D’après ce que vous dites, vous pensez quand même que c’est l’équipe administrative qui a le pouvoir.

M. Christian DOUBRÈRE : Non.

M. Joël GOYHENEIX : Soit elle informe le président, soit il ne saura rien.

M. Christian DOUBRÈRE : Je suis tout à fait d’accord avec vous. Effectivement, si une équipe administrative fait de la rétention ...

M. Edouard BIDOU : Elle en a la capacité ...

M. Christian DOUBRÈRE : Elle en a la capacité, mais on a d’autres exemples d’équipe administrative qui n’informait pas forcément les élus !

A l’inverse, aujourd’hui, devant vous, vous avez un patron et un employé. En l’occurrence, je suis nommé en conseil et je peux aussi être révoqué par le conseil. Plus j’aurais tendance à faire de la rétention d’information, plus je serai proche de la sortie. Cela me paraît très clair.

De plus, le seul avantage de l’équipe administrative est d’assurer la continuité de l’institution et de participer à la formation des élus. Edouard Bidou parlait des heures du soir. Effectivement, cela fait partie de notre travail, en tant que salariés, de passer du temps à la formation de nos élus.

Quant au budget, il se sépare en deux parties. D’un côté, les remises de gestion qui atteignent entre 40 et 45 millions de francs selon les années et des cotisations de mutualistes, qui s’établissent entre 45 et 50 millions de francs suivant les années.

M. Edouard BIDOU : C’est un budget global de l’ordre de 100 millions de francs.

M. le Rapporteur : Sur le plan statutaire, des choses curieuses ont pu être observées dans d’autres mutuelles, concernant le statut du directeur général, notamment sa responsabilité et sa démission, qui nécessitaient l’intervention d’un autre organisme que le conseil d’administration de la mutuelle. A la SMEREP, le directeur n’est-il responsable que devant le conseil d’administration ou d’autres instances doivent-elles donner leur avis ?

M. Christian DOUBRÈRE : Il n’existe pas d’association des anciens de la SMEREP.

M. le Rapporteur : Merci.

M. Christian DOUBRÈRE : Je suis " virable " sur le champ à la première réunion du conseil.

M. le Président : Monsieur le président, Monsieur le directeur général, je vous remercie d’avoir bien voulu répondre à notre invitation ainsi que de toutes les précisions que vous nous avez apportées, qui nous serviront dans la rédaction de notre rapport.


Source : Assemblée nationale (France) : http://www.assemblee-nationale.fr