M. Claude Mandil a exposé qu’il décrirait les responsabilités qu’il avait exercées pendant huit ans en tant que Directeur général de l’Energie et des Matières premières au Ministère de l’Industrie, puis au Ministère de l’Economie, des Finances et du Budget.

Il appartient à cette direction (devenue la direction des matières premières et des hydrocarbures -DIMAH-) de définir la politique énergétique et d’assurer le respect de trois objectifs : la compétitivité de l’économie française en ce qui concerne ses approvisionnements ; la sécurité de ses approvisionnements et de sa couverture énergétique et le respect de l’environnement. Ces trois objectifs sont d’ailleurs ceux reconnus au plan international par l’Agence internationale de l’Energie (AIE) créée par les pays membres de l’OCDE. Un seul est spécifique à l’énergie : la sécurité des approvisionnements, qui est d’une importance considérable s’agissant du pétrole. La consommation française en énergie primaire s’établit ainsi : 40% de pétrole, 33% nucléaire, 18% gaz. Le pétrole reste la première source d’énergie en France dans un contexte de marché pétrolier mondial dérégulé, alors que le marché du gaz est régional.

La mondialisation du marché du pétrole a entraîné une disparition progressive du dirigisme établi par la loi de 1928, qui consacrait le monopole de l’Etat sur les activités pétrolières. Aux termes de ce texte, ce monopole était délégué de manière discrétionnaire par l’Etat, qui délivrait des autorisations d’exploitation, d’exploration et d’importation. L’Etat fixait le prix de vente par trimestre. La loi de 1928 eut un effet positif, car elle permit à une grande industrie française de naître. Quand le marché mondial du pétrole s’est créé et surtout, à partir de la chute des prix en 1990, la loi de 1928 s’est révélée inadaptée et a été réformée par une loi de 1993 qui consacre la prééminence du marché, à trois exceptions près : l’obligation de conserver un stock stratégique de 90 jours de consommation des produits, l’utilisation de ces stocks demeurant une prérogative gouvernementale ; la possibilité pour le gouvernement de déclencher des plans de crise allant jusqu’au rationnement ; l’obligation pour les opérateurs et les raffineurs de transporter le pétrole sous pavillon français.

Parallèlement à cette réforme, les deux compagnies pétrolières, Total et Elf, ont été privatisées. Ce changement est d’ailleurs plus apparent que réel, car auparavant, elles étaient cotées en Bourse pour moitié en ce qui concerne le capital d’Elf, pour les deux tiers en ce qui concerne celui de Total. Dès lors qu’une fraction importante du capital était cotée en Bourse, les prérogatives de l’Etat étaient limitées car il devait éviter de nuire aux petits porteurs. En fait, l’Etat ne disposait plus que du privilège de nommer et de révoquer le Président-Directeur général de ces compagnies, ce qui demeurait un pouvoir important.

Le rôle des pouvoirs publics dans la politique pétrolière est limité depuis la mise en œuvre de la loi de 1993 ; ils assistent les deux compagnies françaises, autonomes et libres de leurs décisions, quand celles-ci se développent à l’étranger : elles peuvent avoir besoin du soutien diplomatique du gouvernement français, qui ne leur est généralement pas marchandé. La diplomatie française s’efforce d’améliorer les relations politiques entre les pays producteurs de pétrole et la France, d’autant que de nombreux pays producteurs ont des compagnies d’Etat, le pétrole étant pour eux une affaire d’Etat. La moitié du marché français est alimentée par Elf et Total, aussi convient-il de les encourager à diversifier leurs approvisionnements.

Dès le premier choc pétrolier, la France a créé avec le Venezuela des espaces de dialogue annuel entre consommateurs et producteurs, qui furent utiles pour expliquer aux producteurs pourquoi les consommateurs faisaient des économies de pétrole et utilisaient la fiscalité dans ce but.

En 1974, la France n’a pas souhaité rejoindre l’Agence internationale pour l’Energie, estimant que sa politique était contraire à la politique arabe de la France. A partir de 1991, la France a estimé que chacun avait évolué et a décidé de devenir membre de l’AIE. Cet organisme, créé en 1974 dans le cadre de l’OCDE, et doté de pouvoirs d’organisation de la gestion de crises, devait faire face au bloc des pays de l’OPEP.

En tant que Directeur de l’Energie et des matières premières, il n’était pas partie directe à l’action diplomatique de la France pour soutenir les compagnies pétrolières. Dans ce domaine, sa direction avait un simple rôle technique d’appréciation de la qualité des gisements. Elle analysait les perspectives géologiques, alors que le ministère des Affaires étrangères devait tenir compte de la réalité politique des pays où se situait le gisement.

M. Roland Blum s’est renseigné sur la façon dont étaient gérés les problèmes d’approvisionnement avant la loi de 1990. Il s’est interrogé sur l’absence de répercussions de la baisse des prix du pétrole sur le coût de l’essence.

Mme Marie-Hélène Aubert a souhaité savoir si le rapport prévu par l’article 21 de la loi de 1993 avait été déposé devant le Parlement. Elle a demandé si les liens de l’Etat avec Elf et Total posaient problème au regard de l’Union européenne et si les autres compagnies européennes fonctionnaient de la même manière, notamment en matière de réserve de stock.

Elle s’est informée sur les rôles respectifs du ministère de l’Industrie, du ministère des Affaires étrangères et des compagnies pétrolières quand on procédait à de nouvelles explorations dans des pays sensibles politiquement ou écologiquement.

S’agissant du respect de l’environnement par les compagnies pétrolières, elle a voulu que soit précisé le rôle de la DIMAH : est-ce que celle-ci encourage les compagnies pétrolières, d’une part à respecter l’environnement dans les pays où elles opèrent, et d’autre part, à faire évoluer les législations des pays producteurs pour éviter le dumping écologique ?

Rappelant que certaines ONG faisaient état d’atteintes à l’environnement, elle a jugé que la France devait se préoccuper de ce problème, car certaines compagnies pétrolières et notamment Elf, sont assimilées, dans certains pays, à la France.

Elle a demandé quelles seraient les conséquences de la baisse des cours du pétrole sur les relations entre pays producteurs et pays consommateurs.

M. Claude Mandil a répondu à ces questions.

En 1990, les compagnies pétrolières étaient déjà libres du choix de leurs approvisionnements et de la manière dont ils donnaient lieu à raffinage. A cette époque, son rôle était double : d’une part, s’assurer que le portefeuille d’approvisionnements était correctement réparti entre différentes régions du monde ; d’autre part, éviter que l’on ne manque de pétrole. Pendant son mandat, il y a eu 48 heures de crise : lors du déclenchement de la Guerre du Golfe, le système mis en place dans le cadre de l’AIE a bien fonctionné. Le premier jour de la guerre, l’Agence a pris la décision de mettre sur le marché une partie des stocks stratégiques et a demandé aux consommateurs de réduire leur consommation, ce qui eut pour effet immédiat de faire baisser le prix du baril de pétrole. Selon lui, il peut arriver qu’en période de crise, les capacités de raffinage de la France soient insuffisantes, car les pays européens ont une politique environnementale stricte, ce qui les rend moins compétitifs que les autres. Il existe donc un dumping écologique, et l’on doit importer des produits de raffinage de pays producteurs situés dans des zones sensibles. S’agissant du rapport prévu par l’article 21 de la loi de 1993, il estime qu’il a dû être établi par ses services, mais ne s’en souvient pas.

Les liens entre l’Etat et les compagnies Total et Elf sont actuellement résiduels. En ce qui concerne Total, ils résultent d’une convention ancienne qui expire en 2000 et ne pose pas de problème à l’égard de la réglementation européenne. La situation est différente s’agissant d’Elf, car l’Etat détient une "golden share", qui n’a pas de valeur patrimoniale mais donne droit à son titulaire de disposer de deux administrateurs au Conseil d’administration. Elle lui confère un droit de veto sur certaines opérations de bourse et lui permet de s’opposer à la cession de trois filiales d’Elf : Elf Aquitaine France, Elf Gabon et Elf Congo. Ces deux dernières dispositions sont considérées comme contraires au droit communautaire par la Commission de Bruxelles. Des golden shares ont été utilisées pour certaines compagnies européennes, comme British Petroleum ou l’ENI, récemment privatisée.

Chaque réglementation, celle des Etats, celle des pays de l’Union européenne, et celle de l’AIE, exprime les mêmes contraintes s’agissant des réserves de stock. Les zones prometteuses sur le plan pétrolier sont toutes, à l’exception des Etats-Unis, de la mer du Nord et du Mexique, politiquement sensibles, ce qui est spécifique à cette énergie. Dans la mesure où il est avide de pétrole, le monde est obligé de travailler dans ce contexte ; il appartient aux ministères des Affaires étrangères des pays consommateurs de gérer ces difficultés. Aussi, le gouvernement français a-t-il aidé Total à acquérir des champs en Iran, malgré l’opposition des Etats-Unis. En France, généralement, les compagnies pétrolières demandent directement un soutien au ministère des Affaires étrangères qui auparavant interroge le ministère de l’Industrie sur la qualité du gisement. Ce n’est pas parce qu’un pays est politiquement difficile qu’il ne faut pas y travailler : telle est l’opinion commune. Néanmoins, de fortes pressions de l’opinion publique ont amené les compagnies pétrolières à réfléchir sur leur rôle dans certains pays. Elles doivent donc s’assurer que leur activité n’entraîne pas des atteintes aux droits de l’Homme.

La protection de l’environnement dans un pays relève de la responsabilité de son gouvernement et du respect des conventions internationales. Il ne semble pas que les compagnies françaises aient été répréhensibles dans le domaine de l’environnement. Elles subordonnent leurs interventions à des études d’impact. Il n’appartient pas au pays d’origine des compagnies de vérifier si celles-ci respectent les normes environnementales ailleurs que chez lui. Toutefois, il est intéressant de faire respecter des normes environnementales, au nom de la protection de la planète et pour éviter le dumping écologique. Cela pourrait se faire dans le cadre d’un dialogue entre producteurs et consommateurs ; pourtant, le résultat n’est pas probant, car les pays producteurs considèrent comme des mesures protectionnistes les normes environnementales mises en place par les pays développés, qui sont régulièrement accusés de "pétrophobie". Dans un tel contexte, il est difficile aux compagnies françaises d’appliquer des contraintes environnementales supérieures à celles de leurs concurrentes. Toutefois, elles font généralement plus que le minimum, pour des raisons d’image, et le gouvernement ne peut leur imposer de contraintes supplémentaires.

Dans certains pays, les compagnies françaises sont assimilées à la France, et l’existence de la "golden share" accroît cette image. Aussi, son maintien n’est-il pas souhaitable.

La baisse des cours du pétrole s’explique par la crise asiatique, l’impact du progrès technique, qui permet de rentabiliser davantage de gisements, et la faible possibilité de baisser la production de pétrole. Ainsi, certains mécanismes fonctionnent à l’envers : dans le cas de l’Irak, qui est autorisé à produire du pétrole dans le cadre de l’accord pétrole contre nourriture, la baisse du prix du pétrole libellé en dollars l’oblige à augmenter ses livraisons.

A court terme, le prix du pétrole ne se redressera pas, sauf en cas de désorganisation politique en Russie ou en Arabie Saoudite ; mais, dans trente ans, les prix seront sans doute élevés, car le rattrapage se fera en Asie. Le moment du retournement de conjoncture est difficilement prévisible. Les conséquences de la baisse des prix du pétrole sont différentes pour les pays développés et pour les pays producteurs. Pour les pays développés, elle participe à la bonne santé de l’économie, mais accroît le risque-pays et rend plus difficile la politique de l’énergie en bloquant l’émergence d’énergies de substitution. On réduit ainsi les choix, on se concentre trop sur le pétrole en provenance du Golfe. Pour les pays producteurs à forte démographie (Iran, Algérie, Venezuela), les conséquences sont dramatiques, d’autant qu’ils n’ont pas diversifié leur économie. Dans les pays du Golfe, on peut s’attendre à une baisse relative du niveau de vie.

Le coût de l’essence à la pompe semble ne pas baisser, car, en France, les taxes représentent 80% de ce prix, et contribuent à financer les infrastructures de transport. Le principal échec de la politique énergétique réside dans l’impossibilité de desserrer la contrainte du transport : il n’y a pas pour l’instant de voitures électriques performantes.


Source : Assemblée nationale. http://www.assemblee-nationale.fr