M. Bruno Rebelle a exposé la politique de Greenpeace dans sa dimension générale. L’organisation ne dispose pas de programme spécifique dénonçant les pollutions dues au pétrole car elle estime que le pétrole, ainsi que les autres énergies fossiles (gaz, charbon ...), est en soi un problème en raison de l’effet de serre provoqué par leur combustion.
Greenpeace en prenant en compte les données produites par les experts du groupe intergouvernemental sur le changement climatique (GIEC) considère que un degré était le maximum d’augmentation acceptable de la température mondiale à l’horizon 2100. Il faut réduire les émissions de gaz carbonique, contingenter la quantité de combustible fossile consommée et limiter à 225 milliards de tonnes d’équivalent pétrole, la consommation des combustibles fossiles d’ici la fin du siècle. Ce chiffre représente le quart des ressources actuelles trouvées, soit un dixième des ressources escomptées. Actuellement, il est préférable d’investir massivement dans de nouvelles politiques d’énergie fondées sur l’économie, l’efficacité énergétique et la promotion des énergies renouvelables plutôt que d’investir dans l’exploration pétrolière. Greenpeace combat le principe même des explorations pétrolières aujourd’hui, surtout dans les zones polaires où l’impact des changements climatiques est le plus visible. Actuellement, l’organisation travaille sur les explorations au nord de l’Alaska entreprises par les compagnies américaines et BP et demande aux compagnies pétrolières d’investir sur une redéfinition en profondeur des politiques énergétiques. Shell a d’ailleurs investi plus de 500 millions de dollars dans le solaire photo/voltaïque pour diminuer le coût unitaire des panneaux solaires et en faciliter l’accès, ce qui est plus porteur d’avenir que l’exploration au nord de l’Ecosse à laquelle se livre la Compagnie. Greenpeace a longtemps travaillé sur les pollutions marines et est très impliqué dans les négociations internationales d’un certain nombre d’accords, tel le suivi de la convention de Londres, les travaux de l’Organisation maritime internationale (OMI) et les négociations de la convention OSPAR qui règle la pollution dans l’Atlantique Nord-Est. Selon la lecture faite par Greenpeace, ces instruments présentent des failles.
La Convention de Londres, instrument juridique contraignant et efficace sur certains points, comme l’interdiction de l’immersion de déchets radioactifs n’est pas opérationnelle en matière d’exploitation offshore. Ainsi, les pollutions générées par l’exploitation pétrolière "offshore" ne sont régulées par aucun texte international. Cette anomalie n’est en rien le produit fortuit de quelque hasard de l’histoire des négociations internationales qui auraient omis d’inscrire ce sujet à leur ordre du jour. Les compagnies pétrolières se sont efforcées de désamorcer chacune des tentatives d’instauration de règles contraignantes en la matière.
La Convention de Londres, qui engage non seulement les 75 pays contractants mais également tous les signataires du Droit de la mer et constitue ainsi l’instrument de choix pour l’application de règles internationales, aurait pu intégrer un titre concernant les rejets en mer des plates-formes pétrolières d’exploration ou d’exploitation. Mais, dès son entrée en vigueur en 1972, les industries pétrolières avaient veillé à ce que soit maintenue une clause d’exemption contenue dans l’article III alinéa 1c formulée ainsi : "les rejets de déchets ou d’autres substances provenant directement, ou indirectement, de l’exploration, de l’exploitation ou du traitement en pleine mer des ressources minérales des fonds marins, ne sont pas concernés par les dispositions de cette convention ..." En d’autres termes, ceci signifie que les activités pétrolières offshore, sans se préoccuper des données scientifiques, des analyses d’impact et sans considération des contraintes logiquement imposées à d’autres activités industrielles, s’autorisent à rejeter ce qu’elles veulent, où elles veulent et dans des quantités qu’elles seules définissent !
Cette exemption a été longtemps considérée comme un anachronisme fâcheux. Lorsque les parties contractantes ont entamé la négociation du protocole de la Convention de Londres, qui devait en actualiser les dispositions en fonction des nouvelles données du droit international, elles ont demandé, à l’initiative des Néerlandais, des Danois et d’autres représentants, que les installations pétrolières offshore fassent l’objet de mesures contraignantes en matière d’environnement. L’unanimité pour cette nouvelle orientation semblait totale jusqu’au moment de la signature du protocole en novembre 1996. Là, certains pays, qui n’avaient jamais pris part aux phases de négociation, ont menacé de ne pas reconnaître le protocole si celui-ci concernait aussi les installations pétrolières. De manière absurde, plutôt que d’accepter une nouvelle règle, c’est une nouvelle exemption qui a été reconnue dans des termes similaires à ceux retenus par l’article III.1.c de la Convention. Si les industries pétrolières ont pu penser qu’elles avaient gagné cette partie, il est évident qu’elles sont apparues sous un jour peu glorieux, montrant le peu de respect qu’elles accordent aux standards environnementaux, contrastant, de façon brutale, avec l’image de haute technologie qu’elles voulaient afficher.
La France pourrait faire avancer ce type de négociations, même si les compagnies françaises n’y sont pas favorables. Certains pays ou certains ensembles régionaux ont adopté des réglementations couvrant leurs eaux territoriales, mais ils sont clairement minoritaires. Qui plus est, les moyens développés pour assurer la mission de contrôle sont sans commune mesure avec les besoins de ce type de mission. Par exemple, jusqu’en 1995, le Royaume-Uni n’avait qu’un seul inspecteur à temps partiel pour surveiller plus d’une centaine de plates-formes dans le secteur britannique de la mer du Nord. Cet inspecteur était dépendant des moyens aériens des compagnies qu’il devait inspecter, ce qui limite l’objectivité d’un tel contrôle. Les compagnies adoptent alors la règle de l’exploitation au moindre coût, se préoccupant fort peu des conséquences environnementales de leurs activités. Le "double standard" est la règle commune, en particulier en Afrique, quel que soit par ailleurs le discours développé par ces exploitants qui ont, bien évidemment, la sagesse de se présenter au public comme des entreprises citoyennes conscientes de leurs responsabilités pour la préservation d’un environnement sain.
Le transport du pétrole par des tankers à travers le globe est régi par l’OMI, institution spécialisée des Nations Unies qui définit les règles d’utilisation des mers du monde entier pour la navigation. Un certain nombre de ses agents sont directement attachés à la prévention des pollutions dont peuvent être rendus responsables les navires qui sillonnent le globe. Malheureusement, l’inefficacité de cette institution sur ce sujet précis est régulièrement mise en exergue. Celle-ci est en partie liée à son mode d’organisation. En effet, le montant des cotisations de chaque pays et la quantification des pouvoirs auxquels elles donnent droit, sont déterminés par le tonnage de leur flotte commerciale. Ce mode de "répartition" équivaut à une prime donnée aux pays possédant le plus grand nombre de super-tankers, pays qui ne sont pas, à proprement parler, les plus concernés par la protection de l’environnement marin. Ces pays, qui ont pour pratique de "louer" leur pavillon à différentes compagnies spécialisées dans le transport d’hydrocarbures, acquièrent par ce système un poids considérable à l’OMI. Cependant, n’ayant guère de préoccupation directe pour la gestion de l’espace maritime, ils confient leur participation à des cabinets d’avocats - généralement américains - qui assurent la représentation dudit "pavillon" lors des séances officielles de l’organisation. On est alors surpris de voir qu’aucun des membres de la délégation du Panama n’est en mesure de parler l’espagnol, qui est pourtant la langue officielle de ce pays d’Amérique centrale !
Le déséquilibre que génère cette situation permet à n’importe lequel de ces "gros contributeurs" de lier le renouvellement de sa contribution au refus de telle ou telle règle qui pourrait contraindre les activités des entreprises qui naviguent sous son pavillon. L’intérêt général, qu’était censée représenter cette assemblée, est donc passé en retrait de l’intérêt particulier des sociétés qui, dans les faits, exploitent les pavillons de complaisance. Si l’on constate par ailleurs que les accidents maritimes, dont l’Amoco Cadiz ou l’Exxon Valdez, sont des exemples qui ont marqué les mémoires, ne constituent que 10% des pollutions marines par les hydrocarbures, les 90% restant étant le fait des dégazages de "routine", on imagine mal comment l’OMI pourra, en l’absence d’une réforme approfondie de ses structures, enrayer un jour ce phénomène.
Des solutions simples ont pourtant été envisagées. Il serait par exemple facile d’inclure dans les taxes portuaires, le coût du traitement des effluents de dégazage des navires. Cette opération ne ferait alors l’objet d’aucune facturation particulière et les compagnies n’auraient aucun intérêt à risquer une condamnation et une amende en procédant au dégazage sauvage en pleine mer. C’est l’inverse qui se passe aujourd’hui. Le coût de récupération et de traitement au port sont peu incitatifs et le montant des condamnations est peu dissuasif. Il est donc préférable, lorsqu’on recherche un bénéfice maximum, de risquer l’illégalité du dégazage sauvage.
M. Pierre Brana s’est enquis du rôle exact de l’OMI par rapport à la navigation et tout particulièrement à celles des supertankers. Il a voulu savoir si systématiquement l’existence d’une exploitation pétrolière générait des atteintes aux droits humains et à l’environnement ou bien si certains cas d’exploitations sont exemplaires. Il a sollicité des indications sur les sites d’exploitation où les droits humains ou environnementaux étaient particulièrement menacés.
M. Roland Blum a demandé si les Etats producteurs voulaient imposer des normes de respect de l’environnement aux compagnies et si à défaut elles devaient acquitter des taxes compensatoires.
Mme Marie-Hélène Aubert a sollicité l’avis de M. Bruno Rebelle sur le code de conduite de la Shell. Est-ce une évolution positive ?
M. Bruno Rebelle a apporté les précisions suivantes.
L’OMI régule l’utilisation de la mer comme voie de navigation, les modalités de transport de matières spéciales qui imposent des règles de sécurité aux navires transportant certaines matières. Elle est une police de la mer.
Contrairement à l’espace maritime international, les territoires nationaux ne font pas l’objet de traités ou de conventions internationales. En Afrique, si on étudie l’exemple du projet d’oléoduc Tchad-Cameroun, le droit de l’environnement est inexistant, le principe pollueur-payeur relève de la fiction totale. Une compagnie pétrolière qui s’y installe cherche à faire un profit maximum en investissant le moins possible. La question environnementale passe par pertes et profits. Dans le cas du projet d’oléoduc Tchad-Cameroun, l’étude environnementale est faite par un bureau contrôlé par l’exploitant. La classification des questions soulevées est une ineptie ; on évoque des risques réels mais inévitables. On pointe les risques sans prévoir ni mesure compensatoire, ni suivi. Sur un projet de pipe-line de 1 000 km, aucune mesure n’est envisagée en cas de rupture alors qu’il y a eu des accidents de ce type au Nigeria. La recherche d’une rentabilité maximum s’oppose au respect de l’environnement. Si, pour les dirigeants de ces pays la finalité première de l’exploitation du sous-sol était le développement, le bien-être de la population et le respect de l’environnement, cela se saurait ! Le Gabon, le Cameroun exploitent du pétrole depuis plusieurs décennies. Le résultat n’est guère convaincant. Au Tchad, des membres de la famille du Président Déby sont en formation dans des universités afin d’acquérir les compétences nécessaires pour occuper certains postes permettant de contrôler l’exploitation pétrolière. La question environnementale est oubliée.
L’exploitation pétrolière est brutale ; peu importe l’impact social ou environnemental, l’important est d’extraire le brut et de le commercialiser au moindre prix. La politique de communication de l’entreprise dans les pays développés est différente de sa pratique à l’autre bout du monde où les compagnies prennent parfois des engagements lors de négociations mais ne les respectent pas. Quand on exploite du pétrole, on extrait aussi des gaz d’assez mauvaise qualité, soit on les réinjecte, soit on les brûle et on rejette du dioxyde de carbone. On pourrait raffiner ces gaz, ce qui permettrait d’électrifier à bas prix des capitales africaines peu éloignées des sites, pour limiter la déforestation. En revanche la fondation Elf ou la fondation Total mènent des actions de protection environnementales qui ne changent pas les pratiques des compagnies dont elles sont issues.
La Banque mondiale a demandé que les études d’impact sur l’oléoduc Tchad-Cameroun soient revues et le trajet a été modifié pour partie. Cependant, il est anormal que les ONG doivent se battre pour obtenir le rapport d’étude d’impact censé être public. Il est anormal que personne ne soit en mesure de préciser où sera l’arrivée du pipe-line dans l’anse de Kribi alors que les travaux ont déjà commencé. La Banque mondiale évolue vers une meilleure prise en compte des préoccupations d’environnement, mais il convient d’être prudent.
Des sites pilotes d’exploitation pétrolière existent ; ce sont des vitrines que l’on montre. A la périphérie des sites d’exploitation, à l’occasion, les compagnies pétrolières ajoutent ici et là des infrastructures utiles aux populations ; elles ne le font qu’à la fin du chantier, alors qu’elles devraient commencer par là. En outre, elles agissent dans des pays pauvres où la liberté de circulation, d’information et d’expression est limitée. Elles peuvent se contenter de faire le minimum. Greenpeace s’est mobilisé sur le rôle de la Shell au Nigeria, particulièrement sur la mort de Ken Saro Wiva en pays Ogoni. L’organisation a dénoncé la collusion entre Total et l’Etat birman. Du Tchad à l’Angola, on peut nourrir toute une étude sur les aspects géopolitiques des relations des compagnies pétrolières avec les Etats africains et sur l’environnement. Les plates-formes d’Elf en Angola sont catastrophiques sur le plan environnemental.
M. Pierre Brana a voulu savoir si Greenpeace avait effectué des recherches sur les plates-formes abandonnées.
Il a demandé si pour combattre les disparités dans le respect des normes environnementales selon les pays, l’opinion publique n’était pas le seul recours, car les compagnies pétrolières qui sont distributrices de produits sont sensibles à cette pression. Il a sollicité l’avis de Greenpeace sur les campagnes de boycott.
Mme Marie-Hélène Aubert a demandé l’avis de Greenpeace sur la convention de Sintra sur le démantèlement des plates-formes.
Elle s’est renseignée sur l’opportunité de l’instauration d’une norme ISO qui inclurait des critères sociaux et environnementaux pour que le consommateur ait le choix. Elle a souhaité des explications sur la polémique concernant Brent Spar.
M. Bruno Rebelle a apporté les précisions suivantes.
La convention OSPAR, qui règle la pollution dans l’Atlantique Nord-Est depuis le Nord de l’Ecosse jusqu’au Portugal, s’est réunie à Sintra au Portugal en juillet 1998 sur trois points : l’immersion des plates-formes pétrolières, le rejet en mer de déchets radioactifs à partir d’installations terrestres et le rejet de produits toxiques à partir d’installations terrestres. La question de l’immersion des plates-formes pétrolières a été évoquée au départ du fait de l’opposition de Greenpeace à la tentative d’immersion de la plate-forme réservoir de Brent Spar de Shell en mer du Nord. Le gouvernement britannique a interdit à Shell de procéder ainsi et lui a demandé de trouver une solution. Shell a admis que, sur le plan environnemental, énergétique et économique, le transport de cette plate-forme en Norvège, son démantèlement et sa transformation en base de loisir était plus rentable. Les industries opérant de tels démantèlements de plates-formes ont d’ailleurs fait pression à Sintra. A la suite de cette réunion, l’immersion de toutes les plates-formes pétrolières a été interdite dans la zone OSPAR, sauf pour les bases de béton de certaines d’entre elles. L’accord est passé avec des grincements de dents des compagnies pétrolières, qui craignent la généralisation à l’ensemble de la planète de l’interdiction de l’immersion des plates-formes, ce que veut obtenir Greenpeace. La difficulté provient des lacunes de la Convention de Londres exposées plus haut. Dans le Golfe de Guinée, des plates-formes pétrolières non utilisées depuis des années ne sont même pas immergées.
Sur toutes les étapes du cycle du pétrole, on constate l’existence d’un double standard. Des bureaux d’études ont montré qu’il était plus rentable de démanteler les plates-formes à terre. En Atlantique Nord, cette perspective est intéressante, mais dans le Golfe de Guinée, c’est plus délicat. Les compagnies pétrolières savent pourtant faire des prouesses technologiques, comme la plate-forme Girasol pour Elf, qui devrait être construite à Fos, et acheminée en Angola ; elle peut donc être rapatriée.
La polémique sur Brent Spar est née d’une erreur de communication sur la nature et la quantité de polluants restant dans la plate-forme, mais la validité de la question posée demeurait malgré l’erreur commise : pourquoi laisser cela aux générations futures ? Greenpeace a gagné sur le principe de l’immersion. Elf, Total, Shell et BP prennent des précautions en Mer du Nord parce qu’elles savent qu’elles ne peuvent pas se permettre des pollutions sur les plages : elles seraient mises à l’index, et attaquées. Sur la plage de Cabinda, en Angola à qui se plaindre ? Aux autorités qui sont dépendantes de l’industrie pétrolière ? Faire pression en Europe et aux Etats-Unis sur des compagnies qui ont un comportement désastreux loin d’ici est possible. Shell a changé de stratégie au Nigeria après la mort de Ken Saro Wiva en raison du boycott lancé spontanément après l’information donnée par Greenpeace. Le chiffre d’affaires de Shell s’est effondré. En France, l’appel au boycott est interdit. L’appel au caractère citoyen de l’entreprise ne suffit pas, en l’absence de règles de surveillance et de transparence offrant aux ONG et aux acteurs locaux la possibilité de s’assurer que la pratique est respectueuse. La Convention de Londres pourrait être cet instrument. La conjonction de la pression de l’opinion publique dans les pays du siège social des compagnies, dans ceux où elle travaille et de l’existence d’instruments juridiques internationaux et la conscience des politiques permettraient d’assurer une pratique rigoureuse. Les normes ISO pourraient être utiles, elles fonctionnent mieux quand elles traitent des produits. C’est différent quand elles sont liées au processus de production. Il n’est pas souhaitable de donner aux compagnies pétrolières un outil de reconnaissance alors que leurs travaux restent particulièrement dangereux pour l’environnement.
Evoquant le problème de la responsabilité pénale des personnes morales en droit international, qui n’existe pas encore aujourd’hui, M. Roland Blum a demandé si Greenpeace avait étudié cette importante question.
Mme Marie-Hélène Aubert s’est renseignée sur les contacts entre Greenpeace et les compagnies pétrolières. Les échanges de vues sont-ils possibles ? Greenpeace a-t-il tenté de rencontrer des responsables de la DIMAH, du ministère de l’environnement, du ministère des Affaires étrangères, au sujet notamment de l’application des conventions internationales sur l’environnement ? Elle a demandé qui était chargé en France du contrôle de l’application de ces conventions par les compagnies.
Constatant que les projets pétroliers mettent en jeu des sommes colossales, M. Pierre Brana a observé que l’intervention de la Banque mondiale ou de l’Agence internationale de développement (AID) étaient plus fréquemment requises ; il a voulu savoir si les contacts que Greenpeace pouvait nouer avec ces organismes internationaux étaient plus aisés qu’avec des organisations nationales, voire des Etats, aux intérêts plus spécifiques. Il s’est demandé comment l’influence des ONG internationales pouvait être élargie au niveau de la Banque mondiale.
M. Bruno Rebelle a apporté les précisions suivantes.
Greenpeace n’a pas encore entamé un processus d’analyse exhaustive des différents cas sur lesquels la question de la responsabilité pénale des personnes morales s’est posée, la difficulté provient de l’absence d’une cour internationale du droit à l’environnement. L’exemple du Tribunal pénal international est riche d’enseignements car il montre l’ampleur des problèmes avec les personnes physiques. Les enjeux économiques sont tels qu’il faudra des instruments très solides capables de résister à des pressions très fortes. Greenpeace estime que c’est par l’information et la mobilisation de l’opinion publique que l’on avancera le plus rapidement et souhaite qu’au moment où les compagnies pétrolières remettent leurs rapports annuels sur l’environnement, des associations soient capables de les examiner avec soin et de les critiquer en termes de participation au développement durable, le progrès serait alors significatif.
Greenpeace considère qu’il faut être capable malgré les désaccords de débattre avec les industriels et les autorités politiques, ce qui a été fait lors de la préparation des accords internationaux sur l’environnement, notamment la convention OSPAR. Greenpeace France a assisté à des réunions avec des responsables de l’environnement. L’ONG a fourni des documents, car elle travaille sur les différents pays signataires de la Convention ; elle est en mesure de préciser les positions prises par ces Etats. Ces contacts sont fructueux, mais les décalages entre les discours ambitieux tenus au niveau des cabinets ministériels et ceux des administrations concernées sont fréquents. Il n’est pas très facile d’envoyer un représentant du ministère de l’environnement à chaque réunion préparatoire ou lorsque seul le ministère de l’Industrie négocie ; le point de vue des compagnies pétrolières l’emporte. Dans la conduite des négociations préparatoires, il arrive que des fonctionnaires de l’Etat s’écartent significativement de la position officielle politique qu’ils devraient défendre pour soutenir celle du courant dominant de leur ministère. Il n’y a pas de contrôle de l’application de la convention OSPAR en France, car aucune exploitation pétrolière n’est située dans les eaux territoriales françaises. En réalité, les compagnies françaises appliquent le non-droit de pays producteurs de pétrole rarement signataires de conventions sur l’environnement.
Les principes d’action de la Banque mondiale sont intéressants, mais sont-ils appliqués concrètement sur le terrain, quand elle signe des accords avec des gouvernements eux-mêmes tenus par des intérêts industriels ? Le jeu est biaisé ; d’ambitions nobles, on passe assez vite aux pratiques désastreuses. Le projet d’oléoduc Tchad-Cameroun en est l’illustration. L’hypothèse de départ était de mobiliser les fonds de l’AID pour financer un projet qui ne servira pas à éradiquer la grande pauvreté. La Banque mondiale qui a tenté d’effectuer cette manœuvre, s’est heurtée à une forte mobilisation internationale des ONG, et est revenue en arrière. Le représentant de la Banque mondiale dans certains Etats tient dans la plupart des cas les cordons de la bourse ; il jouit donc d’une grande importance, notamment dans les pays d’Afrique subsaharienne. A l’échelon local, la Banque mondiale apparaît moins neutre dès lors que ses représentants ont noué des liens politico-amicaux avec les industriels et les autorités locales. En outre, la Banque mondiale a intérêt à être remboursée de ses prêts. Entre des critères qui amoindrissent les possibilités de remboursement et d’autres qui le sécurisent, elle choisira l’option la plus sûre sur les investissements faits. Elle a parfois intérêt à faire alliance avec l’industriel qui lui garantira ce retour. Un champ pétrolier vite exploité représente un retour sur investissement plus facilement garanti pour elle. L’exemple de l’oléoduc Tchad-Cameroun est intéressant. La pression des ONG au niveau international et dans les pays d’Europe et d’Amérique du Nord qui détiennent chacun 5% des voix a permis de peser sur le pouvoir de décision de la Banque.
Mme Marie-Hélène Aubert a voulu savoir si Greenpeace souhaitait l’abandon du projet Tchad-Cameroun.
M. Bruno Rebelle a précisé que Greenpeace ne voulait pas priver les Africains d’une ressource importante qui leur appartient. Si Greenpeace obtenait la garantie que l’exploitation pétrolière du champ de Doba bénéficiait aux populations tchadiennes et camerounaises, elle accepterait que les pays du Nord fassent des efforts accrus de réduction de leurs émissions de CO2 pour que ceux du Sud en profitent. Mais, Greenpeace estime que dans l’état actuel des rapports de forces, ce pétrole va directement dans les tankers et ne bénéficiera pas aux populations. Moins il y aura de pétrole en Afrique, plus les solutions africaines seront mises en valeur. Un dixième de l’investissement pétrolier au Tchad pourrait permettre d’équiper les dispensaires et les écoles, en panneaux solaires, en terminaux d’ordinateurs, etc.
Source : Assemblée nationale. http://www.assemblee-nationale.fr
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