Mme Marie-Hélène Aubert a souhaité mieux cerner l’implication des autorités politiques françaises, des responsables d’Elf voire des services secrets dans l’évolution des problèmes pétroliers au Congo. La stratégie des dirigeants d’Elf était-elle indépendante de celle de la France ? Est-ce la mise en place d’un contrat de partage de production qui a envenimé les rapports ? Comment les faits se sont-ils enchaînés ? Quelle était la nature des relations que M. Pascal Lissouba entretenait avec M. Bernard Kolelas ?

Elle a demandé s’il était exact comme cela a été évoqué par divers médias, qu’Elf ait financé des armements au profit de M. Denis Sassou N’Guesso et de M. Pascal Lissouba.

M. Pascal Lissouba a expliqué qu’à son arrivée au pouvoir, les caisses de l’Etat étaient vides et la dette qui s’élevait à 6 milliards de dollars était colossale. Cette situation est bien connue car le FMI et la Banque Mondiale en ont fait état. Il fallait gérer cette dette en mettant de l’ordre, or il devait faire face à cinq mois de retard dans le paiement des salaires de fonctionnaires dans un pays sans secteur privé. Il s’est tourné vers Occidental Petroleum pour obtenir un contrat d’achat de pétrole sur la base de redevance pétrolière sur une période donnée. Mais Elf a refusé de régler la redevance à Occidental Petroleum alors même qu’Elf lui avait refusé un crédit relais. Ce refus fut un choc pour lui car cela ne nuisait pas aux intérêts d’Elf de l’aider. Il s’est tourné vers Agip qui a accepté mais de nombreuses difficultés surgissaient (retard de livraison, etc.)

La Banque Mondiale et le FMI ont été contactés par son gouvernement et invariablement, ils répondaient que s’ils voulaient remettre les finances en ordre, il fallait réduire la dette des 6 milliards de dollars auxquels s’ajoutaient les 150 millions de dollars empruntés à Occidental Petroleum. Le dossier a été transmis au FMI et à la Banque Mondiale qui ont décidé du montant des remboursements non payés en espèces. Occidental Petroleum souhaitait du pétrole. En 1993, des contacts avec le ministre français de l’Industrie ont été pris par l’intermédiaire de membres de son gouvernement.

Deux logiques coexistaient. Elf souhaitait verrouiller ses accords et se retournait pour cela vers le gouvernement français. De son côté lui traitait avec le Ministère français de l’Industrie. A cette époque la question du montant de la redevance et du partage de production n’avait pas été évoquée. Auparavant, il avait tenté de rassurer les autorités françaises. Sa volonté de mettre en place un contrat de partage de production a probablement envenimé ses rapports avec Elf et la France mais il n’avait pas le choix.

Au moment de cette négociation, M. Kolelas était dans l’opposition. Ses rapports avec lui ne sont pas liés à la rente pétrolière. M. Sassou N’Guesso avait décidé de reprendre coûte que coûte le pouvoir pour se venger de la Conférence nationale souveraine de 1990, véritable Assemblée Constituante qui l’avait dépouillé de ses pouvoirs et humilié. Pendant la période de transition en 1990-1991, M. Sassou N’Guesso, encore président de la République, supportait difficilement que ses pouvoirs aient été limités et le lui avait fait savoir à l’époque. Or, M. Sassou N’Guesso aurait pu à cette époque être arrêté pour malversations ; il laissait un pays sinistré avec une dette de 6 milliards de dollars (la plus forte dette du monde par habitant) et aucune liberté publique.

Il a rappelé que pendant la période de transition, M. Sassou N’Guesso avait tenté de fomenter un coup d’Etat le 15 janvier 1992 contre le Premier ministre d’alors M. Milongo qui avait dû fuir. Battu aux élections présidentielles, M. Sassou N’Guesso a continué à provoquer des troubles. Dès le 31 août 1992, lors de sa prestation de serment, le nouveau Président a demandé la constitution d’un gouvernement d’union nationale, proposition rejetée par le Parti Congolais du Travail (PCT), présidé par M. Sassou N’Guesso.

Pour organiser la rentrée scolaire dans de bonnes conditions, il devait payer les arriérés des salaires des fonctionnaires. S’adressant à Elf pour une avance, il se heurta à un refus catégorique de la direction d’Elf. En décembre 1992, il se rendit en France pour essayer d’obtenir de l’aide afin de régler les problèmes de sécurité et se heurta à un refus des autorités françaises.

M. Yves Marcel Ibala a ajouté que le Président Lissouba avait écrit au gouvernement français pour expliquer les problèmes de sécurité du pays. L’armée était constituée de soldats venant du Nord et donc proche de M. Sassou N’Guesso. Son collègue sortant ne lui avait laissé que quinze pistolets pour garder le palais présidentiel. Or le 30 novembre 1992, MM. Kolelas et Sassou N’Guesso avaient organisé une marche "pacifique" pour prendre le palais avec des pancartes appelant à la démission du Président. Déjà le 30 novembre 1992 des désordres s’étaient produits à Brazzaville ; heureusement l’armée ne s’en était pas mêlée. La violence des Cobras de M. Sassou N’Guesso et des Ninjas de M. Kolelas a commencé à ce moment là et n’a pas cessé depuis. M. Lissouba ne disposait pas de forces de l’ordre suffisantes. A sa demande d’aide, la France avait répondu qu’elle n’avait pas de structure appropriée pour former ou aider des militaires à moins de créer une gendarmerie que la France pourrait former et qui ne serait qu’un outil utilisable sur ordre de la France. Le ministre de la sécurité lui-même et son adjoint étaient en stage à Satory fin février 1993 avec la promesse qu’à leur retour, un ensemble de cadres français viendrait effectuer sur place la formation militaire ; ils ne sont jamais venus.

M. Sassou N’Guesso avait pendant son régime créé une unité spéciale le Groupe d’Intervention de la Police Nationale (GIPN), unité spéciale de sécurité pour briser les grèves et brutaliser les gens. Cette unité, restée fidèle à M. Sassou N’Guesso, avait gardé l’armement et refusé d’intégrer les rangs de l’armée républicaine (forces régulières). Au moment de la passation de pouvoir en tant que ministre de la sécurité, il s’est abstenu de signer le procès verbal présenté par son prédécesseur car les armes de la Présidence de la République étaient restées entre les mains de cette unité qui les avait cachées dans des villages du Nord fidèles à M. Sassou N’Guesso.

M. Pascal Lissouba a précisé que lors d’une rencontre avec le Président François Mitterrand, celui-ci lui avait répondu que la France ne prodiguait plus ce type d’entente en matière de sécurité depuis La Baule. Selon lui, ce point est éclairant car il espérait que son armée serait formée et qu’il n’aurait pas à constituer de milice. A son arrivée au pouvoir, personne ne pouvait gérer l’armée, la hiérarchie militaire y était inversée et constituée d’officiers sans troupe. Par ailleurs il avait dans sa garde personnelle des Français qui l’avaient protégé pendant sa campagne électorale et les officiels français lui avaient demandé de mettre fin à leur contrat ce qu’il hésitait à faire avant la fin de l’année. Leur contrat expirant en février 1993, il ne le renouvela pas, espérant que son cas serait étudié.

Un renversement d’alliance s’est produit à l’Assemblée nationale en novembre 1992. M. Sassou N’Guesso a rejoint l’opposition, alors que certains des députés de son parti, le PCT, avaient été élus sur la base d’une alliance avec l’UPADS la formation politique de M. Lissouba, à laquelle il appartenait. C’est pourquoi il a dissous l’Assemblée nationale. Le 6 juin 1993, date du premier tour des élections législatives l’opposition se sentant vaincue, s’est mise à tirer dans les quartiers.

Mme Marie-Hélène Aubert a voulu savoir pourquoi la France avait refusé de l’aider à former des forces de sécurité.

M. Pascal Lissouba a fait observer qu’il était difficile de trouver une réponse simple. Le refus de sécuriser son peuple était inamical à son égard. C’est pourquoi il s’est tourné vers une compagnie pétrolière américaine pour obtenir une aide financière et vers les Israéliens pour former les forces de sécurité.

A la demande de M. Sassou N’Guesso qui s’inquiétait de la généralisation de la violence du Congo-Brazzaville, il avait contacté le Directeur Général de l’Unesco qui s’est rendu au Congo. A la suite de sa visite une structure permettant de gérer ce type de conflit en Afrique a vu le jour, l’Organisation des Nations Unies pour la prévention des conflits en Afrique centrale et il en est devenu le Président. Le 30 décembre 1994 à la Conférence de culture de paix à l’Unesco, il a été décidé que toutes les milices présentes devaient être intégrées à l’armée. Dès lors on ne devait plus entendre parler de milice. Ceux qui actuellement combattent M. Sassou N’Guesso faisaient donc partie de l’armée régulière comme les anciennes milices de MM. Sassou N’Guesso et Kolelas. Ils combattent un régime issu du coup d’Etat. Au moment du coup d’Etat de M. Sassou N’Guesso, l’armée régulière s’est retirée pour lutter par la désobéissance civile ou tout autre moyen comme la Constitution congolaise le prévoit. Ils se sont retirés aussi parce qu’en septembre 1997 un cessez-le-feu a été signé aux termes des accords de Libreville II. De la fin 1994 à mai 1997 le calme était revenu, les accords de partage de production avaient été signés avec Elf sur la base d’une redevance basée sur 33 % de la production. Les discussions avec le FMI et la Banque Mondiale pour restructurer les dettes et développer le pays avaient repris.

M. Yves Michel Ibala a précisé qu’en raison de la violence, les résultats des élections de juin 1993 ont été contestés alors que le scrutin était supervisé par les organisations internationales. Le Président Bongo a alors effectué une médiation entre MM. Lissouba, Kolelas et Sassou N’Guesso et a abouti au premier accord de Libreville qui ne contient aucune disposition sur la violence. A ce moment là à la demande du Président Lissouba, les Israéliens ont envoyé une compagnie privée pour former les militaires et briser la tradition de coup d’Etat de l’armée. La France a critiqué le recours aux Israéliens qui ont exécuté leur contrat jusqu’à la fin. Le Congo cherchait à passer avec eux un nouveau contrat pour former les militaires à l’agriculture et les intégrer au développement. L’Union européenne, le FMI et la Banque Mondiale ont critiqué ce contrat.

A l’expiration du contrat avec les Israéliens, la France a proposé de transformer les jeunes recrues formées par les Israéliens en gendarmes. Le gouvernement congolais a accepté. L’armée régulière était alors formée de soldats ayant servi du temps de M. Sassou N’Guesso et de ceux recrutés par le Président Lissouba.

Mme Marie-Hélène Aubert s’est enquise du rôle d’Elf à partir de juillet 1997. Les armes de M. Sassou N’Guesso proviennent-elles d’Elf ? Si non, de qui selon lui ? Que répondre à ceux qui affirment qu’Elf a aidé les deux parties ?

Elle a demandé au Président Lissouba comment il analysait le comportement d’Elf et la stratégie de la France dans la guerre civile. L’objectif d’Elf était-il de soutenir celui qui était au pouvoir ou bien un choix délibéré dictait-il les décisions de la compagnie ? Quelle était la nature des relations du Président Lissouba avec l’Ambassade de France à Brazzaville ?

Par ailleurs, elle s’est étonnée du peu d’intérêt manifesté par les médias français et européens pour le Congo. N’est-ce pas lié à l’intervention d’autres armées ? Quel rôle jouent les armées angolaises et tchadiennes ?

M. Pascal Lissouba a apporté les précisions suivantes.

Elf est une grande puissance, un Etat dans l’Etat méritant un coup de chapeau, pour sa puissance financière. Mais dans cette structure, certaines personnalités ont une conception dévoyée de leur action. Le fait de permettre à M. Sassou N’Guesso d’acheter des armes en témoigne. Les milices de ces derniers pillent, violent et assassinent. Dire qu’Elf a aidé M. Sassou N’Guesso comme M. Lissouba, revient à mettre sur le même plan un dictateur arrivé au pouvoir par des coups d’Etat et un Président régulièrement élu, incarnant l’Etat congolais. En tant que Président de la République élu, il était le chef de l’armée congolaise qu’il avait formée, il exécutait le budget voté et avait le droit d’utiliser une fraction du produit de la rente du pétrole pour défendre son pays.

Elf avait choisi M. Sassou N’Guesso car la compagnie estimait qu’il défendrait mieux ses intérêts. On a prêté à M. Lissouba des intentions qu’il n’avait pas, car il n’a jamais tenté de nuire aux intérêts français dans la région. Ses partisans au Congo ont pris les armes pour se défendre et défendre leur pays contre les exactions (vols, viols, pillages, destructions, etc.) commises par les armées étrangères (tchadienne, angolaise) qui aident les milices de M. Sassou N’Guesso. Cette violence et cette humiliation accumulée ont poussé ses partisans à la révolte. Il ne faut pas inverser les rôles : les agressions ont été commises par les partisans de M. Sassou N’Guesso, qui est rentré dans son pays avec des armes sophistiquées, ce qui prouve qu’il disposait de certains moyens.

Ceux qui ont été sauvés sous sa présidence sont devenus partisans de M. Sassou N’Guesso. A cet égard, M. Pascal Lissouba a rappelé que, conscient de ce danger potentiel, il avait demandé au HCR de prendre en charge les Hutus rwandais, ce qu’il n’a pas fait. Pour cet accueil, il avait collaboré avec la France qui avait envoyé une compagnie française. Les Rwandais qui venaient se réfugier au Congo disaient qu’ils étaient de passage. Certains ont disparu dans la nature et ont été recrutés par les milices de M. Sassou N’Guesso au camp de la police en zone Nord, où ils étaient parqués. Ceci explique mieux le soulèvement qui a accompagné le coup d’Etat de M. Sassou N’Guesso.

Ses relations avec l’ambassade de France étaient sereines mais franches. L’ambassadeur de France, M. Raymond Cesaire ne cachait pas ses amitiés pour M. Sassou N’Guesso. Au début de la guerre civile, la France n’a maintenu son contingent qu’une journée de plus seulement à la demande de M. Lissouba. Selon lui, la France est aujourd’hui débordée ; M. Sassou N’Guesso continue son carnage et détient le pouvoir par la force malgré la réprobation de la communauté internationale et la résolution du Parlement européen.

Les médias sont très silencieux sur la situation au Congo Brazzaville, car les journalistes n’ont pas la possibilité de voyager au Congo et quand ils y parviennent, ils ne sont pas libres de leurs mouvements d’autant que la situation est dangereuse. En outre, M. Sassou N’Guesso est intervenu au Gabon pour que l’on suspende la couverture médiatique du Congo Brazzaville par la radio indépendante Africa numéro 1 dont le Gabon est actionnaire puisqu’elle a été créée à l’initiative du Président gabonais. L’argent du Congo Brazzaville permet à ce dernier de contrôler les médias. L’intérêt pour l’Afrique des médias européens est limité.

Les armées étrangères, et notamment angolaise commettent les pires exactions ; ces soldats font la guerre depuis trente ans et ne savent que piller et tuer. Ils exécutent ce que les Congolais refusent de faire. Les Tchadiens sont soutenus techniquement par les Libyens. Les génocidaires du Rwanda et l’ancienne division présidentielle de sécurité du Président Mobutu font de même et participent à la démolition du Congo. En 1997, la division présidentielle de sécurité du Président Mobutu avait été reçue au Congo à la demande de l’ambassadeur de France, M. Raymond Césaire. C’est ainsi que, sous la présidence de M. Lissouba, l’ancien premier ministre de Mobutu a été sauvé avec sa famille. Il a agi ainsi en tant que Président de l’Organisation de prévention des conflits en Afrique.


Source : Assemblée nationale. http://www.assemblee-nationale.fr