Présidence de M. Laurent FABIUS, Président

Mme Martine VIALLET est introduite.

M. le Président lui rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d’enquête lui ont été communiquées.

A l’invitation du Président, Mme Martine Viallet prête serment.

Mme Martine VIALLET : M. le Président, je vous remercie de l’intérêt que manifeste l’Assemblée nationale à l’administration pénitentiaire par la création de cette commission d’enquête. Les personnels pénitentiaires, vous le savez, se sentent souvent ignorés par la société, sauf quand la presse fait état d’incidents. Cet intérêt est bien accueilli par les services, leur mettant un peu de baume au coeur après la campagne médiatique qui vient de se dérouler et leur laisse présager une aide dans la résolution des difficultés qu’ils rencontrent.

Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux, Ministre de la justice, dans son intervention à l’Assemblée Nationale, à l’occasion de la création de votre commission, a rappelé les objectifs qu’elle a assignés à l’administration pénitentiaire et a dressé un bilan d’étape. Je ne reprendrai pas l’ensemble des points qu’elle a développé mais je concentrerai mon propos sur certains d’entre eux et j’attirerai votre attention sur quelques chiffres mal connus ou paradoxaux, tels ou tels situations, enjeux ou contraintes qui illustrent les difficultés comme les sources d’espoir en matière pénitentiaire.

Monsieur le Président, je vous remettrai la lettre de mission que le garde des sceaux m’avait adressée à mon arrivée, il y a un an, et qui traduit les axes d’action souhaités pour la pénitentiaire.

L’administration pénitentiaire, en vertu de la loi du 22 juin 1987, participe à l’exécution des décisions et sentences pénales et au maintien de la sécurité publique. Par ailleurs, elle favorise la réinsertion sociale des personnes qui lui sont confiées par l’autorité judiciaire.

La mission de sécurité est plutôt bien remplie, selon les statistiques, puisque l’on compte moins de 20 évasions par an ces dernières années. Ce chiffre est stable et donc rassurant, même s’il convient de l’améliorer encore.

La question de l’insertion est plus vaste et plus délicate quant il s’agit de mesurer la réalité des réussites ou des échecs. Lors de vos déplacements en établissements et si vous en débattez avec les agents des services pénitentiaires d’insertion et de probation vous aurez l’occasion d’en juger par vous-mêmes. Au-delà de toutes les statistiques qui figurent dans notre rapport d’activité et qui donnent, en apparence, un certain nombre d’indicateurs relatifs à l’insertion, la réalité doit être appréciée sur place.

Quelques chiffres :

Au premier janvier de cette année, le nombre de détenus s’élevait à 51 441. C’est un chiffre particulièrement bas en raison des deux décrets de grâce qui ont été pris l’an dernier. Le taux d’incarcération se situe dans la moyenne de ceux des pays européens. Fin 1997, il était de 90/100 000 - c’est-à-dire 90 personnes incarcérées pour 100 000 habitants - soit un taux équivalent à celui de l’Allemagne, de l’Italie ou des Pays-Bas, inférieur aux taux de l’Angleterre ou de l’Espagne qui dépassent 110/100 000, mais supérieur à ceux des pays scandinaves qui s’établissent entre 50 et 60/100 000. Nous nous situons donc dans la moyenne.

Les prisons françaises constituent un ensemble très marqué par l’hétérogénéité. La prison est un ensemble de sous-catégories qui, combinées entre elles, rendent nécessaire un traitement personnalisé du détenu, alors même que les contraintes en termes de moyens rendent très difficile cette individualisation. L’on compte 35 % de prévenus qui recouvrent des catégories très diverses. La masse des condamnés apparaît elle-même très hétérogène : 58 % sont condamnés à des peines de moins de 5 ans, 17 % à des peines de 10 à 20 ans et 2 % à des peines de 20 à 30 ans.

Les longues peines sont elles même très hétérogènes dans la mesure où il n’y a guère de points communs entre les 583 réclusions criminelles à perpétuité, les 20 % de condamnés pour viol ou agression sexuelle et les 9,8 % condamnés pour meurtre et assassinat.

Il n’y a que 3,7 % de femmes parmi les détenus. Elles doivent pourtant pouvoir être accueillies presque partout sur le territoire. Il en résulte des difficultés pour bien assumer leur prise en charge dans les mêmes conditions que les hommes.

Le nombre de mineurs est faible ; il oscille, en 1999, selon les périodes de l’année, entre 600 et 1 000. Mais cette population est très perturbée ; elle échappe aux repères classiques et appelle également des traitements très individualisés.

Vous savez également que 10 % des détenus déclarent avoir fait l’objet d’un suivi psychiatrique avant leur entrée en prison ; en réalité, ils sont sans doute plus nombreux. Trente pour cent se caractérisent par une consommation excessive d’alcool, autant pour la drogue, 21 % sont illettrés, etc.

S’ajoute à cette hétérogénéité le phénomène moins connu de la diversité des âges : si le nombre des plus de soixante ans reste certes encore faible - 1 455 détenus à la fin 1999 -, il a quasiment doublé en quatre ans. L’allongement des peines laisse prévoir une poursuite de cet accroissement et l’on compte déjà des détenus physiquement dépendants, pour lesquels la pénitentiaire va devoir s’organiser, car aujourd’hui les établissements ne sont pas du tout adaptés pour cela.

La diversité concerne aussi les nationalités. L’on compte en moyenne 23 % d’étrangers. Dans certains établissements ce pourcentage est cependant beaucoup plus élevé - la maison d’arrêt de Villepinte compte 50 % d’étrangers regroupant 60 nationalités - ; en Guyane plus de la moitié des détenus sont étrangers et pour la plupart parlent brésilien ou taki-taki, ce qui entraîne un certain désarroi pour le personnel pénitentiaire, originaire pour l’essentiel de la métropole.

Cette diversité se retrouve enfin à l’examen du parc immobilier. 109 établissements, qui avaient souvent été conçus pour un tout autre usage, ont été construits avant 1920. 23 d’entre eux ont été construits avant 1830 (Il s’agit souvent d’anciens couvents) et accueillent encore 2 800 détenus. Huit établissements ont vu le jour entre 1981 et 1988, 28 de 1990 à 1998. Ces 28 établissements, plus les 6 établissements en cours de construction ou pour lesquels les procédures de marchés publics sont en cours, accueilleront 17 500 détenus, soit près du tiers de la population pénale. De vrais progrès sont donc réalisés. Vos visites vous permettront de mesurer la différence des conditions d’accueil entre ces nouveaux établissements et les autres.

Un autre contraste réside dans la taille des établissements : 71 établissements ont une capacité de moins de 100 détenus, tandis que les cinq plus grandes maisons d’arrêt accueillent 18,6 % des détenus. Cela se traduit par des métiers très différents pour le personnel et des conditions de vie très variées pour les détenus.

Les taux d’occupation sont très contrastés. Au 1er janvier 2000, niveau exceptionnellement faible du fait de la baisse de la population pénale, il était de 105 % en moyenne, mais de 113 % en maison d’arrêt.

M. le Président : Que signifient ces taux ?

Mme Martine VIALLET : Il s’agit du rapport entre le nombre de détenus effectivement incarcérés dans l’établissement et la capacité théorique de celui-ci, calculée en fonction du nombre et de la taille des cellules, définissant le nombre de personnes que l’on pense pouvoir mettre dans des conditions relativement correctes dans une même cellule. Alors que l’on considère que notre capacité théorique est elle-même un peu " généreuse ", ce taux de 113 % signifie qu’elle a encore été dépassée dans la réalité.

Dans les établissements du programme à gestion déléguée, établissements dont certaines fonctions, essentiellement liées à l’hôtellerie, à la santé et au travail, sont concédées au secteur privé, le taux ne dépasse jamais 120% car, au-delà, des pénalités financières sont prévues. Inversement, le taux d’occupation est de 199% à Bayonne ou au Mans et 162 % à Lyon. Ce sont là quelques exemples et beaucoup d’établissements présentent des taux supérieurs à 150 %, voire à 200 %, par exemple dans les prisons de la Réunion où le taux, déjà supérieur à 200 %, croît encore.

Dans les établissements pour peines en revanche, le taux est toujours inférieur à 100 %, puisque la règle de l’encellulement individuel est respectée. Le taux approche les 100 % dans les centres de détention nationaux, qui accueillent les détenus condamnés aux plus longues peines. Le taux varie entre 80 % et 94 % dans les centres de détention régionaux qui accueillent les détenus condamnés à de moins longues peines. L’une de nos pistes de travail consiste soit à transformer certains centres de détention régionaux ou certains quartiers en centres de détention nationaux, soit à proposer au parlement de modifier les règles de répartition des détenus entre ces deux types de centres afin de réduire les files d’attentes des centres de détention nationaux, dans la mesure où, pendant ce temps, les condamnés attendent leur affectation en maison d’arrêt.

Quelques chiffres relatifs au personnel.

La France ne compte qu’un surveillant pour 2,6 détenus au 1er janvier 2000, alors que le nombre de surveillants est plus élevé que jamais et que celui des détenus baisse. Or, la moyenne de détenus par surveillant constatée dans l’Union européenne est inférieure, sauf en Grèce, au Portugal et au Luxembourg. En 1996, dernière année sur laquelle nous disposons de statistiques comparatives, le ratio était de 2,3 détenus par surveillant au Royaume-Uni, 1,7 au Pays-Bas et 1,3 au Danemark.

Chacun des travailleurs sociaux a en charge 100 détenus à un instant donné ; cela signifie qu’il en voit passer davantage durant l’année.

Sans céder à la démagogie et sans nier la possibilité d’une meilleure utilisation des forces existantes, il est clair que si l’administration pénitentiaire veut véritablement remplir sa mission de réinsertion, elle manque de personnels. Il est aussi vrai que tous les compliments faits aux prisons néerlandaises s’expliquent, pour partie, par une différence dans ce domaine.

Le garde des sceaux a bien entendu développé une politique de création d’emplois. J’y reviendrai.

A ces difficultés s’ajoutent d’importantes contraintes de gestion. En raison de la bonification du cinquième, c’est-à-dire la retraite anticipée, accordée en 1995 au personnel de surveillance, les flux de départ à la retraite sont très élevés et sont croissants. Ils étaient de 515 en 1998 et sont de 1 000 par an en moyenne aujourd’hui, rendant difficiles les recrutements en nombre suffisant, d’autant qu’une concurrence rude sévit avec d’autres métiers de sécurité, notamment ceux de la police.

Enfin, les personnels administratifs et techniques sont insuffisants : au 1er janvier 2000, leur nombre s’élève respectivement à 2 300 et 675. Une étude par un consultant extérieur, achevée récemment, conclut à une insuffisance de 582 emplois dans ces deux catégories. L’information revêt une valeur relative, mais donne un ordre d’idée.

Après ce panorama, quelques mots sur l’organisation et la modernisation des structures de l’administration pénitentiaire, avant d’évoquer certains chantiers en cours.

Pour utiliser plus efficacement ses moyens, l’administration pénitentiaire s’est lancée dans des réformes de structure et de gestion. En juillet 1998, une nouvelle organisation de l’administration centrale a été mise en place à partir de trois objectifs : mieux concevoir les politiques en associant les services déconcentrés à l’élaboration des projets et en effectuant des analyses d’impact systématiques ; mieux assurer le pilotage des services déconcentrés en leur donnant des compétences et une méthodologie pour appliquer les orientations et en assurant un suivi de leur activité ; mieux structurer la gestion des ressources humaines en prenant en compte cette dimension dès la conception des normes et des méthodes de travail.

Vous serez destinataires de documents écrits plus détaillés sur cette réforme qui s’inscrit dans le cadre général de la réforme de l’Etat.

L’administration pénitentiaire est engagée dans une politique de déconcentration non encore achevée. Quelques exemples illustrent ce mouvement : en 1997, une partie de la gestion des ressources humaines, essentiellement les décisions en matière médico-sociale - congés de longue durée et de longue maladie, congés parentaux et de retraite - ont été déconcentrés au profit des directeurs régionaux. Pour les surveillants et les gradés, qui représentent l’essentiel des effectifs, des commissions administratives paritaires régionales ont été créées. Pour l’instant, ces commissions ne sont compétentes que pour l’octroi du temps partiel, la disponibilité, la titularisation, ainsi que le prononcé des sanctions les moins importantes telles l’avertissement et le blâme.

Le décret du 8 décembre 1998 a déconcentré au profit des directeurs régionaux l’affectation des détenus ayant un reliquat de peine inférieur à un an. Cela a permis une réduction des délais d’affectation et donc une meilleure gestion des détenus.

Toutefois, s’agissant de la déconcentration, l’administration pénitentiaire a opéré une pause en 1999 et la poursuivra en 2000. Il est en effet difficile de mener plusieurs réformes de structures ou d’organisation en même temps, sauf à courir à l’échec. Nous avons réformé l’administration centrale en 1998, créé en 1999 les services pénitentiaires d’insertion et de probation (SPIP). Nous aurons, en 2000, à négocier sur les 35 heures et l’organisation du travail. Nous ne pouvons pas, en même temps, engager une nouvelle étape de déconcentration.

La création du service départemental des SPIP répond au souci de décloisonner les milieux ouverts et fermés pour le traitement des personnes placées sous main de justice pour leur meilleure réinsertion.

De nombreuses questions d’organisation restent à traiter et ce travail sera nécessairement étalé sur plusieurs années. Je les évoque sous forme de question : la taille des régions pénitentiaires - 9 en métropole, 1 pour l’Outre-mer - est-elle bonne ? A-t-on raison de les considérer parfois trop grandes ? Les établissements pénitentiaires ne doivent-ils pas déléguer davantage au secteur privé, sur le modèle des 21 établissements à gestion partiellement déléguée ? La question se pose notamment pour la maintenance, les équipements étant de plus en plus sophistiqués, et pour la fonction d’alimentation, soumise au respect de normes techniques toujours plus strictes que nous n’arrivons pas à l’heure actuelle à respecter dans tous nos établissements. Ainsi, pour la restauration dans les trois grands établissements de la région parisienne, la direction régionale de Paris a prévu la construction et la maintenance par un opérateur privé d’une cuisine centrale, dont la gestion sera confiée à un tiers prestataire. Ainsi sera-t-on assuré de respecter en permanence les normes, quelle que soit leur évolution.

Au surplus, une réflexion est en cours sur la définition du meilleur système organisationnel pour améliorer la gestion de l’immobilier pour laquelle, à l’heure actuelle, nous disposons de moyens trop faibles.

Je n’évoquerai pas les contrôles, car je sais votre intention d’entendre le responsable de l’Inspection des services pénitentiaires, qui sera mieux à même de vous en parler.

Sur la question des politiques en cours et des chantiers en exploration, je rappellerai les trois grands axes définis par Mme la ministre dans sa communication au Conseil des Ministres du 8 avril 1998, et dont un bilan a été dressé pour le Conseil supérieur de l’administration pénitentiaire de juillet dernier : les alternatives à l’incarcération et la préparation à la sortie, l’amélioration de la prise en charge des détenus et des conditions de travail des surveillants, la rénovation immobilière.

Je parlerai peu du premier point, car vous vous êtes prononcé récemment sur le projet de loi relatif au renforcement de la présomption d’innocence. S’y ajoutent les suites qui vont être données au rapport de la commission sur la libération conditionnelle, dit rapport Farge, et la mise en _uvre prochaine du bracelet électronique. La nécessité d’accroître les placements à l’extérieur pour mieux préparer la sortie en fait également partie. Cela passe à la fois par des actions de l’administration pénitentiaire sous forme de subventions croissantes et par le recours aux dispositifs sociaux de droit commun, pour disposer, par exemple, de places en centres d’hébergement.

Dans le cadre de la préparation à la sortie, je ne citerai que la convention de 1999 avec l’ANPE, la réforme des services pénitentiaires d’insertion et de probation et récemment, une convention signée avec la Croix rouge pour aider la sortie des personnes les plus défavorisées.

L’amélioration de la prise en charge des détenus, passe par la diversification de ses modalités. L’ouverture des trois premiers centres pour peine aménagée, à Metz, Marseille et Villejuif, est en préparation. Ces centres sont destinés à accueillir, soit des courtes peines, soit des personnes en fin de peine pour qu’elles puissent bénéficier d’un mode de détention offrant une plus forte autonomie que celle en cours dans un établissement classique.

La personnalisation de cette prise en charge constitue un autre objectif. En raison de la diversité des publics, c’est un chantier lourd. Cela suppose que le personnel de surveillance ou socio-éducatif puisse y consacrer plus de temps. Cela implique aussi une évolution des missions de ces personnels, par exemple en distinguant davantage les fonctions de gestion de la détention de proximité et d’observation, des fonctions de sécurité technique. Nous sommes en train d’y travailler avec les personnels. Cela suppose également la possibilité de mieux répartir les détenus selon leur profil et appelle donc plus de places de détention.

D’ores et déjà, pour certaines catégories de détenus, des progrès importants ont été accomplis. Ainsi, pour les mineurs, petite catégorie sur laquelle des expérimentations peuvent être menées, nous avons défini une méthodologie spécifique de traitement avec des équipes de médecins, de psychologues, de travailleurs sociaux, des équipes de la protection judiciaire de la jeunesse et des surveillants. Accomplir des progrès dans leur prise en charge nécessite une stabilisation des équipes de surveillants - c’est une piste que nous aimerions pouvoir suivre pour d’autres catégories de détenus - et un travail pluridisciplinaire. Une expérimentation de ce type est en cours à Fleury-Mérogis.

Autre enjeu : la lutte contre l’indigence. Mme la garde des sceaux a rappelé ce qui a déjà été entrepris - trousse entrant, kit de sortie -. Nous avons réuni un groupe de travail auquel ont participé des associations, qui achève actuellement un rapport comportant de nombreuses propositions. La ministre en sera très prochainement saisie, il va nous permettre d’avancer sur cette question.

Je ne reviens pas sur les questions relatives à l’hygiène (la troisième douche, la distribution d’eau de Javel), ni sur l’accroissement du travail (de + 16 % entre 1996 et 1998). Là encore, de nombreux progrès restent à faire.

Un autre objectif vise à réduire la violence en détention. L’objectif d’encellulement individuel que vous avez retenu lors du vote sur le texte relatif au renforcement de la présomption d’innocence permettrait d’en limiter les conséquences, mais il nécessite la création de 12 500 places nouvelles. Restent les causes de cette violence. L’une d’elles est le nombre croissant de détenus à caractéristiques psychiatriques lourdes ou présentant des troubles du comportement ne justifiant pourtant pas une hospitalisation d’office. Deux actions sont entreprises simultanément : la création d’un groupe de travail sur les phénomènes de violence en détention et une réflexion qui sera lancée, avec le ministère de la Santé, sur les détenus présentant des troubles mentaux ou du comportement. Je citerai encore, parmi les enjeux, la réduction du nombre de suicides et la réussite de la mise en place des unités de visites familiales pour le maintien des liens familiaux. Enfin, l’amélioration de la prise en charge bute très vite sur l’insuffisance de l’immobilier.

L’amélioration des conditions de travail du personnel et l’organisation de celui-ci passe, pour partie, par une rénovation de l’immobilier dont souffrent également les personnels, mais aussi par une réorganisation du travail sur la base d’un renouvellement de leurs missions, une moindre tension sur les effectifs et de nouveaux modes de gestion.

D’une part, des créations d’emplois ont eu lieu : en 1999, 220 personnels de surveillance supplémentaires, en 2000, 290 ; en 1998, 200 personnels d’insertion et de probation, 77 en 1999, effort considérable pour ce corps de faible importance numérique jusqu’alors.

D’autre part, il est procédé à une accélération des recrutements à l’école nationale d’administration pénitentiaire pour faire face au flux des départs à la retraite : en 2000 devraient entrer à l’ENAP plus de 1 700 élèves surveillants contre 958 en 1999.

L’administration pénitentiaire se préoccupe aussi d’améliorer la qualité des personnels. Pour ce faire, l’ENAP a été restructurée, renforcée en effectifs et s’organise sur le modèle des autres grandes écoles. Elle sera transformée en établissement public au 1er janvier 2001.

Une nouvelle organisation du travail est nécessaire. Aujourd’hui - et la Cour des comptes l’a relevé - le service est organisé en fonction d’une journée de détention très courte au détriment de la qualité du travail de réinsertion. Cette organisation vise deux objectifs : tenir des postes de travail prédéterminés et aménager un service qui accommode les souhaits des surveillants.

M. le Président : Qu’entendez-vous par journée de détention très courte ?

Mme Martine VIALLET : La journée de détention est généralement de huit heures s’interrompant deux heures au moment du déjeuner. Cela signifie qu’entre le travail, la formation professionnelle, les activités sportives et de détente et les éventuelles consultations médicales, le détenu doit choisir. Soit il travaille, ce qui lui procure une rémunération, limitée d’ailleurs, car il ne peut travailler la journée entière, mais, dans ce cas, il ne peut être scolarisé et ne peut bénéficier des promenades. Inversement, si son choix se porte sur la formation professionnelle ou des études, il ne peut travailler. C’est là une première difficulté.

La seconde difficulté engendrée par la brièveté de la journée de détention tient dans le fait que, dès dix-sept ou dix-huit heures, les détenus ne sortent plus de leur cellule et ce jusqu’à sept ou huit heures le matin. Cette durée, notamment l’été, apparaît extrêmement longue. Il en résulte des tensions qui nuisent à la sécurité et posent des problèmes quant à notre responsabilité en matière de réinsertion.

La journée de détention est courte et nous souhaiterions renverser le système d’organisation en partant du " client " - ne soyez pas choqués du terme - en examinant les besoins que nous devons satisfaire pour sa réinsertion et pour couvrir ses différents besoins médicaux et déduire de ces besoins l’économie d’une journée de détention.

Aujourd’hui, compte tenu des difficultés auxquelles le personnel est confronté pour accomplir sa tâche, c’est le contraire qui se produit : c’est en fonction des contraintes qui pèsent sur le personnel que nous organisons la gestion de la détention, en conservant une organisation trop traditionnelle, héritée d’une époque où peu d’activités étaient organisées dans les établissements. Aussi, allons-nous lancer des travaux sur la nouvelle organisation du travail dans le cadre des négociations sur les 35 heures. C’est une occasion que nous souhaitons saisir pour tenter une amélioration de l’organisation et pour un meilleur service rendu, comme l’a annoncé récemment Mme la ministre aux organisations professionnelles.

L’encadrement a besoin d’être renforcé, mieux utilisé et valorisé. Le rajeunissement des directeurs se traduit d’ores et déjà par des modes de management plus modernes, mais ceux-ci, confrontés à de multiples exigences de résultat, avec des moyens limités, se sentent très isolés. Aussi, au-delà du renforcement des équipes de direction obtenu - douze créations d’emplois en 1999 et vingt-deux en 2000, ce qui représente un pourcentage important pour un corps de 340 personnes -, l’effort doit être poursuivi. La direction de l’administration pénitentiaire travaille avec les directeurs sur la prospective du métier de chef d’établissement, sur l’organisation des équipes de direction, avec notamment la création d’une fonction systématique de gestion des ressources humaines qui existe rarement aujourd’hui, et lancera cette année une expérience de coaching des chefs d’établissement par un tiers pour remédier à leur isolement.

Enfin, il reste à lever la lourde contrainte de l’immobilier dont on a beaucoup parlé à la suite du livre du docteur Vasseur.

D’une part, un programme de construction de sept établissements est en cours. D’autre part, une étude a été conduite pour proposer une nouvelle tranche de 4 000 constructions, sur laquelle Mme la ministre va prochainement se prononcer en fonction des moyens budgétaires qu’elle obtiendra.

Parallèlement, est en cours d’achèvement l’élaboration des schémas directeurs de restructuration-rénovation de cinq grandes maisons d’arrêt : La Santé, Fleury-Mérogis, les Baumettes, Loos-lès-Lille et Fresnes. En fonction des moyens budgétaires qui seront obtenus, les chantiers seront plus ou moins rapides. Une étude, conduite avec un consultant extérieur sur les besoins de rénovation du parc classique, a chiffré ceux-ci à 3,2 milliards de francs. Reste maintenant à obtenir les crédits en sus d’une toute première tranche de 70 millions de francs déjà obtenue en 2000, avant que cette étude soit rendue, et, pour les établissements pour lesquels il n’y a pas d’hésitation entre fermeture et réhabilitation, engager les travaux.

Par ailleurs, la direction de l’administration pénitentiaire a engagé la refonte de la carte pénitentiaire. Ces travaux devraient durer environ un an, car ils incluent, d’une part, l’étude des besoins par zone géographique et type d’établissement en fonction de la carte judiciaire ; d’autre part, l’étude, pour chaque établissement, de la solution optimale, entre fermeture et réhabilitation. La refonte de la carte prendra en compte le souci de permettre l’encellulement individuel de tout détenu qui le souhaite ou pour lequel le médecin ne le proscrit pas.

En guise de conclusion, je dirai que les clefs permettant d’atteindre les objectifs fixés à l’administration pénitentiaire résident dans un immobilier rénové et correctement maintenu, une organisation du travail plus efficace, un renforcement de l’encadrement des détenus et une meilleure prise en charge spécifique des détenus à troubles du comportement.

M. le Président : Je vous remercie. Vous avez cité de nombreux chiffres. Cela s’avérait nécessaire pour disposer d’un point de vue général et introductif. Pour autant, jamais vous n’êtes tombée dans le piège de l’oubli de la réalité humaine.

Je souhaiterais avoir des précisions sur le nombre de détenus qui bénéficient aujourd’hui d’une cellule individuelle.

Mme Martine VIALLET : Si je puis vous dire combien il manque de cellules, en revanche, je n’ai pas en tête le nombre de détenus qui disposent individuellement d’une cellule. Je vous le communiquerai.

M. le Président : Selon vos estimations il manque 12 500 cellules ; pour autant, cela ne signifie pas que l’on peut soustraire ce nombre du nombre total des détenus.

Mme Martine VIALLET : En effet. On ne peut davantage procéder en effectuant la différence entre la capacité théorique et le nombre des détenus, puisque, en fait, entre la capacité théorique et la capacité opérationnelle, il existe une légère distinction. Dans les maisons centrales, la capacité opérationnelle est inférieure à celle théorique pour des raisons de sécurité.

M. le Président : Il serait intéressant pour la commission de disposer du nombre de détenus qui bénéficient d’une cellule individuelle.

De quelle marge d’autonomie dispose un chef d’établissement pénitentiaire par rapport à l’administration centrale ? Dans quelle mesure rend-il compte ? Dans quelle mesure prévalent des règles générales ? Quelles difficultés ou quels incidents se règlent à l’échelon local ou au contraire à l’échelon central ? a Mme Martine VIALLET : En théorie, le chef d’établissement dispose d’une large capacité d’autonomie pour la gestion des détenus dans son établissement. En réalité, l’autonomie est variable et se mesure davantage vis-à-vis de la direction régionale que par rapport à l’administration centrale. Nous avons déconcentré aux directeurs régionaux, non seulement des pouvoirs de gestion et d’affectation, mais aussi l’animation des chefs d’établissement. La pratique des directeurs régionaux varie : certains laissent leurs chefs d’établissement très autonomes contrairement à d’autres. Cela ne dépend pas uniquement de la qualité intrinsèque de tel ou tel chef d’établissement, mais surtout du mode de gestion des directeurs régionaux. Certains sont plutôt des gestionnaires et donc interviennent peu sur la détention ; d’autres, au contraire, sont moins administratifs et interviennent très fortement auprès de leurs chefs d’établissement.

Au-delà de ces généralités, pour le fonctionnement courant de la détention, le chef d’établissement est très autonome. En matière de discipline des détenus, c’est bien le chef d’établissement ou, par délégation, l’un de ses collaborateurs qui dispose du pouvoir disciplinaire et qui l’exerce réellement. En revanche, les recours hiérarchiques sont exercés auprès des directeurs régionaux.

La gestion des incidents relève en premier lieu de la responsabilité du chef d’établissement. S’il a le sentiment qu’il ne pourra maîtriser un incident, notamment un incident collectif, il appelle le directeur régional qui le conseille ou vient sur place. Certains directeurs régionaux se déplacent pour aider à la négociation dès qu’un certain nombre de détenus montent sur les toits avec des boules de pétanques. Dans d’autres cas, le directeur régional n’intervient que lorsque toutes les issues de négociations sont fermées.

Pour la remontée des informations, en revanche, la prégnance de la hiérarchie est plus forte : tout incident donne lieu à une remontée d’information vers la direction régionale qui, elle-même, transmet à la direction centrale. La remontée n’est immédiate vers l’administration centrale que pour les incidents les plus graves. Nous avons fixé par écrit une procédure de remontée de l’information, que je pourrai vous adresser, pour les incidents sur lesquels nous voulons être informés rapidement. Personnellement, j’interviens peu sur les incidents. Je sais que certains de mes prédécesseurs intervenaient davantage sur la gestion directe de l’incident au moment même où il se produisait alors que j’estime que nous sommes loin et donc moins bien placés pour agir. Au surplus, il faut responsabiliser l’échelon de proximité qui a en main l’ensemble des données pour agir. En revanche, j’analyse les incidents importants et lorsque j’estime que l’un d’entre eux traduit un dysfonctionnement, je demande un compte-rendu plus détaillé et, le cas échéant, j’envoie l’inspection de l’administration pénitentiaire.

M. le Président : Une étude a-t-elle été menée récemment sur les violences sexuelles dans les prisons ? Quelle est l’étendue du phénomène et quels moyens sont envisageables pour y remédier, au-delà des problèmes liés à l’immobilier ?

Mme Martine VIALLET : Il n’y a pas d’études récentes sur les violences sexuelles entre détenus. Sur les moyens, je suis persuadée que la question de l’immobilier est très prégnante, car il est très difficile de contrôler ce qui se passe la nuit dans les cellules à plusieurs détenus. Indépendamment de cela, la question de la surveillance des douches se pose, dans la mesure où beaucoup d’actes délictueux, ou pire, se commettent en ce lieu où trop souvent les surveillants enferment les détenus.

Une première solution -très difficile à faire accepter par les surveillants - consiste à leur demander de rester dans les douches. Ils ne veulent pas être taxés de voyeurisme et c’est psychologiquement très délicat - je suppose que vous aurez l’occasion d’en parler avec eux -. Nous rejoignons la question immobilière en évoquant la deuxième solution qui serait l’installation de douches individuelles dans les cellules, ce qui n’est pas possible dans la plupart des établissements existants.

Une autre voie, pour lutter contre les violences consisterait à installer systématiquement des interphones dans les cellules. Cela ne signifie pas que les détenus pourraient, systématiquement en cas d’agression sexuelle ou autres, appeler par l’interphonie - l’agresseur ne le permettrait pas -, mais la probabilité qu’il puisse alerter serait plus forte. Aujourd’hui, toutes les cellules n’en sont pas équipées.

M. le Président : Une étude récente fait-elle le point sur le taux de récidive à la sortie de la prison ?

Mme Martine VIALLET : Les résultats dont nous disposons ne sont pas très récents, mais une étude est en cours. Elle est très longue, puisqu’elle doit reprendre des dossiers anciens. En effet, il faut mesurer la récidive plusieurs années après la sortie. C’est un traitement manuel qui s’opère à partir du fichier du casier judiciaire de Nantes.

M. le Rapporteur : Un élément fort de la vie à l’intérieur des établissements tient dans les règlements intérieurs, règlements divers, auxquels viennent s’ajouter souvent les us et coutumes non-écrits, mais imposés aux détenus dès leur arrivée, et aux surveillants nouveaux auxquels on fait savoir ce qui se fait et ce qui ne se fait pas dans l’établissement ou dans tel secteur de l’établissement. Un travail particulier a-t-il été entrepris, non pour uniformiser, mais du moins pour vérifier les contenus de ces règlements intérieurs et pour mesurer l’apport des us et coutumes qui organisent la vie intérieure de l’établissement ?

Mme Martine VIALLET : Les règlements intérieurs sont effectivement divers. Ils sont déposés dans les directions régionales. Nous achevons un travail de refonte d’un règlement intérieur type. Nous nous y étions engagés auprès de la Commission nationale consultative des droits de l’homme. Il aboutira prochainement. Ensuite, il conviendra de vérifier la conformité des règlements intérieurs à ce règlement type.

La gestion est effectivement très différente d’un établissement à l’autre. Nous n’avons pas procédé à un recensement des us et coutumes ; en revanche, lorsque l’inspection des services pénitentiaires se rend dans un établissement, elle essaye de détecter ceux qui sont contraires à la réglementation et ceux qui, sans y être contraires, sont regrettables. Cela donne lieu à un certain nombre de recommandations, voire à des sanctions disciplinaires.

Pour lutter contre les spécificités des us et coutumes, nous essayons de développer des groupes de travail consacrés à la méthodologie. Je citais précédemment la méthodologie de la prise en charge des mineurs. Il est vrai que travailler avec les surveillants et le reste du personnel sur de nouvelles modalités de prise en charge des mineurs signifie que les us et coutumes d’un établissement sur cette partie de la détention vont disparaître. Nous réfléchissons aux moyens d’instaurer un débat avec les partenaires extérieurs. C’est là aussi, par l’échange, un moyen de diminuer l’influence des us et coutumes. Dans les établissements à gestion déléguée du programme " 13 000 ", la présence de partenaires du secteur privé a beaucoup contribué - outre le fait que ces établissements étaient neufs - à éviter la reproduction d’us et coutumes venant d’autres établissements. M. le Rapporteur : Qu’en est-il des problèmes spécifiques de l’incarcération des femmes ? Les femmes ne dépassent pas 3,7 % des effectifs de détenus, mais les conditions d’enfermement doivent être spécifiques, notamment pour les jeunes femmes qui ont des enfants. De quels moyens disposez-vous actuellement ?

Mme Martine VIALLET : C’est à la fois un public plus facile et plus difficile. Plus facile, dans la mesure où il s’avère moins violent et cela se ressent en visitant leurs locaux de détention mieux entretenus et moins dégradés. En revanche, elles sont moins nombreuses et, en conséquence, sont généralement affectées dans des parties des établissements plus éloignées des salles d’activités. La mixité en détention étant interdite, elles bénéficient de moins d’activités, de moins d’animations extérieures. Je ne parle ni des Baumettes ni de Fleury-Mérogis, mais des petits quartiers femmes. Là réside un handicap auquel nous remédions dans les constructions neuves en prévoyant systématiquement des salles d’activités spécifiques.

Nous n’accueillons pas les enfants au-delà de dix-huit mois. Au surplus, nous n’incitons pas la mère - qui reste libre de sa décision - à garder l’enfant jusqu’à cet âge-là, car il est assez difficile pour un enfant de vivre en détention. Une circulaire du garde des sceaux, de juillet dernier, vise à améliorer leur situation et surtout à préciser un certain nombre de règles pour les enfants en détention. Nous préparons la sortie de l’enfant. A titre d’exemple, l’enfant va en crèche, sauf si la mère le refuse. Un intervenant extérieur vient le chercher le matin et le ramène le soir. Cela habitue l’enfant à la socialisation et le prépare à vivre dans une famille d’accueil. Nous disposons aussi d’installations améliorées pour femmes avec enfant. De plus en plus, elles disposent d’une cellule double qui permet que l’enfant soit isolé tout en étant en communication avec sa mère.

M. Robert PANDRAUD : Vous êtes directeur de l’administration pénitentiaire depuis un an. Dans vos fonctions, pouvez-vous estimer le temps que vous passez à diriger votre personnel ? J’ai moi-même dirigé une grande administration centrale ; en la quittant, je me suis dit que j’avais uniquement dirigé le personnel. L’on finit dans beaucoup de postes à n’être que directeur du personnel, passant de commissions techniques paritaires en commissions administratives et de la gestion des petits conflits à celle des grands au détriment de l’activité principale. La pluralité syndicale, vos problèmes locaux, vous absorbent-ils beaucoup ?

Mme Martine VIALLET : Il n’est pas facile de répondre. J’ai eu la chance depuis un an de ne pas avoir traversé de grands conflits sociaux, ce qui m’a épargné du temps. Il est vrai, toutefois, que l’administration pénitentiaire connaît une très grande diversité syndicale avec neuf organisations professionnelles représentatives pour 26 000 agents. Le temps consacré au personnel varie grandement selon les périodes, mais j’avancerai approximativement un taux de 20%. Je ne préside moi-même que peu de commissions administratives paritaires ; beaucoup sont présidées par mon adjoint ou par le sous-directeur des ressources humaines, ce qui facilite les choses. Le temps que je passe à la gestion du personnel est plutôt consacré au personnel de direction, y compris pour présider les conseils de discipline. Je l’emploie également à des discussions informelles avec les organisations professionnelles, que j’essaye de voir régulièrement même si j’estime que je ne prends pas assez le temps de discuter avec l’ensemble d’entre elles. J’en consacre beaucoup aux réformes, que ce soit celles portant sur la gestion du personnel ou sur les politiques. J’en consacre également beaucoup à la visite d’établissements.

M. Robert PANDRAUD : Nous avons beaucoup de lois de régularisation de situations générées par des erreurs de forme ou de fond commises avant votre arrivée. Hier encore, nous avons été obligés de régulariser des tableaux d’avancement très anciens. Nous y avons procédé, mais nous dénonçons régulièrement cet état de fait.

Avec neuf syndicats, vous êtes toujours confrontée à des revendications plus ou moins légitimes des représentants du personnel. Ne pensez-vous pas qu’il serait souhaitable, au plan gouvernemental, de donner les mêmes statuts aux personnels de sécurité - police et pénitentiaire ? Nous continuons à commettre une erreur prodigieuse dans la gestion de la fonction publique en gérant d’une façon uniforme deux catégories totalement différentes : celle qui recouvre les agents devant assurer leurs fonctions 365 jours par an et les personnels des bureaux d’administrations centrales. Lorsque l’on donne une heure à ces derniers, cela ne gêne en rien ; lorsque l’on donne une heure aux premiers, cela provoque des désordres prodigieux. Ne serait-il pas souhaitable que le régime horaire des uns - infirmières, policiers, surveillants - soit totalement différencié des autres catégories, notamment pour négocier l’application d’une réforme sociale d’envergure ?

Mme Martine VIALLET : Il ne paraît pas souhaitable de raisonner en isolant les seuls personnels de sécurité, puisque si le personnel pénitentiaire concourt à une mission de sécurité, il exerce aussi une mission liée à la réinsertion. Cela dit, à la fin de votre intervention, vous avez évoqué les personnels hospitaliers en retenant le critère des 365 jours. Effectivement, la vraie spécificité des personnels pénitentiaires est d’appartenir à une catégorie qui remplit un service public de façon absolument ininterrompue.

Dans le cadre de la négociation sur les 35 heures, nous souhaitons, avec Mme la ministre, tenir compte de la spécificité des fonctions pénitentiaires. Allons-nous aboutir à une solution uniforme pour tous les secteurs de notre administration ? J’aurais tendance à raisonner en termes de métiers et à m’inspirer assez fortement de ce qui se passe dans les hôpitaux tant les similitudes sont nombreuses, notamment en raison du service de nuit, et, par ailleurs, à examiner ce qui se passe chez nos voisins européens en termes de statut et d’organisation du travail dans les établissements pénitentiaires.

M. Robert PANDRAUD : A la lecture de la presse, on se plaint alternativement des brimades auxquelles sont soumis les détenus - fouille à corps, fouille systématique des cellules - et du fait que les prisons soient un haut lieu du trafic de stupéfiants. Comment entre la drogue ? Disposez-vous d’enquêtes judiciaires sur les responsabilités qui peuvent incomber à la famille, aux voisins, aux avocats - je suis désolé pour ceux qui en sont -, aux aumôniers et tous ceux qui ont des contacts normaux avec les détenus ?

M. le Président : Quelle est l’étendue du phénomène et d’où cela vient-il ?

Mme Martine VIALLET : L’étendue du phénomène varie selon les établissements. Je ne dispose pas de chiffres car, par définition, nous ne mesurons que ce qui fait l’objet d’une procédure. La surface émergée de l’iceberg est constituée de procédures judiciaires ou disciplinaires. Je vous communiquerai les statistiques en la matière. Nous prononçons régulièrement des sanctions disciplinaires à l’encontre de détenus, mais aussi à l’encontre de surveillants lorsqu’ils se livrent à ce genre de trafic.

Les modes d’introduction des stupéfiants sont multiples. Des personnes venant de l’extérieur, notamment les familles, introduisent des stupéfiants, du haschich surtout et parfois d’autres produits. Certes, des fouilles sont pratiquées, mais il n’y a pas de fouille à corps systématique à l’issue de chaque parloir. Une fouille à corps prend du temps et n’est pas toujours facile, tant pour le détenu que pour le surveillant.

Beaucoup de fouilles à corps sont pratiquées, elles sont totalement nécessaires et, même s’il est donné de lire parfois dans la presse qu’elles sont choquantes, je reste persuadée de leur nécessité dans la lutte contre les stupéfiants. Il est inadmissible qu’il y ait des stupéfiants en prison.

D’autres moyens sont utilisés pour faire entrer de la drogue en détention notamment la projection à partir de l’extérieur, notamment dans les établissements situés en zone urbaine. Pour éviter cela, le personnel passe régulièrement dans les chemins de ronde et les cours de promenade, mais des stupéfiants passent, nous le constatons.

Reste la fouille des cellules, mais les cellules ne sont pas fouillées tous les jours et lorsque l’on commence, très vite, les détenus des cellules d’à côté sont informés par le système de communication par les fenêtres. Dès lors, ils peuvent se débarrasser des produits, notamment dans les toilettes.

Ce n’est donc pas lors des fouilles que nous trouvons le plus de stupéfiants. Cela dit, nous trouvons d’autres choses comme des téléphones portables.

M. Robert PANDRAUD : Je me souviens qu’en charge de certaines affaires, toutes les enquêtes sur les armes pénétrant en prison aboutissaient à deux catégories : les aumôniers et les avocats, les aumôniers étant les plus assidus ! Cela s’explique par l’absence de mobilité de ces derniers qui restent à vie ou presque dans leur fonction, la durée les conduisant à s’acclimater au terrain !

Ne pensez-vous pas que, pour des questions strictement humanitaires, une limite d’âge devrait s’appliquer aux détenus ?

M. le Président : Cela rejoint une partie très intéressante de vos propos liminaires sur l’augmentation du nombre de personnes âgées en détention connaissant des problèmes de dépendance. Convient-il de fixer certaines limites d’âge ou, éventuellement, avec l’affaiblissement de la dangerosité, de prendre des mesures plus générales ?

Mme Martine VIALLET : C’est là un point très difficile sur lequel nous n’avons que peu travaillé, car le problème se pose depuis peu.

En visitant certains établissements, notamment celui de Liancourt, j’ai été frappée de voir des détenus qui marchaient, appuyés sur un tripode. On m’a expliqué que certains nécessitaient une aide pour effectuer des actes de la vie personnelle.

Il existe deux catégories de détenus : incarcérés assez âgés, certains purgent des peines encore couvertes par la période de sûreté ; d’autres non. La première, sauf à modifier la loi, ne peut faire l’objet d’une quelconque mesure d’aménagement de peine ou de libération conditionnelle.

Dans l’absolu, lorsqu’une personne n’est qu’au début de la dépendance, seulement pour certains actes et non pas totalement, je considère qu’elle peut encore être dangereuse. En revanche, à partir d’un certain niveau de dépendance, la dangerosité devient très faible.

Parmi les personnes âgées en détention, il en est beaucoup condamnées pour harcèlement sexuel, viol ou inceste. Il est clair qu’elles peuvent, malgré leur dépendance, être animées de certaines pulsions ou risquer des tentatives. Néanmoins, je pense qu’il arrive un âge où la dangerosité devrait être considérée de plus en plus faible.

M. Robert PANDRAUD : Un seul sexe étant représenté dans les prisons, cela ne peut que favoriser les agressions sexuelles et, en définitive, l’homosexualité alors que les parloirs mixtes sont une bonne chose. Qu’en est-il ?

M. le Président : Nous n’avons pas abordé la question des parloirs. Pourriez-vous nous rappeler, madame, l’état de la réglementation et celui, peut-être différent, de la pratique ?

Mme Martine VIALLET : L’autorisation de visite est accordée assez facilement. La question principale est celle de la disponibilité des locaux par rapport au nombre de détenus, notamment en maisons d’arrêt, où favoriser des parloirs fréquents constitue une vraie difficulté.

Il est à noter, parmi les sanctions disciplinaires, la privation de parloir. Les parloirs sont normalement sans séparation physique. Dans chaque établissement, il existe des parloirs avec séparation physique, précisément utilisés lorsque le détenu se voit interdire, à titre de sanction, le parloir sans séparation physique. Normalement, il ne doit y avoir ni contacts ni relations sexuelles dans les parloirs. Il est exact toutefois que les personnels de surveillance, pour des raisons humaines, font preuve d’une certaine tolérance. Pour cette raison, seront expérimentées, sur trois sites, les unités de visite familiale, qui ne seront pas des parloirs et qui permettront, pour les détenus qui ne bénéficient pas de permission de sortir, d’être visités par leur famille, notamment par leur conjoint, mais pas uniquement, pendant vingt-quatre à quarante-huit heures. Nous verrons si cette possibilité sera effectivement utilisée et comment cela se passera. Les surveillants sont un peu sur la réserve, mais nous sommes confiants.

M. Claude GOASGUEN : Je poserai trois questions portant sur le même thème.

En vous écoutant et à la lecture des notes qui nous ont été communiquées, on a le sentiment que la direction de l’administration pénitentiaire - qui ne doit pas être facile à gérer - est davantage préoccupée des problèmes liés au personnel. Je me pose la question de vos relations avec l’extérieur. Je la poserai à trois niveaux. Vous répondrez ainsi globalement sur votre politique de communication, car je crois que c’est là un élément essentiel dans notre débat. On a le sentiment d’une fermeture de l’administration pénitentiaire et des prisons, laquelle contribue très largement à provoquer des excès à l’intérieur et des angoisses à l’extérieur.

Tout d’abord, comment communiquez-vous avec l’extérieur ? Existe-t-il des services de relations extérieures à l’administration centrale et dans les prisons ?

Ensuite, vous nous avez expliqué, madame, qu’en matière de communication interne, remontait à l’administration centrale le signalement d’un certain nombre de faits. Vous avez parlé "des incidents les plus graves". Que recouvrent-ils ? Comment classifiez-vous les incidents les plus graves par rapport aux autres ?

Enfin, le troisième point est plus complexe et plus préoccupant. Le code de procédure pénale confère au procureur de la République des obligations dans le domaine de l’information sur les prisons. Le code pénal est formel : il demande au procureur, tous les trois mois au moins, de se déplacer dans les prisons de son ressort, de participer au conseil de surveillance et de s’informer par tous moyens. Quelle est la relation de l’administration pénitentiaire avec le procureur ? Quels sont les moyens dont il dispose pour s’informer ? S’agit-il de simples visites formelles ? Comment communiquez-vous avec le parquet ?

Mme Martine VIALLET : Vous avez raison : l’administration pénitentiaire n’est pas très bonne en communication. Nous sommes d’autant moins bons que tout le monde croit que nous sommes fermés alors que nous ne le sommes pas tant que cela ! L’année dernière, nous avons accordé à la presse environ 243 autorisations de pénétrer dans les établissements ; mieux, nous en avions donné une quarantaine pour la prison de la Santé. Or quand nous avons ouvert les portes au lendemain de la parution du livre du docteur Vasseur, les journalistes se sont tous exclamés : "Enfin, la prison de la Santé s’ouvre ! ". Alors qu’au cours de l’année qui venait de s’écouler, nous avions donné des autorisations, l’impression était subjectivement que cet établissement était fermé.

Nous disposons d’un service de relations extérieures, le service de communication et de relations internationales, qui travaille en liaison étroite avec le service d’information et de communication de l’ensemble du ministère. C’est un tout petit service qui, paradoxalement, compte peu de spécialistes en communication mais essentiellement des personnes performantes sur les supports, c’est-à-dire pour la réalisation de documents, moins sur leur contenu. C’est l’une de mes préoccupations et je suis actuellement en train de modifier le service de la communication. Ce n’est pas la première chose que j’ai faite en arrivant, mais cela me semble absolument nécessaire. Certes, nous disposons de bons documents, mais cela ne suffit pas pour bien communiquer.

Dans les régions, il existe un petit service chargé de la communication, dont l’efficacité est très variable selon les régions.

Au niveau des établissements, personne n’est spécifiquement chargé de la communication. C’est l’un des problèmes de l’organisation des équipes de direction et plus généralement de la gestion des établissements. Il est souhaitable, qu’au sein de chaque établissement, une personne soit spécifiquement chargée de la communication. C’est le cas dans les très gros établissements de la région parisienne, mais pas dans la plupart des établissements. Notre communication repose essentiellement sur les talents individuels des personnes.

Pour ce qui est de la remontée des incidents, les incidents les plus graves sont les suicides de détenus et de membres du personnel ; les décès pour causes naturelles ou les décès dont les causes ne sont pas encore identifiées ; les agressions entre détenus ou sur le personnel ; les mouvements collectifs revêtant une certaine importance. Il en existe d’autres, mais voilà les principaux. Je vous ferai parvenir la liste de l’ensemble des procédures et des incidents.

J’en viens à la façon dont les procureurs sont tenus informés. D’une façon générale, ce sont bien les procureurs qui dans le monde judiciaire s’intéressent le plus aux prisons et qui exercent le mieux les fonctions qui leur sont conférées par la loi en la matière. Certes, c’est aussi le cas des juges d’application des peines, mais c’est la moindre des choses !

Beaucoup de procureurs se déplacent régulièrement, certains tous les trois mois, d’autres moins ou plus. Je suppose que vous poserez la question lorsque vous verrez les chefs d’établissements.

Les chefs d’établissement ont tendance à solliciter les procureurs pour leur demander des conseils. Ce n’est pas le cas de tous, mais beaucoup sollicitent des conseils lorsqu’ils sont confrontés à une situation difficile. Ce conseil génère en même temps de l’information. Bien sûr, les faits pour lesquels une poursuite doit être envisagée donnent lieu à une information par les chefs d’établissement. En revanche, il n’y a pas de circuits formels et réguliers d’information. Dans beaucoup d’établissements, les surveillants tiennent des carnets d’observation, que les procureurs ont le droit de consulter. Certains se les font systématiquement communiquer, les lisent, alors que d’autres ne les réclament pas. Dans certains établissements, les carnets d’observation sont tombés en désuétude parce que si le chef d’établissement ou sa hiérarchie intermédiaire ne les exploite pas et si, par ailleurs, les procureurs ne les demandent pas, le personnel ne ressent plus la nécessité de les tenir. Quand l’inspection des services pénitentiaires se rend en établissement, elle se fait automatiquement communiquer les carnets d’observation des surveillants et les suites qui ont pu être données aux observations, mais leur tenue est très inégale selon les établissements.

Mme Catherine TASCA : Madame, vous avez souligné que vous vous étiez engagée dans l’amélioration de la prise en charge des détenus, mais vous avez peu fait mention de l’objectif "scolarisation-formation". Comment le situez-vous dans l’ensemble de la politique pénitentiaire à venir ? Quels sont les moyens et les résultats de cette politique, au-delà de l’obligation de scolarisation des mineurs ? Quelles actions sont menées pour les autres détenus ?

Dans la suite de la préoccupation évoquée par notre rapporteur, la population féminine, peu nombreuse et sur laquelle nous pouvons donc entreprendre des actions tests, est souvent particulièrement démunie sur le plan de la formation initiale, voire de l’alphabétisation. Qu’est-ce qui est fait et qu’est-ce qui est envisagé dans ce domaine ?

Mme Martine VIALLET : 21 % des détenus sont illettrés ou sont au seuil de l’illettrisme et 16 % ont un niveau de scolarité inférieur à celui de la fin des études primaires.

Je n’ai quasiment pas parlé de la scolarisation, car il s’agit d’une politique classique dans les établissements pénitentiaires, mais elle est en développement.

Nous disposons de 407 instituteurs ou professeurs à temps plein ou partiel et 37 enseignants du secondaire. L’essentiel de leur intervention porte sur la mise à niveau car il s’agit en grande partie d’instituteurs. Nous comptons 700 enseignants vacataires et 800 intervenants bénévoles de l’association GENEPI qui font beaucoup d’aide à l’alphabétisation et à la scolarisation.

Nous avons engagé un programme de lutte contre l’illettrisme. Mis en place depuis 1995, il a permis d’augmenter de 21 % les réussites des détenus au certificat de formation générale. Ce sont de véritables progrès.

Pour les mineurs, un renforcement du nombre de postes d’enseignants mis à disposition par l’Education nationale est intervenu. A la suite d’un rapport des deux inspections - l’Inspection générale des services judiciaires et l’Inspection générale de l’Education nationale sur l’enseignement des jeunes détenus, notamment à Fleury-Mérogis - Mme Ségolène Royal a formulé des recommandations, dont l’augmentation du nombre des enseignants et des postes ont été créés à la rentrée dernière.

A l’heure actuelle, 29 000 détenus sont inscrits dans différentes actions d’enseignement. Les trois quarts des mineurs sont scolarisés, mais l’obligation scolaire s’interrompant à seize ans, nous avons beaucoup de difficultés pour que les 16-18 ans suivent des cours.

Pour améliorer l’enseignement, il faudrait pouvoir disposer d’un plus grand nombre d’heures. Se pose aussi le problème déjà évoqué de l’organisation de la journée de la détention : nombre de détenus indigents sont aussi illettrés ou ne disposent que d’un faible niveau d’éducation. Ils veulent gagner de l’argent et sont donc inscrits en priorité au travail, soit dans les services généraux, soit dans les travaux rémunérés par l’extérieur. Ils ne disposent par conséquent que de très peu de temps pour suivre un enseignement. Le groupe de travail "indigence" formulera des recommandations pour mieux concilier le travail et la scolarisation.

12 % des détenus sont en formation professionnelle qualifiante. Par ailleurs, lorsqu’un détenu, par exemple, cuisine dans un établissement, que son niveau est suffisant et que l’encadrement est assuré par des personnes d’une qualification suffisante, nous sommes en train d’essayer de faire en sorte que cette activité puisse valoir formation professionnelle, pour que, à la sortie, cette formation puisse être valorisée pour obtenir un travail.

Mme Catherine TASCA : Nous souhaiterions que vous nous fournissiez ultérieurement des éléments sur les actions en direction des femmes, car leur demande est réelle.

Ma seconde question porte sur la gestion des chefs d’établissement. Quelle est la politique de mobilité ? A la maison d’arrêt de Bois-d’Arcy, en trois ans, trois directeurs se sont succédés. Or ce que vous nous avez dit montre le poids de la personnalité du chef d’établissement dans la gestion de la détention. Est-ce un malheureux hasard ? Comment concevez-vous le problème ?

Mme Martine VIALLET : Nous rencontrons une grosse difficulté de gestion du corps de directeurs. Tout d’abord, nous enregistrons des départs, des personnes étant attirées par la magistrature et par le corps préfectoral. Par ailleurs, dans la génération des directeurs pouvant prendre la responsabilité de gros établissements, le choix de directeurs de qualité est trop faible. Un départ provoque donc des mouvements trop rapides. Vous avez cité Bois-d’Arcy ; il en va de même de la Santé qui a vu défiler rapidement de nombreux directeurs. C’est un vrai problème, compte tenu du poids des directeurs dans le mode de gestion actuelle qui n’est pas organisé, sauf exception, en équipe de direction, mais véritablement autour du directeur selon un dispositif très hiérarchisé.

Dans la mesure où les contraintes de gestion ne nous obligent pas à faire autrement, nous cherchons donc à stabiliser les situations. Il a été clairement indiqué à leur arrivée aux directeurs des principales maisons d’arrêt - Fleury-Mérogis, Fresnes et la Santé - que mon prédécesseur a nommés, qu’il était souhaité qu’ils s’engagent à rester un certain temps. J’aurais d’ailleurs été très tentée de retenir l’un d’entre eux à un poste important en administration centrale où il eût été parfait ; j’y ai renoncé, parce qu’il n’occupait son poste que depuis un an.

Deux directeurs régionaux doivent cependant être remplacés et je risque d’être amenée à faire une petite entorse à ces grands principes.

Nous essayons également de construire des gestions de carrière pour le personnel, car ce que vous avez noté pour de gros établissements existe pour tous les établissements. Mon prédécesseur a créé un bureau de la gestion des carrières des personnels d’encadrement pour les directeurs d’établissement, et, d’une façon générale, pour tous les cadres de la pénitentiaire de niveau A, afin de construire un profil de carrière et une gestion prévisionnelle des affectations et de la carrière des directeurs. Cela commence tout juste.

Mme Frédérique BREDIN : Ma première question porte sur la capacité théorique et la notion de surpeuplement dans les prisons. Quels sont les critères qui permettent de fixer la capacité théorique, c’est-à-dire quel est le nombre de mètres carrés par détenu ? Comment est géré par l’administration pénitentiaire le surpeuplement ? Où sont placés les détenus qui arrivent en surnombre et selon quels critères ? Y a-t-il une gestion pour essayer d’anticiper le surpeuplement et donc l’éviter ?

Mme Martine VIALLET : : Je vous transmettrai la circulaire relative aux normes afin de prévenir toute erreur. Dans mon souvenir, ce sont 9 mètres carrés pour une cellule individuelle et 12 mètres carrés pour une cellule à deux. Il convient toutefois de souligner que l’on diminue la capacité théorique en fonction de la situation effective d’une cellule et de sa non-commodité.

Le surpeuplement est difficilement géré pour les maisons d’arrêt. Normalement, la personne est incarcérée dans la maison d’arrêt du ressort du tribunal où se trouve le juge d’instruction qui l’a incarcérée. Avec l’accord des juges d’instruction, nous procédons parfois à des transferts à l’intérieur d’une région pénitentiaire. Lorsqu’une maison d’arrêt est trop surencombrée, nous transférons à la maison d’arrêt la plus proche, la moins surencombrée, quitte pour celle-ci à procéder à un transfert en conséquence. Cela n’est possible qu’avec l’accord des juges d’instruction et à la condition que la région elle-même ne soit pas trop surencombrée. Pour la région Ouest, les établissements le sont tous. Nous rencontrons alors quelques difficultés à procéder à de "bons désencombrements".

Mme Frédérique BREDIN : Pourquoi n’y a-t-il pas séparation des toilettes dans les cellules ? Cela vous paraît-il incontournable ? Quelle est la justification théorique et pratique de ce que l’on voit souvent dans ces cellules et quel est le nombre de douches autorisé par détenu ?

Mme Martine VIALLET : Le code de procédure pénale a été modifié fin 1998 et fixe à trois le nombre de douches par semaine, dans la mesure du possible. A ces trois douches, s’ajoute une douche après les activités sportives. Dans les faits, le nombre de trois douches hebdomadaires est quasiment atteint partout et elles sont beaucoup plus fréquentes dans certains établissements. S’il n’est pas toujours possible de dépasser trois douches, c’est faute d’une production d’eau chaude suffisante ou par manque de personnel. Il s’agit essentiellement de raisons techniques.

S’agissant des toilettes, on considérait autrefois qu’il fallait qu’un détenu puisse être vu par le surveillant en permanence. C’est la raison pour laquelle les toilettes n’étaient pas séparées. Nous sommes revenus sur cette exigence et les dispositifs de séparation des toilettes existent dans tous les établissements récents. Dans les établissements où il n’y a pas de séparation, les détenus ont "bricolé" des séparations, que nous tolérons, même si elles ne sont pas très satisfaisantes.

Au titre du programme de séparation des toilettes, nous avons demandé aux directeurs régionaux de consacrer des crédits pour procéder à cette séparation chaque fois que possible compte tenu de la taille de la cellule.

Mme Frédérique BREDIN : Dans le cadre du débat sur la présomption d’innocence, Mme la garde des sceaux a déclaré que des expériences sur le bracelet électronique étaient en cours. Pouvez-vous nous dire où elles en sont et quelle ampleur elles revêtent ?

Mme Martine VIALLET : Les expériences commenceront sous quatre mois. Ce sont les études sur les expériences étrangères qui ont d’ores et déjà été entreprises. Nous avons étudié la façon dont les pays étrangers ont mis en _uvre le bracelet électronique afin d’éviter les difficultés et de retenir les meilleurs systèmes organisationnels.

Nous lançons actuellement les appels à candidatures aux prestataires de services qui interviendront pour le fonctionnement du bracelet électronique.

M. Jacky DARNE : L’Inspection des services pénitentiaires est-elle placée sous votre autorité ? De quoi la saisissez-vous ? Quels rapports établit-elle ? Quelles suites y sont données ? Un rapport annuel de l’Inspection est-il publié, auquel nous pourrions avoir accès ?

Mme Martine VIALLET : L’Inspection des services pénitentiaires est placée sous mon autorité, c’est-à-dire que c’est moi qui approuve son programme d’inspection et qui lui demande de se rendre à tel ou tel endroit. J’ai développé les inspections inopinées - les inspections surprises - à mon sens insuffisamment nombreuses auparavant.

Il n’existe pas un rapport spécifique de l’Inspection, mais, à l’intérieur du rapport annuel de l’administration pénitentiaire, des développements lui sont consacrés. Dans le rapport pour 1998 en cours de parution, j’ai fait développer plus particulièrement la partie sur l’inspection.

M. Jacky DARNE : Pouvez-vous nous communiquer le rapport pour 1998 ?

Mme Martine VIALLET : Nous l’avons transmis hier à vos services.

M. le Président : D’où l’utilité d’une commission d’enquête !

M. Jacky DARNE : Vous avez cité dans votre propos introductif le nombre de surveillants par détenu, soit 2,6.

En visitant les prisons de l’agglomération lyonnaise à laquelle j’appartiens, j’ai relevé de grandes différences du nombre de surveillants entre Saint-Paul et Saint-Joseph et Villefranche. La moyenne cache-t-elle des écarts très importants ? Que pensez-vous du nombre des surveillants dans les établissements modernes, car il semble que les détenus s’y suicident plus souvent qu’ailleurs faute de présence humaine, alors que le cadre matériel est bien meilleur ? Quelle part faites-vous entre l’aspect matériel et l’encadrement humain ?

Mme Martine VIALLET : Il est vrai qu’il existe des écarts importants liés d’une part à la configuration des établissements, d’autre part, à des traditions. Certains écarts sont justifiés, d’autres le sont moins. Nous avons procédé à une petite étude, à la valeur scientifique toute relative. Si nous fermions des établissements pour les remplacer par des établissements neufs, gagnerions-nous ou perdrions-nous du personnel ? Nous nous sommes appuyés sur les prisons de Lyon. Si nous retenions pour un établissement neuf les normes des programmes de construction actuelle, nous gagnerions des effectifs en nombre important. Le gain est dû à la disposition irrationnelle des prisons de Lyon. En revanche, nous ne gagnerions pas de personnel en fermant à Nice.

Certains écarts sont moins justifiés. J’ai demandé à mes collaborateurs de procéder à une étude à partir d’établissements aux caractéristiques un peu semblables pour comprendre les écarts et les apprécier.

Les normes en matière de personnel pour les établissements récents correspondent à l’accomplissement d’un certain nombre de fonctions. Dans la mesure où il s’agit d’établissements conçus avec une grande rationalité, ils sont globalement économes en termes de personnels, mais avec des conséquences, par exemple, pour les surveillances des cours de promenade. Contrairement aux établissements d’autrefois, il s’agit de grandes cours pour lesquelles la surveillance est prévue, soit par une échauguette, soit par un mirador, et de fait, il n’y a pas de surveillants dans la cour de promenade. Lorsque cent personnes sont sur une telle cour, on ne peut y envoyer une seule personne, même si le terrain est surveillé de l’extérieur, car elle serait aussitôt agressée. On serait obligé d’envoyer plusieurs surveillants. Il s’y reproduit des phénomènes de terrains vagues ou de cours d’immeubles de banlieue. Si nous voulons lutter contre de tels phénomènes, qui entraînent de la violence et des phénomènes de caïdat, il faut grossir les effectifs, en nombre significatif, ce que nous n’avons pas fait jusqu’à présent compte tenu de nos difficultés en personnels.

Mme Nicole CATALA : Lors du débat sur la présomption d’innocence, l’Assemblée a entendu renforcer et rendre effectif le principe selon lequel chaque détenu à titre provisoire serait placé en cellule individuelle. Cela concerne un peu plus de 20 000 détenus aujourd’hui sur un total de 53 000. A supposer que l’on place chacun de ces détenus provisoires dans une cellule individuelle en application de la loi, quel serait le taux de surpeuplement atteint dans les autres cellules ?

M. le Président : L’amendement que vous avez voté devait s’appliquer à l’horizon de trois ans. N’est-ce pas ? Je ne sais si de tels calculs ont déjà été effectués.

Mme Nicole CATALA : Je ne demande pas une réponse immédiate, mais il me semblerait utile que nous dispositions d’informations écrites sur ce sujet dans les jours ou semaines qui viennent.

Ma seconde question porte sur les statistiques relatives à la violence. Ces actes sont-ils identifiés, dénombrés, et peut-on avoir une idée dans le temps de l’évolution de ce phénomène ?

Mme Martine VIALLET : Les agressions sur les surveillants sont d’une par jour en moyenne. Je vous ferai parvenir des chiffres plus détaillés sur l’évolution de la violence.

Mme Nicole CATALA : Une visite médicale est-elle prévue à l’entrée en prison pour chaque détenu ? Si oui, comprend-elle un examen psychiatrique ? Enfin, si un détenu a coutume de prendre des médicaments, je pense qu’on les lui autorise s’ils sont nécessaires à sa santé, mais qu’en est-il des médicaments, je n’ose dire de "confort", destinés à soulager des maux de dos, des rhumatismes ? Lui maintient-on ou lui supprime-t-on ?

M. le Président : Nous avons eu connaissance de détenus qui se voyaient priver de tels médicaments sans justification bien précise.

Mme Martine VIALLET :Une visite médicale a lieu systématiquement à l’arrivée du détenu. Lorsque l’arrivée se fait de nuit, elle n’intervient pas immédiatement, mais dans les 24 heures.

Le détenu n’est pas vu systématiquement par un psychiatre. C’est le médecin effectuant la visite médicale qui détermine s’il est souhaitable qu’il le soit.

Je ne suis pas en mesure de vous répondre sur les médicaments de confort. Ce n’est pas nous qui sommes responsables de la prescription.

M. le Président : Peut-être pourriez-vous nous informer renseignements pris ?

Mme Martine VIALLET : Bien sûr.

Mme Nicole BRICQ : Madame la directrice, vous avez cité pour la France le ratio travailleur social/nombre de détenus. Pouvez-vous nous donner des éléments comparatifs avec d’autres pays étrangers ?

Mme Martine VIALLET : Je regarderai si nous disposons d’informations dans nos archives.

Mme Nicole BRICQ : Ma deuxième question est relative au rôle central que vous avez bien voulu conférer, dans votre propos, à l’immobilier. Vous avez cité deux séries de chiffres : les établissements qui datent de la fin du XIXe siècle et le programme immobilier, entrepris depuis 1988, avec 28 établissements. Avez-vous quantifié et qualifié les améliorations apportées aux conditions de travail du personnel et au bien-être du détenu entraînées par ces rénovations et ces programmes immobiliers ? Si oui, de quelles études, de quelles enquêtes, de quelles statistiques disposez-vous ? Par qui sont-elles menées : de l’intérieur de l’administration ou les confiez-vous à des organismes extérieurs dont c’est la profession ? Disposez-vous de panels d’observation des détenus que vous suivez d’année en année, notamment ceux qui vivent de longues peines, et des personnels de l’administration pénitentiaire ?

Mme Martine VIALLET : Y a-t-il eu des études pour évaluer les améliorations des programmes récents pour les personnels comme pour les détenus ? J’ai connaissance d’une seule étude importante, confiée à un ingénieur général des Ponts et Chaussées, sur les établissements du programme des 13 000, dans la perspective d’un renouvellement, mêlant tout à la fois les aspects liés à l’immobilier et à la gestion. A ma connaissance, c’est la seule, mais je peux ne pas avoir la connaissance d’études antérieures.

A ma connaissance, l’administration centrale ne tient pas de panels d’observation d’année en année de détenus. Je ne puis toutefois vous garantir qu’un établissement ne l’a pas fait, mais je ne suis pas au courant.

M. Hervé MORIN : Deux affirmations sur lesquelles j’aimerais, madame, que vous me donniez votre sentiment, et une constatation : la prison est l’école de la récidive ; les conditions de détention des détenus sont profondément inégalitaires en fonction de leurs ressources ; je n’ai pas eu le sentiment que vous ayez abordé les alternatives à la détention et les programmes de semi-liberté.

Mme Martine VIALLET : La prison, école de la récidive ? On le dit souvent. Les études qui existent sur la récidive n’en font pas état, mais elles ne portent que sur un panel. En revanche, une étude récente, que je vous communiquerai, a été réalisée sur les mineurs. Elle prenait en compte parmi les mineurs arrivant dans un établissement pénitentiaire, ceux qui avaient déjà fréquenté la prison. Contrairement à ce que je pensais, le pourcentage de ceux qui avaient fréquenté la prison n’était pas majoritaire.

Certes, la prison est en partie une école de la récidive, mais certainement moins qu’on ne le dit.

Les conditions de la détention sont effectivement inégalitaires selon les ressources. C’est l’une des raisons pour lesquelles nous avons mis en place le groupe de travail sur l’indigence, qui s’est préoccupé à la fois de l’indigence matérielle et de l’indigence culturelle pour essayer de contribuer à remédier aux deux à la fois.

Parmi les aspects inégalitaires, il y a l’accès à la cantine. Plus on dispose d’argent venant de l’extérieur, plus on peut "cantiner". S’y ajoute l’accès à des dispositifs dont on profite à due proportion de son niveau culturel, qui va souvent de pair avec celui du revenu.

J’ai peu évoqué les alternatives. Il serait intéressant que vous profitiez de vos déplacements en province pour en débattre avec les directeurs départementaux d’insertion et de probation, car ils suivent en milieu ouvert environ 120 000 personnes. Ils pourront vous parler de la manière dont ils les suivent et vous faire part de l’opinion qu’ils ont de ces mesures. Parmi les alternatives, citons le sursis avec mise à l’épreuve. J’ai le sentiment qu’ils considèrent globalement qu’il s’agit là d’un système relativement satisfaisant, mais je préfère que ce soit eux qui vous en parlent.

La semi-liberté est une mesure d’application de la peine plutôt stagnante, d’une part parce que nous ne disposons pas de centres de semi-liberté partout, d’autre part parce que les juges ne la prononcent pas très souvent.

Parmi les alternatives, évoquons également les placements à l’extérieur. Pour qu’il y ait placement, il faut des subventions. Nous augmentons les subventions aux organismes qui accueillent des détenus en placement extérieur. La question de l’hébergement doit aussi être résolue. C’est le cas, par exemple, pour les libérations conditionnelles : il faut suffisamment de lieux d’hébergement, notamment pour les détenus les plus défavorisés, et donc des subventions de droit commun pour ces hébergements.

M. Noël MAMÈRE : Quatre courtes questions.

Pourquoi n’a-t-on toujours pas élargi la compétence de l’autorité administrative indépendante de contrôle de déontologie de la sécurité au personnel pénitentiaire alors qu’elle s’étend à la police et à la gendarmerie ?

M. le Président : Les députés ont voté ce point ce matin.

M. Noël MAMÈRE : Avez-vous, madame, entendu parler du rapport de la mission Bonnemaison, qui date de 1988 ? Il prescrivait un certain nombre d’orientations dans le cadre de la réforme pénitentiaire, en particulier la requalification des personnels pénitentiaires axée sur les aspects de sécurité publique. Il contenait cent propositions. Peut-être était-ce trop, mais que sont-elles devenues ? Avez-vous l’intention d’y revenir et peut-être d’appliquer quelques-unes de ses prescriptions ?

Mme Martine VIALLET : Un certain nombre des recommandations ont été mises en _uvre. Je n’ai pas fait le point de celles qui ne l’avaient pas été. Nous y procéderons, si vous le souhaitez.

De nombreuses actions ont été engagées en matière de requalification des personnels pénitentiaires au cours de ces dernières années. Des améliorations ont notamment été réalisées au niveau statutaire et indemnitaire. Une modification de la durée de la formation de ces personnels est également intervenue. Par ailleurs, dans la lignée des recommandations du rapport Bonnemaison, beaucoup a été fait pour améliorer les conditions de travail quotidiennes par des crédits spécifiques dont les modalités d’emploi ont été discutées avec les organisations professionnelles locales.

M. Noël MAMÈRE : Comment pouvez-vous concilier ce formidable écart entre une volonté affichée de réinsertion par la multiplication des libérations conditionnelles - si l’on suit, par exemple, le rapport Farge - et la politique pénale qui, aujourd’hui, consiste à multiplier les peines incompressibles, les peines de sûreté, donc l’allongement des peines ? Comment est-il possible à la direction de l’administration pénitentiaire de résoudre cette contradiction entre une volonté d’insertion et des décisions qui allongent la durée de détention des personnes, bien souvent transformés en bêtes fauves ?

Mme Martine VIALLET : Il est exact que si les personnes ne remplissent pas les critères actuels de la libération conditionnelle, en raison notamment des périodes de sûreté, l’administration pénitentiaire "fait avec", ce qui est difficile.

Nous avons des projets d’exécution de peine pour les détenus condamnés à de longues peines. Il n’est pas facile de mobiliser quelqu’un sur un projet d’exécution de sa peine lorsqu’il sait que l’aboutissement de cette peine est très lointain. Au reste, le rapport Farge l’indique : l’un des handicaps à l’augmentation du nombre de libérations conditionnelles tient dans la longueur des périodes de sûreté. L’administration pénitentiaire préférerait techniquement, sans se prononcer sur l’opportunité générale, que les règles soient différentes.

M. Noël MAMÈRE : Ma dernière question concerne les mineurs et les alternatives à l’emprisonnement. La loi permet d’emprisonner des enfants à partir de l’âge de treize ans. On peut se poser la question de la pertinence de l’univers carcéral et de l’enfermement pour les mineurs compte tenu des enquêtes réalisées qui prouvent toutes, à l’évidence, que les récidives sont multiples. N’y a-t-il pas d’autres solutions ? Par exemple, en favorisant tout ce qui existe autour de l’univers carcéral et tout ce qui permet la réinsertion de ces mineurs plutôt que de les accoutumer à l’enfermement et donc de les pousser à la récidive ?

Mme Martine VIALLET : Les juges nous disent n’utiliser l’incarcération des mineurs que de façon très limitée. Les statistiques, du reste, le prouvent. J’ai indiqué que le nombre des mineurs incarcérés a oscillé entre 600 et environ 1 000 en 1999, et pourtant c’est au printemps 1999 que l’on a atteint le sommet de 977 mineurs incarcérés. Ces chiffres, toutefois, restent raisonnables.

En général, le juge incarcère pour une période courte en pensant que cela peut être un moyen après que d’autres ont échoué.

Par ailleurs, nous essayons de tirer le meilleur profit de la période au cours de laquelle ils sont incarcérés. C’est pourquoi nous avons consacré beaucoup de moyens à la rénovation des quartiers de mineurs. Nous avons obtenu des crédits l’année dernière et cette année pour les rénover. Des emplois nouveaux, en nombre très élevé -128- y sont consacrés au budget de cette année pour atteindre un taux d’encadrement beaucoup plus élevé. Nous avons également défini une méthodologie adaptée de prise en charge.

En stabilisant des équipes autour des mineurs, nous pensons que nous arriverons à leur réapprendre un certain nombre de choses, par exemple, tout simplement à respecter des horaires, à se lever le matin à une heure donnée, à ne pas regarder la télévision toute la nuit, à soutenir leur attention plus de cinq minutes en cours. Telle est la pédagogie que nous essayons de développer, une pédagogie du petit nombre. Nous en espérons beaucoup, mais nous verrons seulement dans quelques années si nous avons réussi.

M. Noël MAMÈRE : J’entends votre réponse, mais je n’ai pas le sentiment que vous ayez répondu à ma question sur l’alternative à l’enfermement.

Mme Martine VIALLET : Le garde des sceaux a développé plusieurs autres moyens de prise en charge des mineurs. Ce sont, entre autres, les centres de placement immédiat, en cours de mise en _uvre. Le nombre d’emplois inscrits dans la loi de finances et sans doute dans la loi de finances à venir pour permettre les interventions de la protection judiciaire de la jeunesse montre la très forte volonté de développer de telles alternatives. Il n’en reste pas moins que, tant que ne sera pas intervenue la montée en puissance du nouveau système de prise en charge alternatif, des incarcérations auront lieu. Enfin, il est clair que certains des mineurs incarcérés ont commis des crimes ou des délits assez graves. Majoritairement, les juges pèsent leurs décisions en matière d’incarcération de mineurs.

M. Renaud DONNEDIEU DE VABRES : Madame la directrice, vous avez cité une étude qui évalue à 3,2 milliards de francs le montant des travaux nécessaires. S’agit-il de travaux d’urgence ou de l’ensemble des travaux permettant la mise aux normes, c’est-à-dire permettant de disposer d’un parc respectant l’ensemble des 100 % des normes théoriques édictées ?

Existe-t-il un dossier établissement par établissement, auquel cas il serait intéressant qu’il nous soit communiqué avant nos déplacements ? S’il n’existe pas, cela vous semble-t-il une lacune absolument extravagante ? Avez-vous l’intention de tirer des conclusions en termes d’organisation, soit de l’administration centrale, soit des directions régionales, de la parution du livre du docteur Vasseur et de la sorte de " plan ORSEC " qui se met en place et auquel nous avons fortement l’intention de contribuer. Un fonctionnement normal de l’administration devrait permettre d’éviter ce genre de situation. Des modifications devraient-elles intervenir pour que l’information remonte plus rapidement ?

En termes de dépenses d’investissement et de fonctionnement, quelle est la masse globale qui serait nécessaire à la rénovation de l’ensemble de nos prisons ?

M. le Président : J’insiste sur un point soulevé par M. Donnedieu de Vabres : disposez-vous de documents qui, communiqués avant les déplacements aux membres de notre commission d’enquête, permettraient de les préparer utilement ?

Mme Martine VIALLET : L’étude qui a abouti à la somme de 3,2 milliards de francs a été commandée bien avant que nous ayons même connaissance que le docteur Vasseur était en train d’écrire un livre ! L’étude a été commandée il y a environ un an et demi à un consultant extérieur, qui a procédé à un double travail : d’une part, il s’est rendu sur place et a procédé à une enquête approfondie dans une quinzaine d’établissements. Il a évalué ce qui était nécessaire à la remise en état du clos et du couvert comme à la mise aux normes de sécurité et aux diverses autres normes. En revanche, ne sont pas incluses les améliorations fonctionnelles substantielles. Un certain nombre sont incluses, certes, mais il ne s’agit pas, par exemple, de l’encellulement individuel. Quand un établissement dispose de cellules doubles, l’évaluation à laquelle il a été procédé n’inclut pas le passage de cellules doubles à des cellules individuelles.

D’autre part, un questionnaire a été adressé par ce cabinet à l’ensemble des établissements pour leur poser les mêmes questions que celles étudiées sur le terrain. Sont ensuite intervenues, méthodologiquement, des rectifications tenant compte de réponses au questionnaire et des cas aberrants. C’est ainsi que le chiffrage de 3,2 milliards de francs a été établi ; cela m’a paru crédible et la méthodologie bonne.

Il existe un dossier par établissement pour les établissements ayant fait l’objet de l’étude approfondie. Les services de votre commission nous ont demandé communication d’une série d’études, nous avons envoyé celle que je viens d’évoquer, accompagnée d’annexes fournies sur les établissements en question.

M. Renaud DONNEDIEU DE VABRES : N’avez-vous pas de dossier établissement par établissement ?

Mme Martine VIALLET : Indépendamment de l’étude que je viens d’évoquer, nous disposons de fiches signalétiques par établissement. Demandées par votre commission précisément pour préparer les visites, nous vous les avons envoyées. En revanche, si, pour beaucoup d’établissements, nous disposons d’un dossier technique, il s’agit de dossiers de travail, énormes et non synthétiques. Nous disposons de dossiers synthétiques seulement pour certains établissements. En général, ils se trouvent plutôt dans les directions régionales, qui gèrent les crédits de gros entretien des établissements.

Une base de données est en cours de constitution à la délégation générale pour le programme pluriannuel d’équipement du ministère de la Justice, qui construit à la fois les établissements pénitentiaires neufs et les tribunaux, pour constituer une base de données des établissements neufs. Nous avons une base de données très technique et sophistiquée. Les établissements anciens n’y figurent pas encore.

M. François LONCLE : Madame, vous avez fait référence à des expériences étrangères. Comptez-vous vous inspirer de ce qui apparaît souvent aux yeux des observateurs comme les meilleurs exemples : la Hollande - en ce qui concerne l’Europe - et le Canada ?

Mme Martine VIALLET : Pour nos réformes, nous comptons nous inspirer des meilleurs exemples étrangers. Par exemple, pour les unités de visite familiale, nous avons étudié de près comment ce dispositif fonctionnait au Québec.

Pour le contrôle des établissements pénitentiaires, la mission présidée par le premier président Canivet s’est rendue, il me semble, en Hollande et certains de ses membres se sont rendus au Royaume-Uni qui dispose d’un système de contrôle extérieur original.

J’ai créé un poste de chargé de mission pour l’étude des systèmes pénitentiaires comparés, comparaisons portant naturellement sur les démocraties avancées. Cette personne, qui entre en fonction aujourd’hui, aura pour unique travail d’étudier les expériences les plus intéressantes des différents pays.

M. François LONCLE : Même si nous ne sommes qu’au début de nos investigations, nous avons déjà cerné les principaux défauts, les fléaux même, du monde carcéral : vétusté qui égale saleté, surpopulation qui égale promiscuité, et ces deux grands fléaux que constituent le trafic de drogue et les violences sexuelles. Le temps nous manque pour citer le témoignage d’un détenu qui a purgé dix ans dans quatre établissements différents. Son témoignage en dit long sur le trafic de drogue et les violences sexuelles.

Ces deux fléaux sont-ils généralisés dans les établissements pénitentiaires français ou existe-t-il des établissements, où, au moins pour l’essentiel, ils ont été vaincus ?

Mme Martine VIALLET : Quel que soit l’établissement, le fléau le plus difficile à vaincre est le trafic de drogue. Dans les établissements récents, où les cellules individuelles sont plus souvent la règle, les violences sexuelles sont par définition moins nombreuses. Au fur et à mesure des nouvelles constructions, ce phénomène sera davantage maîtrisé. En revanche, le trafic de drogue est très difficile à éradiquer. Il est des établissements où la gestion et la surveillance des surveillants par leur hiérarchie sont plus serrées, où les fouilles sont plus rigoureuses et où les éventuelles complicités avec les détenus sont plus facilement détectées. Les établissements font donc plus ou moins d’efforts, mais globalement, c’est le problème le plus difficile à résoudre.

Une expérience a été développée à Argentan par l’équipe médicale avec des personnes volontaires : elle consiste à supprimer toute dépendance : aucun médicament, aucune drogue, etc. Une partie de la détention fonctionne alors sur le système de volontariat, mais cela reste difficile à mettre en _uvre.

M. Michel SUCHOD : Mes deux questions portent sur la situation sanitaire en prison.

Madame la directrice, disposez-vous d’un tableau général de cette situation et éventuellement d’une comparaison avec l’état de santé de la population générale ? Si l’on examine la provenance des détenus, on suppose en effet une addiction aux drogues beaucoup plus forte que la moyenne de la population ; on imagine, compte tenu de ce que nous savons de l’organisation psychiatrique du pays, que le taux de population concerné par ces problèmes est nettement supérieur en détention à la moyenne générale. En outre, compte tenu de l’origine sociale des détenus et de ce qu’était la situation sanitaire du pays avant la couverture maladie universelle, on peut penser que l’état sanitaire général des personnes en détention est largement dégradé.

M. le Président : Il serait intéressant de connaître également les chiffres relatifs aux suicides comme ceux relatifs aux contaminations par le sida.

Mme Martine VIALLET : Nombre d’études ont été engagées par le ministère de la Santé ; nous en disposons pour la plupart et nous vous les communiquerons.

On constate globalement une réussite de la réforme de la santé dans les prisons. L’état sanitaire des détenus s’est fortement amélioré et ils ressortent, en général, dans un état sanitaire bien meilleur que celui de leur arrivée. Dès lors, l’enjeu consiste à assurer la continuité des soins à la sortie, avec le service de ville et le service hospitalier. Les médecins des établissements travaillent avec les médecins extérieurs pour assurer ce suivi et empêcher l’interruption des traitements.

Il existe aujourd’hui des dentistes dans tous les établissements. Les soins dentaires y sont extrêmement répandus, car les détenus souffrent d’un très mauvais état dentaire.

Une étude assez récente et très précise a été effectuée sur le sida. Des groupes d’évaluation se réunissent sur la lutte contre la toxicomanie et sur la lutte contre une série de pathologies, toutes informations que nous vous communiquerons.

Nous disposons de statistiques relatives aux suicides : 125 suicides ont eu lieu l’année dernière. Cette année connaît le même rythme que l’an passé. Nous ne pouvons cependant simplement comparer la population incarcérée à la population générale de la France, car elle arrive en prison avec plus de troubles d’ordre psychiatrique que la moyenne de la population et le risque est donc plus fort. Les comparaisons sont donc difficiles.

M. Michel SUCHOD : Ma seconde question, toujours sur les problèmes de santé, porte sur les petits établissements. Dans les grands, le service infirmier, voire d’hospitalisation, existe. En revanche, dans la plupart des petits établissements, dès qu’un cas lourd se présente, le détenu doit être transféré vers l’hôpital le plus proche, ce qui pose à la fois le problème de la surveillance à l’intérieur de l’hôpital et surtout du transfert. Alors que vos personnels considèrent que ces transferts ne relèvent pas de leur responsabilité et qu’ils doivent donc s’adresser soit aux autorités de police, soit aux autorités de gendarmeries, celles-ci, le plus souvent, se font tirer l’oreille. Par conséquent, des personnes en situation sanitaire extrêmement grave, qui décéderont parfois en prison, ne peuvent être transférées dans des conditions normales à l’hôpital le plus proche pour y être soignées en raison de l’attitude de la gendarmerie et de la police.

Mme Martine VIALLET : Les textes prévoient que les escortes pour consultation sont de la compétence de la pénitentiaire, excepté dans les petits établissements qui ne disposent pas du personnel et de l’équipement en véhicules nécessaires. Ces escortes sont alors de la compétence de la police ou de la gendarmerie. Ce qui a fonctionné correctement pendant un certain nombre d’années ne fonctionne plus parce que les hospitalisations sont de plus en plus nombreuses, dans la mesure où la médecine est de mieux en mieux implantée en détention.

S’ajoute le problème de la garde que vous souligniez, qui revient à la police ou la gendarmerie, mais qu’elles n’aiment guère assurer, car une telle fonction mobilise longtemps des effectifs élevés.

Pour pallier les querelles incessantes, nous nous sommes mis d’accord avec les ministères de la Santé, de l’Intérieur et de la Défense pour créer des unités hospitalières spécialisées pour l’accueil des détenus. Cela résoudra le problème de la garde, puisqu’il y aura, dans ces unités, au niveau de grandes régions, un équipement spécial. L’unité ne sera pas une prison, mais sera séparée du reste de l’hôpital et gardée à l’entrée par des policiers ou des gendarmes. A l’intérieur, des personnels pénitentiaires garderont les détenus hospitalisés. Les sécurités mises en place, certes moindres que dans un établissement pénitentiaire, faciliteront les choses.

La localisation des unités a été décidée. Le ministère de la Santé est en train de prévoir les travaux pour les réaliser.

Un arbitrage interministériel a été récemment rendu par le Premier ministre au sujet des escortes pour consultation. Il a été décidé que la pénitentiaire assurerait la totalité des escortes, sauf s’agissant des détenus dangereux, que, pour des raisons de sécurité, la gendarmerie ou la police viendraient encadrer. Une telle mesure interviendra à l’horizon 2002, étant entendu qu’entre-temps, la pénitentiaire doit obtenir les créations d’emplois nécessaires pour faire face à cette nouvelle mission. Le problème devrait être réglé courant 2002.

M. Jean-Luc WARSMANN : Madame, vous avez indiqué à plusieurs reprises combien les problèmes de vétusté des établissements pénitentiaires étaient l’une des raisons des difficultés de la prison en France. Je pense que nous aurions besoin aujourd’hui d’un plan prisons 2005 à l’instar du plan Universités 2000. Votre administration dispose-t-elle d’un tel schéma général, c’est-à-dire un chiffrage de ce que devrait être le système pénitentiaire pour respecter les normes, - l’incarcération en cellule individuelle - et pour faire face aux besoins, notamment géographiques ?

Mme Martine VIALLET : Pour mettre aux normes et remédier au problème de clos et de couvert, 3,2 milliards de francs sont nécessaires.

Pour l’encellulement individuel, j’ai indiqué que 12 500 cellules supplémentaires à celles existantes ou en cours de construction sont nécessaires. A 500 000 francs la cellule, cela revient à 6,5 milliards de francs. Pour les établissements autres que les cinq grandes maisons d’arrêt, les deux chiffres à retenir sont 3,2 milliards de francs et 6,5 milliards de francs, soit près de 10 milliards de francs. S’ajoutent les 2 à 3 milliards de francs qui s’imposent pour rénover les cinq grands établissements évoqués précédemment. Nous arrivons au chiffre d’environ 13 milliards de francs indiqué par Mme la garde des sceaux.

M. le Président : Pouvez-vous rappeler le montant de votre budget ?

Mme Martine VIALLET : Tout compris, fonctionnement et équipement, notre budget est supérieur à 7 milliards de francs.

M. Jean-Luc WARSMANN : Je vous ai posé la question, car précisément le chiffre de 3,2 milliards m’inquiétait, non par son montant, mais parce qu’il s’agissait simplement de remettre aux normes l’existant. Ma question était plutôt de savoir s’il n’existait pas un schéma qui envisagerait la fermeture pure et simple de certains établissements qui ne méritent pas d’être réhabilités.

Par ailleurs, imaginons que, notamment sous la pression de cette commission, nous réussissions à convaincre le gouvernement de la nécessité de débloquer des enveloppes supplémentaires, des projets sont-ils prêts à être mise en _uvre rapidement, indépendamment de ce qui est déjà financé ?

Mme Martine VIALLET : Oui, heureusement ! Cela ne veut pas dire que les terrains soient déjà acquis, mais il apparaît évident que nous devons fermer certains établissements, pour lesquels une reconstruction s’impose. Nous avons identifié ces établissements, mais tant que Mme la ministre n’a pas l’assurance du financement, elle ne peut en arrêter la liste.

Par ailleurs, pour les cinq plus grandes maisons d’arrêt, le schéma directeur de restructuration est quasiment achevé. Nous avons constaté que les relevés topographiques des anciens bâtiments s’étaient probablement perdus dans les archives. Des transformations régulières sont intervenues, sans que nous en ayons trace. C’est pourquoi nous avons engagé des relevés, à ce jour achevés. Des études techniques sont en cours pour savoir, par exemple, s’il est possible d’installer à la Santé une douche individuelle dans les cellules. Les études devant être achevées au printemps pour les cinq grandes maisons d’arrêt, des décisions pourront être prises. En fonction du montant de crédits que nous obtiendrons, nous pourrons aller plus ou moins vite.

M. Jean-Luc WARSMANN : Madame la directrice, pourriez-vous nous communiquer la liste des établissements qui mériteraient d’être fermés et les pré-projets qui existent dans votre administration ?

Mme Martine VIALLET : C’est une liste que j’ai remise à Mme la ministre. Je lui demanderai l’autorisation, mais je ne pense pas qu’elle voie un quelconque inconvénient à ce que je la remette à la commission.

M. Jean-Luc WARSMANN : Ma dernière question est relative aux incidents dans le cadre desquels sont parfois mis en cause des personnels de votre administration. Je pense à ce qui s’est passé à Beauvais ou dans d’autres établissements.

Je souhaiterais que vous nous disiez si, depuis votre prise de fonctions, vous avez connu de telles situations ? J’aimerais également avoir votre opinion de citoyenne : estimez-vous que, lorsque de tels incidents ont lieu, les procédures actuelles sont appliquées et justifiées pour garantir à la fois les droits de la défense et notre conception des droits de l’homme ?

Mme Martine VIALLET : Au moment de l’affaire de Beauvais, je n’étais pas en fonction. Dans la mesure où il y a eu des fuites dans la presse, ce qui s’est passé est connu.

Depuis ma prise de fonction, je n’ai pas eu à connaître d’incidents équivalents à celui de Beauvais. J’ai été confrontée, par contre, à des dysfonctionnements dans certains établissements qui m’ont amenée à suspendre des directeurs d’établissement. C’est assez douloureux pour eux, car cela se sait largement. J’ai également procédé à des sanctions disciplinaires à la suite de la suspension de certains d’entre eux, pour les autres la procédure est en cours. J’ai d’ores et déjà rétrogradé un chef d’établissement.

Nous disposons de plusieurs moyens de détecter les dysfonctionnements. Dans certains cas, nous les détectons au cours d’une inspection de routine où nous découvrons des choses qui ne vont pas.

L’inspection ne comportant pour l’heure pas suffisamment de personnes, il est vrai que nous procédons surtout aux inspections à partir d’événements qui nous sont signalés ou de doutes que nous pouvons avoir. Nous pouvons être alertés soit par des procureurs généraux, soit par des organisations professionnelles, soit par le directeur régional dont dépend l’établissement, soit encore par d’autres biais. J’estime alors le taux de probabilité de la véracité des faits. Si je l’estime suffisant, j’envoie une inspection qui détecte en général des dysfonctionnements.

La procédure pourrait certainement être améliorée. Il faudrait tout d’abord qu’il soit possible d’envoyer plus d’inspections spontanées ; nous découvririons alors davantage de choses par nous-mêmes, avant même qu’on nous les signale de l’intérieur comme de l’extérieur.

M. le Président : Je reçois, comme les membres de la commission, beaucoup de courriers, qui pointent des éléments extrêmement concrets.

Un détenu m’a envoyé les tarifs de la cantine. Ils m’ont quelque peu étonné par leur montant élevé. Comment sont établis ces prix ?

Mme Martine VIALLET : Les prix sont établis par chaque établissement, non par l’administration centrale. Leur fixation doit d’une part, prendre en compte le coût d’achat et d’autre part, intégrer une certaine quantité de frais de gestion.

Les reproches qui sont adressés aux cantines correspondent parfois à des dysfonctionnements avérés. D’une part, pendant très longtemps, il n’y a pas eu mise en concurrence des fournisseurs par les chefs d’établissement ou par la personne qui s’occupait de la cantine. Certains établissements se fournissaient chez des fournisseurs locaux, tout à fait honorables, mais dont les coûts pratiqués n’étaient pas toujours les plus intéressants. Nous les avons donc incités à faire jouer la concurrence. De ce fait, ont souvent été retenues des centrales d’achat ou des hypermarchés, ce qui n’est évidemment pas très bien vu des fournisseurs traditionnels, mais ce qui permet un bien meilleur service rendu au détenu.

Ensuite, nous avons étudié avec les chefs d’établissements la procédure de fixation des frais de gestion, celle-ci y intégrant parfois trop d’éléments. Nous avons engagé une action visant à donner des consignes horizontales sur les cantines aux chefs d’établissements, afin qu’ils ne retiennent qu’une liste limitée de facteurs dans les frais de gestion, le principe général étant que la cantine ne doit pas coûter à l’administration. Des améliorations importantes sont intervenues, notamment grâce à la mise en concurrence. Les prix de cantine ont fortement diminué, mais des progrès restent à réaliser. Inscrit à notre programme de travail pour 2000, je pense pouvoir envoyer des instructions courant 2000 sur l’amélioration des cantines.

M. Julien DRAY : Quelle est l’état de la réflexion de l’administration pénitentiaire sur les problèmes des détenus transsexuels qui dans certaines maisons d’arrêt posent énormément de problèmes ?

Mme Martine VIALLET : Je n’ai pas pris le temps de me livrer à une réflexion sur cette question. C’est un exemple supplémentaire de la complexité de cette administration qui réside dans la quantité des minorités et de situations différentes qui s’entremêlent les unes les autres. Les chefs d’établissement confrontés aux détenus transsexuels gèrent les difficultés qui peuvent en résulter.


Source : Assemblée nationale. http://www.assemblee-nationale.fr