Présidence de M. Laurent FABIUS, Président
puis de M. Louis MERMAZ, Vice-Président
Mme Catherine ERHEL et M. Patrick MAREST sont introduits.
M. le Président leur rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d’enquête leur ont été communiquées. À l’invitation du Président, Mme Catherine Erhel et M. Patrick Marest prêtent serment.
M. le Président : Je rappelle, en préambule, que l’observatoire international des prisons est une organisation non-gouvernementale, indépendante des pouvoirs publics et disposant d’un statut consultatif à l’ONU. Il s’agit d’une organisation de défense des droits de la personne, qui revendique le droit à la dignité pour tous les détenus dans une zone de non-droit qu’est la prison. La mission de l’observatoire est d’observer tous les lieux de détention grâce à des groupes locaux d’observation et d’alerter sur tout manquement aux droits de l’homme relevé aux moyens de communiqués à la presse, de courriers, de conférences, de publications, de campagnes thématiques et d’un rapport annuel. Simultanément, l’Observatoire s’attache à favoriser le développement et l’application des alternatives à l’incarcération. Il s’appuie sur les textes de loi dont il demande l’application, ces textes considérant que chacun a droit en tout lieu à la reconnaissance de sa personnalité juridique et que nul ne doit être soumis à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants.
Mme Catherine ERHEL : Pour l’observatoire international des prisons, cette commission d’enquête parlementaire constitue un événement. Il n’y en a jamais eu. Nous savions qu’un certain nombre de parlementaires étaient sensibilisés à la question des prisons et nous sommes en contact avec certains d’entre vous. Mais cette initiative, qui traverse tous les groupes politiques revêt une toute autre nature. Nous avons été très frappés, à la lecture des débats parlementaires au moment du vote de la création de la commission, de l’unanimité des groupes politiques pour dénoncer l’indignité des conditions de détention. Le contexte s’avère assez favorable pour une association comme la nôtre qui espère et défend une réforme d’ensemble et ambitieuse du système carcéral. Au surplus, l’opinion publique, si l’on en croit un sondage publié par Libération, semble aujourd’hui prête à accepter une telle réforme.
Les objectifs poursuivis par l’OIP s’organisent autour de deux axes : d’une part un recours moindre à la détention par une politique réductionniste de même nature que celles pratiquées dans certains pays européens qui ont limité de façon drastique les incarcérations et, d’autre part, le respect de l’État de droit en prison.
Lorsque je constate que le premier président de la cour de cassation est favorable à une loi pénitentiaire et à l’élaboration d’un statut du citoyen en prison et que M. Laurent Fabius pose dans une interview la question : " Peut-on avoir plus de sécurité avec moins de prisons ? ", je me dis que les objectifs de l’OIP semblent rejoindre les travaux de votre commission d’enquête. De ce fait, nous attendons beaucoup de vos travaux comme de ceux du Sénat.
Pour préciser nos objectifs, je voudrais expliquer en quoi consiste une politique réductionniste dans les pays où elle est pratiquée et comment elle pourrait être adaptée à la situation française.
Une politique réductionniste consiste à réduire le recours à la détention de façon drastique et à résorber la surpopulation carcérale sans construire de nouvelles places de prison. L’augmentation du nombre de places est une politique qui a déjà été expérimentée en France et qui n’a en rien résorbé les problèmes de surpopulation ni amélioré les conditions de détention, mais, au contraire, a bloqué toutes les initiatives pénitentiaires pendant dix ans, en raison des budgets qu’elle a nécessités.
Ne pas construire de nouvelles places de prison est donc le premier élément d’une politique réductionniste. Il existe en France 39 000 cellules et 49 000 places. C’est se condamner à la paralysie que de s’engager dans une politique immobilière au-delà de la réhabilitation des bâtiments vétustes.
Le second élément d’une politique réductionniste tient dans le numerus clausus, c’est-à-dire une intolérance absolue au surencombrement des prisons. Il ne doit pas y avoir plus d’un détenu par place disponible et il faut se refuser à entasser les détenus par quatre, cinq ou six par cellule. Pratiquée au Pays-Bas ou en Finlande, la formule fonctionne très bien. En France, ce système présenterait beaucoup d’avantages dont celui d’instaurer une collaboration entre l’administration pénitentiaire et les magistrats qui, pour l’heure, travaillent séparément et s’ignorent superbement. Actuellement, un magistrat affecte un détenu dans un établissement pénitentiaire dont il ignore institutionnellement ce qui s’y déroule. Il peut, par des réseaux personnels, savoir que la situation est tendue à Bois-d’Arcy, par exemple, et qu’il est préférable d’affecter le détenu dans une autre prison parisienne. Dans le cas d’un numerus clausus, des clignotants préviennent lorsqu’on approche de la cote d’alerte d’occupation dans un établissement pénitentiaire. Dès lors, le directeur de la prison informe les magistrats du ressort qui sont ainsi incités à recourir à des dispositifs alternatifs à la détention, notamment au contrôle judiciaire, et qui sont invités à examiner toutes les situations en attente de décisions concernant les détenus incarcérés : les demandes de mise en liberté, les libérations conditionnelles, les détentions provisoires trop longues, etc.
Les magistrats gardent la maîtrise de la mise en détention, mais les directeurs de prison sont en situation d’alerte et surtout de gérants responsables de leur établissement. Plusieurs directeurs de prison sont favorables à ce numerus clausus et tous les instruments de sa gestion existent. Le numerus clausus est déjà pratiqué dans les prisons " privées " puisqu’au-delà d’un taux d’occupation de 120 %, l’opérateur privé facture des pénalités à l’administration pénitentiaire. Mme Viallet a évoqué le problème : dès que la cote d’alerte risque d’être atteinte dans un établissement du programme 13 000, on transfère assez brutalement une dizaine ou une quinzaine de détenus pour dix, quinze ou trente jours, dans une prison publique voisine, elle-même totalement surchargée - cela se pratique couramment entre la prison de Villeneuve-les-Maguelone et la maison d’arrêt de Nîmes, ou entre Luynes et les Baumettes.
C’est là une pratique tout à fait scandaleuse, d’autant plus que ces détenus perdent, du fait du transfert, leur cantine, leur parloir, leur place de travail - s’ils en avaient une -, ou leur place de formation, mais elle prouve au moins que l’instrument de gestion de la surpopulation carcérale existe et qu’il est déjà utilisé en France.
Le numerus clausus inciterait les magistrats à limiter les entrées en détention et à accélérer les sorties et s’avère accessible du point de vue de sa gestion.
Une politique réductionniste vise également à résorber des catégories de détenus incarcérés inutilement dont la détention ne sert ni le détenu, ni la société, ni la victime.
En France, se pose le problème majeur de la détention provisoire. Les mesures adoptées par les députés lors de l’examen du projet de loi sur la présomption d’innocence aboutiraient, selon les calculs de la Chancellerie, à 3 000 ou 4 000 détenus provisoires de moins, le chiffre actuel étant de 21 000. Cela signifie qu’il y aurait encore 17 000 ou 18 000 personnes en détention provisoire, parmi lesquelles, chaque année, 1 000 sortent totalement innocentées par un non-lieu ou une relaxe et donc sont allées en prison par erreur. Entre 1990 et 1997, l’on compte 11 000 personnes ainsi incarcérées et innocentées. Mille autres sortent chaque année avec une condamnation assortie de sursis, c’est-à-dire que les magistrats eux-mêmes estiment qu’elles n’auraient pas dû aller en prison.
On dénombre 1 000 personnes qui sont en détention provisoire depuis plus de trois ans, ce qui est très éloigné des " délais raisonnables " imposés par la Cour européenne et 3 000 qui le sont depuis plus d’un an. De véritables mesures d’ampleur seraient donc nécessaires pour limiter considérablement le recours à la détention provisoire.
Les mineurs sont une autre catégorie de détenus pour laquelle le recours à la détention devrait être limité, voire exclu. Nombre d’entre vous êtes sensibles à ce sujet - et à juste titre. 3 000 à 3 500 mineurs passent en prison chaque année. Chacun s’accorde à déclarer que ce n’est pas leur place et que leur détention se déroule dans un climat de violence, de racket et d’oisiveté qui est tout sauf éducatif. Les propos de M. Chevènement, le 12 janvier 1999, sur les " sauvageons " se sont traduits très concrètement dans les chiffres de détention des mineurs. Le nombre de mineurs incarcérés a brutalement augmenté de 50 % dans les six mois qui ont suivi. Mme Viallet a évoqué ce problème. Le millier de détenus mineurs est quasiment atteint. Elle a cité le chiffre de 900 mineurs, ils étaient en réalité 975 en juillet 1999. La hausse vient de reprendre, puisque les chiffres de l’administration pénitentiaire montrent qu’en décembre, le nombre de mineurs détenus a cru de 9,7 % par rapport au mois précédent. Cette hausse continue de la détention des mineurs est un vrai drame. D’autres pays européens confrontés au même problème ont trouvé d’autres solutions. Je pense à l’Espagne qui a adopté la position inverse, c’est-à-dire qu’elle a choisi de réduire la détention des mineurs. En 1998, l’Espagne a élevé l’âge minimal de la détention et l’âge de la responsabilité pénale qui est passé de 16 à 18 ans et elle a limité les peines pour les mineurs qui sont d’ailleurs des peines dites " d’enfermement " et non plus de prison. Elles sont, en outre, plafonnées à 5 ans pour les " mineurs de 16 à 18 ans qui ont commis les violences les plus graves ". Je pense qu’il y aurait là de quoi trouver des sources d’inspiration et d’autres formes de prises en charge des mineurs.
On peut également s’interroger sur la justification de l’incarcération des étrangers sans papiers. Cinq mille étrangers sont passés en prison l’an dernier au titre des infractions à la législation sur les étrangers. C’est une infraction administrative qui n’a pas à être traitée sur le plan pénal. A quoi sert l’incarcération des sans-papiers ? L’utilité de leur incarcération n’apparaît pas évidente.
L’interrogation est similaire pour les toxicomanes. La toxicomanie est une infraction au code de la santé publique. La sanction pénale et la prison constituent-elles la bonne solution pour traiter les problèmes de toxicomanie ? 5 000 toxicomanes sont passés en prison l’année dernière. Plusieurs centaines - entre 600 et 800 - par an y passent pour simple usage. Pour beaucoup, une prise en charge différente de la prison serait préférable. Nous ne contestons pas les progrès de la prise en charge des toxicomanes en prison, bien qu’ils soient très inégaux selon les établissements, mais, de l’avis même des " antennes toxicomanies " qui interviennent en prison, il ne semble pas que la prison soit un cadre réellement adapté.
Enfin, on peut aussi se demander si la prison est toujours la bonne réponse aux violences urbaines qui exaspèrent tant les quartiers et les élus que vous êtes. Nous avons relevé, à titre d’exemple, un certain nombre de condamnations qui montrent que le recours à la prison est très systématique : le 9 novembre 1999, un jeune qui sortait du tribunal de Nancy, où un de ses amis venait de se faire condamner, a craché sur la voiture d’un magistrat ; il a été condamné à deux mois de prison ferme. Le 21 avril 1999, à Nancy également, un autre jeune a été condamné à deux mois fermes pour le vol d’une chemise de 179 francs. A Rouen, un jeune de 19 ans, a été condamné à six mois fermes pour un vol de 99 francs dans un supermarché - il est vrai qu’il s’agissait d’une bouteille de whisky. Un an de prison, dont quatre mois fermes, pour deux voitures incendiées à Strasbourg, trois mois de prison pour deux poubelles incendiées à Elbeuf. De telles condamnations sont extrêmement fréquentes. La prison est-elle la bonne réponse à cette petite délinquance, à cette violence urbaine, certes exaspérante ? Qu’apprennent ces personnes en prison, en quoi ces peines de prison réparent-elles les torts faits aux victimes et en quoi servent-elles la société ? La fonction de la peine est une question sur laquelle on doit toujours revenir. Nous espérons que vous la garderez présente à l’esprit, notamment lors des visites des établissements pénitentiaires.
Les politiques réductionnistes visent à réduire l’incarcération de ces catégories de détenus et à trouver d’autres formes de prise en charge sociale, sanitaires, éducatives...
Le troisième objectif poursuivi par l’OIP tient donc dans la dépénalisation de certaines infractions, notamment celles relatives à la législation relative aux étrangers et dans le développement d’autres formes de prise en charge pour les toxicomanes et les mineurs.
De même la suppression de certains archaïsmes comme la contrainte par corps - reliquat de la prison pour dettes et privilège du ministère des Finances - pourrait être envisagée ainsi que la suppression de la prise de corps avant le procès d’assises.
Le quatrième objectif défendu par l’OIP consiste à réhabiliter les libérations conditionnelles. L’allongement des peines et les périodes de sûreté ont considérablement contribué à la surpopulation carcérale. Nous avons pris bonne note du vote de l’Assemblée Nationale relatif à la judiciarisation de l’application des peines. Nous avons noté également l’annonce, par Mme Guigou, de sa volonté de supprimer le mécanisme de l’autorisation ministérielle pour les libérations conditionnelles portant sur les condamnés auxquels il reste plus de cinq ans à subir.
Une politique réductionniste rassemble donc les objectifs de dépénalisation, d’allégement et de plafonnement des peines. Alors que la Norvège a plafonné les peines maximales à 15 ans, la France ne cesse de les allonger. On a créé des périodes de sûreté et une peine de trente ans. Le nombre de condamnations à des peines de perpétuité ne cesse d’augmenter : nous sommes passés d’environ 300 condamnations à perpétuité en 1980 à presque 600 au 1er janvier 2000. D’autre pays s’engagent dans des politiques différentes et je souligne l’exemple norvégien de plafonnement des peines et de multiplication des libérations anticipées.
M. le Président : Je vous remercie.
M. Patrick MAREST : Dans le document écrit qui vous a été remis, nous avons réuni l’essentiel de ce que nous savons sur les prisons aujourd’hui. Sur chacun des axes de travail de votre commission, notre état des lieux est, comme vous pourrez le lire, plutôt accablant. L’on oublie souvent, comme vous l’avez rappelé récemment Monsieur le Président, que la condamnation ne doit porter que sur l’emprisonnement et non sur la privation de droits humains élémentaires.
Dans bien des cas, la vie quotidienne en prison constitue une atteinte grave au respect des droits de l’homme. La surpopulation carcérale concerne 70 % des personnes détenues en France, celles qui sont incarcérées en maison d’arrêt. Chacun de ces 38 000 hommes et femmes subit quotidiennement des conditions de détention indignes : promiscuité, manque d’activité, absence d’intimité. La maison d’arrêt de Nantes, par exemple, accueille 432 détenus pour 377 places. Jusqu’à cinq détenus sont regroupés dans une cellule de 9 m ? avec trois lits superposés et deux matelas à terre. Au quartier des mineurs à Lyon-Saint-Paul, les mineurs sont placés par trois dans des cellules de 10 m ?, l’un d’eux devant dormir sur un matelas posé à même le sol. Les cellules ne sont pas dotées de tables ou de chaises, les mineurs prennent leur repas assis sur les lits, leur assiette sur les genoux. Depuis 1992, le Comité européen de prévention de la torture, le CPT, estime que certaines situations de surencombrement des prisons, du fait des atteintes à la qualité de la vie et à la sécurité des détenus qu’elles engendrent, peuvent constituer un traitement cruel, inhumain et dégradant.
Par ailleurs, l’incarcération doit être, en principe, subie dans des conditions satisfaisantes d’hygiène et de salubrité ; cette disposition du code de procédure pénale est loin d’être respectée dans tous les établissements. A la maison d’arrêt de Fleury-Mérogis, pourtant construite en 1969, l’eau coule dans les cellules du dernier étage par temps de pluie, les détenus épongent le sol et les murs ; quant aux douches, elles ne sont qu’exceptionnellement nettoyées. Il s’y accumule un tel dépôt de saleté que les médecins conseillent aux détenus de garder leurs chaussures pour éviter d’attraper des mycoses.
La peine d’emprisonnement entraîne également la suppression du droit à tout espace privé. La perte d’intimité est à situer parmi les effets les plus destructeurs de la prison. Le détenu n’a plus d’espace personnel qui ne soit susceptible d’être visité à tout instant : il est obligé d’accomplir ses besoins naturels devant les codétenus, l’_illeton est dans chaque cellule, les fouilles de cellule sont inopinées.
Prenons l’exemple de la fouille à nu. Les détenus, mais aussi les surveillants, la supportent mal. Elle consiste à demander au détenu de se dénuder, d’écarter les jambes afin de vérifier qu’il ne dissimule pas un objet interdit. On peut également lui demander de se pencher et de tousser. Ces fouilles ont lieu à l’arrivée en détention, à l’entrée ou à la sortie du quartier disciplinaire, après chaque parloir et à tout moment que le chef d’établissement juge nécessaire. A la maison centrale d’Arles, ces fouilles se déroulent, en outre, sous l’_il d’une caméra de surveillance et dans l’escalier qui donne accès au parloir. Ainsi, le détenu fouillé peut être vu par d’autres détenus ou par des membres du personnel. A la sortie des parloirs, ces fouilles sont effectuées dans des boxes comportant un miroir d’un mètre carré, scellé au sol et sur lequel il est demandé au détenu de monter entièrement nu.
La détention a des effets délétères sur le maintien des liens familiaux. Les familles éclatent et les détenus perdent tout repère relationnel. A titre d’exemple, je vous cite ce passage d’un courrier reçu récemment par l’OIP de Mme L : " Mon mari est détenu depuis un an en Bretagne, au centre pénitentiaire de Ploemeur, à côté de Lorient. Je demeure dans la région bordelaise à 550 kilomètres de distance aller-retour. Depuis des mois, je fais le voyage, parfois avec notre fille âgée de deux ans et demi. Je dois assurer mon logement - rien n’est prévu pour recevoir les familles de détenus à Ploemeur ou dans les environs - jongler avec mes jours de congé et couvrir les frais d’essence et d’autoroute, qui s’ajoutent aux mandats que je lui envoie.
Je trouve inadmissible qu’il n’ait pas le droit de nous téléphoner. Le juge garde parfois nos lettres pendant quinze jours avant de nous les envoyer et pendant trois mois j’ai été obligée de changer d’adresse, car mon courrier était saisi et je ne recevais aucune nouvelle de mon compagnon.
Les lettres supprimées, le téléphone interdit, les problèmes de distance ont fait que, durant des semaines, il nous était impossible de communiquer et de savoir comment l’autre allait. Pourquoi n’a-t-on pas le droit de porter aux détenus des produits de toilette, sauf à tomber sur un maton sympa qui les laisse passer ? Quelles raisons valables existent pour ce règlement absurde ? Nous, les familles de détenus, sommes niées, oubliées, gommées. Aucun parti politique n’évoque le sort de nos enfants, privés de leur père, de ce manque qui peut créer chez eux un déséquilibre.
Je souhaiterais lutter énergiquement sur quatre points - quatre points parmi d’autres :
· le droit pour les personnes incarcérées, condamnées ou prévenues, de pouvoir téléphoner à leur famille au moins une fois par semaine ;
· le droit à une vie sexuelle entre les détenus et leur femme deux fois par mois dans des lieux aménagés à cet effet ;
· Le droit au travail pour tous les prisonniers ;
· le droit d’envoyer au détenu de la nourriture une fois par mois et de lui porter des affaires de toilette. "
En matière de santé, la circulaire du 8 décembre 1994, pose comme objectif d’assurer aux détenus une qualité et une continuité de soins équivalentes à celles offertes à l’ensemble de la population. Malgré une nette évolution, la pratique reste encore trop éloignée de ce principe. Il arrive que certains traitements soient inaccessibles aux détenus comme les bi-théraphies contre l’hépatite C, les essais thérapeutiques pour les malades atteints du VIH et les produits de substitution aux stupéfiants opiacés.
La permanence des soins n’est pas assurée partout. Dans de nombreux établissements, il n’y a pas de médecin de garde la nuit ni le week-end. A la maison d’arrêt de Longuenesse, un détenu de trente et un ans, M. Giacomin, est décédé le 25 juillet 1999. Il avait été reçu la veille par une infirmière qui avait diagnostiqué une gastro-entérite et l’avait renvoyé en cellule sans examen complémentaire. L’état de santé de cet homme s’est dégradé pendant la nuit et son codétenu n’a cessé d’appeler à l’aide et de frapper contre la porte qui n’a été ouverte que le lendemain à sept heures, heure de l’ouverture des cellules. M. Giacomin était décédé, son codétenu était en état de choc. Les détenus n’ayant pas accès direct aux médecins, l’accès aux soins en prison dépend encore du personnel de surveillance qui, souvent lassé des appels des détenus, n’y répond pas.
La prison est un monde de violence, qu’il s’agisse de la violence entre détenus, entre détenus et personnels de surveillance ou qu’il s’agisse de la violence retournée contre soi, exprimée par les suicides et les automutilations. On ne peut ignorer la responsabilité de l’institution carcérale dans ce qui préside à cette violence multiforme quand elle l’exacerbe par une approche exclusivement sécuritaire de la population détenue et par la suppression de tout droit d’expression aux personnes incarcérées.
Lorsqu’elle a connaissance de violences entre détenus, l’administration pénitentiaire répond en général par des mesures disciplinaires et, de plus en plus, informe le parquet des faits pénalement répréhensibles. Cependant, face à certaines violences, il n’est pas rare de constater que des surveillants ont laissé faire. Le plus souvent, c’est l’indifférence et la lassitude aux cris et à l’appel à l’aide des détenus qui amènent les surveillants à ne plus prêter l’oreille. La responsabilité de l’administration pénitentiaire en matière de sécurité des personnes détenues est rarement invoquée et encore plus rarement sanctionnée. Depuis que l’observatoire existe, l’administration pénitentiaire n’a été condamnée qu’une seule fois pour faute lourde dans une affaire de violence entre détenus - le 6 février 1999 par le tribunal administratif de Rouen.
La violence en prison n’est pas le fait des seuls détenus. Certains surveillants exercent accidentellement parfois, de manière organisée et répétée d’autres fois, un usage abusif de la force. Dans certains établissements, comme à la maison d’arrêt de Fresnes, ou aujourd’hui même à la maison d’arrêt de Lyon, les " tabassages " de détenus par les surveillants sont réguliers. Face aux violences commises par les membres du personnel, l’administration privilégie encore un traitement interne au moyen de sanctions disciplinaires et de mutations. Quand les faits parviennent jusqu’à la justice, force est de constater que celle-ci se comporte de manière " spécifique ". L’usage de la force par les personnels pénitentiaires est fréquemment considéré par les magistrats comme strictement nécessaire face à la résistance par la violence ou l’inertie physique aux ordres donnés.
Ainsi, trois surveillants de la maison d’arrêt de Grasse qui avaient molesté un jeune détenu le 31 décembre 1997 ont été condamnés le 8 septembre 1999 à trois mois de prison avec sursis. Les faits survenus à la maison d’arrêt de Beauvais, que chacun ici a en mémoire, entre 1995 et 1998, ont été, pour leur part, classés sans suite. Pourtant, parmi les " tabassages ", insultes et harcèlements sexuels dont les détenus et certains personnels pénitentiaires féminins ont fait l’objet, le rapport de l’inspection des services pénitentiaires relève " de très graves fautes professionnelles, dont certaines sont susceptibles d’engager la responsabilité pénale de leurs auteurs ".
L’OIP ne souhaite de peine de prison pour personne, mais demande à la justice de jouer son rôle, tout son rôle, dans la manifestation de la vérité quand des faits pénalement répréhensibles ont été commis par des surveillants à l’égard de détenus.
Les cas d’auto-agression en détention représentent des réponses extrêmes à l’indifférence et au sentiment d’absence de toute écoute. Les suicides et les tentatives de suicide sont en forte augmentation ces dernières années. Ils font l’objet de mesures qui s’avèrent cependant inappliquées dans la majeure partie des établissements. Un rapport de février 1999 de la commission nationale d’évaluation du programme de prévention du suicide en milieu carcéral relève notamment que tous les membres du personnel n’ont pas été informés de la désignation de leur établissement pénitentiaire comme site pilote et que souvent, la notion d’observation se confond dans les esprits avec celle de surveillance.
L’administration pénitentiaire manque de transparence, notamment à l’égard des familles dont un proche s’est donné la mort en prison. Nombre de familles doivent attendre plusieurs mois avant d’obtenir des informations sur les circonstances du décès. Certaines même ne sont pas autorisées à voir le corps. Ce manque de transparence, habituel de la part de cette administration, entretient la suspicion, d’autant plus qu’il cache, dans certains cas, des imprudences, des négligences et beaucoup d’inattention. La famille, le service médical, le service socio-éducatif, l’avocat ou les codétenus ont parfois alerté sur l’état dépressif d’un détenu sans qu’aucune disposition ne soit prise à son égard. Il arrive encore trop souvent que des détenus soient placés au quartier disciplinaire à la suite d’une tentative de suicide et ce en dépit des préconisations de l’excellente circulaire du 27 mai 1998 sur la prévention des suicides.
Le droit commun du travail ne s’applique pas non plus en prison. Les détenus ne bénéficient pas d’un contrat de travail, sauf dans le cas d’un placement à l’extérieur ou d’une semi-liberté. Les garanties dont bénéficient les salariés ne concernent donc pas les prisonniers. Ils sont sous-rémunérés, peuvent être payés à la pièce dans le cadre d’horaires très irréguliers. Ils peuvent être " déclassés ", c’est-à-dire licenciés, à tout moment, sans préavis ni indemnité. A cela s’ajoute le caractère presque toujours répétitif et non qualifiant des tâches qui leur sont confiées et qui ne serviront en aucune manière à leur réinsertion professionnelle. Il s’agit, par exemple, de mettre du parfum en bouteille, de fabriquer des filets de protection pour les prisons ou d’assembler des éléments de portemanteaux. A la maison d’arrêt de Nîmes, le salaire moyen d’un détenu pour 20 jours de travail s’élève à 752 francs, dont il faudra retirer 95 francs de cotisations sociales, 197 francs de participation à ses frais d’entretien, 66 francs de provision pour le pécule de libération et 66 francs pour l’indemnisation des parties civiles. Au total, il lui restera 328 francs par mois, ce qui lui permet seulement de louer la télévision et d’acheter son tabac.
La prison, censée assumer un double rôle de mise à l’écart et de réinsertion, ne remplit pas cette deuxième mission. Dans les faits, le dispositif de préparation à la sortie est inadapté, le projet d’exécution des peines est inadéquat et réservé à une faible partie de la population carcérale. Quant aux dispositifs d’enseignement et de formation professionnelle, ils sont notoirement insuffisants. Dans ces conditions, un détenu sur cinq sort de prison avec moins de 50 francs en poche. Six détenus sur dix sortent sans emploi.
Ce tableau n’est pas exhaustif et le document écrit qui vous a été remis apporte d’autres éléments sur les faits observés. Il doit nous remettre en mémoire une chose essentielle : la nécessité de ne jamais détourner le regard de nos prisons, de ne jamais se désintéresser du sort de ceux de nos contemporains provisoirement privés de la liberté d’aller et venir. Les instances européennes et notamment le Comité européen de prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains et dégradants nous y enjoignent. Dans son rapport d’avril 1998, le CPT a recommandé à la France de se mettre en conformité avec les règles pénitentiaires européennes et d’instaurer un contrôle indépendant des prisons. Dans sa résolution du 17 décembre 1998, le Parlement européen en dresse les grandes lignes. Outre l’élaboration d’une loi fondamentale sur les établissements pénitentiaires qui définisse un cadre réglementant à la fois le régime juridique interne des établissements, le régime juridique externe, le droit de réclamation ainsi que les obligations des détenus, il est demandé aux Etats membres de prévoir un organe de contrôle indépendant auquel les détenus puissent s’adresser en cas de violation de leurs droits.
L’efficacité et la crédibilité d’un dispositif de contrôle nécessitent son indépendance vis-à-vis de l’institution carcérale, la possibilité d’inspecter des prisons à l’improviste, celle de visiter l’ensemble des locaux d’un établissement pénitentiaire, de rencontrer tout détenu ou personnel de l’établissement. Ces critères semblent avoir été pris en compte par la commission présidée par Guy Canivet premier président de la cour de cassation, chargée de réfléchir et de proposer un véritable dispositif de contrôle démocratique des prisons.
Je conclurai en vous exprimant l’espoir que l’OIP place dans les travaux de votre commission et des suites que l’on peut en attendre. Peut-on obtenir plus de sécurité avec moins de prisons ? Nous le croyons, car la prison abîme plus qu’elle ne répare ou amende ; elle rend à la société des gens plus haineux, plus fragiles et plus déstructurés. La prison doit désormais intégrer l’espace public ; elle est trop longtemps restée à l’écart et donc à l’abri de toute exigence démocratique, d’où son fonctionnement en marge du droit commun, d’où l’arbitraire et l’abus de pouvoir.
Zone de non-droit ? Certainement. La prison n’accorde aux détenus, considérés comme des citoyens de dernière zone, que des faveurs en gage ou en récompense de leur bonne conduite. Cette situation demeurera tant que la société n’aura pas signifié clairement que l’institution carcérale ne peut être exonérée des règles de droit commun, tant que n’aura pas été défini un statut juridique du détenu, propre à garantir, au sein d’une institution d’essence totalitaire, le respect absolu des droits fondamentaux de la personne. Aucune mesure de sécurité ne peut justifier la violence physique, la violence morale, l’humiliation et la perte de dignité infligée par un service public au nom de la République.
M. le Président : Merci. Quel est votre sentiment sur le projet de code de déontologie préparé par la chancellerie ?
M. Patrick MAREST : Notre sentiment est extrêmement négatif. En tant que membre de la Commission nationale consultative des droits de l’homme, nous avons eu connaissance de la première version de ce code de déontologie. Nous avons découvert, avec effarement, que l’administration pénitentiaire se proposait d’interdire toute " violence illégitime " de la part des personnels à l’encontre des détenus, ce qui sous-entendait que les personnels auraient à leur disposition une violence légitime ! Lorsque nous avons interrogé Mme Viallet sur cette question, elle a convenu que l’expression était largement ambiguë. Par ailleurs, nous avons émis les plus grandes réserves sur la velléité ministérielle de vouloir étendre le devoir de réserve, aujourd’hui imposé aux seuls surveillants pénitentiaires, à l’ensemble des personnes intervenant en prison : la première version du projet élargissait cette obligation aux aumôniers, aux visiteurs de prison, aux éducateurs, aux avocats, aux médecins. Cette disposition est en partie supprimée dans l’état actuel d’avancement du projet de code de déontologie.
Il reste qu’un code de déontologie est par définition du " sous-droit ". Rien ne vaut l’élaboration d’un statut juridique du détenu, tel que le préconise la commission présidée par M. Canivet, qui aura force de loi. La loi pénitentiaire que se propose de vous faire élaborer cette commission incorporera, je le pense, les éléments de déontologie qui sont néanmoins nécessaires.
Mme Catherine ERHEL : Ajoutons que ce code de déontologie a fait l’objet de nombreuses réserves de la part de la Commission consultative des droits de l’homme. L’OIP n’est pas seule à en émettre sur ce texte.
M. le Rapporteur : Madame la présidente, monsieur le délégué, vous nous avez fait parvenir un dossier fort important qui décrit la situation dans les établissements pénitentiaires et comporte une série de propositions d’aménagement, que l’on retrouve d’ailleurs dans l’ensemble de vos publications, dont Dedans-Dehors. Vous y avez fait figurer des exemples pour bien faire comprendre vos propositions et la situation telle que vous l’analysez.
Ce document, élaboré sous votre responsabilité, n’apparaît pas de nature à améliorer vos relations avec le personnel de l’administration pénitentiaire. Il semble bien, à sa lecture, que vous ayez un contentieux avec ce personnel, qui se dégage aussi des réflexions que nous avons pu recueillir de leur part. C’est dommage, car cela apparaît comme une absence manifeste de dialogue avec un certain nombre de représentants syndicaux.
En ce qui concerne les problèmes de violence, vous soulignez, à juste titre, que la violence survient dans les deux sens : entre détenus et de la part de certains personnels sur les détenus. Cette violence endémique dans les établissements pénitentiaires ne trouve pas de solution du fait de la surpopulation mais aussi parce qu’il semblerait que l’on admette que la violence est nécessaire à un maintien de l’ordre permanent dans les établissements pénitentiaires surchargés !
Vous venez de donner votre sentiment sur le projet de code de déontologie. Je partage votre point de vue : ce n’est pas ce code qui réglera le problème de la violence dans les prisons et surtout la crainte permanente des personnels de l’administration pénitentiaire de se voir débordés. En ce moment, selon l’administration, on compte à peu près une agression par jour contre le personnel pénitentiaire.
Pourrions-nous imaginer, à partir de vos réflexions, des règles simples permettant de limiter cette violence et surtout de la faire connaître à l’extérieur ? Car vous soulignez très bien que la prison est un endroit à ce point fermé que l’on admet, même à la chancellerie, que le personnel et tous ceux qui y travaillent ne doivent pas dire, une fois sortis, ce qu’ils y ont vu. Vous n’avez pas exposé les règles qui empêcheraient ce silence pesant qui engendre souvent des exaspérations.
(M. Louis Mermaz remplace M. Laurent Fabius comme président.)
Mme Catherine ERHEL : Nous entretenons d’excellentes relations avec certains syndicats de personnels pénitentiaires et d’assez mauvaises avec d’autres. Nous avons toutefois noté avec intérêt que les syndicats pénitentiaires eux-mêmes sont en train d’évoluer sur la question d’une réforme des prisons. Ils prennent conscience de plus en plus que les personnels ont largement, autant que les détenus, intérêt à une réforme.
La question des violences renvoie à mon propos sur le numerus clausus. A partir du moment où l’on compte un détenu par cellule et où une prison n’est pas surchargée, les violences entre détenus, contre le personnel, voire des détenus contre eux-mêmes, sont considérablement résorbées. Toutes les personnes qui connaissent le système pénitentiaire de la Finlande ou des Pays-Bas le disent. M. Canivet l’a encore précisé récemment : l’allégement de la surpopulation carcérale et la possibilité pour un détenu d’être seul à certains moments et de retrouver son intimité réduisent considérablement les problèmes de violence.
Quant à la manière de faire connaître à l’extérieur ces violences, c’est la fonction de l’OIP et peut-être demain celle des structures que propose de mettre en place la commission présidée par M. Canivet.
M. Patrick MAREST : L’observatoire s’est donné comme ligne de conduite de ne jamais entrer dans le jeu d’une " guerre " avec les syndicats de surveillants. L’on pourra vous fournir copie de l’ensemble des tracts syndicaux que nous avons pu recevoir émanant de diverses organisations syndicales, notamment des organisations majoritaires l’UFAP et FO car ce sont des modèles du genre ! En citer peut donner la mesure de la relation qu’envisage un certain nombre d’organisations avec l’observatoire.
" Qui balance à l’OIP ? "
Sous le nez de notre chère direction de l’administration pénitentiaire, l’observatoire international des prisons divulgue généreusement dans la presse écrite les extraits des rapports de l’inspection des prisons portant sur des affaires disciplinaires des personnels. Non seulement nos conditions de travail se dégradent, alors que, dans le même temps, s’améliorent les douches et les petits déjeuners des détenus, mais aussi l’OIP, telle une petite fouine, mets son nez partout afin de trouver n’importe quel moyen pour mettre en accusation les personnels et faire passer pour une victime la voyoucratie. Le contrôle actuel que semble vouloir la ministre est significatif. Il n’y a qu’à lire la presse et l’on constatera que L’OIP et consorts l’exercent sans autorisation, sans préserver la présomption d’innocence et en diffamant l’institution et ses personnels gratuitement sur la base de déclarations ordurières de petites balances de garnison ou d’informations tronquées recueillies dans des rapports d’inspection confidentiels et mystérieusement échappés.
Tous unis, les personnels mettront un terme à cette déclaration de guerre. Ce jour-là, la chancellerie ne s’en remettra pas ! "
Ce texte est daté du 20 novembre 1999 et émane du syndicat Force ouvrière.
Nous affirmons, ce qui est d’ailleurs parfois mal compris par certains détenus, que ce qui est donné aux uns n’est pas arraché aux autres. Ce qui favorise le respect de la dignité des uns favorise, de toute façon à terme, la revalorisation de la fonction des autres.
Pour notre part, quand nous avons rendu publics les faits concernant la maison d’arrêt de Beauvais en mai 1999, s’en sont suivis plusieurs effets, dont celui de faire naître d’autres témoignages qui dénonçaient grosso modo des situations peu éloignées. Mais le plus surprenant est l’appel à l’aide lancé, en désespoir de cause, à l’observatoire par des surveillants de la maison centrale de Riom, après avoir tenté d’alerter leur hiérarchie et plus encore les autorités administratives et judiciaires extérieures à la prison, sur un réel dysfonctionnement affectant la prison et dont ne souffraient pas forcément les détenus. L’OIP a joué son rôle en signalant ce dysfonctionnement ce qui a conduit au déclenchement d’une mission de l’Inspection des services pénitentiaires. Quelques jours avant la parution de l’enquête de l’observatoire, la direction de l’administration pénitentiaire a pris une mesure conservatoire et suspendu le directeur de Riom ainsi que son sous-directeur.
M. Robert PANDRAUD : Je partage tout à fait votre opinion selon laquelle la surpopulation est le mal absolu. Tant qu’elle subsistera, les réformes seront dévoyées, les personnels travailleront toujours dans des conditions difficiles et les détenus considéreront que leur situation est inhumaine.
Nous avons voté des mesures relatives aux détentions provisoires qui peuvent faciliter les choses, mais, tant que la justice sera aussi lente, les détentions provisoires subsisteront. Depuis des années, je demande en vain à la Chancellerie que les magistrats jugent au lieu de siéger dans de multiples commissions administratives. Ils ne sont pas payés pour cela.
Je me bats également depuis des années pour une réforme de la carte judiciaire, sur l’utilité de laquelle je suis de moins en moins convaincu, car on s’aperçoit que les dossiers ne sont pas forcement réglés plus vite dans les juridictions peu chargées. Existe-t-il des études précises sur le rendement dans les tribunaux judiciaires ? Il est scandaleux que tant d’affaires mettent aussi longtemps à être jugées alors que les détenus restent en détention provisoire.
Je souhaiterais que la commission étudie ce point qui constitue l’un des moyens de limiter fortement la détention provisoire.
Sur la question des étrangers détenus faute d’être en situation régulière, je suis d’accord avec vous. Le problème devrait totalement échapper à l’autorité judiciaire. L’entrée sur le territoire français est de la seule responsabilité de l’administration française. Plutôt que de mettre en prison ces étrangers, la reconduite à la frontière et l’expulsion immédiate seraient préférables. De même, pour limiter la surpopulation carcérale, il devrait être possible d’expulser à mi-peine des étrangers vers leurs pays d’origine selon les termes de conventions inappliquées. Le nombre élevé d’étrangers multidélinquants qui passent de longues périodes dans les prisons est tout à fait inadmissible. Si, pour les Européens, les conditions de vie sont déplorables en établissement pénitentiaire, certains étrangers, hélas, finissent par connaître dans nos prisons des conditions de vie et d’alimentation supérieures à celles de leur pays d’origine.
Vous avez trouvé anormal qu’à la suite de l’appellation, oh combien réaliste ! de M. Chevènement sur les sauvageons, les incarcérations de mineurs se multiplient. Il est aussi vrai que les délits commis par les mineurs se multiplient et que la population comprend très bien qu’un mineur qui met le feu à une voiture se trouve incarcéré. A l’inverse, il est vrai que la prison est plutôt un facteur de récidive. L’on devrait monter pour les mineurs un système - je vais encore faire de la provocation - de camps de jeunesse tels que mis en place sous le régime de Vichy, mais aussi par le maréchal de Lattre !
M. le Président : Vous sortez du sujet !
M. Jacky DARNE : Je veux tout d’abord saluer le travail de l’OIP. Il existe de sa part une volonté tenace de faire respecter les droits de l’homme en prison. Bien évidemment, cela ne m’empêche pas de remarquer, à la suite de notre rapporteur, que le personnel a conscience de beaucoup des problèmes que vous dénoncez. A l’évidence, il subit dans sa grande majorité les problèmes de formation et d’effectifs et souhaiterait travailler autrement et mieux.
Ma question porte sur la nécessité qu’il y aurait à établir un contre-rapport à celui remis aujourd’hui. Vous dénoncez les dysfonctionnements car telle est votre mission. La nôtre, après avoir visité les prisons et entendu un certain nombre de personnes, sera de formuler des propositions. Dans un certain nombre de cas vous êtes à même de nous aider à " mutualiser " les expériences réussies. Je prends quelques exemples : quel est aujourd’hui le meilleur règlement intérieur ? Chaque établissement jouit d’une large autonomie de fonctionnement, dès lors, comment l’ensemble des contraintes pourrait être concilié au mieux ? Dans quel endroit les familles sont-elles le mieux accueillies ? Dans quel endroit le tarif des cantines est-il le plus intéressant ? Où le choix des détenus pouvant travailler est-il effectué dans les meilleures conditions ? Dans quel endroit, en cas de plaintes ou de suicides, les enquêtes paraissent-elles les mieux diligentées ? Où la préparation à la sortie est-elle la mieux effectuée, le droit à la santé le mieux respecté et en fonction de quels types de procédures ? J’ai lu, dans votre rapport, qu’à Villefranche - prison très moderne à gestion concédée - l’on ne distribue pas de médicaments, car cela pourrait avoir des incidences sur le mode de gestion. Une certaine modernité n’offre donc pas forcément une réponse. Pourriez-vous adopter cette approche à l’inverse de votre habitude ?
M. Patrick MAREST : Parfois, l’observatoire joue le rôle de VRP de l’administration pénitentiaire. Cela nous arrive parce que cette administration est particulièrement mauvaise en termes de communication sur ce qu’elle arrive à faire bien. Et elle fait parfois des choses très bien ! Ces initiatives relèvent en général, non de dispositifs centraux mais locaux. Par exemple à la maison d’arrêt d’Angoulême il est possible de louer le réfrigérateur et la télévision pour 60 francs. Pourquoi ne serait-ce pas possible ailleurs ? A travers ce type de constat, l’on pourrait mieux informer, sans dresser un guide " Michelin " des prisons ; nous ne le faisons pas davantage pour les pays que nous évoquons dans notre rapport annuel, afin de trouver des solutions dont il serait possible de s’inspirer pour sortir de la situation actuelle.
Mme Catherine ERHEL : Notre rôle n’est pas de rédiger le Gault et Millau des prisons. En revanche, notre contribution pourrait porter sur l’élaboration de critères. C’est ce que nous avons fait pour la commission Canivet à laquelle nous avons indiqué les critères d’un bon dispositif de contrôle externe des prisons. C’est ce que nous avons essayé de faire ici en indiquant quels pourraient être les grands axes d’une politique de réduction du recours à la prison. Nous pourrions élaborer ces critères aussi dans d’autres domaines, par exemple ceux devant présider à la rédaction d’un règlement intérieur.
M. le Président : Nous apprécions beaucoup votre travail qui est de plus en plus connu et efficace. Sans vouloir m’immiscer dans votre fonctionnement, en observant la totalité du champ, peut-être seriez-vous plus efficaces pour faire passer votre message ?
M. Julien DRAY : Vous n’avez pas précisé les rapports institutionnels que vous entretenez avec la chancellerie et l’administration pénitentiaire. Etes-vous consultés régulièrement ? Une liaison institutionnelle ou des contacts sont-ils établis ?
Quelle est la distinction que vous pouvez opérer aujourd’hui entre la situation dans les prisons à gestion privée et les prisons publiques, du point de vue des détenus, du fonctionnement de l’établissement et de tout ce qui est aujourd’hui soumis à contestation ?
Quel est votre sentiment sur l’ampleur actuelle du trafic de stupéfiants en prison ?
Mme Catherine ERHEL : Nos rapports avec l’administration pénitentiaire sont réguliers à tous les niveaux, au niveau de la direction centrale mais aussi du service de la réglementation, puisque l’OIP a fourni des outils d’accès au droit pour les détenus sous forme de brochures que l’administration a accepté de relire pour contrôler l’exactitude des informations données notamment au regard des dispositions nouvelles. Avec l’administration pénitentiaire nous entretenons des contacts réguliers.
La chancellerie nous ignore. Nous avons eu l’occasion de rencontrer récemment le directeur de cabinet de Mme Guigou auprès de qui nous avions déposé une demande de rendez-vous il y a plus de deux ans, mais jamais la ministre. Je suppose que nous ne sommes pas un partenaire social pour elle.
M. Patrick MAREST : Les relations de l’OIP avec l’administration pénitentiaire, en tout cas régulières, sont courtoises mais conflictuelles. Par ailleurs, nous fêtons chaque année l’anniversaire d’une lettre à Mme Guigou restée sans réponse, ce qui donne la mesure de l’intérêt qu’elle porte au dossier des prisons et à une organisation comme la nôtre !
Très peu d’études ont dressé un bilan comparatif de la différence entre prisons privées et publiques. La première date d’un an et demi et concerne les rapports entre les personnels pénitentiaires et les personnels privés au sein de ces établissements. Peu d’enseignements peuvent être tirés de cette première étude expérimentale si ce n’est certaines tendances : la santé est mieux assurée, le travail moins bien, mais sans éléments définitifs en la matière.
Ce bilan reste à faire, sachant qu’un certain nombre de détenus ou d’intervenants témoignent que la logique financière du privé impose parfois des choix draconiens. Je me rappelle d’un médecin psychiatre de la maison d’arrêt de Villefranche, qui se voyait interdire de prescrire du Prozac, trop cher, et auquel l’on demandait une autre prescription.
Les prisons privées bénéficient d’un avantage considérable : le numerus clausus qui y limite la surpopulation à 120 %. Il n’y a donc pas de surpopulation excessive dans les prisons privées ; malheureusement ce sont les prisons publiques alentours qui en pâtissent. Dès que l’on atteint 121 %, l’on procède à des transferts de la prison privée dans les prisons publiques.
La gestion concédée présente des avantages comme des inconvénients. Nous sommes, je crois, en pleine période de renégociation des conventions. L’OIP est en liaison avec tous les groupements privés. Ils sont abonnés à nos publications et suivent ce que nous entreprenons. Une seconde étude est engagée, si nos informations sont exactes, sur la réinsertion des détenus incarcérés dans les prisons privées.
Mme Catherine ERHEL : Le trafic de stupéfiants existe en prison. On ne peut pas l’évaluer quantitativement, mais on justifie la fouille, la fouille à nu en particulier, par les trafics de stupéfiants ou de téléphones qui ont lieu en prison. Les affaires élucidées révèlent, certes, que la drogue peut entrer par les familles, mais aussi par les surveillants, un certain nombre d’entre eux ayant été sanctionnés dans des affaires récentes. La fouille ne peut en aucun cas être le moyen de lutte contre la drogue en prison. La prison est une collectivité et il y entre ce qui entre dans toutes collectivités, drogues comprises.
Mme Catherine TASCA : Le travail de l’observatoire porte, notamment, sur le dévoilement de ce que l’on appelle " les dysfonctionnements " des établissements pénitentiaires, mais qui apparaissent clairement comme des violences, des atteintes aux droits de l’homme. Ce travail est fondamental et ne s’arrêtera plus. Grâce à lui et à celui de tous les intervenants en prison, il n’y a plus de secret sur ce dossier. Toutefois, ce dévoilement qui doit déboucher sur des sanctions et sur des dispositifs plaçant la population carcérale à l’abri de tout dysfonctionnement ne doit pas constituer le seul champ de notre réflexion. Je pense qu’une bonne part de la criminalité peut s’expliquer par les conditions de vie avant la prison. De la même façon, une bonne part des actes répréhensibles en prison - dont certains peuvent être imputés à l’administration pénitentiaire - peut être liée aux conditions de travail de cette administration. Dans le procès juste qui est mené, prenons garde à ne pas faire porter la responsabilité trop exclusivement sur l’administration pénitentiaire.
Cet état de chose est également le résultat de notre propre vision collective du rôle de la prison et du statut fait aux personnes incarcérées. J’ai trouvé très intéressante la façon dont vous définissiez ce que devraient être les droits du citoyen incarcéré. Je souhaiterais que vous alliez un peu plus loin sur ce thème. Je ne crois pas que l’obstacle aux réformes soit lié à un seul problème de moyens. Plus exactement, l’insuffisance des moyens de l’administration pénitentiaire traduit un certain état de l’opinion publique dans notre pays sur la manière dont on traite la criminalité et les détenus. Pour faire évoluer l’opinion sur ce thème, il est important de formuler des propositions très précises sur l’amélioration de l’accès au travail dans la prison, sur l’accès à la santé, à la formation ou à l’éducation.
J’aimerais que vous approfondissiez les moyens d’améliorer la relation du détenu avec sa famille. Quels droits créer pour la famille à l’extérieur et pour la personne incarcérée ?
L’idée que le public, et non seulement l’administration pénitentiaire ou la chancellerie, se forge de la personne incarcérée doit pouvoir évoluer indépendamment des problèmes posés par la surpopulation et la nécessité de prononcer des peines moins systématiquement lourdes. Au-delà, il faudrait pouvoir susciter par le droit et des mesures générales un vrai changement du regard que nous portons sur la personne incarcérée et sur ses rapports à la formation, à sa santé, sa famille.
M. Patrick MAREST : L’institution carcérale devrait s’inspirer de la relation qui peut se nouer dans les dispositifs alternatifs à l’incarcération avec la personne prise en charge. Aujourd’hui, pour l’institution carcérale, le détenu est un numéro d’écrou, quelqu’un qu’on lui confie du matin jusqu’au soir, qui est déresponsabilisé, infantilisé le cas échéant et avec lequel l’on ne construit rien. C’est précisément à l’inverse qu’il faut parvenir. Il faut associer fondamentalement la personne aux dispositifs placés autour d’elle et la situer au centre de ceux-ci. Cette approche du temps carcéral est la condition pour qu’il ne soit ni un temps gâché, ni un temps subi.
Plutôt que de parler de droits du détenu, constatons que ses droits sont ceux du citoyen. Je ne vois pas en quoi l’on pourrait déroger à ce principe : le détenu est un citoyen privé de sa liberté d’aller et venir, un point c’est tout. Il revient au législateur de réfléchir à ce que signifie cette privation de liberté d’aller et venir en milieu carcéral et dans quelle mesure les autres droits fondamentaux de la personne ou ses libertés sont restreints, limités ou empêchés. Ce sera votre travail de parlementaires.
Enfin, il faut un texte sur lequel pourront se fonder les détenus, l’instance de contrôle à venir comme l’administration pénitentiaire et dont l’un des objectifs sera de garantir le bon déroulement de l’incarcération et l’association du détenu à ce déroulement. On peut mettre les personnes au congélateur dix ans, mais il ne faut pas s’étonner qu’elles en sortent en mauvais état ! Il faut investir massivement sur ce temps de contrainte - qui n’est pas forcément qu’un temps d’emprisonnement - avec la personne, par un fort encadrement diversifié, pluridisciplinaire, afin de reconstruire un projet de vie et la restructurer si nécessaire. Voilà quels devraient être les principes de base.
Sur des points plus précis, nous avons avancé nombre d’éléments, en mai 1997, lors de la campagne sur le droit à l’intimité qui concernait tous les détenus et, au-delà, leurs proches. Le flux des détenus qui passent en prison chaque année représente 70 000 personnes ; " en stock ", selon l’expression de l’administration pénitentiaire, l’on compte 55 000 personnes, si l’on y ajoute les proches, 600 000 personnes sont concernées. Tous disent la même chose : la prison abîme et délite le lien social. Comment la prison pourrait-elle préserver les liens familiaux ? Il conviendrait, pour cela, que les gens sortent régulièrement. Cela paraît une évidence, mais l’argumentation gagne encore en force par le fait qu’une peine mixte, alliant du temps carcéral et du temps à l’extérieur, réduit les taux de récidive. C’est un tel pari qu’il faut relever.
Il est nécessaire de faire sortir les détenus au moyen de permissions de sortir, de libérations conditionnelles, de mesures de semi-liberté. Il faut modifier les règles actuelles et les rendre plus souples. Il est nécessaire par ailleurs, pour ceux qui ne sortent pas, que l’extérieur ait accès à la détention. Mme Guigou a mis deux ans et demi, pour annoncer - seulement hier - une phase d’expérimentation de trois unités de visite familiale sachant que le projet est bouclé depuis treize ans, puisque M. Badinter selon le rappel que nous en faisait M. Favard, son conseiller, avait déjà étudié ce projet. L’opinion publique n’y était pas défavorable, elle ne l’y est pas davantage, les surveillants non plus. Ils le disent de façon quelque peu agressive, car ils n’ont pas mesuré tout l’intérêt qu’ils pourraient en tirer eux-mêmes. Un mouvement de surveillants a eu lieu au Québec avant que l’équivalent de ces unités se mette en place et un autre, en sens inverse, quand s’est fait jour la velléité de les supprimer. Dès lors que l’on prend la peine de leur expliquer et de les associer, les surveillants ne sont pas réductibles au point de vue de certains syndicats majoritaires. Une enquête anonyme auprès des 20 000 surveillants donnerait, je pense, un point de vue sociologiquement peu éloigné des propos de l’observatoire. En revanche, le discours des syndicats majoritaires est à interpréter selon ses propres logiques.
Mme Catherine ERHEL : La question de Mme Tasca recouvrait un autre volet sur le droit du travail. Je pense aux nombreuses dérogations accordées à l’administration pénitentiaire, lesquelles nécessiteraient un rappel au droit commun. C’est notamment le cas en matière de droit du travail sur les questions de contrat de travail, de salaire minimum, de cotisations et d’assurance chômage, d’indemnités journalières et de tout droit social attaché au contrat de travail. C’est aussi le cas en matière de santé puisque l’on a constaté une forte augmentation de la mortalité naturelle en prison ces dernières années. Aucune autre institution ne pourrait connaître une telle augmentation de la mortalité sans être soumis au moins à une inspection. Le respect des droits du citoyen mériterait que l’on soumette l’administration pénitentiaire à une sorte d’obligation de résultats.
M. Hervé MORIN : Quels pays, selon vous, disposent des moins mauvais systèmes pénitentiaires et pourraient de ce fait justifier une visite de notre part ?
Ma seconde question, dépourvue de malignité, porte sur les moyens dont vous disposez pour effectuer votre travail dans la mesure où vous êtes une organisation non gouvernementale.
Mme Catherine ERHEL : Les politiques réductionnistes sont appliquées aux Pays-Bas et en Finlande. Il se trouve que les membres de la commission Canivet ont visité les Pays-Bas et l’Angleterre. Les modèles à étudier seraient plutôt les systèmes qui recourent à ces politiques de réduction, car, honnêtement, nous ne croyons pas que la solution passe par le recours à la prison.
Le financement de l’association est un souci constant, comme dans toutes les associations. Nous bénéficions de financements publics par le Fonds d’action sociale (FAS) notamment. Nous refusons statutairement des subventions qui viendraient du ministère de la Justice. Nous n’en demandons pas et il n’en arrive pas. La majeure partie de notre financement, 60 %, provient de produits propres. Le budget représente à peine un peu plus d’un million de francs.
M. Patrick MAREST : Ce budget s’élevait à un million trois cent mille francs l’année dernière, il sera probablement cette année d’un million quatre cent mille francs.
Soixante pour cent des ressources de l’observatoire sont issus des produits propres à l’observatoire : livres, brochures, revues... toutes choses qui sont gratuites pour les personnes détenues. L’ordre des avocats est sollicité. Le reste provient des secteurs public et privé : le FAS, la mission interministérielle de lutte contre la toxicomanie, qui a acheté nombre de brochures, et, au titre du secteur privé, des magasins comme Carrefour, Agnès B ou d’autres fondations, telle la fondation Emmaüs. Tout cela reste cependant modeste.
Mme Christine BOUTIN : J’ai été très intéressée par votre façon d’aborder la question. L’une des difficultés que notre commission rencontrera sera d’affirmer un certain nombre de choses fortes. La première étant que le détenu a les mêmes droits que le citoyen, excepté la liberté d’aller et venir. C’est là un élément essentiel ; il faut parvenir à faire passer cette idée dans l’esprit de nos concitoyens.
La seconde idée que vous avez avancée et à laquelle je souscris totalement, est votre hostilité de principe à la création de nouvelles places de prison. Elle vient s’opposer à une idée évidente : la surpopulation carcérale appelle de nouvelles prisons. La prison témoigne de l’échec de la société. Il nous faut placer notre intelligence ailleurs que dans une telle idée.
Pour avoir visité un certain nombre de prisons, je considère votre analyse juste et vraie et j’ai apprécié votre réponse sur le personnel pénitentiaire. Chacun doit comprendre que l’indignité subie par les détenus rejaillit aussi sur la dignité des personnels pénitentiaires. Chaque fois que l’on donnera de la dignité au personnel pénitentiaire, on redonnera de la dignité aux détenus et vice versa.
Le monde de la prison est clos ; il y naît des interactions et même une quasi-solidarité entre les deux populations qui s’y font face. Les uns et les autres font ce qu’ils peuvent dans des conditions inhumaines.
Quels sont vos moyens d’observation ?
Quel est le problème spécifique des femmes en prison ?
Que pensez-vous du système pénitentiaire canadien ?
M. Patrick MAREST : L’observatoire organise des groupes locaux d’observation pour chacun des établissements pénitentiaires. Nous nous inspirons beaucoup de l’action d’Amnesty international, mais l’observatoire s’en différencie sur deux points. Là où Amnesty mobilise ses militants sur des sections extraterritoriales et sur un principe de neutralité, nous avançons, quant à nous, un principe d’ingérence citoyenne et locale. Nous allons faire en sorte que des personnes extérieures soient dans nos groupes, de préférence des personnes à la fibre journalistique sachant organiser et manier l’information afin de rendre publiques les données. Mais les personnes qui voient et qui entendent sont celles qui subissent directement ou indirectement la prison : les détenus ou leurs proches, mais aussi tous les gens qui travaillent ou interviennent en milieu pénitentiaire. Ces intervenants sont nombreux : avocats, magistrats, éducateurs, médecins, visiteurs et toutes les catégories de personnel. Tous sont invités, lorsqu’ils sont témoins d’un dysfonctionnement, d’une carence, d’un abus ou d’un mauvais traitement à nous le faire savoir.
L’observatoire ayant été créé par un ancien journaliste du Monde, nous pratiquons une certaine religion de l’information et de sa vérification. Aussi, nous ne rendons publiques qu’un peu plus du quart des informations qui nous parviennent, parce que les autres nous semblent insuffisamment justifiées. C’est frustrant, dans la mesure où il ne nous manque parfois que peu de chose pour pouvoir publier des éléments dont nous sommes convaincus de la véracité. Mais il ne suffit pas d’être convaincu, il faut pouvoir apporter des preuves le cas échéant.
Nos propos - les 300 ou 350 communiqués réalisés par l’observatoire depuis son implantation en France en 1996, n’ont jamais été pris en défaut ou n’ont jamais fait l’objet d’une plainte des pouvoirs publics.
La façon dont nous essayons d’opérer une mobilisation sur la nécessaire connaissance du droit pénitentiaire, qui n’est enseigné nulle part, la nécessaire dextérité qui est à acquérir sur l’enquête, le maniement et la production de l’information ainsi que le fait d’avoir à traiter de l’humain, ce qui s’avère parfois très dur, constitue nos difficultés quotidiennes et explique que nous sommes parfois mal compris. L’on attend parfois beaucoup de l’Observatoire et l’on se trompe aussi sur son mandat. Ce n’est ni un syndicat de détenus ni un comité d’experts qui fait des visites et rend un rapport. Nous ne sommes pas davantage une organisation humanitaire et n’allons pas installer l’eau chaude, là où seule coule l’eau froide. Nous sommes une organisation des droits de la personne, car il nous semblait qu’il manquait une structure permettant de progresser et d’interpeller nos contemporains pour les amener à se préoccuper de ce qui se passe derrière les murs des prisons, qui sont, selon nous, un espace public.
Il s’agit de s’assurer que les personnes qui ont été détenues sortent de prison dans un meilleur état que celui dans lequel ils sont entrés, faute de quoi leur incarcération a été inutile. Nous sommes de plus en plus persuadés que cela ne sert à rien. N’avoir comme réponse unique que la prison à des problèmes aussi divers que l’abus de biens sociaux, le vol, le viol, la toxicomanie, révèle un manque collectif d’imagination et l’on serait inspiré de trouver d’autres solutions plus efficaces. Aujourd’hui, le système échoue. Pour les petites peines, les taux de récidives avoisinent les 80 %. Au surplus, la prison coûte cher à la collectivité : de 400 à 500 francs la journée de détention d’une personne, autrement dit nettement plus cher que l’allocation du ministère de la Justice pour le contrôle judiciaire qui s’élève à 1 650 francs par an pour une personne. Nous sommes face à un véritable choix de société.
Mme Catherine ERHEL : Les femmes en détention sont relativement peu nombreuses. Elles représentent 4 % de la population carcérale ; il en va de même dans tous les pays. Un criminologue de Pau avance que les femmes commettent moins de crimes du fait d’une meilleure insertion familiale et affective. Ce pourrait être une source d’inspiration pour des politiques de prévention de la délinquance.
Le fait que les femmes soient peu nombreuses en prison ne leur évite pas la surpopulation. A la maison d’arrêt des femmes de Versailles, les détenues sont six par cellule, mineures et majeures réunies. Cette surpopulation provient du fait que, à l’exception de la maison d’arrêt des femmes de Fleury-Mérogis, il y a peu d’endroits où les femmes sont accueillies. Dans leur statut de détenues, elles ne se différencient pas des hommes. Elles vivent très mal la fouille à nu, comme les surveillantes qui la pratiquent avec dégoût. Elles vivent très mal les atteintes à l’intimité, notamment en matière d’hygiène. Les atteintes à l’identité et le fait d’être appelées par leur patronyme et souvent par leur nom de jeune fille alors même qu’elles sont mariées depuis longtemps sont aussi très mal vécus. Enfin, elles vivent très mal, comme les hommes, les ruptures familiales et les problèmes de placement d’enfants dans la famille, dans des familles d’accueil ou des foyers. Les parlementaires sont sensibles à cette question, puisque l’interdiction de la détention provisoire pour les parents isolés d’enfants de moins de dix ans a été votée. Ce type de disposition devrait être élargi parce que le coût social d’une femme en détention est très important quand il oblige au placement de toute une fratrie.
Les enfants de moins de 18 mois sont des détenus sans statut et sans cause, des détenus arbitraires en quelque sorte. Le seul établissement équipé pour les recevoir est la maison d’arrêt des femmes de Fleury-Mérogis. Dans tous les autres établissements, l’enfant est placé en cellule avec la mère, parfois 18 heures sur 24.
La seule chose que je connaisse du Canada se rapporte au traitement des délinquants sexuels qui a fait l’objet de nombreuses publications.
M. Patrick MAREST : Au Canada les unités de vie familiales sont en place depuis 20 ans, l’office des droits des détenus depuis vingt-cinq ans. Cet équivalent à l’observatoire a sans doute joué un rôle dans la perception par l’opinion publique de la dimension carcérale, du surveillant, du détenu, du sens de la sanction, de la pertinence de la solution d’incarcération dans tel ou tel cas. Cela a conduit à une philosophie de la sanction un peu différente de la nôtre. Je ne peux que vous conseiller d’aller l’étudier sur place.
M. le Rapporteur : Les femmes condamnées à de longues peines sont incarcérées à Rennes, établissement qui commence à s’équiper de manière assez importante et apparemment convenable pour l’accueil des enfants. Un accord est passé avec la municipalité de Rennes pour l’accueil en crèche des enfants une ou deux fois par semaine, ce qui permet une meilleure socialisation des enfants, détenus quelque peu arbitraires !
Mme Nicole CATALA : Il ressort de vos propos - je suis à l’unisson de vos observations sur ce point - que la prison devrait aussi servir à la réinsertion des détenus et à préparer leur retour à une vie normale. Selon vous, combien de détenus sortent aujourd’hui des prisons françaises prêts à engager les démarches nécessaires pour se réinsérer même s’ils n’y parviennent pas toujours ? Combien sortent amendés ? Ce pourcentage étant faible, quelles actions devraient être engagées pour l’améliorer ?
M. Patrick MAREST : Les études sur la récidive ne sont pas quotidiennes ; la dernière date de 1985, une autre est en cours. Autrement dit, il n’y a pas de culture de l’obligation de résultat dans l’administration pénitentiaire. L’on ne peut que constater que beaucoup de personnes retournent en prison, ce qui ne manifeste pas d’une réinsertion réussie. L’on sait que 80 % des sortants n’ont bénéficié d’aucun aménagement de peine - ni de libération conditionnelle, ni de semi-liberté, ni de placements extérieurs - alors même que le temps carcéral mixte - avec du temps placé à l’extérieur - sert à préparer la sortie. Nous sommes sur cette question " cul par-dessus tête " et l’on continue à ne pas comprendre où est la bonne direction. L’institution est peut-être incapable de remplir la mission qui lui est confiée ; en tout cas, son échec est patent.
M. Julien DRAY : Mon collègue, M. Mamère, voulait savoir si vous vous étiez penchés sur la situation des détenus basques.
Mme Catherine ERHEL : La grande revendication des détenus basques porte sur le rapprochement avec leurs familles. Un mouvement de grève de la faim a encore lieu en ce moment. Ce problème est réel pour les détenus basques mais il se pose aussi pour les autres détenus. Il existe un réel problème de choix du lieu de détention en fonction du lieu du domicile. Les prévenus sont incarcérés sur le lieu de leur infraction, quel que soit leur domicile. La règle s’impose, même si la détention est longue. Mais il se pose tout autant pour les condamnés, notamment pour les femmes, car il n’y a que très peu d’établissements pour condamnées femmes. Ils sont tous situés dans la moitié nord de la France ce qui implique que des détenues condamnées sont forcément incarcérées très loin de leur famille.
J’ai le souvenir d’une femme détenue à Marseille où un dispositif s’était mis en place avec la famille d’accueil de son enfant et qui, une fois condamnée, a été transférée dans une prison du nord, ce qui a signifié la rupture complète des liens familiaux. Ce problème du maintien des liens pour les condamnés revêt un caractère général, certes pour les Basques, mais pas seulement.
M. Robert PANDRAUD : Je n’ai pas entendu parler de formation scolaire. Quand on parle de réinsertion, il faut avoir ce facteur à l’esprit. Les réinsérés ont souvent bénéficié d’une scolarisation volontaire et donc réussie en détention. Pour les autres, il vaudrait mieux parler d’insertion que de réinsertion, la plupart n’ayant jamais été réellement inséré dans la société. L’école, voire le passage d’un diplôme, permettent une réinsertion à 80 %.
Mme Catherine ERHEL : Il y a quelques années, une mesure très incitative à la scolarité en prison existait : chaque diplôme donnait droit à des remises de peines. Elle a été supprimée.
M. le Président : Merci, madame la Présidente et monsieur le délégué national.
Source : Assemblée nationale. http://www.assemblee-nationale.fr
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