Présidence de M. Laurent FABIUS, Président

M. Patrick MOUNAUD est introduit.

M. le Président lui rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d’enquête lui ont été communiquées. A l’invitation du Président, M. Mounaud prête serment.

M. Patrick MOUNAUD : Monsieur le Président, mesdames, messieurs les députés, je me propose de vous faire un exposé liminaire sur l’histoire de l’école, sur la façon dont elle s’est construite et sur son projet actuel qui vise à améliorer la qualité du service des fonctionnaires de l’administration pénitentiaire.

L’école nationale de l’administration pénitentiaire s’est construite par étapes depuis 1966, date de son installation à Fleury-Mérogis. Elle a d’abord été une école de surveillants, qui se caractérisait à la fois par l’ampleur des personnels recrutés et par sa formation pédagogique, un gradé-formateur s’occupant d’un groupe de quinze élèves surveillants, lesquels étaient formés essentiellement par lui.

L’ENAP est ensuite devenue une école d’éducateurs, car, dès cette époque, des éducateurs, désormais dénommés " conseillers d’insertion et de probation " ont été recrutés de manière régulière dans l’administration pénitentiaire. C’est également devenu une école formant les directeurs des établissements pénitentiaires depuis la réforme de 1977 qui a créé le statut des personnels de direction. Enfin, l’ENAP est aussi un centre de formation continue et une école de formation des personnels administratifs et techniques.

Il s’agit véritablement de cinq écoles, qui travaillaient les unes à côté des autres, sans que pratiquement aucun lien ne soit tissé entre les différents cursus de formation.

En 1994, il a été décidé de délocaliser l’école de l’administration pénitentiaire qui s’implantera en septembre 2000 à Agen. À l’occasion de cette délocalisation, la question de la réorganisation complète de la pédagogie de l’école s’est posée ; un audit fut réalisé en 1997, lequel a mis l’accent sur les lacunes de la juxtaposition des différentes formations, juxtaposition qui ne permettait pas aux différentes catégories de fonctionnaires de se connaître dès le début de leur formation et leur entrée dans l’administration pénitentiaire. La nécessité de renouveler les méthodes pédagogiques a également été soulignée. Sur la base de cet audit, la réorganisation a été lancée depuis maintenant dix-huit mois avec plusieurs objectifs :

Le premier est de transformer l’école en un lieu d’expertise et d’enseignement, et non pas seulement un lieu d’organisation de formation ; dans cette optique, une direction de la recherche a été mise en place à côté de la direction des enseignements. C’est un premier élément essentiel, car il permet à l’école de disposer de formateurs pour les personnels de surveillance, mais aussi de mettre en place un corps enseignant en mesure d’établir des relations plus construites avec le réseau universitaire ou les partenaires relevant du domaine de la recherche.

Le deuxième objectif consiste à développer davantage de transversalité entre les corps de fonctionnaires. Il est absolument nécessaire de l’atteindre, puisque le choix a été fait de garder une seule école, ce qui, somme toute, est assez exceptionnel pour une administration qui compte 26000 fonctionnaires. En effet, il y a beaucoup d’exemples d’administrations qui comptent plusieurs écoles. On aurait ainsi pu imaginer une école pour le personnel de surveillance, une école de personnel d’insertion et de probation, et une école des cadres, mais le parti a été pris de maintenir une seule école. On veut donc pousser jusqu’au bout cette logique et créer davantage de transversalité. Ce qui se réalise de deux manières : en mettant en place, au sein de la direction des enseignements, des équipes par domaine d’enseignement, en charge des enseignements pour toutes les catégories professionnelles, et en développant entre les différentes formations des relations plus régulières.

Le troisième objectif consiste à développer des parcours beaucoup plus personnalisés de formation, car les fonctionnaires que nous recevons ont des acquis en formation ou des acquis professionnels très divers. Il faut que nous puissions en tenir compte le plus possible dans le déroulement de la formation.

Voilà en quelques mots les objectifs.

Quant aux enjeux spécifiques, ils se traduisent par un renouvellement quasiment complet des personnels de l’école, qui se justifie, à la faveur de la délocalisation, par l’abandon de secteurs de compétences : la restauration ou la maintenance. De ce fait, nous avons pu recruter davantage d’enseignants. La loi de finances pour l’année 2000 a prévu la création de quinze emplois, permettant le rééquilibrage des catégories de personnels : il y avait seulement 32 % de personnels de catégories A et B dans la loi de finances pour 1999 et nous pourrons passer à 58 % avec la loi de finances pour 2000. C’est là un élément essentiel. Nous procédons actuellement à ces recrutements et avons déjà atteint 41 % de catégories A et B, ce qui nous permettra d’améliorer la qualité des enseignements.

Le deuxième enjeu réside dans l’accueil d’effectifs d’élèves toujours plus nombreux ; cet accroissement résulte des créations d’emplois qui peuvent exister dans l’administration pénitentiaire, mais est également une conséquence des effets de la bonification du cinquième, qui permet aux personnels de surveillance de partir à la retraite cinq ans plus tôt s’ils comptabilisent vingt-cinq années de service. Ils peuvent ainsi bénéficier d’une année supplémentaire de cotisations pour cinq années accomplies, comme pour les fonctionnaires de police. Une telle mesure n’est appliquée dans l’administration pénitentiaire que depuis cinq ans et ses effets se font actuellement ressentir. Les effectifs d’élèves ont crû de manière considérable, puisqu’en 1998 nous recevions 2118 élèves dans l’année contre 3387 en 2000, soit quasiment un doublement du nombre d’élèves. Cela touche particulièrement certaines catégories, tels les chefs de service pénitentiaire qui vont être renouvelés de plus de 50 % en moins de trois ans, ce qui ne sera d’ailleurs pas sans conséquence sur l’évolution de l’institution.

Il convient encore de considérer la forte évolution du profil des élèves recrutés dans tous les corps. Les personnels de surveillance sont recrutés au niveau du brevet des collèges. Actuellement, ceux que nous recevons ont, en moyenne, un niveau bac + 1 ; 85 % ont le bac et 35 % ont un niveau supérieur au DEUG..

Les conseillers d’insertion et de probation sont recrutés au niveau DEUG. Actuellement, 85 % des élèves recrutés ont une maîtrise en droit.

Les chefs de service pénitentiaire, les anciennement dénommés " surveillants chefs " qui, jusqu’en 1993, étaient uniquement recrutés en concours interne sont dorénavant recrutés, pour 25 % d’entre eux, en concours externe ; cependant, dans la mesure où il n’y a pas suffisamment de candidats en concours interne, nous en retenons davantage en concours externe. Les candidats à ce concours externe ont le niveau de la licence, généralement acquise dans les matières juridiques.

L’évolution considérable du profil des élèves exigeait, de toute façon, une adaptation de la pédagogie de l’école.

Nous avons enfin noué un partenariat universitaire, très largement renouvelé à la faveur de la délocalisation ; ce partenariat était déjà préexistant en région parisienne mais il va être accentué. Un partenariat avec le réseau des écoles de service public, telles que les écoles de la police, les écoles de santé, tant il est vrai qu’il existe de nombreuses relations entre une direction de prison et une direction d’hôpital, ou l’école nationale de la magistrature, ainsi qu’avec le centre national de la formation de la protection judiciaire de la jeunesse va être établi.

M. le Rapporteur : Vous avez répondu à la question que je souhaitais vous poser sur le niveau de base des élèves de l’école. On relève une évolution certaine. Compte tenu des rémunérations des agents et de leur formation de base, constate-t-on un sentiment de frustration et des revendications fortes ?

M. le Président : Combien gagnent les différents agents lorsqu’ils sont en fonction ?

M. Patrick MOUNAUD : Les personnels de surveillance gagnent en moyenne 8 000 francs nets lorsqu’ils débutent et peuvent atteindre 13000 francs en fin de carrière. Les conseillers d’insertion et de probation commencent leur carrière à 8700 francs et terminent à 14 000 francs, les directeurs débutent à 9000 francs pour finir à 23000 francs.

Il existe toujours des revendications salariales. Nous recrutons en masse des personnels qui, dans un premier temps, espèrent avoir des perspectives de carrière importantes, puisqu’ils sont recrutés largement au-dessus du niveau du concours. Lorsqu’ils sont surveillants et qu’ils ont une licence en droit, ils considèrent qu’ils pourront très rapidement obtenir le concours de chef de service pénitentiaire ou celui de directeur ; or, la réalité est bien différente. La situation de ces personnels recrutés à un niveau élevé et qui, par la force des choses, n’accéderont pas au niveau de responsabilité auquel ils peuvent prétendre, nous inquiète. Cependant, nous constatons un rapide retour au principe de réalité. D’une étude réalisée il y a quatre ou cinq ans par M. Benguigui, il ressortait que, dès la troisième année, ils avaient repéré leurs véritables perspectives d’évolution. Il nous revient ensuite de déceler le degré de démotivation et de beaucoup travailler sur l’enrichissement des métiers pour maintenir élevée la mobilisation des personnels.

S’agissant de la durée des études, les élèves surveillants sont formés pendant huit mois. Le principe de formation est fondé sur l’alternance ; autrement dit, il est partagé entre des stages en établissement et des temps de formation à l’école.

Pour les chefs de service pénitentiaire, le temps de formation est d’une année. Pour les conseillers d’insertion et de probation, de même que pour les directeurs, il est de deux ans. Viennent ensuite toutes les autres catégories intermédiaires pour lesquelles les temps de formation peuvent varier, mais les grandes orientations de la formation sont celles-là.

Les principes de formation sont toujours fondés sur l’alternance entre des stages plus variés et diversifiés et des périodes de formation longues. Les surveillants font des stages dans deux types d’établissements différents, une maison d’arrêt et un établissement pour peines, et un stage à l’extérieur chez un partenaire du service public pénitentiaire, que ce soit un partenaire du ministère de la Justice, du ministère de l’Intérieur ou des associations. Pour les autres catégories, le choix de stages est plus large.

M. Louis MERMAZ : J’interviens dans le droit fil de ce que vous venez de dire. On parle beaucoup de mobilité des carrières, mais aussi d’évolution des métiers. La difficulté que vous rencontrez est exactement la même que celle à laquelle est confrontée la police avec l’élévation du niveau d’études. Avez-vous percé la vocation de ces jeunes, hommes ou femmes ou arrivent-ils là par hasard parce qu’il faut bien faire quelque chose, gagner sa vie ? Une vocation existe-t-elle ?

Y a-t-il des passerelles entre les fonctions de surveillants et d’éducateurs ? On constate que les prisons manquent grandement d’éducateurs. On a besoin aussi de plus de formation professionnelle. Indépendamment des concours, existe-t-il des possibilités d’évoluer à l’intérieur de l’administration pénitentiaire ? Par ailleurs, pourrait-on envisager - c’est un immense problème pour la fonction publique - de ne pas être toute sa vie surveillant ou appartenant à la pénitentiaire ? Je sais bien que les catégories, parfois le corporatisme, sont très lourds, mais ne pourrait-on être un certain temps surveillant ou éducateur et ensuite passer dans un autre corps de la fonction publique ?

M. Patrick MOUNAUD : Plusieurs études ont été réalisées sur le thème de la vocation, des questions ayant été posées à des centaines de personnels de surveillance. La réponse est toujours la même : la vocation est au départ absente. Les personnels de surveillance rentrent rarement par vocation dans l’administration pénitentiaire. La meilleure preuve tient dans la différence d’âge entre le recrutement des personnels de police et des personnels de surveillance. Les premiers sont recrutés en moyenne deux ou trois ans plus jeunes que les personnels de surveillance. Cela indique que l’on passe le concours de surveillant plus tard. En général, ce que relèvent les études qui ont été faites c’est que les candidats ont déjà entendu parler de la prison : ils ont toujours des connaissances, soit parmi les personnels de surveillance, soit parmi les personnels de sécurité - police, gendarmerie.

La tradition, dans l’administration pénitentiaire, est de dire que l’on n’entre pas avec la vocation, mais qu’on l’acquiert quand on y est ! (Rires.) Les études sur ce sujet sont moins nombreuses ! Cela dit, les personnels travaillent avec beaucoup de conviction.

Je viens de parler des personnels de surveillance. Il en va différemment des personnels d’insertion et de probation et des personnels de direction.

Les personnels d’insertion et de probation ont choisi ce métier depuis les premiers concours. On constate toutefois une évolution forte parmi les candidats. Il y a quelques années, les étudiants étaient davantage issus de filières " sciences humaines " alors qu’ils sont, à l’heure actuelle, issus à 85 % de filières juridiques. C’est là une évolution que nous avons du mal à expliquer, qui nous conduit d’ailleurs à réorganiser les enseignements, car les étudiants possèdent tous une maîtrise ou un DEA de droit, droit public ou droit privé - c’est assez partagé. Nous devons donc dispenser beaucoup plus de cours de sciences humaines, matière qu’ils n’ont pas acquise auparavant. Pour eux, on peut considérer que la vocation est présente dès le départ.

Pour les personnels de direction, nous avons constaté également, avec les derniers concours, que les universités ont davantage investi au niveau des troisièmes cycles ces domaines qui touchent, soit à la prise en charge de publics en difficulté, soit à la sécurité publique et que, de ce fait, nombre des candidats que nous retenons ont accompli un troisième cycle qui les a déjà préparés ou sensibilisés à ces domaines par un DESS ou un DEA de criminologie. Sans parler véritablement de vocation, un parcours a déjà été préparé dans le cadre d’un troisième cycle universitaire.

Il n’existe pas actuellement de véritables possibilités de passer de la profession de surveillant à celle d’éducateur. Il s’agit tout d’abord de deux corps de catégorie différente. Les surveillants sont des corps de catégorie C, les conseillers d’insertion et de probation des corps de catégorie B. Seule existe la possibilité du concours interne et c’est pourquoi, tous les ans, des personnels de surveillance passent et réussissent le concours de conseiller d’insertion et de probation.

L’ENAP considère que surveillants comme conseillers d’insertion et de probation sont deux publics qui découvrent en même temps l’administration pénitentiaire. Nous essayons de faire des formations communes. De ce fait, les passerelles seront plus accessibles, et en tout cas, le travail en commun sera simplifié ; les surveillants seront également davantage incités à passer le concours.

Cela étant, le concours de conseillers d’insertion et de probation est difficile, puisque se présente un nombre élevé de candidats. Les surveillants doivent être d’un bon niveau pour le réussir, ce que l’on constate effectivement si l’on se réfère aux dernières promotions recrutées.

Un surveillant pourrait-il faire autre chose que de rester en établissement pénitentiaire ? Au sein de l’administration pénitentiaire, j’espère que l’équilibre entre le milieu fermé et le milieu ouvert continuera de s’affirmer et que, par conséquent, la situation des services pénitentiaires d’insertion et de probation permettra d’accueillir en son sein des personnels de surveillance qui peuvent également apporter dans ces services leur savoir-faire.

Peuvent-ils investir d’autres administrations ? Je pense que ce serait très souhaitable. L’étanchéité entre les différents corps de la fonction publique devrait être moindre.

M.Hervé MORIN : Quel type de formation suivent les surveillants pendant leur temps passé à l’ENAP ?

Quel est le niveau des enseignants ? D’où viennent-ils - d’après ce que j’ai compris, pour l’essentiel, de l’université.

Compte tenu du niveau de recrutement se situant à bac +1, bac +2 ou bac +4, les jeunes surveillants passent-ils d’autres concours internes pour échapper assez rapidement à l’administration à laquelle ils appartiennent, même si j’ai bien compris que la vocation venait avec le temps ?

M. Patrick MOUNAUD : Les enseignements dispensés aux élèves surveillants portent tout d’abord sur la réglementation pénitentiaire qui leur permet de connaître le cadre dans lequel ils vont travailler. Des enseignements en sciences humaines sont également dispensés. Nous sommes en train d’équilibrer au mieux ces deux parts d’enseignement, dans la mesure où les personnels de surveillance sont tout aussi bien confrontés au respect du droit qu’au respect de la personne, et ces deux enseignements correspondent à leur travail quotidien.

Ils reçoivent également une formation au tir, une formation poussée à la self défense, car nous souhaitons leur donner les moyens d’avoir la juste maîtrise d’eux-mêmes face à d’éventuelles agressions. C’est pourquoi la formation à la self défense, que nous couplons toujours avec les autres enseignements de sécurité, est importante.

Telles sont les grandes catégories de formation dispensées à l’école aux personnels de surveillance : enseignement de droit, de sciences humaines, de self défense, de tir et de sécurité.

J’en viens au corps enseignant. Pour les personnels de surveillance, 80 % des cours sont dispensés par des fonctionnaires gradés de l’administration pénitentiaire. Viennent ensuite d’autres intervenants : soit d’autres personnels de l’administration pénitentiaire, soit des représentants des différentes associations et partenaires de l’administration pénitentiaire, qui sont très nombreux. Nous faisons en sorte que les personnels de surveillance prennent connaissance, dans le temps de formation, de l’ensemble de ces partenaires, qu’ils soient issus du monde associatif ou d’autres ministères, tels que celui de la Santé.

Les universitaires font plutôt généralement des introductions aux cours. Quand il y a des enseignements de type universitaire, ce sont des introductions au cours de nature juridique ou de sciences humaines. Ensuite, ces enseignements sont repris dans le cadre de travaux dirigés en groupes restreints.

Le souhait des jeunes fonctionnaires de quitter l’administration pénitentiaire existe au départ. Il y a un premier temps où les personnels de surveillance doivent confirmer l’acceptation du concours. Nous connaissons toujours à ce moment là des départs de l’ordre de 3 à 4 % pour chaque promotion, une promotion étant constituée à l’heure actuelle d’environ 350 élèves et bientôt 500. Il s’agit soit de démissions " sèches ", ce qui est assez rare, soit des démissions du fait de la réussite à un autre concours. Ils passent tous plusieurs concours en même temps et ils quittent l’administration pénitentiaire lorsqu’ils obtiennent un concours d’adjoint administratif dans n’importe quelle autre administration, que ce soit la police, la gendarmerie ou les douanes.

Je ne dispose pas des chiffres d’" érosion " pendant le parcours de carrière. Je n’ai pas l’impression qu’ils soient très élevés.

M. Robert PANDRAUD : Je crois qu’il ne faut pas rêver sur un éventuel décloisonnement entre les fonctions publiques. Aucune politique générale de la fonction publique n’a prévalu dans ce pays depuis 1946. La seule politique qui existe en la matière est menée par un bureau de la direction du budget soumis aux catégories et syndicats. Il n’y aura jamais de décloisonnement. Ce que vous nous dites est tout aussi valable pour d’autres administrations.

La " surdiplomite " est dans la nature des choses. Les jeunes passent plusieurs concours dès que la possibilité leur en est donnée. Ne pensez-vous pas qu’il conviendrait de s’interroger sur le procédé même du concours ? Je sais que c’est le moins mauvais des systèmes, sans doute le plus démocratique, mais c’est celui qui casse le plus la motivation. Ne pourrait-on plutôt instaurer un système d’auditions ou de tests ? Plus que des surdiplômés, il faut des personnes qui s’adaptent aux postes - c’est tout aussi vrai dans la police - car autrement on fabrique des aigris dans toute la fonction publique, ce qui explique certains mouvements. Nous sommes dans un monde d’aigris ! Avant, on était heureux d’entrer dans la fonction publique, c’était une promotion sociale ; aujourd’hui, c’est considéré comme un recul.

M. Patrick MOUNAUD : Nous apportons des réponses à cette question depuis plusieurs années et pour toutes les catégories. Les concours ne sont pas seulement des concours écrits ; une épreuve orale importante nous permet d’apprécier la personnalité et la motivation des candidats. Effectivement, nous retenons des personnes surdiplômées, mais le choix opéré tient compte de leur personnalité. Nous associons toujours un psychologue aux jurys de concours ; les personnels pénitentiaires y participent ainsi que d’autres catégories, dont des magistrats. Nous accordons de la sorte une grande importance à la personnalité et à la motivation. Nous en accordons encore davantage pour les chefs de service pénitentiaire, les conseillers d’insertion et de probation et les personnels de direction, car nous avons mis en place depuis plusieurs années un système de tables rondes qui confrontent les candidats les uns aux autres pendant une demi-heure, permettant ainsi d’observer véritablement leur personnalité. Le concours intègre des éléments qui nous permettent de tenir compte de la spécificité du métier qu’ils auront à assumer.

Mme Nicole BRICQ : Monsieur, vous avez indiqué que 80% des formateurs étaient issus de l’intérieur. Pourriez-vous détailler ce que vous nommez l’extérieur, qui représente 20 % ?

Vous avez évoqué les conventions que vous signez avec les universitaires. Je souhaiterais en connaître le détail.

M. Patrick MOUNAUD : Les interventions extérieures sont assurées par les partenaires qui travaillent avec l’administration pénitentiaire. Il s’agit tout à la fois des associations, telles que l’association des visiteurs de prison, de représentants du ministère de la Santé, et plus précisément des services de santé des établissements pénitentiaires qui présentent leur service, ainsi que des représentants des groupements d’entreprises qui ont en charge la gestion des établissements pénitentiaires.

Par ailleurs, des enseignements sont assurés par des universitaires ou des spécialistes, tels que certains enseignements de sciences humaines.

J’ai sans doute commis une erreur en indiquant un pourcentage de 80 %, car nous donnons des cours de secourisme assez nombreux ; en effet, il est important que les personnels de surveillance soient assurés dans leurs fonctions. En dehors de la self défense, le secourisme nous paraît être un élément essentiel pour les personnels de surveillance ; il est assuré par des partenaires, généralement la Croix Rouge.

Voici les partenaires qui interviennent dans la formation des surveillants.

Pour les autres catégories, le partenariat est beaucoup plus important. La proportion n’est plus de 80 % - 20 %, mais plutôt de 50 % - 50 %.

S’agissant des conventions passées avec les universités, certaines nous lient pour la formation des conseillers d’insertion et de probation avec l’université Paris XIII. L’université assure à la fois les enseignements de politique publique et des enseignements de méthodologie du travail social. Ces conventions ont été passées il y a déjà cinq ou six ans avec l’objectif de donner une validation universitaire aux enseignements de l’école. Actuellement, les liens que nous nouons avec l’université ne revêtent plus véritablement le même objet. Ils visent davantage à inciter les universités à développer le champ de recherches et d’études en droit pénitentiaire et à donner la possibilité aux élèves de l’école, avec un cursus supplémentaire, d’obtenir des diplômes ; nous sommes en train de développer de telles conventions avec les universités du Sud-Ouest - Pau, Bordeaux, Toulouse - puisque nous allons nous implanter à Agen. Les élèves se verront offrir la possibilité de s’inscrire à des diplômes d’études supérieures spécialisées qui vont être mis en place. Les thématiques de ces diplômes seront centrées sur l’exécution des peines et les droits de l’homme et un autre sera plus orienté vers l’exécution des peines et les sciences humaines. Ils seront mis en place pour que les élèves qui le souhaitent puissent, en plus de leur formation à l’ENAP, bénéficier de ces cursus qui nécessiteront de leur part un investissement supplémentaire.

Par ailleurs, nous sommes en train d’initier - l’université de Bordeaux l’a adoptée et transmise au ministère de l’Éducation nationale - une licence professionnelle de sciences pénitentiaires qui permettrait notamment aux élèves surveillants ou aux élèves chefs des services pénitentiaires d’obtenir ce diplôme, qui viendrait également en sus de leur diplôme de formation. Il s’agit donc davantage d’ajouter, pour ceux qui le souhaitent, une formation supplémentaire et d’associer les universités à la recherche et à l’étude dans les domaines qui nous concernent, plutôt que de labelliser les formations, dans la mesure où l’école a suffisamment recruté d’universitaires pour ne pas rechercher une labellisation universitaire de ses formations.

Mme Nicole CATALA : Je reviens d’un mot sur le recrutement. Vous avez indiqué qu’un psychologue était associé au jury. Des épreuves ou des tests sont-ils pratiqués et quelle est leur part dans les points d’admission au concours ?

M. Patrick MOUNAUD : Le psychologue fait partie du jury, mais aucune expertise psychologique n’intervient. Le psychologue voit le candidat, analyse son attitude, ses réactions, ses motivations et fait part de son avis au jury.

Mme Nicole CATALA : Il n’a donc pas d’entretien particulier avec lui, ne le soumet à aucun test ?

M. Patrick MOUNAUD : Il le soumet à un entretien particulier, mais on ne fait pas passer au candidat une batterie de tests spécifiques et calibrés, qui pourraient l’écarter complètement ; toutefois, le jury est informé des résultats de cet entretien.

Mme Nicole CATALA : Quel est l’âge limite pour se présenter au concours ?

M. Patrick MOUNAUD : Quarante ans.

Mme Nicole CATALA : L’administration pénitentiaire est l’une des deux administrations pour lesquelles le droit européen admet des concours séparés. Quels sont les emplois féminisés dans l’administration pénitentiaire ?

M. Patrick MOUNAUD : Ils le sont tous, à l’exception des personnels de surveillance, et plus spécifiquement des surveillants, car, s’agissant des gradés et des chefs de service pénitentiaire, qui sont aussi des personnels de surveillance, il n’y a pas de quotas. Il peut s’agir d’hommes ou de femmes, peu importe.

Mme Nicole CATALA : Les gradés peuvent être des femmes, mais pas les surveillants.

Mme Nicole BRICQ : C’est l’un des problèmes que nous avons rencontrés dans le cadre de la loi sur l’égalité professionnelle.

Mme Nicole FEIDT : Combien comptez-vous de femmes à l’ENAP et à quelles fonctions précises les réservez-vous ? Nous avons voté une loi sur l’égalité professionnelle et nous nous heurtons à cette difficulté pour certains emplois.

M. Patrick MOUNAUD : Parmi les élèves, les personnels de direction sont à peu près à égalité. Une analyse réalisée sur les dernières promotions démontre que l’on commence à compter une majorité de femmes, exception faite de la toute dernière promotion, mais c’est le hasard du concours. Aucun critère lié au sexe n’intervient dans le concours.

Pour les personnels d’insertion et de probation, le personnel est à majorité féminine.

Pour les chefs de service pénitentiaire, on constate une croissance régulière du nombre de femmes admises au concours. La proportion n’a pas encore atteint 50 %. La promotion actuelle compte 25 % de femmes. Le concours de surveillants fixe le nombre de femmes ; généralement, la proportion reste assez faible. Pour illustrer mon propos, le prochain concours ne nous permettra pas d’avoir une liste complémentaire suffisante en hommes et il appartiendra à l’administration pénitentiaire de pousser au maximum le quota de femmes. Il y aura, en revanche, un nombre suffisant de candidates.

Mme Nicole FEIDT : Allez-vous former le nombre de femmes surveillantes en fonction des besoins dans les établissements féminins ? Est-ce là l’esprit ?

M. Patrick MOUNAUD : L’esprit va un peu au-delà. Des chefs d’établissement acceptent d’avoir une part plus importante de personnel de surveillance féminin. J’ai personnellement dirigé un établissement composé de cent femmes détenues et de 500 hommes. J’ai mis en place une mixité des équipes de surveillance pendant le service de nuit ; seul le travail au sein des unités de vie, où peuvent intervenir des fouilles à corps était interdit à la mixité. Une évolution au sein de l’administration pénitentiaire est en train de s’opérer, qui conduit à accepter des surveillantes femmes dans un nombre de fonctions de plus en plus important.

M. Émile BLESSIG : Quelle est la durée de la formation initiale du surveillant de base ?

M. Patrick MOUNAUD : Huit mois statutairement, mais le rythme de promotions est tel qu’elle est parfois réduite d’un mois. Cela dit, le statut prévoit une durée de huit mois.

M. Émile BLESSIG : Ces huit mois se composent donc pour moitié de stages, pour moitié de formation théorique.

M. Patrick MOUNAUD : C’est cela.

M. Émile BLESSIG : J’en viens au rôle de l’ENAP dans la formation permanente, car la population carcérale varie énormément dans sa composition. Quelles sont, à l’heure actuelle, les modalités de formation permanente des personnels et qui en est responsable ? Comment s’organise-t-elle ?

M. Patrick MOUNAUD : A l’administration pénitentiaire, la formation permamente est essentiellement confiée aux directions régionales des services pénitentiaires qui ont donc la charge de cette formation. Mais l’ENAP a toujours conservé une partie de cette formation continue, notamment pour les cadres car, au niveau régional, leur nombre n’est pas suffisant pour qu’il y ait un intérêt à organiser cette formation. Il en va de même pour les opérations de sensibilisation liées à la mise en place de nouvelles politiques spécifiques. Par exemple, l’ENAP a actuellement la responsabilité de la formation des personnels de surveillance affectés dans les quartiers de mineurs. Chaque fois que la direction de l’administration pénitentiaire met en place une nouvelle politique, c’est en général l’école qui prend en charge la responsabilité de la formation continue. En accord avec la direction de l’administration pénitentiaire, nous avons décidé que l’école jouerait un rôle de pilotage de la formation continue dispensée dans les services déconcentrés, pour une plus grande coordination et cohérence dans la formation continue dispensée dans les différentes directions régionales.

M. le Président : Concrètement, un surveillant a-t-il une chance raisonnable de recevoir une formation permanente ?

M. Patrick MOUNAUD : Il a une chance raisonnable de bénéficier de quelques jours de formation tous les huit ou dix ans. En revanche, il participe beaucoup plus régulièrement à des formations organisées au niveau de l’établissement, notamment dans le domaine du tir, de la prise en main de nouveaux outils informatiques, de la prévention éducation à la santé ou lutte contre les toxicomanies.

M. Émile BLESSIG : La formation est-elle volontaire ou obligatoire ?

M. Patrick MOUNAUD : Elle n’est pas obligatoire.

M. le Président : Sur place ou à l’école ?

M. Patrick MOUNAUD : En direction régionale.

Le manque d’effectifs important dans les établissements puisqu’il y avait un manque de personnel, n’a pas permis à la formation permanente de se développer.

M. Robert PANDRAUD : Un souhait et une question.

Le souhait : pourriez-vous communiquer au secrétariat de la commission les épreuves des deux derniers concours de surveillants pour savoir ce qui était demandé sur le plan intellectuel ?

M. Patrick MOUNAUD : Bien sûr.

M. Robert PANDRAUD : Je n’ai rien contre cette ville, mais Agen n’est pas, à mon avis, un haut lieu de l’administration pénitentiaire. Ce n’est pas non plus un pôle universitaire. Pourquoi a-t-on implanté cette école à Agen ? Sans doute me répondrez-vous que l’on n’implante plus aujourd’hui les services publics en fonction de leurs besoins, mais d’impératifs, de soi-disant impératifs d’aménagement du territoire. Est-ce fonctionnel ? Les universités de Pau, de Bordeaux ou de Toulouse, c’est bien, mais n’aurait-il pas été plus facile d’implanter l’ENAP dans la grande banlieue parisienne...

Mme Nicole FEIDT : Il y a déjà trop de choses !

M. Robert PANDRAUD : ... là où les élèves auraient pu faire des stages dans des établissements pénitentiaires, que ce soit à Marseille ou à Loos-lès-Lille. Qu’y a-t-il à Agen ?

M. Jean-Marc NUDANT : Des tribunaux !

M. Patrick MOUNAUD : La délocalisation à Agen a été décidée après avoir examiné les candidatures de nombreuses autres villes. J’ai eu à connaître les dossiers de candidatures. Celui d’Agen et celui de la ville d’Amiens sont restés les deux dossiers les plus intéressants pour l’administration. Le choix a finalement porté sur Agen, car l’école nationale de la magistrature se trouve également à proximité. Je puis simplement regretter à titre personnel que le Centre national de la formation de la protection judiciaire de la jeunesse ne soit pas également délocalisé dans le Sud-Ouest, car cela aurait permis de créer un pôle des écoles du ministère de la Justice.

S’agissant des stages, le nombre des élèves est tel qu’ils font leur stage à travers tous les établissements de France. Lorsque c’est possible, on les affecte en stage dans leur région d’origine, car cela évite les déplacements inutiles. Cela dit, ce n’est pas toujours possible et, quoi qu’il en soit, ils font des stages à travers toute la France.

Il est vrai que la ville d’Agen n’est pas un haut lieu universitaire, mais son antenne universitaire se développe et il convient de prendre en compte les partenariats qui peuvent se révéler très riches avec les universités de Bordeaux, Toulouse et Pau, cette dernière étant très impliquée dans le domaine de la criminologie ; elle compte un institut Jean Pinatel avec lequel nous travaillons déjà de façon intéressante.

M. Robert PANDRAUD : Ce n’est pas la porte à côté !

M. Patrick MOUNAUD : Enfin, le site de l’école donnera au personnel pénitentiaire dans son ensemble une meilleure image de ce que l’on peut lui offrir dès son arrivée à l’école, car les locaux actuels de l’ENAP ne donnent pas la meilleure image de ce que l’on réserve à des élèves fonctionnaires.

M. Robert PANDRAUD : Quelle est l’autorité qui a choisi la délocalisation à Agen ?

M. Patrick MOUNAUD : Le ministre de la Justice était M. Méhaignerie.

M. Hervé MORIN : Cela fut décidé au moment de la fermeture du régiment d’Agen.

M. Robert PANDRAUD : C’est bien cela : on privilégie les priorités d’aménagement du territoire ! Rappelez-vous l’ENA à Strasbourg !

M. Hervé MORIN : Le directeur de l’ENAP est-il généralement issu de l’administration pénitentiaire ?

Sur une promotion de 500 personnes, combien y a-t-il de candidats ?

M. Patrick MOUNAUD : Le directeur de l’ENAP est jusqu’à présent issu des personnels de direction. C’est un directeur régional des services pénitentiaires de l’administration pénitentiaire. Cela dit, selon le dernier statut des directeurs régionaux, peuvent accéder à un emploi de directeur régional des magistrats ou des administrateurs civils. Un prochain directeur de l’ENAP pourra donc être magistrat, administrateur civil ou directeur général des services pénitentiaires.

Sur une promotion de 500, le nombre de candidats en moyenne inscrit est de 10000 et le nombre de personnes qui se présentent au concours est de l’ordre de 6000.

M. Robert PANDRAUD : Qu’avez-vous prévu, lorsque vous serez installés à Agen, en matière de frais de mission, indemnités kilométriques, frais de stage par élève, par rapport à ceux que vous supportiez à Fleury-Mérogis ? Vous parlez de Pau, de Bordeaux, ce qui suppose des kilomètres, que paye l’administration. Je voulais connaître le pourcentage d’augmentation. Les délocalisations accroissent les dépenses publiques.

M. Patrick MOUNAUD : Je ne puis vous livrer un chiffre précis. Mais il convient de savoir que l’ensemble des stages se déroule à l’heure actuelle à travers tous les établissements de France. Il n’y aura donc pas de véritable évolution de ce point de vue.

M. le Président : Merci, pour ces réponses extrêmement précises. C’était pour nous très intéressant.


Source : Assemblée nationale. http://www.assemblee-nationale.fr