Présidence de M. Laurent FABIUS, Président

Mme Marie-Suzanne PIERRARD et M. Pascal FAUCHER sont introduits.

M. le Président leur rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d’enquête leur ont été communiquées. A l’invitation du Président, Mme Marie-Suzanne Pierrard et M. Pascal Faucher prêtent serment.

Mme Marie-Suzanne PIERRARD : 177 postes de juges de l’application des peines sont budgétés. Les juges de l’application des peines ont à la fois la charge du milieu fermé, c’est-à-dire de la détention et des aménagements de peine en détention, et de ce que l’on appelle " le milieu ouvert ", c’est à dire le suivi des personnes condamnées à des sursis avec mise à l’épreuve ou à des travaux d’intérêt général ainsi que le suivi des alternatives à l’incarcération dans le cadre de la procédure prévue par l’article D 49-1 du code de procédure pénale. Par ailleurs, les juges de l’application des peines interviennent dans le cadre de la politique de la ville au travers des contrats locaux de sécurité et des conseils communaux de prévention de la délinquance. Ils participent en outre aux activités générales du tribunal et siègent en correctionnelle. Ceci permet d’apprécier l’ampleur de la tâche qui leur est confiée.

Mon intervention concernera plus particulièrement la question de la judiciarisation de l’application des peines.

L’incarcération est une période difficile pour le détenu en raison des conditions matérielles de vie dans les établissements anciens, de la promiscuité et surtout de l’état de dépendance que la détention entraîne. Celle-ci est le plus souvent un temps mort. Les juges de l’application des peines constatent quotidiennement que de nombreux détenus passent leur temps d’incarcération sans poursuivre une activité mais en tentant plutôt de se faire oublier, notamment s’ils ont d’autres peines à exécuter qui n’ont pas encore été mises à l’écrou, et sans préparer leur sortie, rendant ainsi probable une récidive rapide. Ils se considèrent souvent comme victimes d’injustices qui s’ajoutent aux injustices sociales auxquelles ils ont, pour beaucoup, déjà été confrontés. Pour que la peine revête un sens et soit utile, il faut éviter qu’elle soit un temps mort, comme c’est le cas trop souvent. Il faut faire en sorte qu’elle serve à une prise de conscience de la part du détenu, à la fois sur les actes commis et sur les causes du passage à l’acte pour préparer sa réinsertion. Pour cela, la peine doit être individualisée, l’individualisation étant le moyen d’éviter la récidive. Toutes les statistiques montrent, et l’expérience des juges de l’application des peines le confirme, que plus l’exécution de la peine est individualisée et plus les risques de récidive sont diminués. Cette individualisation doit se réaliser dans le cadre d’une juridictionnalisation de l’application des peines et avec les outils d’insertion nécessaires.

L’humanisation des prisons ne passe pas seulement, à notre sens, par l’amélioration des conditions matérielles de la détention. Elle passe aussi par l’émergence d’un espace de parole. Le détenu, à l’heure actuelle, n’a pas de droit d’expression et il fait l’objet de décisions sans avoir de prise sur sa vie en détention.

Les condamnés à des peines moyennes ou longues ne savent ni quand ils seront transférés, ni dans quel établissement pour peine ce transfert aura lieu. Ils peuvent, à tout moment, faire l’objet de transferts pour des motifs disciplinaires, de sécurité ou de désencombrement d’urgence, ce qui peut entraîner une rupture des liens familiaux, l’arrêt d’une formation ou suspendre un projet de sortie en cours de préparation.

L’absence d’espace de parole pour les détenus, génère la violence, violence sur autrui ou violence des détenus sur eux-mêmes. Les automutilations, les grèves de la faim, comme la plupart des procédures disciplinaires par lesquelles se terminent souvent des situations que l’on n’a pas su gérer, en sont des symptômes. Par exemple, il y a environ un mois, à la maison d’arrêt de Fresnes, alors que j’allais procéder à des auditions de détenus, la directrice d’une division, le procureur et un petit groupe de personnes entouraient un détenu qui s’était cousu les yeux et la bouche avec un fil. On lui a dit que si il acceptait de se rendre à l’infirmerie, le juge de l’application des peines l’entendrait. J’ai donc entendu cette personne qui avait été condamnée à quinze ans d’emprisonnement et se trouvait à un an de la fin de sa peine. Elle avait été placée en chantier extérieur d’où elle s’était évadée et avait donc été réincarcérée. Alors que son transfert était prévu pour Saint-Maur, les transferts vers cet établissement étaient interrompus pour des raisons que j’ignore. Cette personne souhaitait retourner dans les Pyrénées, ce qui paraissait légitime, dans la mesure où sa famille s’y trouvait et où sa sortie pouvait y être préparée dans les meilleures conditions. Pour exprimer ce désir, elle en est arrivée à cette extrémité.

J’ai écrit un courrier à la chancellerie demandant que sa situation soit prise en compte. J’ignore si tel sera le cas, or, si ce détenu reste en maison d’arrêt à Fresnes, sa sortie sera difficile à préparer. C’est là un exemple de l’état de dépendance dans lequel les détenus sont placés et de l’absence d’informations sur leur situation. Ils passent dans un établissement dans l’attente d’un transfert, ignorant si cette attente durera trois jours, dix jours, trois mois ou six mois. Comment alors se placer dans un projet de réinsertion, comment réclamer des soins si l’on ignore sa destination ?

Les pratiques de désencombrement participent du même mécanisme. Il m’arrive quotidiennement de voir des détenus transférés d’Orléans ou de Tours pour désencombrer les prisons de Lyon. Du jour au lendemain, ces personnes se retrouvent à des kilomètres de leur lieu d’origine sans avoir pu prévenir leur famille. Parcourir trois cents kilomètres pour une demi-heure de parloir est complexe, cher, et source de difficultés.

L’administration pénitentiaire est animée d’une logique propre de gestion de l’ordre et de la sécurité et non d’individualisation. Elle souhaite édicter des normes applicables à tous, sans exception, au nom d’une prétendue égalité. Seul le juge peut individualiser la peine. Il a la légitimité pour le faire, puisqu’il intervient après une condamnation pénale en fonction de l’évolution particulière du détenu et de sa situation. Il doit le faire dans le cadre d’une procédure qui laisse la parole au détenu. Jusqu’à présent, le juge de l’application des peines ne rend que des mesures d’administration judiciaire. Ses décisions n’ont à être ni motivées ni expliquées, alors que leurs conséquences sont particulièrement importantes pour le détenu qui ne dispose aujourd’hui d’aucun recours. Dans la plupart des établissements, il est matériellement impossible d’entendre les détenus dans le cadre de la commission de l’application des peines et le principe du contradictoire, qui est tout de même un principe fondamental de notre droit, n’est pas respecté. Le problème se pose de façon aiguë pour les longues peines. Les libérations conditionnelles se raréfient, notamment celles décidées par le garde des sceaux. Le nombre des détenus dans les établissements pour peine a beaucoup augmenté, ce qui entraîne des délais d’attente extrêmement longs pour les condamnés qui restent en maison d’arrêt, en général, sans activité ni formation. Cela entraîne des difficultés, notamment pour les indigents, et prive les détenus d’un régime de détention plus favorable auquel ils pourraient légalement prétendre s’ils étaient en centre de détention, en particulier concernant la possibilité de téléphoner une fois par mois ou de bénéficier de permissions de sortir à un tiers de la peine.

Cette situation est encore aggravée par la centralisation de l’orientation des détenus au centre national de Fresnes. Des condamnés peuvent passer cinq ans à six ans en maison d’arrêt.

Notre association partage les analyses et les conclusions tant du rapport Farge que du rapport Canivet et ne peut que se féliciter de l’amendement voté par votre Assemblée au projet de loi sur la présomption d’innocence. Cette réforme est indispensable et constitue un préalable nécessaire pour que le détenu, objet de décision, devienne un véritable sujet de droit reconnu comme tel et acteur de sa réinsertion. Mais ces réformes indispensables nécessitent des moyens matériels et de véritables outils d’insertion.

M. Pascal FAUCHER : Selon les chiffres de l’administration pénitentiaire, la plupart des détenus condamnés, de l’ordre de 75 à 80 %, sortent de prison en fin de peine, sans avoir bénéficié d’aucun aménagement de l’exécution de leur peine. 10 à 15 % bénéficient d’une mesure de libération conditionnelle. Les autres sont en placement à l’extérieur ou en semi-liberté.

Cette réalité est inquiétante alors que l’on sait que si le détenu ne prépare pas sa sortie, le risque de commettre une nouvelle infraction est manifeste. L’aménagement de la peine n’est pas simplement une faveur qui permet au condamné de sortir de prison un peu plus tôt, mais est principalement un outil qui va permettre au détenu de s’investir et de voir quelle sera la récompense à son investissement dans l’élaboration d’un projet de sortie. S’il s’investit et même si c’est assez souvent au départ pour des raisons strictement utilitaires - il le fait pour pouvoir sortir - il finit par se prendre au jeu et à avoir envie de mener à terme un projet d’insertion, celui qu’il a bâti et sur lequel il travaille depuis de nombreux mois. Les parcours du délinquant sont alors beaucoup moins émaillés de récidives. Ce constat, malheureusement, ne rejoint pas la réalité des pratiques actuelles.

Le problème des moyens matériels et humains mis à disposition de l’administration pénitentiaire est crucial. L’administration pénitentiaire n’a pas forcément les outils pour remplir les missions qu’on lui a confiées. Le parc pénitentiaire est souvent obsolète et inadapté et l’architecture même des établissements, favorise ou freine l’insertion des détenus qui souhaitent se réinsérer. Le fait que, dans la région parisienne, trois établissements comptent des milliers de détenus rend leurs conditions d’incarcération relativement inhumaines. Les surveillants ne connaissent pas les détenus auxquels ils ont affaire et les travailleurs sociaux y sont en nombre notoirement insuffisant. On compte 50 travailleurs sociaux pour 5 000 détenus à Fleury-Mérogis. Ces ordres de grandeur parlent d’eux-mêmes. Il est donc impossible à l’administration pénitentiaire, même avec la meilleure volonté, de réaliser la politique d’insertion que lui confie la loi de 1987 avec les outils dont elle dispose aujourd’hui. C’est pourquoi, à l’heure actuelle, les prisons répondent principalement aux urgences : prévenir la famille, gérer un problème de santé grave et répondre à ceux qui demandent - ceux qui ont déjà accès à un savoir suffisant pour pouvoir être demandeurs d’insertion. Or, ce ne sont pas forcément ceux pour qui les pratiques d’aménagement de peines seront les plus intéressantes. Ce sont ceux qui restent au fond des cellules et attendent que le temps passe qui auraient besoin d’être sollicités pour entrer enfin dans une démarche d’aménagement de peine.

Le problème est donc considérable tant au niveau du personnel que des outils matériels. Il faut qu’à brève échéance, l’administration soit dotée de ces outils.

Il y a aussi des outils que le parlement a accordés à l’administration pénitentiaire, mais qui sont restés inutilisés. Le programme pluriannuel pour la Justice, voté en 1995, avait prévu à la fois un objectif de construction de 1 200 places de semi-liberté et les crédits nécessaires à la réalisation de cet objectif.

Peu de ces 1 200 places ont été effectivement créées. Seuls deux ou trois centres de semi-liberté ont été ouverts en France depuis 1995 et l’on en est resté là. La semi-liberté, qui permet à un détenu de sortir pour travailler et de rentrer dans l’établissement pénitentiaire quand son travail est terminé, est très intéressante. Or, aujourd’hui, pour reprendre l’exemple de la région parisienne, les centres de semi-liberté qui y existent sont implantés assez loin des lieux d’activité des détenus et sont fermés tous les week-ends, parce que l’administration pénitentiaire ne dispose pas du personnel suffisant pour procéder à une ouverture sept jours sur sept, vingt-quatre heures sur vingt-quatre. En conséquence de quoi, il faut trouver aux personnes en semi-liberté un hébergement pendant le week-end. La difficulté de trouver un tel hébergement pour une personne en parcours difficile est évidente, surtout à Paris. L’enjeu est de cet ordre.

Les placements à l’extérieur, mesures tout aussi intéressantes, pèchent principalement par la faiblesse des moyens disponibles, notamment en termes de financements aux associations, car accompagner un détenu dans un parcours de formation, d’insertion et de soins, a un coût. Aujourd’hui, ce coût moyen est évalué par l’administration pénitentiaire à cent francs par jour et par détenu. Je pense que vous savez déjà que le coût d’un détenu en prison varie entre 350 et 600 francs suivant les établissements. C’est dire que si, avec cent francs par jour il est possible de nourrir quelqu’un, l’accompagner devient extrêmement compliqué. Il y a là un véritable enjeu de moyens.

Des solutions juridiques, à l’image de celle que vous avez votée récemment, existent. Je ne dresserai pas de liste des mesures à inventer mais je voudrais insister sur le fait que jusqu’à maintenant, les aménagements de peine sont prévus en termes de mi-peine, autrement dit le détenu peut prétendre à un aménagement de sa peine lorsqu’il arrive à la moitié de son exécution - même si la réalité juridique est en fait un peu plus complexe.

Il nous paraît important de raisonner non seulement en termes de mi-peine pour les très longues peines, car cela revêt un sens, mais aussi en termes de reliquat de peine. Lorsqu’un détenu doit encore purger un, deux ou trois ans sur la peine pour laquelle il a été condamné, en fonction, bien entendu, de l’appréciation d’opportunité et de la faisabilité d’un projet, tous les aménagements de peine devraient être possibles. Il ne s’agit pas de poser une règle obligatoire pour faire sortir tout le monde, mais de se donner cet objectif. Raisonner en termes de reliquat de peine signifie que l’on peut dire à un détenu, à un certain stade, que si un projet d’insertion est mis en _uvre, s’il s’investit dans le centre de formation qui existe dans l’établissement, le juge de l’application des peines sera en mesure de le faire sortir, certes sous contrôle, mais avant la fin de la peine. Ce type de propos peut être tenu dans une petite maison d’arrêt où les détenus sont individuellement connus. Ce sont des propos extrêmement mobilisateurs car la contrepartie de l’effort sera proche, tout en intervenant assez tôt dans la détention et non à quinze jours de la sortie. Poser ce principe - je parle de trois ans, car cette durée est déjà retenue dans un certain nombre d’articles du code procédure pénale - permettrait certainement de mobiliser à la fois le détenu et l’administration pénitentiaire sur le thème " préparons la sortie des détenus pour limiter la récidive ".

M. le Président : Je vous remercie.

M. le Rapporteur : Madame la présidente, monsieur le juge, vous êtes des magistrats un peu particuliers, parfois perçus dans votre propre administration - l’administration judiciaire - et par l’administration pénitentiaire comme des " empêcheurs de tourner en rond ". Estimez-vous que c’est là une vision réelle des choses ?

Votre association a proposé que les décisions des juges de l’application des peines ne soient plus administratives, mais soient judiciarisées, et prennent, en fait, la forme d’un arrêt. Qui dit " arrêt " induit la possibilité d’appel et l’obligation d’entendre la défense au moment où il est pris. Cette notion, a été fortement combattue et est repoussée par l’administration judiciaire, toutes tendances confondues, au motif qu’elle créerait un deuxième, voire un troisième jugement. Une fois la condamnation rendue, le juge de l’application des peines, pourrait, ensuite, modifier la condamnation primaire. Percevez-vous une évolution de ce point de vue ?

Mme Marie-Suzanne PIERRARD : Je le pense. Nous siégeons tous les jours en correctionnelle et il nous arrive d’aménager les peines de personnes que nous avons condamnées. Le temps de la condamnation est un premier épisode, celui de l’aménagement en est un autre. Une condamnation est prononcée à un moment donné par rapport à des faits, par rapport à une victime ou par rapport à un trouble à l’ordre public. L’aménagement de la peine est de nature différente. Il permet de prendre en compte l’évolution du détenu et sa réinsertion. Par la judiciarisation, aussi bien le procureur que le détenu, pourront discuter de cet aménagement et de cette évolution.

M. Pascal FAUCHER : Ce sujet a souvent pris la forme d’un reproche adressé au juge de l’application des peines. Lorsque nous décidons en cours d’exécution de peine, voire, dans le cadre de certains dispositifs, avant même le début de son exécution, qu’une peine d’emprisonnement sera exécutée en semi-liberté, en placement à l’extérieur ou en libération conditionnelle, nous ne modifions pas la décision initiale. Nous ne faisons qu’appliquer une disposition législative contenue dans la condamnation elle-même. Il est prévu qu’une condamnation, sous certaines réserves légales et d’opportunité, puisse être aménagée. Nous ne faisons que concrétiser des virtualités contenues dans une condamnation. Nous ne la modifions pas et nous ne remettons pas en cause l’autorité de la chose jugée. La peine a été prononcée mais il est prévu par la loi qu’elle peut être exécutée de manière différente : elle peut être exécutée en totale liberté, mais aussi en détention. C’est à nous de faire le choix, parfois délicat, des modalités de l’exécution de la peine.

M. Louis MERMAZ : Ce que vous avez dit l’un et l’autre, madame, monsieur, est saisissant. Vous passez d’une philosophie de l’enfermement à une philosophie de la réparation, de la réhabilitation et de l’insertion. Quel est votre poids pour faire accepter vos décisions ? Comment arrivez-vous à passer par-dessus tous les obstacles ? En ce qui concerne les libérations conditionnelles de moins en moins nombreuses, que pouvez-vous faire ?

M. Pascal FAUCHER : J’ai eu la chance de participer à la commission présidée par M. Farge, que vous avez entendu ; je ne reviendrai donc pas sur son analyse.

Le problème de la libération conditionnelle se pose principalement pour les longues et les moyennes peines, la problématique étant quelque peu différente pour les courtes peines. Pour les premières, l’un des obstacles majeurs à la libération conditionnelle, outre ce que M. Farge a dû vous exposer, réside dans le fait que l’autorité qui prend la décision est très éloignée du demandeur, à la fois dans le temps et géographiquement. Rapprocher l’instance de décision de l’établissement pénitentiaire permettra de demander et d’obtenir une réponse argumentée et motivée dans un délai bref. Ainsi, s’il s’agit d’un refus, le détenu pourra réajuster sa demande.

Il est un aspect sur lequel nous ne pouvons guère intervenir qui est l’évolution des mentalités : comment faire pour que notre société accepte des libérations conditionnelles plus nombreuses et pour que cette décision ne soit pas ressentie comme une faveur que l’on accorde, mais bien comme un moyen de protéger la société par une sortie encadrée ? Chacun doit faire un effort de pédagogie pour l’expliquer à l’ensemble de nos concitoyens.

Mme Marie-Suzanne PIERRARD : La judiciarisation présente un grand avantage en termes de légitimité, puisque la situation du condamné serait revue de façon contradictoire par un magistrat ou par un collège de magistrats pour les plus longues peines, comme le propose le rapport Farge.

Pour avoir occupé d’autres fonctions que celles de juge de l’application des peines, je considère que le problème vient de ce que ce juge, lorsqu’il entre en détention, n’est pas un vrai juge. Dès lors qu’il rendra des décisions motivées et débattues contradictoirement, la place et la légitimité du juge de l’application des peines seront totalement modifiées, y compris vis-à-vis de l’administration pénitentiaire.

M. François LONCLE : Quelle est la nature des conflits - il y en a forcément - auxquels les juges de l’application des peines sont confrontés, soit avec l’administration pénitentiaire, en l’occurrence les directeurs d’établissement, soit avec les procureurs ?

Par ailleurs, le directeur du centre de détention de Val-de-Reuil, alors que nous parcourions les ateliers de travail, expliquait que 70 % des détenus travaillaient et qu’en l’absence d’activité, la situation serait explosive. Estimez-vous que le nombre de détenus condamnés - je ne parle pas des prévenus - qui travaillent et donc participent à une certaine forme d’insertion est suffisant ? Les conditions de ce travail vous paraissent-elles humaines ou, au contraire, inacceptables ?

Mme Marie-Suzanne PIERRARD : L’administration pénitentiaire et les juges de l’application des peines répondent à des logiques différentes. Elles peuvent se rencontrer comme s’affronter. La logique d’un directeur d’établissement est une logique d’ordre et de sécurité. Il ne veut pas de problèmes. Il a aussi des besoins propres et recourt aux " classés ", les détenus qui travaillent au service général. La logique du juge de l’application des peines relève d’une logique d’individualisation. Le juge de l’application des peines peut estimer qu’une personne de caractère difficile et dont les relations avec les surveillants sont délicates - je prendrai l’exemple du jeune " beur " de banlieue qui a un rapport avec l’autorité ou au respect qu’on lui doit un peu difficile - a des potentialités de réinsertion si on l’aide vraiment. On peut donc se trouver face à des logiques complètement différentes.

A l’inverse, pour un délinquant sexuel, qui travaille, qui est bon menuisier, par exemple, le juge d’application des peines n’aura pas cette même logique, car ce qui l’intéressera sera l’obligation de soins psychologiques et l’utilisation de la détention dans ce but. Il sera peut-être plus regardant sur les réductions de peine exceptionnelles, car il considérera que travailler dans sa situation à lui n’est pas automatiquement suffisant et qu’il convient qu’il entreprenne une démarche de soins psychologiques.

De façon plus générale, il faut s’interroger sur les conséquences du travail en détention sur la réinsertion ? Il est plus important que les personnes entreprennent des formations - des formations générales ou des formations professionnelles - pour disposer d’atouts à leur sortie, plutôt que d’effectuer un travail qui leur permet simplement de " cantiner ".

Les conditions de travail actuelles, notamment lorsque les personnes sont classées, correspondent peu aux conditions de travail que l’on trouve à l’extérieur. Je rappelle qu’une personne classée dans une maison d’arrêt et qui travaille donc au service général comme auxiliaire, touche en moyenne 700 francs par mois. La télévision coûte 65 francs par semaine. Si une personne est classée, cela signifie qu’elle travaille de 7 heures 15 à 17 heures 30 et donc qu’elle ne peut entreprendre de formation, ni travailler. Cette activité ne présente que peu d’intérêt pour elle. Elle n’est utile que pour " cantiner ", ce qui est d’ailleurs indispensable pour vivre à peu près décemment en détention. Pareillement, le rempaillage de chaise ou l’empaquetage de rouge à lèvres présente peu d’intérêt pour la préparation à la sortie. Cela procure de l’argent pour " cantiner " et fournit une occupation.

M. François LONCLE : Ils gagnent parfois nettement plus.

Mme Marie-Suzanne PIERRARD : Par le travail en concession, oui, mais pas par le travail pour l’administration pénitentiaire. Cela dit, il est encore pire de ne rien faire de sa journée comme, dans certains cas, en maison d’arrêt.

M. Hervé MORIN : Vous avez déclaré que l’un des moyens de la réinsertion serait d’individualiser au maximum les peines et que 75 à 80 % des détenus exécutaient la totalité de leur peine. J’ai le souvenir, sauf erreur de ma part, que, selon M. Farge, l’une des causes du moindre recours à la libération conditionnelle tenait à l’effet de la réduction automatique des peines accordée tous les ans à chaque détenu. Quel est votre sentiment sur cette contradiction apparente ?

Pardonnez mon ignorance, mais qu’elle est la motivation des juges de l’application des peines pour exercer cette fonction ? Est-ce parce qu’ils considèrent que leurs collègues magistrats n’exercent pas leur travail comme on le conçoit ? Ou est-ce une mission qu’ils se donnent ?

Enfin, que pensez-vous du caractère assez systématique de la détention provisoire prononcée par vos collègues magistrats ?

Mme Marie-Suzanne PIERRARD : Je suis juge avant d’être juge de l’application des peines. C’est une évolution de carrière. Lorsque l’on est magistrat, l’avantage est de pouvoir régulièrement changer de fonction et de secteur. On peut passer du civil, telles les affaires familiales, la construction, à la correctionnelle, à l’application des peines ou au parquet.

M. Pascal FAUCHER : Je suis juge de l’application des peines depuis dix ans certes, mais je préside le tribunal correctionnel toutes les semaines. Il m’est même arrivé de présider la cour d’assises. Je suis juge de l’expropriation et juge au tribunal de commerce, puisque les juges consulaires en ont démissionné. Le juge de l’application des peines n’est donc pas un juge qui travaille contre, mais avec, les autres magistrats, et un bon fonctionnement n’est possible que si l’on travaille en cohérence avec les juges de jugement et les membres du parquet. Nous ne sommes pas du tout en opposition. Affecté à une petite juridiction, il m’arrive très souvent de prononcer des aménagements de peine pour des détenus dont j’ai décidé l’incarcération en tant que président du tribunal correctionnel. Je n’y vois pas de schizophrénie latente !

Je n’ai pas dit que 80 % des détenus sortaient en ayant effectué la totalité de leur peine. Ils sortent en fin de peine, c’est-à-dire qu’ils ont purgé leur peine en prison mais ils ont bénéficié de réductions de peine auxquelles s’ajoutent, depuis les années 1988-1989, les grâces collectives annuelles. Les détenus sortent sans avoir eu d’aménagement de leur peine, mais bien entendu pas à la fin de la peine prononcée, car il convient de prendre en compte, pour la plupart, le nombre substantiel de réductions de peine et de décrets de grâces collectives dont ils ont bénéficié et qui ne sont pas de bons outils d’individualisation.

Les juges d’instruction pourraient mieux répondre que moi à la question sur le caractère systématique de la détention provisoire. Les réalités sont très diverses. A la maison d’arrêt de Poitiers, petite maison d’arrêt, les deux tiers des détenus sont des condamnés et non des prévenus en attente de jugement, d’appel ou de pourvoi en cassation. Seule une vingtaine de détenus l’était en vertu d’un mandat de dépôt d’un des trois juges d’instruction de Poitiers, tribunal départemental. C’est dire la diversité des réalités suivant les lieux, les juges d’instruction et le contentieux qu’ils traitent. Il est évident que certains contentieux conduisent plus souvent que d’autres à prononcer une détention provisoire.

Il est toujours très étonnant de constater que beaucoup de détenus provisoires ne contestent pas leur mise en détention provisoire ; en effet, les appels sont relativement peu nombreux. Le référé liberté devant la chambre d’accusation, imaginé par votre assemblée comme un outil permettant de contester plus rapidement et plus efficacement la mise en détention est très peu utilisé. Les détenus provisoires qui ne contestent pas leur culpabilité, sauf à la minimiser, s’insurgent surtout contre la durée de la détention provisoire. Plus qu’une contestation même de la détention provisoire, ils contestent, et à juste titre, le fait qu’ayant parfois été condamnés à de lourdes peines, ils vont attendre un an, deux ans ou trois ans avant de partir au centre national d’observation de Fresnes, où ils resteront un an, deux ans, en attendant leur affectation en établissement pour peine. En tout cas, tel est le fruit de mon expérience.

M. Emile BLESSIG : Vous avez rappelé que l’individualisation de la peine limitait la récidive. D’une certaine manière, l’institution du juge de l’application des peines constitue précisément un outil au service de l’individualisation. Entre le principe et la réalité, je voudrais savoir si un quota de temps est disponible dans le plan de charge de travail du magistrat qui accepte les fonctions d’un juge de l’application des peines ? Ou s’agit-il d’une tâche exercée en fonction de la personnalité de chacun ? De ce point de vue, qu’en est-il en termes d’efficacité et donc d’égal accès à l’individualisation de la peine sur l’ensemble du territoire ?

Mme Marie-Suzanne PIERRARD : Les juges de l’application des peines sont en nombre très insuffisant compte tenu des fonctions dont ils ont la charge. Même ceux dont les postes sont budgétés participent à l’activité du tribunal, aux permanences, aux assises.

Au tribunal de Créteil dans le département du Val-de-Marne, nous sommes quatre juges de l’application des peines. Nous sommes en charge des détenus de Fresnes et du milieu ouvert dans un département qui compte quarante-trois communes, donc de nombreux conseils communaux de prévention de la délinquance, vingt-deux contrats locaux de sécurité et trois mille personnes en milieu ouvert. Je siège à la commission d’indemnisation des victimes une fois par mois. A quatre, nous assurons une participation à six audiences correctionnelles par mois et aux assises une semaine par trimestre. Nous traitons de l’ensemble du milieu ouvert. 640 personnes condamnées à moins d’un an sont à convoquer pour étudier une possible alternative à l’incarcération. Il est évident que le milieu fermé est minoritaire dans notre emploi du temps. Je ne dispose pas de secrétariat véritable, en tout cas pas pour le milieu fermé. Je n’ai manifestement pas le temps de répondre aux lettres des détenus, ni même celui d’entendre beaucoup de détenus. Dans notre charge de travail, le milieu fermé n’est jamais pris en compte. Telle est la réalité.

M. Julien DRAY : A quoi imputez-vous la non-construction des 1 200 places de semi-liberté ? Est-ce une simple contrainte budgétaire ou ceci révèle-t-il une réticence forte de l’administration ?

M. Pascal FAUCHER : La loi de 1995 avait prévu les crédits. Ce n’est donc pas un problème budgétaire. Très rapidement, l’administration centrale nous a demandé s’il y avait besoin de centres de semi-liberté, de combien de places et ce que nous avions à proposer. Nous avons tous été sollicités pour donner un avis. Je me souviens avoir rédigé un document en commun avec le directeur de la maison d’arrêt de Poitiers, pour confirmer que la demande était collective, qu’elle n’était pas le simple fait du juge de l’application des peines. Il se trouve que l’administration pénitentiaire, pour des raisons que j’ignore, très rapidement, a mis ce dossier de côté. Elle a certainement eu d’autres priorités, mais les crédits avaient été votés dans le cadre du plan pluriannuel. Il s’agissait de mettre en place ce système avec une difficulté pour l’administration pénitentiaire qui est de gérer des situations extrêmement diverses : par exemple, créer un centre de semi-liberté à Paris, où il n’en existe pas, nécessiterait des fonds considérables et fonctionnerait différemment d’un centre de semi-liberté de quatre ou cinq places dans une ville de province. Faire fonctionner un établissement vingt-quatre heures sur vingt-quatre, sept jours sur sept, sans période de congés, requiert du personnel. Au-delà de la simple construction immobilière, cet obstacle existe.

Mme Marie-Suzanne PIERRARD : Un centre de semi-liberté doit être conçu en fonction des besoins des personnes. Souvent, celles-ci se voient offrir des postes qui ne correspondant pas à des horaires de bureau. Très souvent, elles travaillent dans la restauration. Cela implique que le centre ait des horaires d’entrée et de sortie compatibles avec leur travail et soit ouvert le week-end. Si le centre de semi-liberté est fermé en fin de semaine, cela présuppose que peuvent seules en profiter des personnes qui disposent d’un hébergement pour ces périodes. Les centres de semi-liberté, conçus comme un sas avant que les personnes ne soient complètement libres pour leur donner le temps de trouver un hébergement par une période intermédiaire, ont souvent un mode de fonctionnement mal adapté et sont en nombre insuffisant. Nous rencontrons des problèmes pour les femmes et ces centres de semi-liberté n’existent pas pour les mineurs. Il n’y a pas de centres de détention pour les mineurs et il existe peu d’alternatives à l’incarcération.

Mme Nicole CATALA : Dispose-t-on de statistiques sur la récidive des personnes placées en semi-liberté ? Peut-on procéder à une comparaison avec le taux de récidive des personnes qui ont achevé leur peine et qui récidivent dans l’année ou les deux années suivant leur libération ?

M. Pascal FAUCHER : A ma connaissance, il n’existe aucune statistique en Europe occidentale évaluant la récidive dans tel ou tel cas de figure. Ces études n’existent pas et il n’y a pas de chiffres fiables en ce domaine. Parfois, des chiffres sont avancés ; ils correspondent peut-être à des réalités que certains vivent, supposent ou craignent, mais aucune étude fiable n’est établie en ce domaine. Les seules études que l’on connaisse en France concernent le retour en prison ce qui n’est pas forcément une étude de la récidive. Elles s’appuient sur une cohorte de détenus qui sort telle année et que l’on suit un an, deux ans, trois ans, voire dix ans pour savoir s’ils ont été à nouveau incarcérés et, si oui, pour en déterminer les raisons.

Ces études ont porté essentiellement sur des détenus condamnés à la réclusion criminelle et ont été rendues publiques à l’occasion du débat sur le projet de loi relatif au suivi socio-judiciaire. Elles démontrent que, toutes délinquances confondues, même s’il existe de grandes variations selon les délinquances, les condamnés à de longues peines qui sortaient en libération conditionnelle retournaient moins en prison - et ceci dans des proportions notables - que ceux qui n’en avaient pas bénéficié. Ceci ne permet pas d’affirmer à cent pour cent qu’ils n’ont pas récidivé parce qu’ils ont profité d’une libération conditionnelle car ce peut être justement parce que l’on pensait qu’ils ne récidiveraient pas qu’ils ont bénéficié d’une mesure de liberté conditionnelle.

La pratique nous permet de constater que les personnes en semi-liberté s’engagent véritablement dans un projet d’insertion. C’est difficile à évaluer dans une grande structure urbaine où l’on connaît mal les gens. Poitiers est une ville de province de taille moyenne qui permet de connaître les détenus. Cela fait dix ans que je condamne et je sais qui je condamne. Pour certains, je commence à condamner leurs enfants ou leurs petits frères ! L’on s’aperçoit que si un détenu s’est véritablement engagé dans un projet et qu’il a pu être récompensé par l’octroi d’un aménagement de peine, parce que ce projet paraissait cohérent et opportun, le risque de le revoir pour des faits de gravité identique ou plus importante est extrêmement affaibli. Mais je ne pourrai vous communiquer d’étude fiable car il n’en existe aucune dans le cadre de l’Union européenne. Ces études sont difficiles à effectuer et sont coûteuses.

Mme Nicole BRICQ : Vous avez déclaré, madame, que plus l’individualisation de la peine était pratiquée, moins il y avait de récidives. J’aimerais que nous disposions, si possible, d’éléments statistiques et, si vous n’en disposez pas maintenant, que vous les fournissiez à la commission.

Mme Marie-Suzanne PIERRARD : C’est ce que nous ressentons au travers de notre pratique. Il est évident qu’une personne n’ayant rien fait pendant plusieurs années, qui sort sans argent, sans hébergement et sans personne pour l’attendre, a toutes les chances de recommencer.

Mme Nicole BRICQ : Ma question ne portait pas sur le fond. J’ai bien entendu votre argumentation, je la partage, mais j’aimerais que nous puissions la vérifier quantitativement, évidemment si des statistiques existent.

Ma deuxième question porte sur les peines aménagées. Je crois savoir que deux expériences vont être menées : l’une à Metz, l’autre à Marseille. Sont-elles sur le point d’être mises en _uvre ?

M. Pascal FAUCHER : Sans doute l’administration pénitentiaire serait-elle mieux à même de vous répondre. On a commencé à parler de centres pour peines aménagées il y a environ deux ans. Le concept est intéressant et mériterait d’être expérimenté. Pour l’heure, les projets ne sont pas entrés dans la phase active. De même que le placement sous surveillance électronique, votée en 1997, par le Parlement n’a pas encore connu le début d’une expérimentation. Nous en sommes toujours aux études préalables. Il est vraisemblable qu’un tel outil serait intéressant pour les longues peines ou pour les personnes très âgées, en fin de vie. Il permettrait d’anticiper une sortie avec des conditions de sécurité optimales.

Mme Nicole BRICQ : Vous avez quelque peu contourné la question posée par M. François Loncle sur l’éventualité des conflits avec d’autres magistrats. Ma question est d’une portée plus générale. Je ne m’adresse pas aux juges de l’application des peines, mais à l’ensemble des magistrats à propos d’un élément qui est ressorti très nettement du travail du président Canivet. Jugez-vous que certaines segmentations dans le travail des magistrats pourraient nuire à l’objectif de réinsertion ? Les magistrats, situés avant vous dans la chaîne d’exécution, sont-ils suffisamment présents en prison ?

Par ailleurs, je suis confrontée depuis trois ans au problème de la fermeture d’une maison d’arrêt datant du dix-neuvième siècle et à la construction d’un nouvel établissement pénitentiaire dans lequel il était prévu, du reste, d’ouvrir un centre de semi-liberté. Ce centre ne verra pas le jour pour des raisons budgétaires liées à son coût de fonctionnement alors que l’on dispose des crédits d’investissement. Il existe un plan pluriannuel, on construit à peu près trois prisons par an... Or il est un peu effrayant de se rendre compte que la finalité de la construction de ces établissements pénitentiaires qui coûtent très cher et qui sont construits pour le long terme, ne correspond pas vraiment à la mission qui est celle que vous développez pour l’administration pénitentiaire, c’est-à-dire de passer d’une logique d’enfermement à une individualisation de la peine et à une réinsertion du détenu. Tel est le regard que la société devrait porter sur la mission de la prison. Les considérations financières priment et dès que l’on peut, on ferme la prison d’une ville pour la mettre dans un champ. Cela pose des problèmes pour les visites des familles comme pour la réinsertion du détenu. Je me souviens de l’audition de Mme Vasseur et tous les avocats qui ont des clients à La Santé le disent : les détenus préfèrent être en ville - pour des raisons liées aux visites notamment - alors qu’actuellement tout est fait pour faire sortir la prison de la ville.

Ce n’est pas une question qui vous touche directement, mais cela commence à poser un vrai problème. Je crains que, pour des raisons matérielles, on ne bute sur cet obstacle.

M. Pascal FAUCHER : Sur la segmentation du travail entre les magistrats, la réponse est fonction de la taille de la juridiction. Nos tâches sont plus ou moins spécialisées, nous restons donc plus ou moins sur notre pré carré. Dans une juridiction de taille moyenne, les informations circulent et les relations s’opèrent extrêmement facilement. Je vois en détention des détenus provisoires qui demandent à me rencontrer. J’en rends compte à mon collègue lui indiquant qu’untel souhaite telle information et il lui répond directement. En sens inverse, des magistrats du tribunal correctionnel peuvent me téléphoner après avoir condamné une personne pour m’informer de la décision prise et me demander si je peux la recevoir. Les choses se passent ainsi.

En revanche, dans une juridiction de plus grande taille, le travail est segmenté. Quand il y a cent, deux cents ou deux cent cinquante magistrats, chacun d’entre eux à une vision extrêmement parcellaire. La prison n’est pas la préoccupation majeure des magistrats autres que les juges de l’application des peines, et l’obligation qui leur est faite de venir en détention reste purement théorique, d’autant qu’ils ont d’autres tâches à assumer. Très souvent, ils pensent que le juge de l’application des peines se rendant en détention leur rendra compte le cas échéant des difficultés relatives à des détenus provisoires. Les autres magistrats sont donc peu présents, y compris, malheureusement dans certains lieux, les magistrats du parquet.

M. le Rapporteur : Alors même que pèse sur eux une obligation légale.

M. Pascal FAUCHER : En effet. La cause n’en est pas obligatoirement un désintérêt de leur part. Mais, étant en nombre insuffisant, ils gèrent leur propre pénurie en opérant des choix et ils font confiance au juge de l’application des peines.

Les établissements pénitentiaires sont conçus en fonction d’impératifs de sécurité fixés pour une minorité de gens extrêmement dangereux. L’ensemble de l’appareil sécuritaire à l’intérieur de la prison répond donc à la situation de ces individus, effectivement dangereux, tant pour les personnels de surveillance que pour le reste de la société. Mais, tous les autres détenus, n’étant pas nécessairement dangereux au sein de l’institution carcérale, subissent ces conditions de sécurité. Les centres de semi-liberté ou les centres pour peines aménagées qui accueilleraient des détenus présentant une dangerosité faible, lesquels n’appellent pas un appareil sécuritaire complexe, seraient une solution. On pourrait très bien imaginer que pour un certain nombre de détenus en semi-liberté ou en placement à l’extérieur, le lieu de détention soit un lieu banalisé en centre-ville. Cela ne poserait pas de problèmes en termes de sécurité compte tenu des détenus que l’on peut admettre à ces régimes. Cela devient inimaginable si l’on compte quelques détenus particulièrement dangereux.

M. Robert PANDRAUD : Quelle est votre politique vis-à-vis des détenus du quatrième âge ?

M. Pascal FAUCHER : Cela dépend pourquoi ils ont été condamnés.

Mme Marie-Suzanne PIERRARD : Cela dépend de nos possibilités légales. En raison de l’allongement des peines, le juge de l’application des peines ne peut rien pour beaucoup de détenus. Dans certains pays du sud, à partir d’un certain âge, les personnes ne sont plus détenues.

M. Robert PANDRAUD : C’est le cas en Espagne.

Mme Marie-Suzanne PIERRARD : Il est certain que nous allons être confrontés à des problèmes de gérontologie en détention.

M. Pascal FAUCHER : Le nombre des personnes âgées a augmenté en raison de la progression des condamnations pour agressions sexuelles. Il s’agit de pères, ou de grands-pères, qui ont été condamnés récemment pour des faits commis il y a longtemps. J’ai également le souvenir de vrais trafiquants de drogues qui étaient des gens influents et qui avaient un certain âge. Il serait délicat, au prétexte de leur âge, de les faire bénéficier d’une " retraite anticipée " ! Peut-être pourrait-on imaginer une incitation à la sortie au regard de l’âge du détenu, en particulier s’il est en fin de vie, mais il faut des verrous légaux pour empêcher qu’ils ne sortent en cas de dangerosité.


Source : Assemblée nationale. http://www.assemblee-nationale.fr