Présidence de M. Louis MERMAZ, Président

Mme Emmanuelle COSSE, M. Nicolas KERSZENBAUM, M. Serge LASTENNET et Melle Jeanne REVEL sont introduits.

M. le Président leur rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d’enquête leur ont été communiquées. A l’invitation du Président, Mme Emmanuelle Cosse, M. Nicolas Kerszenbaum, M. Serge Lastennet et Melle Jeanne Revel prêtent serment.

M. Serge LASTENNET : Act up est une association de lutte contre le sida issue de la communauté homosexuelle. Elle est organisée en différentes commissions : des commissions de traitement et de recherche, la commission toxicomanie, la commission prison et d’autres encore.

La commission prison travaille sur des cas particuliers dont nous sommes informés, soit par les détenus qui nous écrivent, soit par des proches, soit par d’autres associations. Pour l’essentiel, nous traitons des personnes infectées par le VIH, l’hépatite C ou atteintes de pathologies graves. Nous ne tenons pas compte de leur condamnation, en ce sens que nous ne les jugeons pas. Elles nous écrivent, car elles sont confrontées à un problème que nous essayons de traiter.

La majeure partie des problèmes dont nous sommes saisis fait ressortir des difficultés d’accès aux soins, de confidentialité, d’anonymat, de pauvreté et d’accès au droit. D’après les médecins, comme selon certains détenus, la loi de 1994 a grandement fait évoluer les soins en détention. Mais elle reste, selon nous, insuffisante : on ne peut choisir son médecin et, parfois, les traitements de substitution sont interrompus dès leur arrivée en détention. Il est en fait procédé à un sevrage d’office et forcé.

La stigmatisation des détenus atteints de pathologies graves est certaine. Lors de la visite d’entrée des détenus, il est procédé aux tests de dépistage, ce qui, juste après le choc de l’incarcération, n’est pas forcément le meilleur moment. Dans certains établissements pénitentiaires, il n’existe pas de centres anonymes et gratuits de dépistage. Il y en a un à la prison de la Santé mais dans d’autres établissements, c’est le médecin de l’UCSA qui prescrit les tests. Il en résulte un problème éventuel de confidentialité.

Lorsque l’on doit suivre un traitement aussi lourd que celui par les antirétroviraux, la promiscuité en détention et le fait de devoir prendre ses médicaments devant ses codétenus engendrent la peur de la stigmatisation. De plus, le rythme de la détention fait que, parfois, il faut choisir entre prendre son repas chaud ou ses médicaments, car ceux-ci doivent être pris à heure fixe. Enfin, les détenus malades du sida ne peuvent travailler à la fois pour des raisons de santé et par crainte de la stigmatisation, car ils sont obligés d’interrompre leur travail pour prendre les médicaments et ils sont alors déclassés.

De graves problèmes d’anonymat se posent, pas tant avec le service médical à proprement parler qu’avec les surveillants, qui sont souvent au courant de la pathologie des détenus. Si le détenu a rendez-vous le jour où le médecin spécialiste des maladies infectieuses et du VIH assure des permanences en détention, on devine aisément qu’il est confronté à cette maladie.

Les trois douches hebdomadaires restent insuffisantes pour les personnes atteintes du VIH. Dans certains cas, elles se font prescrire des douches supplémentaires par les services médicaux. Mais cela pose un problème avec les surveillants, soit qu’ils n’aient pas toujours le temps, soient qu’ils n’aient pas toujours le désir de les accompagner à la douche. Nous avons connu des cas où les difficultés étaient telles que des détenus se sont coupé les veines pour faire valoir le droit aux douches médicales. Quand on connaît l’état sanitaire des prisons et l’infection au VIH, on comprend la nécessité de prendre des douches quotidiennes. C’est un minimum d’hygiène.

La pauvreté génère également des difficultés. A l’extérieur, il est possible d’avoir accès à des vitamines et à des compléments nutritionnels. La qualité de la nourriture est insuffisante en détention. Se procurer des compléments nutritionnels suppose de les cantiner. Lorsque vous n’avez pas d’argent, vous ne pouvez pas le faire. Cela induit le racket et la prostitution.

L’allocation adulte handicapé est réduite en détention à 12 % de son montant initial, c’est-à-dire à environ 425 francs par mois. C’est le seul minima que les détenus peuvent percevoir. Leurs droits leur sont supprimés quarante-cinq jours après leur arrivée en détention.

Les détenus séropositifs ou atteints du sida se heurtent à de graves problèmes d’information. L’association Act up est intervenue pour que des brochures de prévention soient disponibles en détention. Un dépliant d’une association de lutte contre le sida indiquait que les détenus pouvaient prétendre à l’allocation adulte handicapé. Le médecin, responsable du service médical, a déclaré que cette brochure ne lui convenait pas et ne l’a pas distribuée. Il pensait préférable de faire retourner les détenus malades au travail.

Les préservatifs sont disponibles dans les services médicaux, mais la sexualité en prison est interdite. Si un détenu veut avoir des rapports protégés, il faut qu’il se rende au service médical y prendre un préservatif. La stigmatisation est, là aussi, présente.

Les recours possibles pour des problèmes d’accès aux soins restent minimes. L’inspection générale des affaires sociales, l’IGAS, n’a aucune obligation de rencontrer le détenu ou la personne qui l’a saisie. Elle rencontre des médecins, le personnel de l’administration pénitentiaire, mais quasiment jamais le détenu. Généralement, l’IGAS délègue ses pouvoirs aux DDASS, car elle ne dispose pas de médecins inspecteurs en nombre suffisant. C’est, par conséquent, le médecin inspecteur de la DDASS qui mène l’enquête et renvoie son rapport à l’IGAS. S’il s’agit d’un problème concernant strictement l’accès aux soins, celle-ci transmet le rapport au ministère de la santé qui se saisira ou non du problème évoqué. S’il s’agit d’un problème relatif à la détention, le rapport est transmis au ministère de la justice qui se saisira ou non. Il est très rare que des ministères s’autosaisissent. En tous cas, le détenu n’est jamais informé de la décision prise. La seule obligation de l’IGAS est de délivrer au détenu un récépissé de prise en compte de sa demande.

La réinsertion des détenus est quasi inexistante ; il n’y a pas de vraie prise en charge. Nous avons connu le cas de personnes qui une fois libérées, étaient quasiment SDF et, encore plus grave, sans traitement. Il est déjà arrivé qu’une personne séropositive sous traitement n’en ait pas à sa sortie, car celle-ci a eu lieu à dix heures le soir et qu’il n’y avait pas de médecin. Cela pose un grave problème.

Les personnes étrangères, en situation irrégulière et atteintes de pathologies graves, encourent toujours le risque d’expulsion. Elles sortent de prison avec généralement une interdiction du territoire français alors qu’elles sont, du fait de leur pathologie, inexpulsables. Elles n’ont aucun papier, ni aucun traitement, et sont à la charge des associations.

Nous demandons que les personnes atteintes de pathologies graves ne soient pas incarcérées. C’est l’une de nos revendications ancienne, en raison des conditions de la détention elle-même, des problèmes liés au choix du médecin et de l’absence de prise en charge globale. Certes, dans la majorité des cas, ces personnes malades reçoivent un traitement, mais certains détenus ne peuvent, du fait même de la détention, participer à des essais thérapeutiques. Si un détenu est en échappement thérapeutique, si les molécules ne répondent plus, il se retrouve privé de soins et ne peut faire partie d’un essai thérapeutique pour avoir accès à une nouvelle molécule qui, peut-être, l’aiderait. En effet, pour cela, si une journée d’hospitalisation est nécessaire, il faudra trouver une escorte.

Nous vous remettons un dossier dans lequel sont notamment exposés des cas particuliers. Trois détenus avaient décidé de ne pas garder l’anonymat. L’un a envoyé son témoignage qui n’a pas été censuré. Nous n’avons eu aucun problème pour l’obtenir. Aux deux autres, incarcérés à Val-de-Reuil, nous avons indiqué que nous allions être auditionnés par la commission d’enquête de l’Assemblée nationale et que s’ils voulaient apporter leur témoignage, nous leur donnions la parole. Cela fait un mois et demi et nous ne les avons toujours pas reçus alors qu’ils étaient d’accord pour s’exprimer de façon non anonyme.

M. le Président : Merci. Avez-vous une idée, même approximative, de la prévalence des détenus atteints du sida ou de l’hépatite C ?

Quelles difficultés posent, selon vous, le suivi des traitements de substitution des toxicomanes ?

M. Nicolas KERSZENBAUM : Les études épidémiologiques en détention se heurtent à certains obstacles. Actuellement, deux études à peu près fiables ont été réalisées. La première est l’étude " d’un jour donné ". Elle évalue le taux de prévalence au VIH dans la population carcérale à 1,7 % contre un taux de 0,3 % pour la population globale, soit un taux six fois supérieur.

La seconde étude, réalisée par la région Provence-Alpes-Côte d’Azur, évalue le taux de prévalence à 4,1 %, soit un taux plus de dix fois supérieur à celui de la population globale. Cela pose deux problèmes. Tout d’abord, le taux de prévalence est plus élevé dans la population carcérale qu’à l’extérieur. La seconde difficulté porte sur la fiabilité des études, qui est à mettre en doute. Pour preuve, deux études arrivent à des résultats qui vont du simple au double. L’association Act up est confrontée au manque de données épidémiologiques, en tout cas pour le VIH.

Mme Emmanuelle COSSE : On estime actuellement à 600 000 le nombre de personnes touchées par le virus de l’hépatite C dans la population française. Le ministère de la Santé estime qu’il passera à un million d’ici à six mois.

Il n’existe pas de chiffres précis sur le virus de l’hépatite C dans la population carcérale. Néanmoins, après plusieurs études réalisées sur la population séropositive en général, on estime que sur l’ensemble des personnes séropositives en France, soit environ 110 000 personnes, 30 à 40 % seraient coinfectées par le virus de l’hépatite C. Par ailleurs, la population carcérale, majoritairement composée de personnes toxicomanes, est la plus touchée par le virus de l’hépatite C, du fait d’une pratique d’échanges de seringues qui a duré assez longtemps. On peut estimer que ce virus est très présent dans les prisons.

Il existe un deuxième obstacle à la collecte des données épidémiologiques en prison. Nombre de détenus ne diront pas en prison qu’ils sont séropositifs. Nous connaissons plusieurs détenus, condamnés à de courtes durées d’incarcération qui ne dévoileront pas leur séropositivité, afin d’éviter la stigmatisation. En tout cas ils ne veulent pas faire partie des détenus qui se rendent plus souvent à l’UCSA, essentiellement pour conserver leur travail s’ils en ont un.

Toute recherche épidémiologique dans le milieu carcéral est assez compliquée. On peut se fonder sur les données en possession de chaque service médical, mais il est difficile de recueillir l’information auprès des détenus.

Du fait de l’épidémie de sida, nous sommes très souvent amenés à travailler sur les cas de détenus séropositifs et usagers de drogues ou tout simplement usagers de drogues, mais qui nous écrivent, car ils connaissent notre travail en ce domaine.

Nous sommes confrontés à plusieurs cas.

Depuis le développement des politiques de substitution, notamment avec l’utilisation du subutex ou de la méthadone, des usagers de drogues, déjà sous traitement de substitution, entrent en prison. On ne peut établir de généralités. Parfois, le suivi de leur traitement au sein même de la prison ne posera aucun problème. Les personnes seront prises en charge et on continuera de leur prescrire leur traitement de substitution avec un suivi médical. Mais il est d’autres prisons comme celle de Bois-d’Arcy où, sous couvert de déontologie médicale, les traitements de substitution sont interrompus. Des personnes qui pendant six mois, un an ou plus ont suivi un traitement à l’extérieur se voient totalement sevrées du jour au lendemain. Elles n’ont plus de traitement de substitution, plus d’accès à des produits stupéfiants, pas même à des produits permettant de faire disparaître les douleurs liées au sevrage. Il n’y a donc aucune assurance sur la continuité du traitement de substitution au sein des UCSA.

Par ailleurs, si, en général, les détenus atteints du VIH continuent à recevoir des traitements, notamment des trithérapies, il se peut aussi que, du fait de leur entrée en prison, ils soient soumis à un changement de traitement brusque. Celui-ci n’intervient pas pour des raisons thérapeutiques, mais, parce que, dans telle prison, on préférera utiliser telle ou telle trithérapie pour des raisons de commodité, notamment de prescription. Les trithérapies mettent en jeu des médicaments lourds, dont la prise doit intervenir à heures fixes. Certains doivent être pris une heure avant le repas, d’autres trois heures avant. Certaines molécules peuvent être associées, d’autres pas.

Le Norvir, molécule très importante dans le traitement du VIH, était auparavant dispensé sous forme de sirop et devait être conservé dans des réfrigérateurs. Or les détenus se voyaient remettre pour le mois leur fiole de sirop. Ils prenaient donc un traitement qui avait perdu de son efficacité.

Suivre un traitement hors des conditions prescrites rend les malades résistants à cette molécule, ce qui leur fait "griller une cartouche" dans les possibilités de traitement et pose des problèmes d’hygiène. La difficulté liée au traitement du Norvir a disparu d’elle-même, dans la mesure où cette molécule a posé des problèmes de cristallisation et qu’elle a été remplacée. C’est un exemple parmi d’autres.

Les entrants toxicomanes qui désirent, au sein de la prison, avoir accès à un traitement de substitution, seront mis d’office sous subutex, le médicament de substitution le plus prescrit à l’heure actuelle en France. Autrement dit, on ne leur propose pas de choisir entre la méthadone ou le subutex, on leur impose le subutex, notamment pour des raisons de commodité de prescription pour le médecin. Ce qui est dommageable, car ces deux molécules répondent à des passés de toxicomanes totalement différents. Le subutex vise des toxicomanes à la toxicomanie assez récente, la méthadone d’autres types de toxicomanies. Le choix n’est pas proposé au détenu. C’est dire que, même en détention, la substitution sera difficile, car on ne peut obliger une personne à prendre des médicaments de substitution sans son consentement.

Enfin, beaucoup de détenus, en raison de tracas administratifs, de difficultés à parler aux médecins ou à obtenir des rendez-vous lorsqu’ils le demandent et de peur de la stigmatisation, ont arrêté des traitements de substitution. La raison n’en est pas toujours l’incarcération. Il est arrivé que des détenus l’interrompent parce qu’ils changeaient de centre de détention et que ce qui était possible dans le premier ne l’était plus dans le second. Se voyant opposer un refus, ils n’engagent pas de recours, ne demandent pas de nouveau traitement et arrêtent totalement leur stratégie de substitution.

M. Michel HUNAULT : Vous avez évoqué la loi de 1994 estimant qu’elle était insuffisante. A l’appui de votre affirmation, vous avez indiqué que le détenu n’avait pas le choix de son médecin. Que proposeriez-vous pour améliorer une loi qui, semble-t-il, a quand même apporté un plus dans les prisons par la création des unités médicales ? Quelles sont vos propositions ?

M. Nicolas KERSZENBAUM : Il est vrai que la loi de 1994 a grandement amélioré les politiques de soins en milieu carcéral. Act up la considère insuffisante car elle prend la politique de soin au pied de la lettre, excluant complètement les conditions de détention de la politique de soins. En tant qu’association de malades, nous considérons que les conditions de détention pèsent lourdement sur l’accès aux soins. Les problèmes ne dépendent pas uniquement d’une politique de santé, de l’accès aux médicaments - ce que la loi de 1994 a bien organisé -, ou d’un accès direct à une structure qui appartient à l’hôpital. Par exemple, la précarité en détention pèse considérablement sur la possibilité de suivre ou non un traitement. L’allocation adulte handicapé tombe à 12 %, ce qui oblige les personnes à travailler et donc les empêche de prendre des traitements, car alors se posent les problèmes de stigmatisation.

M. Serge LASTENNET : Si vous ne vous entendez pas avec votre médecin, en détention, vous ne pouvez en consulter un autre. Il vous est imposé. Si une personne que son médecin traitant prenait très bien en charge par un traitement efficace de méthadone est incarcérée, par malchance, dans une prison où aucune politique de substitution n’est pratiquée, il sera sevré d’office sans aucun recours.

Mme Emmanuelle COSSE : Quand nous parlons d’insuffisance, nous soulevons aussi la question du manque de moyens. Très souvent, la prison aura passé une convention avec un hôpital et un certain nombre de lits seront réservés par l’hôpital au centre de détention. Il en résulte une gestion à long terme de la part des médecins de la prison qui régulent les demandes d’hospitalisation, pour les opérations chirurgicales comme pour les consultations de jour qui doivent avoir lieu à l’hôpital. Autrement dit, des personnes qui nécessitent des interventions urgentes à l’hôpital ne pourront pas toujours en bénéficier, car tous les lits réservés sont occupés.

La question de l’escorte, qui dépasse la question du sida car elle concerne l’ensemble des personnes malades en détention, est également importante. Des personnes se voient refuser un examen, fondamental pour leur suivi médical, car l’escorte était impossible ce jour-là ou parce que personne ne pouvait les surveiller au sein de l’hôpital. C’est une question de moyens. Il conviendrait de développer des moyens financiers et humains dans le service médical au sein de la prison et pour assurer la liaison avec l’hôpital de rattachement.

Il faut souligner également la question, peu évoquée, de la santé dans les prisons privées qui se pose en des termes particuliers. La gestion de la santé y est totalement différente, bien que l’on ne puisse faire de généralités. Certains centres sont performants, d’autres absolument pas. Souvent, on assiste à une délégation de la prise en compte de la santé au sein des prisons privées à d’autres services, ce qui peut poser des problèmes de confidentialité.

M. Jacques MASDEU-ARUS : M. Lastennet a déclaré que le souhait de votre association serait de ne pas placer les malades en détention. Quelles seraient les propositions de solution de remplacement que vous pourriez nous indiquer ?

M. Serge LASTENNET : Il faudrait, tout d’abord, appliquer ce qui existe, à savoir les alternatives à l’incarcération : le régime de semi-liberté, le travail d’intérêt général, le bracelet électronique. Ce sont là des solutions qui existent et qui ne sont que très peu utilisées.

Certains détenus nous demandent à être incarcérés à l’hôpital de Fresnes. Quand on connaît cet hôpital, on a du mal à imaginer que l’on souhaite y être incarcéré et soigné. Pourtant, ils préfèrent cette solution, car ils ont peur de vivre leur maladie en détention. L’hôpital de Fresnes est le seul établissement autorisant des détentions médicalisées.

Mme Emmanuelle COSSE : La question de la grâce médicale est fondamentale. Jusqu’en 1996, en l’absence de traitement efficace, des malades du sida sont morts en prison ou une journée après leur libération. Nous en avons connu de nombreux au cours des dures années que furent celles de 1993 et de 1994.

De nombreux détenus avaient formulé une demande de grâce médicale. Ils étaient tout près de mourir. Ils ont été libérés la veille ou l’avant-veille de leur décès, ont été transférés dans leur famille ou sont morts à l’hôpital voisin. Il convient d’envisager à nouveau la question de la grâce médicale en termes de recours, de constitution de dossiers et aussi en considérant les éléments présidant à la prise en compte de la grâce. Aujourd’hui encore, elle concerne des détenus dans un état grave. Des détenus se sont vu accorder la grâce médicale le lendemain du jour de leur mort. Aujourd’hui, la question se pose avec moins d’acuité s’agissant du sida, car les traitements sont plus efficaces et il y a donc moins de détenus très avancés dans la maladie. Il en reste néanmoins et cette question doit, à mon avis, être envisagée à nouveau.

Melle Jeanne REVEL : Nous parlons d’alternatives réelles à la détention et non de compléments de peines. Lorsque le travail d’intérêt général a été instauré, il ne s’est pas substitué aux peines de détention ou aux peines de détention avec sursis, mais, bien souvent, s’y est ajouté. Nous demandons moins de prison et non pas un temps de prison auquel s’ajouterait une peine alternative.

Les semi-libertés et les libérations conditionnelles sont bien souvent conditionnées à l’obtention d’un contrat de travail, c’est-à-dire à une promesse d’embauche. Il est évidemment beaucoup plus difficile pour une personne atteinte d’une pathologie grave d’obtenir un tel contrat que pour un détenu qui est en bonne santé. Il faudrait revoir le caractère central du critère du travail ou de la promesse d’embauche comme condition à la semi-liberté.

M. Jacques MASDEU-ARUS : Je pense que vous hiérarchisez les crimes et les délits ainsi que les condamnations des détenus. Un trafiquant de drogue est bien souvent en même temps malade. Je ne pense pas que vous souhaitiez que l’on remette en liberté un trafiquant de drogue ou une personne ayant commis des crimes de sang.

Mme Emmanuelle COSSE : Nous n’avons pas réfléchi à une telle hiérarchisation. Nous sommes une association de malades et de lutte contre le sida et la question que vous posez n’est sans doute pas celle sur laquelle nous avons le plus travaillé. Au surplus, elle relève sans doute davantage des représentants de la Nation que des associations. Des détenus qui avaient commis des crimes de sang nous ont sollicités. En tant qu’association de malades, nous ne les aidons que sur des aspects relatifs à la maladie et à des questions sociales. Compte tenu de la position, en général, des membres de l’association sur l’incarcération, je ne pense pas que nous soyons à même de présenter des propositions de hiérarchisation. Toutefois, il est certain que l’on ne peut aujourd’hui mener une politique pénale envers l’ensemble de ces détenus sans prendre en compte leur pathologie. Quelle qu’elle soit, elle aggrave les conditions de vie de ces personnes, qu’elles soient condamnées à un an ou à vingt ans de prison.

M. Julien DRAY : Estimez-vous que le chiffre de malades en prison fourni par l’administration pénitentiaire est exact ?

Mme Emmanuelle COSSE : Non et de l’aveu même de l’administration pénitentiaire !

M. Julien DRAY : Etes-vous favorables à la possibilité d’organiser des appartements thérapeutiques qui permettraient à des malades de se regrouper au sein des prisons, dans des lieux particuliers ?

Mme Emmanuelle COSSE : Il faut reprendre l’exemple de Fresnes. Pendant très longtemps, Fresnes a suivi de nombreux malades atteints du sida, qui pour certains étaient dans une phase très avancée de la maladie et qui y finissaient leur vie.

Nous étions confrontés à un dilemme : une ségrégation de nombreux malades au même endroit et en même temps l’assurance d’un très bon suivi de la pathologie. Il est très difficile de faire un choix. Néanmoins, on conçoit parfaitement l’intérêt des appartements thérapeutiques, en général, s’agissant de pathologies graves. L’appartement thérapeutique permet à des personnes, le plus souvent en situation de précarité, d’obtenir un logement dans les lieux où ils vivent - dans des villes, notamment à Paris - avec un suivi médical et social. Nous connaissons bien ce dispositif, car beaucoup de membres de notre association ont bénéficié, à un moment de leur vie, de ces structures.

Les détenus que nous rencontrons, nous disent préférer être hospitalisés pendant cinq ans plutôt que d’être incarcérés, car être malade en prison est extrêmement dur. La solution des appartements peut être envisageable, mais n’est possible qu’avec le consentement de la personne détenue et non sur une obligation liée à sa pathologie. Par ailleurs, il convient d’avoir des assurances. Il ne faut pas qu’un tel dispositif mette de côté les détenus malades sans procéder au travail social nécessaire. Mais l’idée est en soi plutôt intéressante.

M. Serge LASTENNET : Peut-être conviendrait-il également de développer ce type d’appartements sur l’ensemble du territoire national, évitant d’organiser un grand centre à Fresnes où seraient regroupées toutes les personnes atteintes de pathologies graves. Il conviendrait plutôt de créer de petites structures dans divers hôpitaux régionaux.

M. Julien DRAY : Quel est le montant de l’allocation qu’il conviendrait de verser à un malade en situation difficile pour qu’il ait accès à un minimum de soins ?

Melle Jeanne REVEL : Je ne sais si on peut chiffrer très exactement ce montant. La question est celle de l’accès à des produits d’hygiène qui s’achètent, à des compléments nutritionnels, à de la nourriture fraîche contenant des vitamines, toutes choses non fournies par l’ordinaire de la détention et tout détenu - pas seulement les détenus malades - qui veut rester dans un état de santé convenable doit pouvoir cantiner. Les détenus atteints de pathologie, notamment du sida, ont particulièrement besoin de ces produits.

J’ignore quel serait le montant nécessaire. En tout cas, il est absurde que les minima sociaux et les allocations chômage, en particulier, ne soient pas perçus en détention. Actuellement, l’allocation adulte handicapé est versée, mais seulement à hauteur de 12 % de son montant, soit 425 francs. Depuis le 1er janvier, est également versée l’allocation à parent isolé, mais la mesure ne touche que très peu de femmes, celles qui sont enceintes ou celles qui ont leur enfant avec elles en détention.

L’accès à des allocations auxquelles les détenus pouvaient souvent prétendre lorsqu’ils étaient à l’extérieur leur permet, outre le fait de se maintenir dans un état de santé convenable et de bénéficier de conditions d’hygiène minimales, de ne pas être systématiquement dépendants de l’administration pénitentiaire, d’échapper à l’indigence et surtout de faire entrer en détention ce qui n’y existe pas, c’est-à-dire un droit. On peut utiliser comme on le souhaite l’argent dont on dispose, le consacrer à la location de la télévision comme décider de tel ou tel achat prioritaire. On n’est pas systématiquement suspendu à la décision des surveillants.

Je ne sais si l’on peut imaginer un montant théorique. Il est plus intéressant de raisonner en fonction des droits à l’extérieur, qui, en prison, sont supprimés et ensuite difficiles à récupérer à la sortie du fait des délais de carence et des obligations de réinscription aux organismes sociaux qui fournissent les prestations. Le cas du RMI est patent. A la sortie de détention, le délai de carence est d’au moins deux mois avant de retrouver le RMI. En attendant, les détenus indigents se retrouvent à leur sortie dans des situations de pauvreté critique.

Je rappelle que la seule allocation versée aux sortants de prison est l’allocation d’insertion, d’un montant minime et soumis à des conditions drastiques.

L’argument souvent avancé pour justifier le non-versement du RMI aux personnes incarcérées est le fait que celui-ci est conçu comme une allocation alimentaire. Le détenu étant blanchi et nourri, même s’il est mal nourri, l’allocation n’aurait pas lieu de lui être versée. Je citerai le forfait hospitalier comme contre-exemple. Une personne hospitalisée plus de soixante jours perçoit le RMI à hauteur de 50 % de son montant. Or une personne hospitalisée est néanmoins blanchie et nourrie - plutôt un peu mieux qu’un détenu. A priori, nulle raison ne justifie que les détenus ne perçoivent pas une allocation de RMI, au moins calquée sur le montant du forfait hospitalier.

Mme Emmanuelle COSSE : L’allocation adulte handicapé, pour les personnes non détenues, est environ de 3 000 francs. Les personnes touchent le plus souvent 2 700 ou 2 800 francs et c’est là leur unique source de revenu, excepté, dans certains cas, quand s’y ajoute l’allocation logement. Cela est très difficile pour les personnes séropositives ou malades du sida en dehors de prison. Elles sont extrêmement précarisées avant même d’entrer en prison et le seront davantage encore en y étant. Elles sont alors éloignées des services sociaux ou d’entraide, de familles qui ont les moyens de les aider financièrement et psychologiquement. Elles ont encore plus de besoins que les autres détenus, en matière vestimentaire, ou en compléments nutritionnels. Ce n’est malheureusement pas avec la nourriture donnée en prison que l’on peut supporter des traitements par trithérapies et la lourdeur de leurs effets secondaires. C’est pourquoi la somme de 425 francs se révèle totalement insuffisante et qu’il conviendrait d’envisager au minimum de la doubler, voire de la tripler.

Nous recevons souvent des appels de travailleurs sociaux occupés, deux à trois mois avant la sortie des détenus, à reconstituer leur dossier social, afin, notamment de permettre à ceux qui sont hébergés de recevoir l’allocation d’adulte handicapé au taux plein et ainsi d’obtenir un minimum pour vivre.

De nombreux problèmes se posent pour les étrangers en situation régulière qui ont droit à l’allocation adulte handicapé. Nous traitons actuellement un cas pour des raisons de délais de carence - il n’y a pas de délais de carence pour les nationaux, mais il est de trois mois pour les étrangers - pour lequel l’assistante sociale a fait tout son possible. Nous avons même rencontré des responsables au ministère de la santé qui n’ont jamais réussi à régler la question.

Mais surtout ce travail social de reconstitution de dossier d’insertion souvent n’est pas fait à la fin de l’incarcération. Des détenus viennent donc nous voir très peu de temps après leur sortie pour nous demander la voie à suivre pour obtenir une aide. L’information fait réellement défaut. Ni l’administration pénitentiaire, ni les services sociaux n’y procèdent.

Melle Jeanne REVEL : Les délais de carence sont un sujet important, dans la mesure où nombre de détenus se retrouvent sans aucune ressource une fois sortis de détention. Théoriquement, il existe une procédure : "l’avance sur droits supposés". Une personne sans ressources depuis un certain temps, en l’occurrence un détenu indigent, peut se rendre à la caisse d’allocations familiales présenter une demande de RMI ou d’un autre minimum social. Selon les caisses, il faudra attendre entre trois semaines à six mois. En moyenne, le dossier sera traité en deux mois. Il est possible de percevoir des avances au vu du dossier et des ressources perçues auparavant. Je ne connais pas de caisses d’allocations familiales qui appliquent ce dispositif. En général, les employés des CAF ignorent cette procédure ou, s’ils la connaissent, ne savent pas comment l’appliquer, parce qu’ils ne l’utilisent jamais. C’est une mesure simple. Il suffirait que les agents des CAF reçoivent une formation pour que l’avance sur droits supposés soit systématique pour les personnes en grande précarité, notamment pour les détenus sortant de prison. Elle est extrêmement simple à réaliser alors qu’il n’en est jamais question nulle part.

M. le Président : Mesdames, messieurs, je vous remercie.


Source : Assemblée nationale. http://www.assemblee-nationale.fr