Présidence de M. Louis MERMAZ, Président

Le père Jean VIGNEAU, le père Jean CACHOT, le pasteur Werner BURKI, M. Philippe FAURE et le père Hervé RENAUDIN sont introduits.

M. le Président leur rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d’enquête leur ont été communiquées. A l’invitation du Président, les intéressés prêtent serment.

Père Jean VIGNEAU : Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, nous sommes très satisfaits d’être ici ce matin. Nous répondons volontiers à votre proposition, parce que, présents dans les établissements pénitentiaires, nous sommes témoins de leur fonctionnement et nous observons un certain nombre de choses. Nous interviendrons à trois au nom de l’Aumônerie catholique, puis nous laisserons la parole à nos frères de l’Aumônerie protestante. Nous avons d’ailleurs l’habitude de travailler ensemble.

Au nom de l’Aumônerie catholique, nous nous exprimerons successivement sur trois points retenus en fonction des résultats d’une enquête effectuée dans le cadre du jubilé de l’Eglise catholique pour laquelle des croyants, incarcérés ou non, ont été interrogés sur la vie dans les prisons.

Premièrement, l’incarcération détruit la vie relationnelle de la personne. Voici comment cela est exprimé par des détenus : " Quand la porte de la cellule se referme sur moi, j’éprouve le sentiment de ne plus exister pour personne, d’être dans un tombeau. ", un autre : " Même si on s’entend bien avec quelqu’un, vient un moment où la vie commune en cellule devient insupportable. " Ou encore - ce sont des femmes qui s’expriment - : " Nous sommes infantilisées et cassées, à telle enseigne que la sortie devient presque une angoisse ". Vous n’ignorez pas que l’approche de la sortie est une période très propice au suicide.

Deuxièmement, la prison est le lieu où l’on fait éclater la famille. voici encore comment s’expriment sur ce point les personnes détenues : " Ma famille m’a abandonné à cause de la durée de la peine ". " On a l’impression de ne plus exister pour personne, même pour notre famille. " " Rien n’est mis en _uvre pour le maintien des liens familiaux. " Vous devinez que pour les mères détenues, le plus dur est la séparation d’avec leurs enfants.

Troisièmement, ce qui est prévu pour le maintien des liens familiaux et des relations avec l’extérieur est inadapté ou dénaturé. Je prendrai deux exemples : le courrier et le parloir. Voici encore ce qu’en disent les détenus : " Le courrier est contrôlé, notre vie y est scrutée jusque dans ses moindres détails. N’importe quel fonctionnaire peut lire notre courrier. " " Les parloirs sont trop courts, sans intimité et insuffisants pour maintenir les liens familiaux. " " Ceux qui nous enferment, que font-ils de nos enfants ? " Cet autre : " Les visites au parloir deviennent une angoisse. Coincé entre le besoin de voir la famille et la peur de l’agression, certains y renoncent. " Il s’agit bien sûr de détenus pour affaires de m_urs.

Devant ce constat, nous faisons trois propositions :

1) s’efforcer de respecter davantage l’intimité des personnes - est-ce que la censure du courrier ne doit pas être supprimée ? ;

2) permettre aux détenus de téléphoner à leur famille ou d’être appelés par leur famille - cela concerne davantage les maisons d’arrêt - ;

3) revaloriser et redéfinir la fonction du surveillant qui est le premier interlocuteur de la personne détenue, en introduisant par exemple dans sa formation une préparation à l’écoute.

Nous allons maintenant aborder le problème de la déresponsabilisation.

Père Hervé RENAUDIN : J’évoquerai en quelques minutes une réalité essentielle en prison : la responsabilité ou la responsabilisation. Après tout, ils sont en prison pour répondre de leurs actes ; ils sont en prison pour répondre de ce qu’ils ont fait et dont on les accuse. Mais il nous semble que sur trois plans au moins, cette responsabilisation a du mal à se faire. Pire : la prison va parfois à l’encontre de cette responsabilisation.

D’abord, être responsable de ses actes, c’est pouvoir les assumer, pouvoir en répondre. Or la plupart du temps, l’univers carcéral est en apesanteur, en particulier dans les maisons d’arrêt. Donc, quand on est prévenu, quand on n’est pas encore jugé, situation dans laquelle, paradoxalement, le régime est plus dur que lorsque l’on est condamné, on est totalement isolé et dépendant du bon vouloir des uns et des autres. On se dit : " l’avocat va-t-il venir ? Est-il bien au courant de tel ou tel fait ? Y aura-t-il telle ou telle visite ? Le juge a-t-il autorisé tel permis de visite, que l’on attend parfois trois ou quatre mois ? ". Comme on est isolé, on gamberge, on travaille dans sa tête. Ce n’est pas une relation saine à la réalité et à la responsabilité. On imagine, on fantasme et, du coup, on a beaucoup de mal à être relié à son passé et à relier son présent à un avenir.

De plus, on n’arrête pas d’attendre. C’est une longue attente et une attente indéfinie, sans échéance précise. Tant que l’on n’est pas jugé, tant que l’on ne sait pas à quoi on a été condamné - si l’on est condamné -, il est absolument impossible d’assumer son acte.

Ensuite, pour être responsable, il faut qu’il y ait une parole d’homme à homme, il faut pouvoir se parler, dire des choses qui correspondent à ce que l’on sent au plus profond de soi. Or la plupart du temps, la parole en prison est infantilisante. C’est une parole pour se plaindre, pour " balancer ", pour dénoncer, ou pour demander sans cesse, pour la moindre chose, des permissions, des faveurs : " Est-ce que je pourrais faire ceci ou cela ? " " Est-ce que je pourrais prendre plus de deux douches par semaine ? " Ces paroles qui ne sont faites que pour cela ne favorisent pas un véritable dialogue, un échange. Est-ce qu’il ne serait pas possible que quelqu’un, médiateur ou personnalité indépendante, puisse véritablement favoriser des groupes de parole, puisse entendre ce qu’un homme et un citoyen a à dire, et pas simplement ce qu’un enfant essaie de faire sortir de lui-même ?

Enfin, être responsable, c’est pouvoir engager l’avenir, avoir charge des autres, se voir confier des responsabilités, pouvoir prendre des initiatives. Or l’univers de la prison ne favorise pas du tout cette prise d’initiative. La plupart du temps, le travail n’est pas réellement un travail. Il n’est d’ailleurs pas possible dans les maisons d’arrêt. On ne confie pas réellement de responsabilités. Pourtant nous voyons dans l’Aumônerie que c’est possible dans la préparation des offices et des réunions. Nous savons très bien que pouvoir assumer des responsabilités, aide à s’en sortir. Ils ont souvent un conjoint, des enfants. Il faut qu’ils puissent se sentir responsables d’eux. S’ils ne se sentent en charge de rien, cela ne favorise pas non plus leur réinsertion à venir.

Nous voulions souligner que si cette responsabilisation n’est pas assurée, se produit le contraire de l’effet escompté, c’est-à-dire que le prévenu ou le condamné se sent de plus en plus victime : victime d’une injustice, victime du fait qu’il ne peut pas parler, qu’il ne peut pas se défendre, qu’il ne peut pas prendre en charge un certain nombre de choses. Au terme de l’accomplissement de la peine, se sentir victime ne permet guère de sortir de prison en se sentant responsable. C’est pourquoi nous avons insisté sur ces trois dimensions de la responsabilité.

Père Jean CACHOT : J’insisterai pour ma part sur l’inégalité en prison. Conçue pour l’égalité des peines, la prison est en fait très inégalitaire. Cette inégalité entre les détenus suscite une rage impuissante qui ne fait qu’exacerber la haine. La haine est un sentiment très largement partagé dans les maisons d’arrêt.

Un détenu a dit : " Les prisons sont des zones de non-droit où la raison du plus fort est toujours la meilleure. "

Les pauvres y deviennent plus pauvres, surtout si ce sont des étrangers en situation irrégulière, pour qui la prison est vraiment une aberration. Comme il faut toujours écrire pour avoir quelque chose - pour s’imposer, pour demander, pour obtenir une audience -, ceux qui ne savent pas écrire sont complètement oubliés, même des services sociaux car ils n’existent pas puisqu’ils ne peuvent pas se faire entendre.

En prison, rien n’est gratuit. Il faut s’humilier pour obtenir quelque chose. Le peu que l’on avait dehors - SMIC, aides diverses -, la prison le fait perdre. Comme l’a dit quelqu’un : " La prison rend SDF ". Même la liberté s’achète. Un avocat que l’on ne paie pas est presque toujours inefficace. C’est du moins l’impression qu’il donne. Si on est indigent, on accepte de travailler dans n’importe quelles conditions. Il y a vraiment des salaires indignes en prison, de l’exploitation. Celui qui ne travaille pas, s’il n’est pas assisté, ne peut profiter de rien. Alors il faut choisir entre l’école et le travail, et on choisit obligatoirement le travail. Comme l’indigence va avec l’illettrisme, la prison ne remédie pas à l’illettrisme. Même l’école y est élitiste. Quand on est indigent, on travaille plutôt que d’aller à l’école. Il faudrait aider ceux qui veulent sortir de l’illettrisme, valoriser leur formation.

Les inégalités favorisent tous les trafics. Les plus forts humilient les plus faibles, surtout s’ils sont auteurs présumés de délits ou de crimes sexuels. On voit ces personnes refuser d’aller en promenade, refuser d’aller travailler par peur des coups, des brimades ou du racket. On apprend à se méfier de tout le monde.

Un détenu pose la question suivante : " Pourquoi la presse divulgue-t-elle l’identité de certaines personnes quand ce sont des pauvres et protège-t-elle les autres ? ".

A partir de ce constat, nous faisons quelques propositions. Nous suggérons la création d’un revenu minimum pour les indigents pour subvenir aux besoins essentiels. En ce qui concerne la présomption d’innocence, nous suggérons le maintien des droits sociaux des prévenus ou leur recouvrement automatique à la sortie de prison. Pourquoi leur enlève-t-on leurs droits ? Nous suggérons que priorité soit donnée à la lutte contre l’illettrisme. Cela nous paraît fondamental. Afin de permettre aux illettrés d’aller à l’école, nous proposons de motiver leur enseignement. Nous suggérons la présence d’écrivains publics pour les illettrés. Nous suggérons de former les surveillants qui vivent avec les détenus à la prise en compte de l’indigence.

Le système des inégalités que la prison exaspère donne surtout aux détenus le sentiment d’être des victimes ou accroît ce sentiment. Elle leur fait totalement perdre de vue toute notion de responsabilité. Or sans responsabilité, je ne vois pas quel travail de réinsertion on peut faire avec eux. On a l’impression que la prison est la mesure judiciaire par excellence pour les pauvres et les défavorisés de la société. Enfin, on demande à la prison de réussir là où la société a échoué.

M. Philippe FAURE : Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, le pasteur Werner Burki et moi représentons ici la commission " Justice et Aumônerie des prisons " de la Fédération protestante de France. Cette commission qui se réunit plusieurs fois par an regroupe nos sept aumôniers régionaux ainsi qu’un certain nombre de personnes concernées, de par leur profession ou leur engagement, par les problèmes de justice ou de prison. Je suis le président de cette commission. Je suis laïc. La commission est le support du service Aumônerie des prisons de la Fédération protestante de France dont l’aumônier général est le pasteur Werner Burki, ici présent. Ce service regroupe les 230 aumôniers protestants répartis sur le territoire national, eux-mêmes issus des différentes Eglises protestantes : réformée, luthérienne, baptiste, évangélique, pentecôtiste, ainsi que de l’Armée du salut et de la Mission évangélique tzigane.

L’Aumônerie protestante travaille dans un esprit particulièrement _cuménique, notamment avec nos frères catholiques, orthodoxes, israélites et musulmans. Nous reprenons à notre compte les principaux points concernant les prisons françaises qui ont été présentés par nos frères catholiques.

Toutefois, il me semble important d’ajouter à cette présentation générale quelques observations et propositions complémentaires.

Premièrement, nous insistons sur la nécessité de développer l’action en faveur des sortants de prison. Celle-ci doit être entreprise tant à l’intérieur des prisons pour préparer la sortie, qu’à l’extérieur pour une meilleure prise en charge après la sortie. Nous pensons que dans ce domaine, le rôle des élus - parlementaires, conseillers régionaux, conseillers généraux et maires - est déterminant. Nous proposons qu’à l’exemple de ce qui se fait dans l’Essonne autour de Fleury-Mérogis, puisse être généralisée dans les prisons françaises la création de comités pluridisciplinaires et partenariaux d’aide aux sortants de prison.

Deuxièmement, il nous semble indispensable qu’à la suite des propositions de la commission Canivet, un dispositif de contrôle externe des prisons françaises soit rapidement mis en place.

Troisièmement, la population pénale a vu, ces dernières années, son profil général se modifier considérablement avec l’augmentation du nombre de détenus qui présentent des problèmes de toxicomanie ou d’ordre comportemental, des condamnés pour délinquance sexuelle, et avec une assez forte augmentation des jeunes, notamment mineurs, et des étrangers. Les moyens destinés à la prise en charge de ces populations devraient donc être accrus. Il conviendrait notamment d’introduire de façon assez massive en prison des psychiatres et des psychologues qui puissent prendre en charge ces détenus.

A cet égard, et c’est le quatrième point, la place et le rôle des aumôniers au sein d’équipes pluridisciplinaires à constituer ou à généraliser dans les établissements pénitentiaires devraient être mieux affirmés et consolidés. Nous considérons que les aumôniers peuvent s’insérer dans des équipes pluridisciplinaires avec des gens venant du secteur de la santé ou des éducateurs.

Cinquièmement, nous affirmons que les aumôniers sont des interlocuteurs possibles pour l’ensemble de ceux qui vivent ou qui travaillent en prison, qu’ils soient détenus ou membres du personnel, notamment personnels de surveillance, travailleurs sociaux, professionnels de la santé ou intervenants extérieurs de tous ordres. Les aumôniers peuvent travailler avec l’ensemble de ces personnes. En effet, par leur présence pastorale, leur capacité d’écoute et l’indépendance d’esprit qui leur est demandée, ils peuvent jouer un véritable rôle de médiation et d’apaisement, tout en respectant l’esprit de laïcité républicaine auquel nous, protestants, sommes naturellement attachés.

Sixièmement, il nous semble qu’il ne pourra pas y avoir de réforme fondamentale du monde carcéral sans que soit obtenue au préalable l’adhésion des personnels, en particulier celle du personnel de surveillance dont il faudrait certainement revaloriser les fonctions et mieux identifier le rôle par rapport à ceux des autres intervenants. Nous pensons que les élus, notamment les maires, devraient être bien conscients des difficultés que comporte le métier de surveillant et que connaissent les personnels pénitentiaires qui résident dans leurs circonscriptions.

Septièmement, le Conseil de la fédération protestante de France, sur proposition de notre commission, avait adressé à Mme la garde des sceaux, lors de la discussion du projet de loi sur la présomption d’innocence et les droits des victimes, un texte que je tiens à votre disposition, mais le projet de loi est maintenant voté. Ce texte met l’accent sur la nécessité de mieux encadrer les décisions de mise en détention provisoire. Nous marquions notre préférence pour un système de décision collégiale.

En conclusion, nous nous réjouissons de l’existence des commissions d’enquête parlementaires sur les prisons, qui marquent l’intérêt des élus nationaux pour les problèmes du monde carcéral et pour les personnes faisant l’expérience de la détention. C’est pour nous une grande première. Nous souhaitons vivement que cet intérêt s’élargisse à l’ensemble des élus régionaux et locaux, et à travers eux, à chaque citoyen de notre pays. Pour leur part, les aumôniers, soutenus et accompagnés par leurs communautés ecclésiales, s’efforcent de susciter et de développer cet intérêt auprès des membres de ces communautés qui sont aussi des citoyens responsables et engagés.

Pasteur Werner BURKI : Beaucoup de choses ont été dites. Je ne vais évidemment pas m’inscrire en faux sur tout ce qui a été présenté et souligné mais j’apporterai un bémol à la conclusion qui vient d’être faite sur notre difficulté en tant qu’aumôniers de susciter l’intérêt des communautés qui nous portent. Un de nos aumôniers écrivait : " Les paroisses envoient leur pasteur en tôle. Il est ensuite mal aimé de s’y plaire. Les bien-pensants, les malades, les personnes âgées ne sont-ils pas plus importants ? " C’est toujours un débat qui peut renaître.

Les pasteurs reçoivent des détenus une formation professionnelle accélérée. En prison, on apprend à écouter, à être témoin de soi, à ne pas juger. La prison est un condensé du monde courant. Ils en ressortent bien plus proches de leurs paroissiens. Je voudrais que l’on comprenne cet enjeu. Paradoxalement, nous ne sommes pas toujours portés par nos communautés respectives et il n’existe pas toujours une véritable compréhension mais, en même temps, notre découverte du monde carcéral a un effet très important sur les communautés que nous animons ou que nous fréquentons.

Dans le même esprit, je voudrais lire ceci. " La police arrête un criminel sur trois, deux voleurs sur dix, trois violeurs sur beaucoup. Il en résulte que nous fréquentons statistiquement dans le quotidien des gens qui sont l’un ou l’autre, ou l’un et l’autre, de ces délinquants et criminels. Mais ceux qui sont en prison subissent les conséquences de leurs actes, les autres non. Nous avons estime, considération ou, à tout le moins, des rapports normaux, envers ceux dont nous-mêmes et la police ignorons le comportement. Nous les considérons comme innocents puisque non jugés. Ceux qui subissent les conséquences de leurs actes ont donc un chemin plus responsable que ceux dont nous ignorons la vie. Je me demande s’ils ne sont pas théologiquement plus responsables que nous-mêmes car nous cachons soigneusement nos délits et nous nous cachons à nous-mêmes les douleurs que nous avons infligées aux autres consciemment ou inconsciemment.

Il convient de convertir un peu notre regard. L’aumônier a la chance de rencontrer en prison des gens parfois plus en accord avec eux-mêmes que les personnes libres. C’est un privilège dont nous pouvons leur être reconnaissants. Nous trompant nous-mêmes, nous pensons que c’est eux qui doivent nous être reconnaissants du temps que nous leur consacrons. C’est un étrange renversement de la situation.

" En effet, un homme qui m’accueille dans sa cellule me donne de son temps, de sa réflexion. Il me fait partager avec confiance ses sentiments, sa colère, sa révolte, son acceptation difficile de son propre chemin. Quel est celui qui reçoit un cadeau de l’autre ? Il me semble que c’est l’aumônier, qui a le privilège exorbitant de pouvoir entrer en contact avec lui, et non le contraire.

" En plus de ce cadeau, lorsque je suis devant ces hommes en maison d’arrêt ou en maison centrale, je me sens obligé de répondre à leurs questions sur ce que je pense, sur ce que je crois, sur ce dont je suis sûr ou incertain. Ils m’amènent à une parole vraie, à une recherche en moi pour préciser ma pensée. S’il est témoin de lui-même, je dois être témoin de moi en face de lui. Cette obligation est un cadeau précieux, inestimable même ".

Je lisais cette parole qui retourne un peu l’attitude de la bienveillance de ce service de l’aumônier. Cela déborde à l’évidence le privilège de l’aumônier. Nous sommes placés devant quelque chose d’exceptionnel qui doit nous permettre de retrouver la mobilisation de ce que nous apporte l’autre rencontré là.

En conclusion, j’évoquerai deux pistes qui me semblent pouvoir être suivies. Après tout ce qui a été dit sur l’illettrisme, le niveau culturel souvent très limité qui est une complication pour le contact de l’aumônier, il faut une approche humaine, avec de la spontanéité, de la bienveillance et une adaptation qui ne sont pas très aisées à obtenir. Lorsqu’il n’y a pas de demande religieuse, il faut trouver des moyens d’entrer en contact, de recevoir et de donner.

J’insiste sur l’enseignement qui, dans cette situation d’indigence, doit être pratiqué pour intéresser au point de permettre vraiment l’adhésion, la volonté. Je me demande même si nous ne devrions pas inciter à se cultiver, d’une manière élémentaire ou plus élaborée, en rémunérant ceux qui ne peuvent pas effectuer un travail pour gagner de quoi survivre, en accompagnant financièrement l’enseignement qui leur serait dispensé. Nous devrions chercher à réduire les difficultés de suivre régulièrement un enseignement, notamment avec le vide des grandes vacances estivales. De nombreuses questions doivent vous être soumises à ce sujet.

En matière de prisons, on parle beaucoup des bâtiments. Il faut nous soucier d’abord des hommes. Les établissements devraient offrir des espaces qui maintiennent un contact avec la terre. Je propose des prisons avec des jardins. Cela peut paraître utopique mais je pense qu’il en faut pour continuer à imaginer la suite. Je propose également de favoriser le développement de l’enseignement de la musique. Loin d’être fantaisistes, ces deux options constitueraient, à mon avis, une préparation à retrouver le monde des hommes libres.

M. le Président : Pouvez-vous nous préciser où se situe votre intervention ?

Père Jean VIGNEAU : Pour l’Aumônerie catholique, le père Jean Cachot est chargé de la formation des aumôniers et il intervient dans l’aumônerie de la maison d’arrêt de Besançon. Le père Hervé Renaudin, conseiller théologique de l’Aumônerie, intervient dans l’aumônerie de la maison d’arrêt de la Santé. Je suis l’aumônier général et j’interviens dans l’aumônerie de la maison d’arrêt de Loos-lèz-Lille.

M. Philippe FAURE : Je ne suis pas aumônier, je suis laïc. Je n’interviens pas en prison mais j’ai servi pendant six ans à l’administration pénitentiaire comme sous-directeur du personnel à la chancellerie. Je suis maintenant à la retraite. Le pasteur Werner Burki, qui est aumônier général, intervient à la maison d’arrêt de Fresnes.

Pasteur Werner BURKI : J’ajouterai que le fait d’être laïc n’empêche pas d’exercer la fonction d’aumônier dans les établissements de France. Il se trouve que le président actuel n’est pas aumônier mais ce n’est pas du tout un obstacle à ce ministère. Pour ma part, ayant la responsabilité de visiter l’ensemble des prisons de France et d’outre-mer, j’ai aussi une présence régulière à Fresnes.

M. le Président : Quelles relations entretenez-vous avec les directeurs et les surveillants ? Comment êtes-vous accueillis par le personnel pénitentiaire ? Je suppose que c’est variable. Nous qui avons visité beaucoup de prisons, nous avons entendu parler des aumôneries, nous avons même rencontré des aumôniers. Nous avons constaté que certains surveillants ne sont pas très favorables. Dans une prison que je ne citerai pas, on nous a dit : " Beaucoup trop de gens extérieurs s’occupent des prisonniers ".

Pasteur Werner BURKI : Vous avez raison de dire que c’est variable. Cela dépend des personnalités, des lieux, de la dimension des établissements. D’une façon générale, l’accueil des responsables des établissements est positif. Nous pouvons négocier nos activités et nos actions.

Vous vous adressez ici à des responsables nationaux. Il n’est pas toujours facile pour un responsable d’entendre les difficultés que rencontre, par exemple, un aumônier laïc, femme, de petite taille, face à la réalité carcérale. Nous pouvons entretenir de bonnes relations. Nous sommes tenus de défendre et d’accompagner les aumôniers qui travaillent avec nous, mais les situations ne sont pas aussi souples qu’il peut y paraître avec des aumôniers qui n’ont pas l’influence, l’autorité ou la stature. Il faut rester vigilant.

Père Jean CACHOT : Le personnel de surveillance a toujours l’impression que nous allons nous faire avoir par les détenus et que nous allons tout bouleverser. Quand il s’aperçoit que nous ne sommes pas aussi naïfs qu’ils le craignaient, nous sommes bien acceptés. Nous jouons un peu le rôle du médiateur dont nous souhaitons la création. Allant dans les cellules ici et là, nous sommes au courant, on peut nous informer des situations. Nous sommes assez souples pour remédier à certaines urgences, pour prévenir qui il faut. Nous avons, je crois, un rôle assez positif dans les établissements.

M. le Président : Entretenez-vous des relations avec les familles des détenus ?

Père Jean CACHOT : Nous sommes en contact avec les familles essentiellement par les accueils des familles qui ont été construits auprès de presque chaque maison, souvent à l’initiative des aumôneries ou des associations qui gravitent autour de la prison. Il nous est difficile de contacter les familles de personnes prévenues car la loi nous l’interdit. Nous n’avons pas à servir d’intermédiaires. Nous devons respecter le passage obligé par le juge d’instruction, ce qui limite notre intervention dans les maisons d’arrêt. Autrement, nous pouvons contacter les familles assez facilement.

M. le Rapporteur : Après la condamnation, vous pouvez établir facilement un contact régulier avec les familles.

Père Jean CACHOT : Oui, bien sûr.

Père Hervé RENAUDIN : Précisément, la détention provisoire pose un problème. J’interviens à la maison d’arrêt de la Santé, à Paris, où se trouvent des prévenus. Nous ne pouvons pas avoir de contact avec les familles. Dans ce contexte d’isolement et d’apesanteur, il est très difficile de faire comprendre aux familles qu’elles ne sont pas elles-mêmes coupables. Elles vivent très mal ces moments sans relations, sans nouvelles. D’une façon générale, il est extrêmement difficile de concilier présomption d’innocence et détention provisoire, notamment eu égard aux familles.

Je voudrais citer un exemple qui n’est pas unique et qui est fort difficilement vécu. Quelqu’un apprend la mort d’un de ses frères. Sa famille est d’accord pour qu’il vienne assister à la célébration, y compris menotté. Or par une décision prise je ne sais par qui, la personne incarcérée a juste été emmenée au funérarium, n’a pas pu voir sa famille et est revenu en prison. C’était pire que tout. Elle m’a dit : " J’aurais préféré ne pas y aller que de me retrouver face à mon frère mort sans personne à côté de moi ". Cela n’est vraiment pas humain et cela n’aide pas la personne, à des moments très pénibles pour tout être humain, à tisser un vrai lien.

M. le Président : Avez-vous la possibilité de continuer à suivre certains détenus après leur libération ?

Père Jean CACHOT : Nous faisons partie du système carcéral. Après leur sortie, dans la majorité des cas, le principal souci des gens est d’oublier la prison et, par conséquent, d’oublier aussi ceux qui y intervenaient.

M. le Rapporteur : Messieurs, je vous ai écoutés avec attention. Trois points m’intéressent plus particulièrement.

Nous avons reçu, il y a quinze jours, des représentants de l’Association des familles de personnes décédées en prison, souvent par suicide. Elles se posent des questions car elles sont très mal informées des conditions du suicide. La manière dont on les informe est particulièrement malheureuse. Vous avez dit que l’approche de la sortie était une période propice au suicide. Pouvez-vous nous dire pourquoi le stress de la sortie peut conduire à cette fin ?

Le père Jean Cachot a en partie répondu à ma deuxième interrogation. La demande religieuse est-elle un prétexte à une rencontre, à un contact, à une prise de parole ? N’importe quel visiteur bien intentionné ne pourrait-il pas remplir cette mission ?

Enfin, à plusieurs reprises, des interlocuteurs ont fait allusion à la mise en place d’un médiateur. Les rencontres que nous avons dans les établissements pénitentiaires montrent que l’existence d’un interlocuteur médiateur entre les détenus eux-mêmes, entre les détenus et le personnel et entre le personnel, pourrait répondre à une demande. Je n’ai pas réussi à définir le rôle qu’il pourrait jouer. Quel est votre point de vue à ce sujet ?

Père Jean VIGNEAU : Je répondrai sur le suicide. La maison d’arrêt de Loos a été parmi les dix sites pilotes pour la prévention du suicide. Le directeur de l’époque, M. Jean-Louis Daumas, avait souhaité que les aumôneries protestante et catholique participent à l’équipe de recherche autour du suicide. Un relevé effectué sur une année montrait que, s’agissant du lieu, les suicides se produisaient le plus souvent dans les quartiers disciplinaires et les cellules d’arrivants, et, s’agissant du moment, les premiers jours de détention et à l’approche de la libération. L’approche de la libération est une période d’appréhension et de peur énorme de retrouver une vie normale à laquelle on n’est pas préparé. Devant cette échéance, certains jettent l’éponge.

Père Hervé RENAUDIN : Je crois que, consciemment ou inconsciemment, la demande religieuse est une demande de rencontre. C’est ce qui est fondamental parce que c’est ce qui relie à un autre, c’est ce qui relie à un regard, et un regard qui ne dénonce pas, qui n’enfonce pas. C’est ce qui relie à un mouvement : le mouvement d’un homme, le mouvement d’une vie. Tant qu’il se sent réduit à un acte de son passé ou de son passif, il n’est pas lui-même, car chacun d’entre nous est soi-même dans un mouvement de rencontre. Il peut découvrir le " je " qu’il porte en lui et répondre à l’appel de son nom si quelqu’un lui dit : " tu ", si quelqu’un s’adresse à lui d’homme à homme. Plus ou moins consciemment, il y a dans la demande religieuse, quelle que soit la confession, le désir d’être reconnu comme un être humain dans son mouvement. C’est déjà un début de réhabilitation.

Pasteur Werner BURKI : Je suis parfaitement d’accord avec ce qui vient d’être dit. Là aussi, nous devons apprendre à banaliser un peu les choses. Après tout, la demande religieuse à l’extérieur se passe dans des conditions analogues. Est-ce que dans les communautés dans lesquelles on se rend, on n’est pas d’abord dans une demande simple de rencontre humaine, de compréhension de soi ? On dit parfois dans les prisons : ils ne sont pas participants à des activités religieuses à l’extérieur, pourquoi le sont-ils ici ? Permettez-moi de raconter une anecdote. Je suis entré dans une cellule à Fresnes. J’ai dit à la personne : " Je suis l’aumônier ". Sa première réaction a été : " Les aumôniers, curés, pasteurs et tous les autres, sont des gens qui se font du lard sur le dos des autres, cela ne m’intéresse pas. " Je lui ai proposé que nous nous rencontrions un peu. La personne m’a dit : " Le religieux ne m’intéresse pas, mais il y a des gens dans la vie qui sont pour moi des modèles, qui se sont engagés, qui m’ont aidé à survivre. Ma référence, c’est Zola. " Je l’ai regardé, nous nous sommes assis sur le lit de sa cellule et nous avons parlé de Zola. Il me semble que la volonté de contact et la disponibilité à retrouver l’autre sur son terrain priment.

Père Jean CACHOT : Le sentiment général des gens qui sont incarcérés c’est que personne ne les écoute, que personne ne leur répond. Je conçois un médiateur comme une personne indépendante qui serait là pour écouter et qui donnerait l’assurance qu’il apportera une réponse, quelle qu’elle soit. Ce doit être quelqu’un dont on est sûr qu’il respecte la confidentialité, à qui ce que l’on dit ne peut pas porter préjudice. Répondre à quelqu’un signifie qu’on le prend en compte. Quand on ne répond pas, cela veut dire qu’il n’existe pas. C’est ainsi que je conçois le rôle du médiateur.

M. Philippe FAURE : La prison est un monde clos où tout le monde est impliqué par des liens, des luttes de pouvoir entre détenus, personnel, directeur, intervenants extérieurs, etc. Le médiateur ne doit pas être impliqué. Bien entendu, il doit être extérieur et indépendant, mais cela ne suffit pas. Il doit aussi être crédible et donc reconnu par l’ensemble des gens - population pénale et personnel - qui sont en prison. Ce sera extrêmement difficile à trouver. Je ne pense pas que l’on puisse imaginer qu’un magistrat ou un fonctionnaire puisse être un médiateur, car les détenus le verront toujours comme quelqu’un qui juge.

Il est parfois très difficile de trouver des gens qui ne soient ni fonctionnaires ni magistrats, mais des membres d’association, par exemple, pour faire partie des commissions de surveillance. Les préfets se grattent la tête pour en trouver. Un problème général dans ce pays est qu’il n’y a probablement pas assez de gens qui s’intéressent aux prisons. S’il est facile de définir le rôle du médiateur, il l’est beaucoup moins de trouver des gens qui puissent assumer cette fonction.

Mme Martine AURILLAC : J’ai été très intéressée, même touchée par ce que vous venez de dire et qui rejoint nos interrogations, nos préoccupations. Cela confirme aussi le constat de carence que nous faisons en visitant les prisons.

Comment s’effectue votre action en prison ? Outre les offices, il y a les demandes des détenus. Sont-elles accordées facilement ? Vous heurtez-vous parfois à des difficultés ? Quels sont vos contacts avec les visiteurs des prisons ? Je voulais également savoir s’il y avait un suivi des personnes que vous avez rencontrées, mais vous avez déjà répondu avec humour à cette question.

Père Jean VIGNEAU : Tout détenu qui demande à rencontrer un aumônier est reçu par lui. Mais en prison, tout se fait par écrit. Vous devinez que celui qui ne sait ni lire ni écrire est obligatoirement dépendant d’un copain de cellule qui ne le fera pas toujours gratuitement. Pour nous, aumônier, il est essentiel de prendre le temps d’écouter les gens. Prévoir des célébrations, des cultes le samedi et le dimanche est, certes, important, mais être à l’écoute des gens est prioritaire.

Les visiteurs ne dépendent pas de l’aumônerie ; ils dépendent des services socio-éducatifs, même si historiquement, ils sont apparus à l’initiative de l’Eglise. Nous avons des relations de partenaires et nous nous retrouvons au plan national. Un groupe national de concertation réunit régulièrement les aumôniers généraux protestants et catholiques, les responsables de l’Association des visiteurs de prison, de la FARAPEJ - Fédération des associations réflexion, prisons, actions en justice -, du Secours catholique, de la Croix Rouge, de l’Armée du salut et du GENEPI, pour conduire des recherches communes, faire des propositions, par exemple, sur l’indigence ou la double peine.

Père Jean CACHOT : En ce qui concerne la relation avec les personnes incarcérées, il arrive souvent que le personnel de surveillance, des collègues de cellule ou des membres des services sociaux nous signalent des gens qui ont besoin que l’on aille discuter avec eux, les écouter ou que l’on fasse des démarches pour eux. Il existe une collaboration à l’intérieur des établissements. Nous avons la liberté de circuler ; La plupart d’entre nous avons la clé des cellules. C’est de tradition au moins dans les établissements de quelque importance. Cela nous permet d’aller et venir un peu partout, y compris dans les endroits où personne ne va facilement, comme les quartiers d’isolement ou les cellules de punition. Les gens qui sont en cellule de punition savent qu’ils peuvent contacter l’aumônier, puisque le droit le leur permet. Cela peut parfois débloquer des angoisses ou des situations difficiles.

M. Noël MAMÈRE : Ma première question s’adresse à notre président et à notre rapporteur. J’ai été très intéressé par ce qu’ont dit ces messieurs, mais en visitant les prisons, on constate qu’elles comptent une forte population musulmane. Pourquoi n’a-t-on pas demandé à auditionner des musulmans ? Y a-t-il une différence entre les judéo-chrétiens qui réclament une aide spirituelle et les musulmans ?

Quand on visite les prisons, surtout les maisons d’arrêt, on est frappé par le dés_uvrement puisque, comme l’a souligné le père Renaudin, il y a très peu d’activités. Comment faites-vous pour entendre quelqu’un qui a des choses confidentielles à vous dire dans des cellules où vivent six à huit personnes, comme j’ai pu le constater dans des maisons d’arrêt que j’ai visitées ?

Le père Cachot a insisté sur la question de l’argent en prison. Je reviendrai sur la pratique que l’on appelle " cantiner " et sur le mode de relation aux objets, à la nourriture et à l’argent qui fait qu’un indigent devient encore plus indigent. La réponse des directeurs de prison consiste à dire que l’on mutualise. Dans des maisons d’arrêts, j’ai vu des " chauffoirs ", où six à huit détenus paient chacun 200 francs pour regarder une télévision de mauvaise qualité, parce que l’on " mutualise " les moyens. Ne pourrait-on sortir de ce système totalement aberrant qui aggrave les différences sociales ?

Vous avez également insisté sur le fait que de plus en plus de détenus sont ce que l’on appelle des " pointeurs " dans le jargon des prisons, c’est-à-dire des délinquants sexuels. Cela est sans doute lié à l’affaire Dutroux et c’est très bien ainsi. On constate une grande misère des infirmiers psychiatriques, malgré la loi de 1992 et l’apport du soutien psychologique. J’ai même pu constater dans quatre des maisons d’arrêt que j’ai visitées que les surveillants sont plus aimables, plus souples, plus complaisants à l’égard des délinquants sexuels qui sont, paraît-il, des gens plus tranquilles. L’avez-vous observé aussi ? Que faudrait-il faire, au-delà de l’assistance psychiatrique, pour trouver une formule qui permette une cohabitation moins dangereuse ?

M. le Président : Nous avons bien entendu voulu contacter le rabbinat, mais le rabbin responsable est en déplacement et nous n’avons pas encore obtenu de réponse. En ce qui concerne l’islam, il n’y a pas d’organisation. J’ai visité l’établissement de Saint-Quentin-Fallavier où il y a une proportion dramatique d’immigrés et de Français d’origine maghrébine de classes pauvres. Ils souhaitent la présence d’un imam. Des démarches sont entreprises mais ce n’est pas encore organisé. Nous avons essayé, bien entendu de contacter des représentants de toutes les religions du Livre.

M. Noël MAMERE : Je l’ignorais.

Père Jean VIGNEAU : Permettez-moi de dire que nous, aumônerie protestante et catholique, nous travaillons avec les aumôniers musulmans là où il en existe. Nous avons des rencontres régulières entre aumôniers pour partager et échanger sur notre travail en détention.

Pasteur Werner BURKI : Nous conduisons avec l’islam une action de proximité, chaque fois que quelqu’un est nommé, ou pour faciliter les désignations lorsque les personnes ne sont pas connues, tant qu’il n’y a pas d’organisation nationale de référence. Nous venons d’organiser une session de trois ou quatre jours de formation à Lyon au cours de laquelle le responsable de la prison de Strasbourg et aumônier régional en Alsace, l’imam Choukri, est venu s’exprimer. Il agit en coopération avec nous.

Y a-t-il une demande religieuse des personnes musulmanes ? Nous les rencontrons et elles participent aussi, depuis de nombreuses années, aux moments que nous organisons ou aux rencontres individuelles. Le fait qu’un aumônier soit le religieux, au sens de la liaison possible, rend les rencontres souvent très intéressantes et n’est pas un obstacle.

Père Hervé RENAUDIN : Il est vrai que le fait que les détenus soient plusieurs par cellule est loin d’être l’idéal. Dans ces moments-là, comme le rappelait le père Vigneau, on a besoin de beaucoup de temps. Les gens ne parlent pas immédiatement. Il faut écouter avant de parler et souvent plusieurs fois. La tâche est très difficile quand ils sont presque les uns sur les autres et quand rien ne peut être confidentiel. Parfois, la télévision marche très fort et on peut un peu parler, parfois des surveillants nous autorisent à aller dans une cellule vide. Il y a aussi des personnes détenues qui sont isolées.

Les uns et les autres - surveillants et personnes détenues -, dans l’ensemble, sont très conscients de l’enjeu de ces rencontres et essaient de faire preuve d’une certaine délicatesse qui est déjà un processus d’humanisation. Mais on pourrait le faciliter grandement en leur permettant de nous rencontrer seul à seul.

Pasteur Werner BURKI : S’agissant de la confidentialité, il est toujours possible d’utiliser le parloir des avocats pour rencontrer quelqu’un individuellement. De plus, nous avons le privilège de pouvoir entretenir une relation épistolaire dans une confidentialité totale. Les lettres ne sont pas ouvertes. Nous avons le même privilège qu’un avocat. Cela ne fonctionne pas toujours mais en principe, nous avons la possibilité d’un vis-à-vis secret et intime.

M. Emile BLESSIG : De l’ensemble des visites que nous avons pu faire, il ressort que la situation des jeunes détenus est caractérisée par l’absence ou la perte totale de repères. Comment leur permettre de retrouver un certain nombre de repères ? Existe-t-il dans les établissements que vous fréquentez des démarches pluridisciplinaires, de groupe, ou est-ce chacun pour soi en fonction de ses priorités et de son savoir-faire spécifique ?

Père Jean CACHOT : Je ne me fais pas trop d’illusions. Le milieu carcéral exerce sur les jeunes une pression telle que je doute de l’efficacité de tout travail de fond avec eux. Il y a une surenchère de la violence latente qui explose souvent entre eux. Il y a entre eux un tel rapport de forces, des conflits tels, un tel besoin de s’affirmer contre ou par rapport aux autres que cela rend impossible tout travail de groupe sérieux. La tâche des enseignants et des éducateurs qui travaillent parfois en collaboration auprès d’eux est d’assurer un passe-temps à peu près convenable à défaut de pouvoir gérer un quelconque avenir.


Source : Assemblée nationale. http://www.assemblee-nationale.fr