Présidence de M. Louis MERMAZ, Président

Mme Betty BRAHMY est introduite.

M. le Président lui rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d’enquête lui ont été communiquées. A l’invitation du Président, Mme Betty Brahmy prête serment.

Mme Betty BRAHMY : Je suis psychiatre des hôpitaux, responsable du service médico-psychologique régional de Fleury-Mérogis, c’est-à-dire le secteur de psychiatrie en milieu pénitentiaire compétent sur le centre pénitentiaire de Fleury-Mérogis. J’exerce ces fonctions depuis plus de trois ans à Fleury-Mérogis. J’ai exercé les mêmes fonctions pendant huit ans à la maison d’arrêt de Rouen. Je travaille donc en prison comme psychiatre depuis plus de onze ans. Mon statut est celui de praticien hospitalier rattaché à l’hôpital sud-francilien d’Evry-Corbeil.

La première question qu’il me semble nécessaire de poser est : à quoi sert la prison ? Quelle prison veut-on en l’an 2000 ? Depuis des années, il n’y a plus eu de débat sur la prison. Le dernier, un peu philosophique, avait été provoqué en 1974 par Michel Foucault. Notre pays a besoin d’un tel débat. Je sollicite depuis longtemps des responsables de l’administration pénitentiaire la création d’un groupe de travail sur ce sujet. Veut-on éloigner les gens ? Veut-on les enfermer ? Veut-on les rééduquer ou les éduquer ? Veut-on les soigner ? La question se pose pour tous les prisonniers mais plus encore pour les jeunes détenus. A Fleury, par exemple, un centre des jeunes détenus regroupe 120 jeunes de 13 à 18 ans. Qu’attend-on de cet enfermement ? Je ne critique pas l’enfermement des mineurs ; je dis qu’il est indispensable de se demander à quoi cela sert. J’ai entendu les précédents interlocuteurs parler de manque de repères. Quelle réponse entend-on lui apporter ?

Tant que l’on n’aura pas répondu à la question de savoir ce que l’on attend de l’enfermement, on n’appliquera pas les bons moyens. Si on répond qu’il faut les éduquer, ce qui est sûrement le cas, notamment pour les mineurs, il faut des éducateurs. Si l’on veut les enfermer et les mettre à l’écart, il faut créer des structures à huit cents kilomètres de leur domicile. Je schématise volontairement pour bien poser cette question de fond qui me semble préalable à tout. On ne peut pas critiquer les prisons sans avoir défini les objectifs et ce que l’on attend politiquement de la prison.

En tant que psychiatre, j’évoquerai ensuite, au risque de vous surprendre, l’absence de travail de la part de tous ceux qui vivent en milieu pénitentiaire, notamment les directeurs, les gradés, les personnels de surveillance, sur la culpabilité ressentie par un adulte à enfermer quelqu’un. J’enseigne à l’école nationale de l’administration pénitentiaire depuis onze ans, je sais que ce travail n’est pas fait. Certes, il y a la caution de la décision d’un magistrat ; l’arrestation par les policiers est un acte ponctuel, les magistrats interviennent dans le procès pénal en bonne et due forme, mais après il y a des gens qui pendant cinq ans, dix ans, six mois sont chargés d’enfermer leur prochain. Or ce travail-là me semble totalement évacué. Il n’y a pas de formation à l’école et par la suite, il n’y a jamais de débat sur ce que représente pour un homme le fait d’enfermer un autre homme ou pour une femme d’enfermer une autre femme. Cela me semble être à l’origine de toute la difficulté des métiers des personnels de surveillance.

De plus, se pose la question de l’absence de la parole dans la culture pénitentiaire. Quand il se passe quelque chose de difficile dans un service hospitalier, on en parle. Comme dans beaucoup d’institutions, on organise une réunion de services, un briefing. Dans l’administration pénitentiaire, cela n’a pas lieu. Par exemple, après une pendaison, un surveillant dépend le détenu, rédige un rapport sur les circonstances et c’est tout. Ensuite, on n’en parle pas. Cela n’est pas prévu. Ce travail sur la culpabilité d’enfermer les autres est très important et concerne les personnels de direction comme ceux de la base.

En troisième lieu, la question de la dignité est au centre de nos préoccupations en tant que psychiatres. Or dans l’enfermement actuel, il y a une atteinte à la dignité qui a nécessairement pour corollaire une atteinte très grave de l’être humain qui peut aboutir à des tentatives de suicide ou à des suicides. Dans un pays comme le nôtre, je pense que l’on doit pouvoir enfermer des gens parce qu’ils ont commis des crimes ou des délits, sans pour autant atteindre à leur dignité.

Il y a, bien entendu, les conditions de détention - promiscuité, hygiène, alimentation - sur lesquelles je ne reviendrai pas. La solitude est un des points assez difficiles. Il ne faut pas être trop systématique et penser que la détention seul est une solution. Les jeunes, notamment ne supportent absolument pas d’être seuls en cellule vingt-quatre heures sur vingt-quatre, moins les promenades. C’est un point sur lequel il convient de réfléchir.

Une autre atteinte à la dignité est causée par le travail pénal. Peut-on demander à quelqu’un de se sentir digne quand il est payé 350 francs par mois ? Dans ces conditions, le travail pénal peut-il favoriser la réinsertion ultérieure ? Si l’on peut estimer à juste titre que le travail en milieu pénitentiaire est un très bon outil de réinsertion parce qu’il apprend au détenu une certaine organisation de vie, un certain rapport à lui-même et à la société, en le payant 350 francs par mois, on lui enlève toute dignité.

La procédure judiciaire peut aussi porter atteinte à la dignité. Les délais de justice considérables, les délais de transfèrement, les délais d’appel ou de cassation sont considérables. Concernant l’exécution de la peine, il est très fréquent que l’on dise à un détenu qu’il est libérable le 15 mai, qu’on le conduise dans la cellule de libérable le 14 et qu’on lui annonce, au moment où il s’apprête à sortir, que six mois de sursis viennent de tomber. Si on le lui avait dit trois jours avant, cela n’aurait pas été la même chose. Il y a un document d’exécution de justice. Il paraît pourtant simple de le lui dire le 10 ou le 12 au lieu du 15. Je vous l’indique parce que c’est assez fréquent.

M. Christine BOUTIN : Je n’ai pas très bien compris ce que vous vouliez dire.

Mme Betty BRAHMY : Quelqu’un a été condamné à six mois de prison. Les six mois se terminent le 15 mai. Le 14 mai au soir, il est conduit dans le quartier des libérables. Il prépare ses affaires, il sait qu’il va sortir le lendemain matin. Le 15 mai au matin, le greffe de la prison reçoit une décision du palais de justice indiquant qu’il a six mois de plus à faire parce que, comme le disent les détenus, le " sursis est tombé ".

M. Jacques MASDEU-ARUS : Sur une autre peine !

Mme Betty BRAHMY : Tout à fait. Le détenu peut tout à fait l’accepter. Il savait qu’il avait un sursis, mais souvent les détenus écrivent au palais de justice pour savoir si le sursis va tomber ou pas mais on ne leur répond généralement pas. Le jour de la sortie, à une heure de la sortie, on lui dit qu’il a six mois de plus. C’est quelque chose d’extrêmement violent.

L’atteinte à la dignité par la procédure judiciaire recouvre tous ces aspects. Cela concerne aussi les délais d’attente de transfèrement. Quelqu’un qui a pris sept ou dix ans de prison doit attendre un an en maison d’arrêt avant d’être transféré en établissement pour peine.

M. le Rapporteur : A cause de l’encombrement des établissements pour peine ?

Mme Betty BRAHMY : Oui, car les établissements pour peine font l’objet d’un numerus clausus. Quand il y a six cents places, il n’y en a pas six cents une. Il faut attendre une sortie pour faire entrer quelqu’un d’autre.

Ces délais sont extrêmement mal vécus. Ils sont une atteinte à la dignité dans la mesure où le sujet a l’impression d’être un pion, un objet, et de ne pas être reconnu dans ses droits. Il voudrait " faire sa peine " dans de bonnes conditions, dans un centre de détention ou dans une maison centrale mais pas en maison d’arrêt. Les délais de justice - transfèrement, comparution pendant l’instruction, appel ou cassation - sont extrêmement difficiles pour les détenus, sources de tentatives de suicide et de difficultés d’être considérables. La réponse par des médicaments psychiatriques n’est pas la meilleure. On est obligé d’y recourir dans certains cas, mais on en est extrêmement malheureux dans la mesure où il ne s’agit pas d’une pathologie psychiatrique, mais de troubles totalement induits par des conditions liées à la procédure judiciaire.

Le quatrième point que j’évoquerai concerne la présence de fous en prison. J’emploie le mot au sens large ; il n’est évidemment pas péjoratif dans ma bouche.

Le premier aspect est la disparité des moyens. Il existe en France vingt-six services médico-psychologiques régionaux comme le mien. Ils sont bien dotés, font du très bon travail dans les établissements où ils sont situés. Mais quand j’étais responsable du SMPR de Rouen et des établissements autour - la maison d’arrêt du Havre, la maison d’arrêt d’Evreux et le centre de détention de Val-de-Reuil -, j’avais 19 personnes pour 600 détenus, alors que l’établissement du Havre n’avait que deux heures de psychiatrie par semaine pour 200 détenus. La disparité est considérable ! Il convient toutefois de préciser que la loi de 1994, prévoyant notamment une amélioration du suivi psychiatrique, a été suivie d’effets suivant le bon vouloir des médecins chefs de psychiatrie. Dans certains cas, comme celui du Havre, il n’y avait pas un souhait très marqué de mettre en place beaucoup d’heures dans la maison d’arrêt, eu égard au manque de moyens dans le secteur lui-même. Le médecin chef du secteur de psychiatrie étant lui-même en grande difficulté pour gérer son secteur, il ne voyait pas l’utilité d’enlever encore des moyens supplémentaires sur le quotidien de son secteur pour les affecter à une maison d’arrêt.

J’appelle votre attention sur ce point important, parce qu’il va nous causer des problèmes sérieux quant à l’application de la loi du 18 juin 1998 relative à la prise en charge des auteurs d’agressions sexuelles. Cette loi vise à inciter fortement les détenus à être suivis pendant leur incarcération. Encore faut-il que, lorsqu’ils écrivent pour demander à être suivis, il y ait la possibilité de les suivre. Je ne sais pas quel recours ils pourront introduire pour l’application des mesures d’aménagement de peine prévues dans cette loi en cas de refus de répondre à leur demande de soins faute de moyens. C’est un vrai problème de déni de justice dans la mesure où cette loi ne sera pas applicable dans quelques établissements. Je précise que ce n’est pas du tout le cas de Fleury-Mérogis.

J’en viens aux fous en prison. Cela pose deux problèmes.

Le premier est celui des gens qui ont commis leur crime ou leur délit " en état de démence au moment des faits ", comme on le disait dans l’ancien code pénal, ou avec un trouble neuropsychique qui a aboli leur discernement, comme on le dit maintenant. Le point central est la question des expertises. Les expertises sont demandées systématiquement en matière de crime ; elles sont à la discrétion du magistrat en matière correctionnelle ; elles sont assez rares en comparution immédiate. Dès lors, pour des raisons à la fois idéologiques et liées, là encore, aux moyens dans leurs propres secteurs, les experts ne souhaitent pas prononcer d’irresponsabilité pénale. Les chiffres sont éloquents. En pratique, on trouve soit des gens en comparution immédiate qui sont complètement fous et qui auraient manifestement dû faire l’objet d’une expertise assortie d’un report de la comparution immédiate, soit des gens qui sont passés en correctionnelle sans expertise puisqu’elle n’est pas obligatoire, soit des gens qui sont passés en cour d’assises, qui ont été expertisés et pour lesquels les experts estiment que " la prison va leur redonner le sens moral ". Je l’ai lu à maintes reprises. Ces gens-là ne connaissent pas la vie quotidienne en prison. Je veux bien admettre qu’un psychotique puisse être soigné dans un SMPR, mais quand il se retrouve en établissement pour peine où sont dispensés très peu de soins psychiatriques au long cours, il est très stigmatisé comme étant plus que le fou du village. Tenu entièrement à l’écart, il est incapable de s’insérer dans les dispositifs de réinsertion, de travail, qui existent dans un établissement pour peine.

C’est un très grave problème ; il est prévu à l’article 122 -1 du code pénal, au deuxième alinéa, que lorsque le trouble psychique ne fait qu’altérer le discernement et le contrôle des actes, la juridiction doit en tenir compte dans la détermination de la peine. Or comme les jurés sont souvent effarés par le tableau clinique qui leur est présenté aux assises, parce que le patient est totalement schizophrène et a des réponses tout à fait inadéquates, il est très fréquent que le jury prononce une peine plus lourde que celle demandée par l’avocat général. Ces gens se retrouvent donc en prison alors que leur incarcération semble tout à fait discutable.

Le second problème est celui des troubles psychiatriques découverts pendant l’incarcération, soit liés à l’incarcération, soit préexistants mais sous une forme légère qui n’avait pas nécessité de soins antérieurs. Là, on est extrêmement démuni. Dans mon service, nous avons vingt lits de prise en charge, ce qui est tout à fait suffisant pour la population de Fleury-Mérogis, mais la question se pose pour les gens dont l’état est incompatible avec le maintien en détention, en application de l’article D-398 du code de procédure pénale.

Tous les psychiatres de SMPR ont beaucoup de difficulté à placer leurs patients en hôpital psychiatrique. En effet, ces établissements ont humanisé leurs services, les ont ouverts. Ils ont un personnel souvent moindre qu’il y a quelques années. Ils ont fermé un nombre de lits assez important. Ils ne souhaitent pas fermer un pavillon de vingt-cinq places pour un détenu. Je rappelle qu’en psychiatrie, il n’y a pas de garde statique de policiers, contrairement aux services de médecine, chirurgie et obstétrique. Quand nous plaçons un détenu à l’hôpital psychiatrique d’Etampes, dans l’Essonne, par exemple, le détenu n’est pas surveillé. Par conséquent, l’équipe de psychiatrie a la charge non seulement des soins du patient, mais également de sa sécurité, ce qui les fait un peu réfléchir. Ils ont peur des conséquences. Quand il s’agit de quelqu’un qui encourt une peine d’un mois de prison, ils ne sont pas trop inquiets, mais quand le détenu est incarcéré pour des faits beaucoup plus graves, ils se sentent à juste titre très concernés par les questions de sécurité.

En outre, si le patient est prévenu, les visites de la famille sont interdites. Quand on est psychiatre à l’hôpital d’Etampes, comment interdire les visites de la famille d’un patient ? C’est impossible. Les pavillons donnent directement sur le parc, la famille peut lui parler par la fenêtre. Les psychiatres se sentent donc investis d’une mission qu’ils ne peuvent pas remplir, ce qui les met dans une situation extrêmement délicate. Tout cela explique qu’ils ne gardent pas longtemps nos patients. Dans certains services, les patients peuvent être gardés quinze jours à trois semaines, ce qui est acceptable, mais dans d’autres, ils ne restent pas plus de cinq jours. A leur retour en prison, ils sont à peine stabilisés. Il s’agit la plupart du temps de psychoses de type schizophrénique ou d’états dépressifs gravissimes. Bien entendu, ces gens-là ne sont pas guéris en quatre ou cinq jours.

Il existe la possibilité de placer les gens dans une unité pour malades difficiles. Il en existe quatre en France, dont une en région parisienne, à l’hôpital Henri-Colin, mais elles sont toujours pleines. Même si, pour ma part, je n’ai pas trop de difficulté pour placer des gens à Henri-Colin, j’ai reçu avant-hier un appel téléphonique d’un de mes collègues de Toulouse qui rencontrait des difficultés pour hospitaliser un patient dangereux à l’UMD de sa région, à Cadillac ; Il y avait six mois d’attente !

Par ailleurs, nos patients nécessitant des soins psychiatriques ne sont pas tous dangereux. Cela signifie que l’on utiliserait l’UMD de façon inappropriée, ce qui pose un problème théorique et budgétaire.

Enfin, nous avons beaucoup de mal à mettre en place le suivi après l’incarcération, qui fait partie de nos missions et auquel nous tenons énormément. Nous avons la possibilité de suivre nos propres patients pendant un certain temps. C’est utile pour finir quelque chose qui a été commencé mais cela ne vaut en aucun cas pour des patients chroniques. Nous ne pouvons pas suivre un fou chronique à l’extérieur pendant des années. Il faut que le service de secteur compétent prenne la suite. Or nos collègues sont débordés, sont inquiets de l’étiquette ex-détenu. Cela se passe parfois bien, très souvent avec beaucoup de difficultés.

M. le Président : Quel regard portez-vous sur les expertises psychiatriques faites par les tribunaux dans le cadre des procès en matière correctionnelle ou criminelle ? On nous en a beaucoup parlé au cours de nos visites.

Mme Betty BRAHMY : D’abord, elles sont souvent faites à la va-vite. J’admire beaucoup l’expert qui est capable de faire en une demi-heure la biographie du sujet, de retracer ses actes, sa vie antérieure et d’effectuer une analyse sémiologique et psychiatrique. C’est un peu rapide. Les avocats en font d’ailleurs souvent état lors du procès.

Ensuite, la grande majorité des experts n’ont pas été formés pour cela, ne connaissent pas du tout les conditions de vie en milieu carcéral. Ils ont une opinion tout à fait théorique de la prise en charge psychiatrique en milieu carcéral.

Enfin, ces experts sont souvent des psychiatres de secteur qui savent que s’ils prononcent l’irresponsabilité pénale au titre de l’article 122-1, la personne qu’ils ont en face d’eux se retrouvera à l’hôpital psychiatrique de leur département. Pour les raisons que j’évoquais tout à l’heure, ils n’ont pas forcément envie d’avoir beaucoup de ces gens-là dans leur hôpital. Pour un patient qui relève de l’article 122-1, il n’y a pas de mesure de justice. Il est placé d’office en hôpital psychiatrique. Ils se sentent tout à fait démunis. Ils savent également que le patient restera très longtemps, puisqu’il faudra encore deux experts pour autoriser la levée de la mesure. J’ai eu affaire récemment à un responsable de service qui m’a dit : " Je n’ai que quinze lits, si l’un d’entre eux est occupé pendant deux ou trois ans, cela bloquera le système ".

La psychiatrie ayant beaucoup évolué, elle estime ne plus être capable de s’occuper de ces patients-là. Cela me pose une vraie question, car c’est une mission de secteur et j’ai été une militante du secteur psychiatrique, mais on se trouve là, très souvent, confronté aux limites de la prise en charge par le secteur.

M. le Rapporteur : Merci, madame. Nous avions besoin de cet éclairage particulier, compte tenu de ce que nous avons entendu et vu dans nos visites, ainsi que des rencontres que nous avons eues dans cette salle. Les chiffres de 15, 20, 25 % de la population relevant de la psychiatrie ont été avancés, avec les nuances que vous avez apportées, de l’individu extrêmement dangereux jusqu’à celui qui subit une crise pathologique parce qu’il est en prison. La présence de " fous " - je reprends votre mot - dans le système pénitentiaire n’apporte-t-elle pas une perturbation si violente qu’il importerait peut-être d’imaginer d’autres moyens et d’autres lieux d’enfermement ?

Mme Betty BRAHMY : Cette perturbation est considérable, aussi bien pour les personnels de surveillance, quel que soit leur grade, que pour les détenus. Un fou est une personne imprévisible, dont le comportement n’est pas rationnel. Par exemple, quand un fou entend des voix qui lui disent : " toutes les personnes qui ont un chemisier bleu sont menaçantes ", il s’en prendra aussi bien aux surveillants qui ont une chemise bleue qu’à moi si j’ai un chemisier bleu. Il n’y a pas de conduites prévisibles puisque les hallucinations auditives envahissent le sujet. Nous pourrons les traiter si le patient est d’accord, puisque nous n’avons pas le droit de le faire contre son gré, mais les traitements psychiatriques ne sont pas miraculeux. Ils nécessitent un délai d’action. Pendant toute la phase aiguë, tout le monde est vulnérable : le codétenu, le responsable de l’atelier, les surveillants, les gradés. Après certaines commissions de disciplines provoquées par des manquements au règlement, les directeurs me disent : " Je ne savais pas quoi faire, parce que c’était tellement un dialogue de fous que cela n’avait plus de sens ". Le dialogue était totalement impossible parce que l’on avait affaire à un fou qui était incapable de répondre aux questions. Cela n’a de sens, ni par rapport à la notion de prison, ni par rapport à la notion de règlement, ni par rapport aux relations sociales.

M. le Rapporteur : Que pensez-vous de l’idée de création d’établissements spécialisés pour accueillir ces gens particuliers ?

Mme Betty BRAHMY : Je sais qu’au ministère de la Santé, on n’y est pas du tout favorable. J’ai collaboré avec des responsables du ministère de la Santé à la préparation de la loi de 1994. L’établissement de Château-Thierry a été longtemps une maison centrale dite sanitaire, capable d’accueillir des psychopathes. Puisque les gens étaient formés, avaient l’habitude de ces patients un peu compliqués, que les structures s’y prêtaient, je pensais qu’il fallait en faire un établissement précisément pour ces patients-là. On m’a répondu que cela créerait une stigmatisation. Il est certain qu’il est encore plus grave de dire que l’on sort de Château-Thierry que de dire que l’on sort de Fleury-Mérogis. Mais si la personne est restée pendant cinq ans au centre de détention du Val-de-Reuil, où j’ai travaillé pendant trois ans, avec des patients complètement fous et complètement marginalisés, la stigmatisation est bien plus importante pendant la durée d’incarcération qui est de plus en plus longue. D’autant que l’on n’est pas obligé de dire que l’on sort de Château-Thierry.

De surcroît, la durée des peines appliquées aux fous est de plus en plus longue, car les jurés sont souvent très impressionnés par le comportement fou d’un patient. A ce sujet, je vais vous raconter une anecdote. Un patient expertisé comme étant schizophrène était suivi depuis dix ans en psychiatrie. Son père avait un cancer généralisé. En sortant de l’hôpital psychiatrique, il l’a tué. Les psychiatres ont estimé qu’il était guéri, puisqu’il sortait de l’hôpital psychiatrique, qu’il était donc responsable de ses actes et que la prison lui donnerait le sens moral parce que ce n’est pas bien de tuer son père. Quand le président de la cour d’assises lui a demandé ce qu’il pensait de ce qu’il avait fait, après trente secondes d’un lourd silence il a répondu, d’une voix dénuée de tout affect en raison de sa maladie : " Au lieu de le tuer avec une hache, j’aurais dû le tuer avec un marteau ". Les jurés étaient, à juste titre, sidérés et bouleversés. Il n’y avait pas l’ombre d’un regret ou d’un remords. Alors que l’avocat général avait demandé huit ans, il a pris quinze ans de prison.

La stigmatisation provoquée par le maintien dans un établissement spécialisé me paraît moins grave que le fait d’être dans un établissement pénitentiaire qui n’est pas du tout fait pour cela et où les gens vivent pendant deux ans, trois ans, dix ans dans des conditions effroyables. Ensuite, la réinsertion est encore plus difficile. Pour quelqu’un qui a passé dix ans au fond d’une cellule sans sortir, sans relations sociales, la réinsertion est quasiment impossible. Quand la personne sortira à 40 ou 50 ans après dix ans de claustration, au sens psychiatrique et non pas d’enfermement, elle aura subi un enfermement double : la prison plus l’enfermement psychologique. Même si la direction des hôpitaux n’y est pas favorable, je pense que la création d’un établissement spécialisé pour les condamnés serait souhaitable.

Mais si l’on pouvait travailler en amont, afin d’éviter que ces gens fous soient condamnés, ce qui pose la question de l’expertise, ce serait une meilleure solution que de créer des établissements. Si l’on considère que 17 % de la population pénale présentent des troubles psychiatriques, il va falloir construire un certain nombre d’établissements spécialisés. Je pense que la question se pose plutôt en amont. Autrement dit, comment faire en sorte que des gens qui n’ont pas leur place en prison ne soient pas condamnés, donc ne soient pas dans le système pénitentiaire ?

Il y a la question de l’hospitalisation en milieu psychiatrique normal. Une question me gêne parce qu’elle met en question mes convictions personnelles par rapport à la psychiatrie de secteur. Si l’on considère que le secteur psychiatrique ne peut plus recevoir ces patients pour les raisons que j’ai évoquées tout à l’heure et que l’UMD n’est pas du tout compétente, ne faudrait-il pas créer une structure sanitaire, sas entre la prison et le milieu psychiatrique normal ? On pourrait placer dans ces structures des personnes qui relèvent de l’article 122-1, lesquelles seraient ainsi dans un endroit un peu plus sécurisé. Cela conduirait peut-être les experts à prononcer plus d’irresponsabilités pénales parce qu’ils sauraient qu’il existe un lieu spécial. On pourrait y mettre aussi les patients relevant de l’article D.398 du code de procédure pénale, c’est-à-dire les patients victimes, pendant l’incarcération, d’une décompensation psychiatrique.

Il convient en tout cas d’essayer de diminuer le nombre de personnes condamnées et qui relevaient auparavant de la psychiatrie. Cela va de la comparution immédiate à la cour d’assises.

M. Hervé MORIN : Je suis tout à fait d’accord avec vous et avec le rapporteur. Je considère qu’un lieu particulier doit être réservé à certains malades psychiatriques qui, à mon sens, ne relèvent pas de l’établissement pénitentiaire, bien que l’on soit confronté à la demande forte de condamnation de la société, notamment pour ceux qui ne sont pas déclarés déments au moment des faits.

Mme Betty BRAHMY : Il faudrait prévoir, et certains magistrats le font, une confrontation chez le juge entre les victimes et le fou - je reprends le mot à dessein - afin que celles-ci puissent constater de visu que l’auteur était en état de démence, alors que l’on se limite à leur dire qu’un rapport d’expertise déclare que l’auteur était fou au moment de l’acte. C’est très facile à réaliser. Ce n’est pas la comparution du fou en procès pénal que demandait Althusser. Il s’agirait uniquement de généraliser la confrontation des victimes ou des parties civiles avec l’auteur, dans un entretien permettant aux victimes de constater la folie de l’auteur des actes.

M. Hervé MORIN : Pouvez-vous nous confirmer que la longueur de la peine aggrave le trouble psychiatrique, comme nous le disent vos collègues ou les directeurs d’établissements pénitentiaires lors de nos visites ? La liberté conditionnelle ou les permissions de sortir, lorsqu’elles sont très développées, favorisent-elles, au contraire, la guérison ou la réinsertion ?

Que pensez-vous des traitements hormonaux pour les condamnés pour des crimes ou des délits sexuels ? Cela vous paraît-il une bonne solution ou bien des traitements psychiatriques classiques peuvent-ils être efficaces ?

J’ai découvert que Rousseau n’avait peut-être pas totalement tort quand il considérait que c’était la société qui avilissait. A contrario, je suis très surpris, en discutant avec des condamnés à de très longues peines pour des crimes horribles, de constater qu’ils semblent s’en être totalement sortis. Ils disent, après avoir fait quinze ou vingt ans, qu’ils n’ont plus rien à faire en prison parce qu’ils sont certains de ne pas rechuter. Parallèlement, les mêmes, ainsi que les directeurs d’établissements pénitentiaires, notamment parmi les plus modernes comme M. Daumas, disent que certaines personnes sont irrécupérables. Les détenus disent eux-mêmes que des types resteront toujours extrêmement dangereux et que l’on ne pourra pas les réinsérer. Quel est votre avis sur ce point, en tant que psychiatre ?

Enfin, estimez-vous que vous usez trop de la chimie ?

Mme Betty BRAHMY : La libération conditionnelle et la permission de sortir sont deux très bonnes mesures, sauf que les détenus qui ont des problèmes psychiatriques en bénéficient très rarement, car ce sont souvent des gens sans formation professionnelle, sans soutiens familiaux. Les mesures d’aménagement de peine que vous avez évoquées s’adressent à des gens encore insérés, pour lesquels la famille peut trouver un travail ou un hébergement. Quand on est fou, on a au mieux une s_ur qui vient au parloir tous les trois mois mais on ne trouve ni travail ni hébergement. On ne peut donc pas bénéficier de permissions de sortir ou de libération conditionnelle.

Les anti-hormones sont un traitement parfait pour un seul type d’auteur d’agressions sexuelles : les hypersexuels. Ce sont des messieurs qui ont vingt ou trente orgasmes par jour. En douze ans de prison, j’en ai rencontré trois, pour lesquels ce traitement a été une réussite totale. C’est un très bon produit mais qui ne concerne pas le violeur de dames qui avait bu un peu trop d’alcool ou le pédophile.

Un certain nombre d’auteurs d’agressions sexuelles peuvent bénéficier d’un traitement psychiatrique. Cela rejoint la question des irrécupérables. Un certain nombre de patients auteurs d’agressions sexuelles sont des gens à la limite de la psychose pour lesquels nous pouvons faire un très bon travail et être rassurés quant à leur réinsertion et leur non récidive. D’autres, que l’on décrit comme pervers, sont inaccessibles aux traitements actuels, ne relèvent pas des anti-hormones et nous laissent inquiets sur leurs possibilités de récidive.

On n’aborde jamais non plus la question des débiles qui ont commis des agressions sexuelles. Le débile qui a commis un viol, dont le QI est de 45 ou 50, est inaccessible à tout. Un certain nombre sont condamnés et n’ont pas été déclarés irresponsables.

S’agissant des irrécupérables, je suis moins à même de vous répondre car je travaille en maison d’arrêt et je n’ai jamais travaillé en centrale. A-t-on fait ce qu’il fallait pour les récupérer ? Nous avons eu récemment à Fleury-Mérogis, comme c’est souvent le cas, un condamné à perpétuité parce qu’il faisait du " tourisme pénitentiaire ", qui était considéré comme hyper dangereux. Cela s’était très mal passé pour lui à la centrale de Moulins. Or à Fleury, dans un partenariat parfait, nous l’avons très bien pris en charge. La question du partenariat est essentielle. Si tous les services concernés - la médecine, la psychiatrie, le service social, la détention, les enseignants, la formation professionnelle - agissent en partenariat, c’est-à-dire dans un respect mutuel, en se signalant les uns aux autres les difficultés, dans une synthèse de la prise en charge du patient, dans beaucoup de cas, on peut aboutir à des résultats.

Quant aux médicaments en prison, on est accusé d’en donner beaucoup. Nous en donnons relativement peu à Fleury. Il est évident que plus on a de moyens en psychiatrie et moins on donne de médicaments. Le psychiatre qui est présent deux heures par semaine au Havre est obligé de prescrire des médicaments pour que cela se passe bien pendant qu’il n’est pas là. Quand il y a cinquante personnes, on peut faire des entretiens répétés, y compris par des personnels infirmiers ou des psychologues, on peut voir les patients dès qu’ils vont mal, on n’est pas obligé d’augmenter les doses.

Par ailleurs, je préfère téléphoner à une maman pour prendre de ses nouvelles parce qu’elle n’est pas venue au parloir plutôt que de donner un médicament à son gamin inquiet. C’est vraiment tout à fait ainsi que cela se joue. Quand quelqu’un ne dort pas, quand on a peur que quelqu’un s’agite, la réponse simple est de lui donner une couverture chimique. Il vaudrait mieux chercher à savoir pourquoi il s’angoisse et si l’origine du problème est sociale, pénitentiaire ou autre. En réglant les problèmes, on diminue très sensiblement le nombre de prescriptions, mais là encore, cela implique des moyens humains.

M. Emile BLESSIG : Madame Brahmy, vous avez abordé incidemment les relations entre le sanitaire et le pénitentiaire. La loi de 1994 a représenté un progrès énorme dans la prise en charge sanitaire des détenus avec la création des UCSA. Vous avez aussi évoqué le cloisonnement des intervenants. Je souhaiterais vous interroger sur le traitement de la toxicomanie. Dans certains établissements, l’aspect trouble psychiatrique est mis en avant et le traitement de la toxicomanie est en quelque sorte délégué par l’UCSA aux psychiatres. Dans d’autres, il est traité par l’UCSA. Il en résulte une extrême confusion dans le traitement du problème en détention, notamment dans le régime de distribution de produits de substitution. De ce point de vue, il existe une grande inégalité dans l’approche d’un problème qui est fondamental en détention.

Mme Betty BRAHMY : Chaque médecin a la liberté de prescription. Lorsque des médecins refusent de prescrire des traitements de substitution, on n’a pas beaucoup de solutions. A Fleury, sur les neuf psychiatres de mon service, deux n’en prescrivent pas et je me débrouille parfaitement avec les sept autres. Mais à Bois-d’Arcy, aucun médecin, ni UCSA ni SMPR, ne prescrit de traitement de substitution. Il faudrait organiser le recrutement de psychiatres ou de médecins à l’UCSA en fonction de ce critère, mais ce serait très mal vu par les syndicats de psychiatres et de médecins.

La prise en charge des toxicomanes doit être tout à fait partenariale. Vous n’avez pas abordé le problème du service social. 100 % des toxicomanes qui sortent sans hébergement rechutent. Si l’on a pris en charge correctement un toxicomane en prison sans évoquer son hébergement et sa sortie, tout le travail sera annulé dans les vingt-quatre heures qui suivront. A Fleury, nous avons joué la carte de la substitution depuis le début. Nous sommes la prison de France où l’on a le mieux appliqué la réglementation, en collaboration totale entre l’UCSA et le SMPR, avec quelques difficultés avec le service social pour cause d’insuffisance de moyens, puisque ses membres sont très peu nombreux. On ne peut pas demander à faire un bon travail sans un service social suffisamment étoffé. Quatorze personnes vont arriver en septembre mais depuis quelques années, c’était très difficile sur ce plan. Le traitement par substitution doit être réalisé par des médecins qui travaillent ensemble. Qu’il soit prescrit par l’UCSA ou par le SMPR n’est pas important. L’important est qu’il y ait aussi un suivi psychologique possible. On en revient aux établissements qui n’ont pas de SMPR. Un psychiatre qui vient dans une maison d’arrêt deux heures par semaine n’a pas le temps d’effectuer le suivi psychosocial du patient. Or à mon sens, donner un traitement de substitution uniquement pour donner une pilule ne résout même pas 20 % du problème. Il faut faire un travail sur la dépendance. Une fois le sujet apaisé par le traitement de substitution, il faut pouvoir travailler sur le fond : déterminer pourquoi il est devenu toxicomane, ce qu’il ne supporte pas dans sa vie, dans sa perception de lui-même et des autres. Si on ne fait pas ce travail de fond, on passe à côté de la question. Il faut un prescripteur - UCSA ou SMPR -, un suivi psychologique et un suivi social.

Mme Christine BOUTIN : Je vous remercie beaucoup, comme mes collègues, de toutes les informations que vous nous avez fournies. Certaines questions que je voulais poser l’ont déjà été mais il m’en reste une. Le nombre des malades psychiatriques en prison augmente. Est-ce que cela signifie que le nombre de malades psychiatriques dans l’ensemble de la société française augmente ?

Mme Betty BRAHMY : Non, cela pose la question du dernier endroit où certains sont accueillis. Il y a un déplacement de fait. Je ne suis pas si âgée que cela et j’ai connu une époque où les hôpitaux psychiatriques avaient des unités de cent lits alors qu’elles en ont aujourd’hui vingt ou vingt-cinq, pour des raisons que vous connaissez. De fait, ils ont cessé d’accueillir un certain nombre de gens présentant des troubles du comportement sans être forcément, au sens classique de la psychiatrie, des malades mentaux. Je pense à ceux que l’on appelle des psychopathes, qui souffrent de troubles du comportement souvent importants, qui échappent aujourd’hui au suivi à l’extérieur. Le seul endroit où l’on fait quelque chose pour eux, c’est la prison. Il y a aussi des gens qui, pour des raisons sociales et économiques, craquent et qui en arrivent, du fait de leur exclusion sociale, économique et familiale, à commettre des délits. En revanche, le nombre des crimes n’a pas augmenté. Cela concerne la délinquance minimale.

M. Christine BOUTIN : Je voulais que cela fût dit très clairement. Je vous remercie, madame.

M. Jaques MASDEU-ARUS : Aujourd’hui, en tant que maire d’une grande ville, je sais qu’il est impossible de placer des gens en psychiatrie fermée. Même avec un certificat de placement d’office, quarante-huit heures après, je retrouve la personne à l’extérieur. Il faudrait que cette personne ait tué quelqu’un ou commis un délit grave pour que son placement soit réalisé en prison, ce qui est totalement anormal. Elle devrait pouvoir être traitée pendant un certain temps dans un établissement psychiatrique. Nos prisons ne seraient pas encombrées par ce type de détenus, telles qu’elles le sont aujourd’hui. On a totalement déplacé le problème.

Mme Betty BRAHMY : La psychiatrie a beaucoup évolué dans un très bon sens. Ouvrir les pavillons, humaniser les services, c’est bien pour 95 % des patients. Cela pose la question des patients qui relèvent de la loi de 1990, c’est-à-dire principalement de l’hospitalisation d’office parce que les hospitalisations sur demande d’un tiers sont plus faciles à gérer. Il y a une certaine incompatibilité qui est aggravée par le fait que l’on a voulu, et j’ai adhéré à ce mouvement, sortir la psychiatrie des asiles et la rapprocher des villes. On a ouvert des structures dans la ville de Poissy, par exemple. Je le répète, ces structures répondent mieux aux besoins de 95 ou 98 % des patients, mais il reste les 2 % de patients difficiles.

Mme NICOLE FEIDT : Que peut-on faire pour les jeunes qui restent en permanence au lit ? Les gardiens préféreraient qu’à 7 heures, la couverture soit pliée au bout du lit, mais la situation est tellement généralisée que je me pose la question.

Mme Betty BRAHMY : Cela renvoie au début de mon propos. Il s’agit de définir ce que l’on attend de la prison, notamment pour les jeunes. Si l’on estime qu’elle est un lieu de rééducation, on doit faire appel à des éducateurs qui leur apprennent à retrouver les repères de la vie : le sommeil, la nourriture, l’hygiène, le lever, etc. A Fleury, des surveillants au quartier des mineurs sont relativement fermes sur le règlement, tandis que d’autres préfèrent laisser faire.

Tant que l’on n’aura pas défini ce que l’on attend de l’enfermement, notamment des mineurs, on ne saura pas si on est dans le répressif, dans le laxisme, dans l’éducatif ou dans le curatif. Doit-on obliger un gamin de plus de 16 ans à apprendre à lire et à écrire ? Comme on n’a pas tranché, on n’a pas de moyens de l’obliger. Ce gamin de 16 ans et demi peut ne pas aller à l’école. Doit-on donner des repères ou bien doit-on considérer qu’il s’agit, pour certains, d’une mise à l’écart de leur quartier, qu’ils restent en dépôt pour un mois renouvelable une fois avant d’aller dans un foyer, la prison ayant été un temps presque mort ? Que l’on nous dise ce que l’on attend de la prison. C’est vraiment la question de fond.

Mme Nicole BRICQ : Des avocats m’ont dit qu’il y avait quelque chose de faussé à partir du moment où le détenu n’était pas en capacité de choisir son psychiatre parce qu’il doit exister un lien de confiance. Qu’en pensez-vous ?

Mme Betty BRAHMY : Il y a aussi des avocats nommés d’office ! Intellectuellement, il est évident que l’on préfère avoir un psychiatre ou un psychologue avec lequel le courant passe. Dans un service comme le mien, dans un bâtiment de détention, il y a deux infirmières, deux psychologues et un ou deux psychiatres, de sorte que l’on peut dire, si l’on ne s’entend pas avec Mme X, que l’on préférerait avoir affaire à M. Y. Dans les petits établissements, c’est impossible. Mais c’est parfois la même chose à l’extérieur. Si c’était le seul problème, je serais rassurée.

M. le Président : Merci beaucoup, Madame.


Source : Assemblée nationale. http://www.assemblee-nationale.fr