20.37. La poursuite des réfugiés à l’intérieur du Zaïre et l’avance constante des forces anti-Mobutu ouvrirent un nouveau chapitre d’horreurs dans l’histoire sanglante des atrocités du génocide. La chasse se poursuivit pendant des mois. Même si les deux protagonistes s’étaient rendus coupables d’avoir commis des atrocités, les organisations de défense des droits de l’homme conclurent que "la nature et la portée" des atteintes commises par l’alliance anti-Mobutu étaient de loin plus graves et plus étendues que celles commises par les génocidaires en fuite. Les camps de réfugiés étaient attaqués et leurs habitants massacrés à qui mieux mieux. Les troupes de l’APR commirent la plus grande part des massacres. Des escadrons de la mort créés spécialement dans ce but donnèrent la chasse à des milliers de leurs propres concitoyens Hutu parmi lesquels certains seulement étaient des génocidaires. L’armée de Kabila, commandée par des hommes que Kagamé appela plus tard des "commandants intermédiaires", se composait essentiellement de kadogos (qui, en swahili, signifie "tout petits"), des garçons qui pouvaient avoir aussi peu que 9 ans, mais qui étaient pour la plupart au début de l’adolescence et qui se sont vu en grand nombre confier des armes à feu[54].

20.38. En avril 1997, la Commission des droits de l’homme de l’ONU exprima sa préoccupation "face aux violations continues des droits humains et des libertés fondamentales au Zaïre, en particulier les cas d’exécution sommaire, de torture, de traitements cruels et inhumains, de violences à l’endroit des femmes, de détention arbitraire, de conditions d’emprisonnement inhumaines et dégradantes, en particulier dans le cas d’enfants [...] et face au grand nombre de victimes civiles et à l’absence flagrante de respect des droits humains et du droit international humanitaire manifesté par l’ensemble des parties[55]." La Commission nomma une mission d’enquête conjointe dirigée par le Rapporteur spécial sur les droits de l’homme au Zaïre, Roberto Garreton, afin de faire la lumière sur ces allégations. L’AFDL de Kabila refusa toutefois aux membres de la mission l’accès libre aux régions du Zaïre sous son contrôle[56].

20.39. Après des rencontres au Zaïre et des entrevues avec des informateurs à Kigali et ailleurs hors du Zaïre, la mission arriva à la conclusion suivante : "Il n’est pas possible de nier que des massacres ethniques ont été commis et que les victimes sont en majorité des Hutu du Rwanda, du Burundi et du Zaïre. L’opinion préliminaire de la mission est que certains de ces massacres allégués pourraient constituer des actes de génocide. Cependant, la mission ne peut émettre une opinion ferme et définitive sur la foi des renseignements dont elle dispose [...] Le concept de crime contre l’humanité pourrait également être appliqué à la situation actuelle [...] Une enquête approfondie sur le territoire de la RDC permettrait de clarifier la situation[57]."

20.40. Pour tenter d’assurer le suivi, en juillet 1997, après la prise du pouvoir par Kabila de ce qu’on appelait maintenant la République démocratique du Congo, le Secrétaire général Kofi Annan mit sur pied une équipe d’enquête afin de dénouer l’impasse entre le Président et la mission des Nations Unies. Quand l’équipe présenta son rapport en avril suivant, Annan dut reconnaître "avec de profonds regrets" que le nouveau gouvernement de Kabila ne lui avait jamais permis "de mener sa mission à bien pleinement et sans entraves[58]." Pourtant, la mission aussi se sentit en mesure d’énoncer des conclusions "soutenues par des preuves solides" :

"La première est que toutes les parties au conflit qui a dévasté le Zaïre, et plus particulièrement dans sa partie est, ont commis de graves violations des droits humains ou du droit international humanitaire. La seconde est que les massacres commis par l’AFDL et ses alliés, y compris des éléments de l’Armée patriotique rwandaise, constituent des crimes contre l’humanité, tout comme le refus d’apporter une aide humanitaire aux réfugiés Hutu du Rwanda. Les membres de l’Équipe croient que certaines des tueries peuvent constituer un génocide, dépendant de leur intention, et demandent un complément d’enquête sur ces crimes et leurs motifs."[59]

20.41. Pourtant, ce complément d’enquête ne vint jamais.


[54] Human Rights Watch, "What Kabila is hiding : Civilian killings and impunity in Congo", octobre 1997 ; Catharine Newbury, "Ethnicity and the politics of history in Rwanda", Africa Today, 45, no 1, (1998) : 7 ; entrevue avec Colette Braeckman ; Pomfret, Washington Post.

[55] Haut Commissaire des Nations Unies pour les droits de l’homme, "Situation of Human Rights in Zaire", Résolution 1997/58 de la Commission des droits de l’homme. E/CN.4/Res/1997/58.

[56] Commission des droits de l’homme de l’ONU, E/CN.4/1998/64, "Question of the violation of human rights and fundamental freedoms in any part of the world, with particular reference to colonial and other dependent countries and territories. Report on the allegations of massacres and other human rights violations occurring in eastern Zaire (now DRC) since September 1996", préparé par M. Robert Garrett, Rapporteur spécial sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires, et M. Jonas Foli, membre du Groupe de travail sur les disparitions forcées ou involontaires conformément au paragraphe 6 de la résolution 1997/58 de la Commission des droits de la personne, 23 janvier 1998.

[57] Ibid.

[58] S/1998/581, 2.

[59] "Letter from Secretary-General to President of Security Council, June 29, 1998, including Report of the Secretary-General’s investigative team charged with investigating serious violations of human rights and international humanitarian law in the DRC", S/1998/581.


Source : Organisation de l’Unité Africaine (OUA) : http://www.oau-oua.org