Dans un premier temps, l’attaque du FPR fut utilisée sur le plan intérieur comme un catalyseur pour la reprise en main du pays par le Président Juvénal Habyarimana et son entourage. L’attaque simulée sur Kigali servit non seulement de leurre pour déclencher l’intervention française, mais aussi de levier pour restaurer le régime dans sa plénitude.

C’est ainsi qu’en lieu et place de l’organisation de la résistance au FPR dans Kigali, une vague d’arrestations massive fut organisée. Le 9 octobre 1990, le ministère de la Justice rwandais admettait l’arrestation de 3 000 personnes environ. En fait, les chiffres sont évalués à 10 000.

Selon M. Gérard Prunier " de toute évidence, ces arrestations ne visent pas des partisans du FPR (très peu nombreux, et pas tous connus des services de police) ; elles frappent à l’aveuglette Tutsis éduqués et Hutus contestataires, en fait quiconque n’est pas bien vu des élites au pouvoir (et même leurs amis et relations de travail ; de plus, les arrestations servent souvent à liquider des dettes en se débarrassant des créanciers) ainsi que les résidents d’autres pays africains, principalement des Zaïrois et des Ougandais, car, même modestes, des commerçants sont toujours bons à pressurer financièrement. " Selon le même auteur, le Ministre de la Justice, M. Théodore Mujyamana, avait à l’époque déclaré : " nous avons des preuves solides de la culpabilité de tous les détenus... et être relâché n’est pas une preuve d’innocence. "

En fait, les motifs d’arrestation sont souvent vagues et peu de procès auront lieu. Par delà ces arrestations, d’autres manifestations du raidissement du régime interviendront, comme le remplacement du Procureur général, M. Alphonse-Marie Nkubito, considéré comme trop libéral.

Le Ministre de la Défense, intervenant à la radio nationale, demandera à la population de traquer les infiltrés. Cet appel sera immédiatement suivi d’effet. Une partie des soldats du FPR, vaincus, se réfugieront dans la région du Mutara, au nord-ouest du Rwanda. Cette région est une zone traditionnelle de l’émigration tutsie vers l’Ouganda. Or, 348 civils tutsis y seront massacrés entre le 11 et le 13 octobre 1990, et plus de 500 maisons seront incendiées dans la seule commune de Kibilira. S’il s’agit là d’un massacre dont l’ampleur est relative, compte tenu du caractère massif des exterminations constatées dans la région, ses caractéristiques méritent qu’on s’y arrête.

D’abord, aucune des victimes n’est un combattant du FPR ; il ne semble pas non plus qu’il s’agisse de sympathisants avérés de ce mouvement : il serait en effet extraordinairement risqué d’afficher de telles sympathies et les Tutsis conservent le souvenir des persécutions de la période de 1959 à 1962.

Ensuite, les massacres sont commis par les paysans sous la conduite des autorités civiles, selon les règles bien connues de la corvée collective. Interrogé sur la révolte qui aurait poussé les paysans du nord-ouest à massacrer les Tutsis, le Président Juvénal Habyarimana répond placidement dans une conférence de presse : " Il ne s’agit pas d’une révolte. Tout le monde obéit. " Enfin, les dirigeants locaux sous l’autorité desquels les massacres ont été commis ne seront pas inquiétés par le pouvoir central.

Les massacres du Mutara peuvent ainsi être définis comme suit : consécutifs à une attaque du FPR, ils apparaissent comme un système à la fois d’intimidation et de vengeance en réponse à celle-ci. Les Tutsis rwandais sont traités comme des otages susceptibles de perdre leur vie en représailles aux attaques du FPR. Coordonnés par une autorité locale, ces massacres ne sont en aucun cas des actes individuels. Enfin, le fait qu’ils soient localisés montre qu’ils ne font pas l’objet d’une coordination au niveau central, mais le fait qu’ils demeurent impunis témoigne du regard complaisant que pose le pouvoir central sur ces actes sanguinaires. Ainsi, le meurtre des Tutsis rwandais en réponse aux actions du FPR apparaît comme une solution organisée, qui bénéficie d’une bienveillante indifférence des autorités centrales.

Ce durcissement du régime, destiné à fédérer derrière lui le peuple hutu contre le danger tutsi est cependant de courte durée. Sans doute, en cas de victoire militaire, aurait-il pu être couronné de succès. Cependant, la conscience que la défaite était assurée sans l’aide de la France a donné à l’opposition la possibilité de mettre en cause la capacité du régime à défendre le pays et donc sa légitimité, tandis que la vague d’arrestations à laquelle le pouvoir procédait lui faisait prendre conscience de l’urgence d’aboutir. Il lui a été plus facile également de se réclamer des principes de La Baule. De ce fait, l’année et demie qui suit l’attaque du FPR est caractérisée par le recul incessant du MRND, le parti unique du Président, face aux exigences de démocratie et aux nouveaux partis politiques rwandais.


Source : Assemblée nationale. http://www.assemblee-nationale.fr