L’envoi d’un DAMI va être complété par la désignation, à deux reprises et à la demande des autorités rwandaises, d’un officier français adjoint de l’attaché de défense, spécialement chargé de conseiller le Chef d’état-major des FAR.

Le Chef de DAMI, qui exerce des fonctions de conseil auprès des commandants de secteurs et de compagnies des forces armées rwandaises, est périodiquement amené à s’entretenir avec les responsables de l’état-major des FAR de questions relevant de l’organisation générale des armées rwandaises.

Néanmoins, il n’est pas investi d’une mission spécifique de conseil auprès du Chef d’état-major des FAR, même si les autorités rwandaises, en ce qui les concerne, ont plus que vivement insisté pour qu’une telle fonction lui soit attribuée.

Les conseils donnés aux FAR

Dans un rapport qu’il établit le 30 avril 1991 sur les forces armées rwandaises, le Colonel Gilbert Canovas préconise un certain nombre de mesures visant notamment à améliorer l’organisation, le renseignement et la formation des forces de l’armée rwandaise. En annexe de ce rapport, il dresse le bilan des visites qu’il a effectuées dans la première quinzaine de février 1991 dans l’ensemble des secteurs opérationnels.

Au terme de cet audit, le Colonel Gilbert Canovas suggère au Chef d’état-major de l’armée rwandaise la création de cinq zones de défense, dont la configuration serait fonction du type de menace, la zone de Kigali disposant d’une réserve générale. Il insiste par ailleurs sur la formation, l’encadrement des troupes et le contrôle de l’instruction.

Le Colonel Gilbert Canovas établit ensuite pour chaque secteur opérationnel un bilan de situation, en février 1991, dans lequel il souligne les difficultés rencontrées dans la zone et propose des solutions concrètes pour améliorer la sécurité et l’efficacité de chaque dispositif.

Dans le secteur de Mutara, en majorité hostile aux FAR, il indique qu’environ 150 000 personnes ont été déplacées. Il suggère la mise sur pied d’un élément d’intervention rapide.

Dans le secteur de Gisenyi, il propose un meilleur emploi de la Gendarmerie, dont il constate qu’elle est écartée de la mission de défense du secteur, plutôt pour des raisons politiques que stratégiques.

Dans la zone de Ruhengeri, il note " la hargne " et " le zèle " des populations lors des opérations de ratissage et de contrôle routier, mais aussi le découragement et la peur de tous ceux qui se sont enfuis de chez eux pour se regrouper dans des lieux plus urbanisés. Il propose, pour remédier à l’insécurité de ces populations, vivant au sud du Parc des Volcans, " la mise en place de petits éléments en civil, déguisés en paysans, dans les zones sensibles, de manière à neutraliser les rebelles généralement isolés ".

Dans le secteur de Rusumo, il préconise la sécurisation du Pont de l’Akagera avec l’installation de projecteurs et d’une mitrailleuse supplémentaires, ainsi que le piégeage des accès possibles par la vallée.

Enfin, dans le secteur de Byumba, il relève notamment la difficulté de contrôler un front très large et très accidenté. Il suggère de " valoriser le terrain en piégeant des carrefours, confluents de thalwegs et de points de passage possibles de l’adversaire ". Il note sur ce point particulier qu’il s’agit d’une " mesure en cours d’exécution avec la participation du détachement Noroît".

La ville de Kigali lui semble souffrir de mauvaises liaisons radio ou téléphoniques et ne dispose pas de réserve d’intervention locale.

Si les rapporteurs de la Mission ont tenu à développer cette présentation faite à l’époque par le Colonel Gilbert Canovas, conseiller du Chef d’état-major de l’armée rwandaise, c’est parce qu’elle leur est apparue typique du travail accompli par l’armée française auprès des autorités militaires rwandaises. Celui-ci témoigne, en effet, d’une connaissance très concrète des réalités et des lieux. Les suggestions destinées à combattre l’ennemi que l’on sent très proche, se mêlent aux réflexions générales de conception et d’organisation valables à plus long terme, indépendamment d’un contexte de crise.

La lettre du ministère rwandais des Affaires étrangères

Le 5 février 1992, l’Ambassadeur de France reçoit du ministère rwandais des Affaires étrangères une lettre, dont un exemplaire, assorti d’un tract critique émanant du Mouvement démocratique rwandais, principal parti d’opposition, circule le 14 février 1992 dans Kigali. Cette lettre informe l’ambassade que le Lieutenant-Colonel Gilles Chollet, chef du DAMI Panda, exercera simultanément les fonctions de conseiller du Président de la République " chef suprême des forces armées rwandaises " et les fonctions de conseiller du Chef d’état-major de l’armée rwandaise. D’après ce document, le Lieutenant-Colonel Gilles Chollet est habilité à se déplacer, en liaison avec l’état-major de l’armée rwandaise, dans les différents secteurs opérationnels et garnisons et à travailler en étroite collaboration avec les responsables locaux. Il rendra compte à ses deux autorités de tutelle. La lettre conclut en demandant si les dispositions précitées conviennent au Gouvernement français.

Le tract du MDR, qui accompagne ce courrier, déclare : " Un militaire français, le Lieutenant-Colonel Chollet, commandant des forces françaises venues assurer la sécurité de leurs compatriotes, dit-on, vient de recevoir le pouvoir illimité de diriger toutes les opérations militaires de cette guerre.... Voilà que maintenant nos armées sont commandées par un Français ".

L’attaché de défense, Le Colonel Bernard Cussac, indique à propos de cette affaire qu’il se propose de contacter le Secrétaire général de la Présidence rwandaise ainsi que le Chef d’état-major des FAR pour leur rappeler que le Lieutenant-Colonel Chollet sera rapatrié en mars 1992 et remplacé à la tête du DAMI, dont le rôle " d’organisateur de l’instruction des unités combattantes et spécialisées rwandaises exclut toute autre fonction ". L’attaché de défense voit dans cette opération la volonté du MDR qui, parce qu’il espère le poste de Premier Ministre dans le futur Gouvernement, souhaite préserver les prérogatives de cette autorité en matière de défense.

De fait, le Lieutenant-Colonel Gilles Chollet n’a jamais, à la différence du Colonel Gilbert Canovas, reçu pour instruction d’exercer une mission de conseil auprès du Chef de l’Etat rwandais ou du Chef d’état-major de l’armée rwandaise. Son remplacement à la tête du DAMI par le Lieutenant-Colonel Jean-Louis Nabias le 3 mars 1992, tend à prouver que la France n’a pas souhaité répondre favorablement à cette demande des autorités rwandaises.

Toutefois, la nomination, quelques semaines plus tard, à la mi-avril 1992, du Lieutenant-Colonel Jean-Jacques Maurin comme adjoint de l’attaché de défense, montre que la France a partiellement répondu à la demande des autorités rwandaises.

La nomination d’un adjoint opérationnel, conseiller du Chef d’état-major de l’armée rwandaise

Entendu par la Mission, le Lieutenant-Colonel Jean-Jacques Maurin a déclaré qu’il avait été désigné par l’Amiral Jacques Lanxade pour une mission temporaire de durée indéterminée en tant qu’adjoint opérationnel plus spécialement chargé de conseiller le Chef d’état-major de l’armée rwandaise dans la conduite des opérations et dans la préparation et l’entraînement des forces. Il a précisé que, peu après son arrivée à Kigali, le 24 avril 1992, le Chef d’état-major des FAR avait expressément souhaité, dès le mois de mai 1992, sa participation aux réunions quotidiennes de Chef d’état-major de l’armée rwandaise et a indiqué qu’il accompagnait le Chef d’état-major dans tous ses déplacements sur le territoire.

Le Lieutenant-Colonel Jean-Jacques Maurin a précisé, en audition devant la Mission, qu’avec l’expérience il pouvait faire un tri entre " l’intoxication et le reste ". Il a indiqué qu’il participait au titre de cette mission à l’élaboration des plans de bataille quotidiens et était partie prenante aux décisions. Il a précisé cependant qu’en période de crise, il se tenait d’autres réunions, auxquelles il ne participait pas.

Dans le cadre de cette mission de conseil, le Lieutenant-Colonel Jean-Jacques Maurin rencontre tous les jours le Colonel Serubuga. Il est sollicité notamment sur la conception d’une compagnie de renseignement conçue à partir des équipes CRAP, des groupes RASURA et d’une section d’écoute. Par ailleurs, il tient à jour la situation tactique à partir du compte rendu de tous les chefs de secteurs présents sur le terrain, des comptes rendus quotidiens et du bilan des écoutes rwandaises.

On peut considérer qu’en tant qu’adjoint opérationnel de l’attaché de défense, chargé de l’aider à rendre cohérente l’action des personnels militaires pour améliorer la capacité opérationnelle des FAR, le Lieutenant-Colonel Jean-Jacques Maurin a pu se rendre régulièrement à l’état-major rwandais et que cette présence a pu apparaître " comme la conséquence naturelle de l’engagement de la France au profit du Gouvernement rwandais " pour rapporter les termes définissant cette mission.

Néanmoins, on peut se demander si le caractère journalier de ces rencontres n’allait pas quelque peu à l’encontre de la volonté exprimée par ailleurs " que cet officier n’affiche pas ostensiblement sa présence au sein de l’état-major rwandais ".

Le fait, d’autre part, pour le Lieutenant-Colonel Jean-Jacques Maurin d’accompagner le Colonel Serubuga dans ses déplacements et de participer à la définition des opérations tactiques montre bien qu’au-delà d’une mission consistant à seconder l’attaché de défense dans sa fonction d’assistance opérationnelle des FAR, existait bien une mission consistant à " conseiller discrètement le Chef d’état-major des FAR pour tout ce qui concerne la conduite des opérations, mais aussi la préparation et l’entraînement des forces ".

En somme, afin de ne pas donner le sentiment de répondre aux demandes des autorités rwandaises de façon officielle, cette fonction de conseiller du Chef d’état-major des FAR a été exercée de manière dérivée, à l’occasion de la nomination aux côtés de l’attaché de défense d’un adjoint chargé de le seconder.


Source : Assemblée nationale. http://www.assemblee-nationale.fr