En dépit de sa participation à plusieurs organisations régionales, le Rwanda entretenait traditionnellement des rapports délicats avec ses quatre voisins immédiats, le Zaïre, l’Ouganda, la Tanzanie et le Burundi. Il est en effet à l’origine, nous l’avons à plusieurs reprises évoqué, de l’exode de nombreuses populations qui, fuyant les différentes vagues de massacres, se sont installées en masse dans les régions frontalières, et ont représenté un facteur non négligeable de déstabilisation.

( Plusieurs raisons ont incité le Maréchal Mobutu à intervenir dans la question rwandaise. Tout d’abord, " étant le doyen des chefs d’Etat de la région et le chef du deuxième Etat francophone du monde, comme il le disait ", a rappelé devant la Mission M. Henri Rethoré, Ambassadeur de France au Zaïre de juin 1989 à décembre 1992, " le Président Mobutu avait toujours voulu jouer un rôle sur la scène internationale " et cette volonté était d’autant plus forte à cette époque que son régime devenait chaque jour de plus en plus discrédité. Il s’agissait également pour lui de préserver l’intégrité du territoire zaïrois et d’éviter la contagion des troubles rwandais dans la région du Kivu. Il faut ajouter à ces raisons les " liens personnels très forts ", selon la qualification de M. Henri Rethoré, entre le Maréchal Mobutu et le Président Juvénal Habyarimana.

Il n’y a dès lors rien d’étonnant à ce que le Président zaïrois envoie à son ami rwandais, lors de l’attaque du FPR en octobre 1990, un corps d’environ 2 000 hommes, composé d’éléments de la Division spéciale présidentielle. En dépit de cette intervention, le Maréchal Mobutu est chargé par les deux parties en conflit d’assurer le rôle de médiateur et ses efforts aboutirent au cessez-le-feu de Gbadolite le 26 octobre 1990, qui ne fut pas respecté, pas plus que celui signé le 29 mars 1991 à la N’sele. Ceci explique qu’un cessez-le-feu est à nouveau signé lors d’une nouvelle rencontre de Gbadolite en septembre 1991. L’insuccès chronique de ces cessez-le-feu, l’effondrement politique intérieur du régime zaïrois, son discrédit croissant sur la scène internationale expliquent qu’à partir du début de 1991, le Président Mobutu fut progressivement mis à l’écart des négociations concernant la crise rwandaise, au profit principalement de la Tanzanie.

( L’implication de la Tanzanie dans la recherche d’un règlement de la crise rwandaise devint manifeste, avec l’organisation d’un sommet régional à Dar Es-Salam en février 1991 sur les questions relatives aux réfugiés. Cette action médiatrice est certes justifiée par la volonté du Président Mwinyi de saisir l’opportunité de renouer avec un prestige international qui appartenait à la Tanzanie à l’époque du Président Nyerere. Elle répond également aux intérêts bien compris de ce pays : refuser de laisser se développer, en raison des risques de contagion, une situation de désordre sur ses frontières ; permettre aux réfugiés rwandais installés en Tanzanie, qui représentent un poids et un facteur de déstabilisation non négligeables, de retourner dans leur pays d’origine ; assurer une reprise économique qui passe inéluctablement par le développement du commerce de transit avec le Burundi et le Rwanda. C’est donc sans surprise que la Mission a entendu M. Bernard Lodiot, Ambassadeur de France en Tanzanie de mars 1990 à décembre 1992 déclarer : " pendant toute la durée de son séjour à Dar Es-Salam, le problème du Rwanda et de la stabilité régionale a toujours été au coeur des entretiens qu’il avait eus, tant avec le Président Mwinyi qu’avec le ministère des Affaires étrangères et ses divers interlocuteurs habituels ".

La Tanzanie a joué un rôle particulièrement important en tant que " facilitateur " des négociations d’Arusha. Le rôle du " facilitateur " tanzanien a été, de l’avis général, un élément de sérénité et d’impulsion tout au long des négociations d’Arusha et les dépêches diplomatiques en gardent de nombreuses traces. M. Georges Rochiccioli, Ambassadeur de France en Tanzanie de décembre 1992 à mai 1995, a souligné devant la Mission que les autorités tanzaniennes avaient véritablement joué " un rôle d’arbitre " et qu’elles s’étaient efforcées " de maintenir la balance entre le FPR et le Gouvernement rwandais de l’époque, de façon très neutre, du moins la plus neutre possible ".

( Le rôle de l’Ouganda en tant que principal soutien du FPR a déjà été évoqué. Cette proximité avec l’une des parties au conflit, mais aussi la suspicion des pays de la région envers les visées impérialistes du Président Yoweri Museveni, gênait l’Ouganda pour jouer un rôle de médiateur. Toutefois, l’ascendant que l’on prêtait au Président ougandais sur le FPR était une raison suffisante pour avoir recours à lui comme élément modérateur. M. Claver Kanyarushoki, qui appartenait pourtant à la délégation rwandaise, a rendu hommage devant la Mission au rôle du Président Yoweri Museveni : " Lorsqu’il y avait un blocage provenant du FPR, tout le monde allait à Kampala. Généralement, le président ougandais, très attentif, parvenait toujours à lever ces problèmes ". M. Yannick Gérard, qui fut Ambassadeur de France en Ouganda d’août 1990 à décembre 1993, a confirmé devant la Mission cette implication modératrice de Yoweri Museveni, qu’il a expliquée d’une part par le souci, partagé avec ses homologues de la région, d’améliorer son image internationale et d’autre part par le désir, renforcé par des raisons de politique intérieure, déjà évoquées, de trouver une solution aux problèmes des réfugiés rwandais.

L’influence du Burundi, qui s’était bien gardé d’intervenir dans le conflit rwandais lors de l’attaque du FPR d’octobre 1990 afin de ne pas perturber sa propre politique de réconciliation nationale, a pourtant été déterminante pour l’évolution de la crise rwandaise. M. James Gasana, qui participa aux négociations d’Arusha en tant que Ministre rwandais de la Défense, mais qui fut obligé de s’enfuir pour sauver sa vie avant la signature des accords finaux, a rapporté devant la Mission que " le Président Juvénal Habyarimana citait le processus burundais comme un exemple à suivre dans les négociations d’Arusha " et qu’" il en allait de même pour l’opposition à qui cette expérience burundaise avait prouvé que des élections justes permettaient de participer à l’exercice du pouvoir ". Cette influence bénéfique se retourna brutalement lorsqu’en octobre 1993 des militaires tutsis assassinèrent le premier Président hutu démocratiquement élu, M. Melchior Ndadaye.

On le constate en conclusion de ce paragraphe, les pays de la région n’ont pas su mettre sur pied des politiques communes et concertées et, à l’exception de la Tanzanie, ont souvent joué tour à tour le rôle de pyromane et de pompier. Empêtrés dans des difficultés internes, manquant de moyens financiers et humains, on pouvait sans doute difficilement attendre d’eux plus qu’ils n’ont fait.


Source : Assemblée nationale. http://www.assemblee-nationale.fr