Cette hypothèse, qui n’est que rarement évoquée, a fait l’objet d’un développement argumenté dans l’ouvrage de M. Filip Reyntjens cité ci-dessus. Même si elle n’apparaît pas comme étant la plus probable, elle mérite d’être examinée avec attention dans la mesure où elle pose la question d’une action conjointe de l’opposition modérée et du FPR au président Juvénal Habyarimana.

La démonstration esquissée se fonde sur les arguments suivants :

 le Général Ndindiliyimana, qui commandait la gendarmerie et qui était officiellement en congé, a annoncé le 5 avril 1994, lors d’une réunion avec la MINUAR, qu’une opération de fouille et de désarmement, faisant suite à d’autres du même type et qui peut être considérée comme étant de routine, serait effectuée dans le secteur de Nyakabanda à Kigali et aurait lieu le 7 avril à 4 heures 30 du matin. Dans la matinée du 6 avril, une réunion de coordination à l’état-major de la Gendarmerie a pris des dispositions concrètes en vue de l’opération prévue le lendemain (appui de la MINUAR en personnel et logistique, assistance du parquet, consignement des compagnies de gendarmerie à Kigali). L’ensemble de ces éléments pourraient relever d’une pure coïncidence selon M. Filip Reyntjens, si le Général Ndindiliyimana, qui a annoncé et mis en oeuvre ce dispositif, n’avait pas nié ultérieurement s’en trouver à l’origine ;

 le 1er ou le 4 avril 1994, des officiers et quelques civils originaires du Sud du Rwanda, notamment de la préfecture de Butare, se seraient réunis chez le Premier Ministre, après un contact avec le Lieutenant de gendarmerie Iradukunda, jeune juriste affecté au service de renseignement du ministère de la Défense. Auraient été présents à cette réunion, le Lieutenant-Colonel Gaarabwe et le major Ngayaberura. Le Général Ndindiliyimana aurait été empêché d’y participer. À l’occasion de cette rencontre, le Premier Ministre, constatant des blocages dans le processus d’Arusha et évoquant des menaces sur les personnalités de l’opposition aurait préconisé de renverser le Président Juvénal Habyarimana.

Les officiers auraient réagi de façon réticente, certains allant même jusqu’à faire part au président de cette conversation. La radio RTLM rendra compte de l’événement sans commentaire. Or, le Général Ndindiliyimana dit ne pas avoir été informé de cette rencontre, dont il n’aurait appris l’existence que par le Colonel Gatsinzi, lui même alerté par les diffusions de la radio RTLM. Or, le Colonel Gatsinzi nie avoir contacté le Général Ndindiliyimana sur ce sujet et M. Filip Reyntjens constate que le commandant de la gendarmerie était très lié au Premier Ministre ainsi qu’à la plupart des protagonistes de cette réunion et qu’il est peu probable, par conséquent, que ces propos correspondent à la vérité ;

 le Colonel Anselme Nshizirungu, conseiller militaire du Premier Ministre, affilié au MDR (tendance Twagiramungu) et proche du FPR aurait écrit en annexe à un mémorandum intitulé " Aperçu sur la situation politique au Rwanda " et envoyé à un ami belge résidant en Afrique du sud : " dans la pire des hypothèses, le mal rwandais ne trouverait sa solution qu’en l’élimination physique du dictateur... J’aimerais vous revoir dans ce beau pays une fois débarrassé de ce monstre... "

 le 6 avril au soir, vers 21 heures, un officier belge résidant en Belgique et ayant des relations étroites avec l’armée rwandaise aurait contacté le chef d’état-major des FAR, sans savoir que ce dernier avait péri dans l’attentat. C’est Ndindiliyimana qui aurait répondu au téléphone, ce qui est une fois de plus nié par ce dernier ;

 la position militaire à la bifurcation de la piste de Masaka est tenue en partie par les gendarmes.

Sur la base de ces éléments, M. Filip Reyntjens évoque l’hypothèse d’une implication d’officiers " démocratiques ", originaires du Sud, relevant surtout de la gendarmerie et excédés par le blocage du processus démocratique et les assassinats politiques. Ces officiers auraient pensé profiter du vide institutionnel laissé par l’assassinat du président pour tenter de reprendre l’avantage en demandant l’application immédiate des accords d’Arusha. Certains éléments de la garde présidentielle auraient pris cette hypothèse très au sérieux. Ils affirment d’ailleurs avoir trouvé le discours que le Premier Ministre entendait prononcer à la radio, par lequel ce dernier annonçait l’installation d’une assemblée nationale de transition dont la composition devait répondre aux voeux du FPR et de ses alliés. L’élimination rapide par les durs du régime de l’opposition modérée, dont le Premier Ministre Agathe Uwilingiyimana, aurait été dictée par la volonté de déjouer ce plan.

Cette hypothèse, pour cohérente qu’elle puisse apparaître à première vue, n’est étayée par aucun élément concret valant preuve. Elle occulte presque totalement la question des " opérateurs de l’attentat " et ne permet pas d’éclaircir le rôle qu’aurait pu jouer le FPR dans un tel scénario.


Source : Assemblée nationale. http://www.assemblee-nationale.fr