N’ayant pu aller plus loin dans ses investigations, M. Filip Reyntjens, qui au terme de ses multiples recherches privilégie la piste du FPR, s’interroge surtout sur " l’écran de fumée " entretenu sur la question de l’attentat et sur l’absence d’enquête qui a contribué à entretenir un climat de confusion. Il souligne notamment :

 que l’ONU a certes demandé une enquête internationale neutre dès le 8 avril, que le 27 juin, le Secrétaire général de l’ONU a été chargé d’une telle enquête par le Conseil de sécurité, mais que l’affaire a été " silencieusement effacée de l’ordre du jour " ultérieurement ;

 que le 12 avril, le conseil des Ministres belge a décidé de demander à l’OACI d’ouvrir une enquête, que le point a été inscrit à l’ordre du jour de la réunion du conseil de l’OACI du 25 avril, mais qu’aucune enquête n’a été menée. Les blocages proviennent tout autant de problèmes de procédure (l’avion est-il un avion civil de la compétence de l’OACI ou un avion d’Etat hors de sa compétence ?) que du manque de collaboration des autorités rwandaises et burundaises ;

 pour ce qui concerne la France, les visites du Lieutenant-Colonel Grégoire de Saint-Quentin sur les lieux du crash n’ont pas permis d’obtenir une version rendue publique du déroulement de l’attentat, pas plus que les éléments que prétend détenir M. Paul Barril ;

 pour ce qui concerne enfin le Rwanda, il n’a jamais communiqué les éléments dont il disposait sur cette question, de même que le nouveau régime de Kigali n’a jamais ressenti le besoin d’initier une enquête.

L’impossibilité d’une enquête immédiate

Les difficultés d’une enquête immédiate ont été soulignées par de nombreuses personnes auditionnées.

M. Jean-Michel Marlaud et le Colonel Bernard Cussac ont souligné que le " déchaînement " des événements avait rapidement restreint la liberté de manoeuvre, en particulier des militaires français qui n’avaient pu se rendre sur la zone du crash à partir de Kigali en raison des combats entre les FAR, la Garde présidentielle et le FPR, et que la dégradation des conditions de sécurité aurait empêché le travail d’enquêteurs entre Kigali et l’aéroport. Cette dégradation rapide de la situation a été confirmée par tous les témoins.

Le crash de l’appareil ayant eu lieu dans la propriété même du Général Juvénal Habyarimana, la Garde républicaine qui était sur place a immédiatement empêché que des étrangers s’approchent de l’appareil pour relever des indices. Cette interdiction durera plusieurs semaines et empêchera toute investigation. La MINUAR, en particulier les forces belges qui contrôlaient l’aéroport, n’a jamais eu accès à la propriété du président.

M. Michel Roussin a rappelé que, dès 22 heures 15, le 6 avril 1994, les militaires de la MAM avaient été consignés à domicile et qu’ils n’étaient pas habilités à mener une enquête.

Le Général Jean Heinrich et M. Jacques Dewatre ont confirmé que leurs services respectifs, DRM et DGSE, n’avaient pu effectuer d’enquêtes immédiates sur l’attentat les 6 et 7 avril, puisqu’ils ne disposaient de personne sur place. M. Jacques Dewatre a souligné que, dès le 8 avril, tel n’était plus le cas, mais que, malgré tout, la DGSE n’avait pas été en mesure d’obtenir des preuves.

Seul le Lieutenant-Colonel Grégoire de Saint-Quentin a pu se rendre sur les lieux à deux reprises. Il a rapporté devant la Mission la difficulté qu’il avait éprouvée à récupérer les corps de l’équipage français et à effectuer des recherches. Il a rappelé qu’il résidait avec sa famille dans le camp de Kanombe, à une distance de 300 à 350 mètres à vol d’oiseau de l’endroit du crash. Après que l’avion se fut écrasé dans le jardin de la résidence présidentielle, il avait entendu des tirs d’armes automatiques, qu’il avait interprétés comme une réaction de panique de la garde présidentielle qui s’était mise à tirer en l’air, sans doute en direction de l’endroit d’où étaient parti les missiles.

Le Lieutenant-Colonel Grégoire de Saint-Quentin a pu accéder une première fois sur les lieux du crash vers vingt-deux heures, accompagné d’un officier rwandais qu’il connaissait et qui lui avait servi de sauf-conduit pour franchir les postes d’une Garde Présidentielle devenue très nerveuse. Il a entamé les recherches au milieu des restes de l’avion afin de retrouver les corps des membres de l’équipage français et a pu observer le désarroi des militaires rwandais lorsqu’ils se rendirent compte que le corps du Président était dans l’avion. Jusqu’à trois heures du matin, il avait recherché les corps de l’équipage français. Il était retourné sur place une deuxième fois le lendemain matin à 8 heures, dans le but de retrouver la boîte noire dans les débris, mais sans succès.

A l’occasion d’une correspondance adressé à la Mission (cf. annexe), le Lieutenant-Colonel Grégoire de Saint-Quentin a apporté des précisions sur son emploi du temps entre le 6 et le 12 avril 1994. Il aurait effectué en tout quatre visites à la résidence présidentielle (les 6, 7, 9 et 11 avril). Mais, il a confirmé qu’il ne s’était rendu sur les lieux du crash qu’à deux reprises uniquement, comme il l’avait indiqué lors de son audition (le 6 avril au soir et le 7 avril au matin). Les deux autres fois, il n’était pas allé plus loin que les bâtiments de la résidence présidentielle : le 9 avril, il se serait rendu à la résidence pour évacuer la veuve du Président Juvénal Habyarimana et le 11 avril il y serait retourné pour évacuer la parentèle, mais il ne l’aurait pas trouvée, celle-ci étant déjà partie pour Gisenyi.

Enfin, à l’occasion d’un entretien avec le rapporteur, le Colonel Bernard Cussac a indiqué qu’il avait été reçu à l’Elysée par le Général Christian Quesnot et son adjoint, M. Bentejac, entre l’attentat du 6 avril et son retour à Kigali le 9 avril, et qu’il lui avait été demandé de rassembler tout élément utile d’information relatif à l’attentat dès son arrivée au Rwanda. Cette information a été confirmée par le Général Jacques Rosier. Le Colonel Bernard Cussac a indiqué qu’il n’avait pas été en mesure de donner une suite satisfaisante à cette instruction, les circonstances prévalant sur place en raison des contraintes opérationnelles d’Amarylis ne l’ayant pas permis.

L’absence d’enquêtes officielles

Il semble que de nombreuses demandes officielles d’enquête aient été formulées. Le plus étonnant est qu’apparemment aucune ne se soit déroulée et n’ait abouti à des conclusions. La Mission n’a pas pu déterminer les raisons qui ont empêché les pays directement concernés ou l’ONU d’organiser des recherches sur les événements.

M. Gérard Prunier a eu à cet égard raison de souligner dans son ouvrage que les auteurs de l’attentat ont fait le pari de la passivité de la communauté internationale.

Les demandes belge et française

M. Jacques Dewatre a confirmé que la Belgique avait envisagé, dès le 7 avril 1994, de saisir l’organisation internationale de l’aviation civile (OIAC) d’une enquête et s’est étonné de ce que celle-ci n’ait pas abouti.

M. Jean-Marc Rochereau de la Sablière a souligné que " la France, favorable à une enquête sur l’attentat du 6 avril, avait été à l’origine de la déclaration du Conseil de sécurité demandant au Secrétaire général de l’ONU de recueillir toutes les informations utiles sur le sujet, par tous les moyens à sa disposition ".

M. Alain Juppé a rappelé que " la France avait demandé à l’ONU de diligenter une enquête officielle " car elle n’avait aucune légitimité pour mener quelque enquête que ce soit dans un pays indépendant mais que " confiée au Secrétaire général par le Conseil de sécurité, elle n’avait jamais abouti à aucune conclusion ".

Les demandes rwandaise et burundaise

Un échange de correspondance entre le Général Roméo Dallaire et le Premier Ministre du Rwanda, M. Jean Kambanda, au cours de la première semaine de mai 1994, indique que la MINUAR était disposée à mettre en oeuvre une commission internationale d’enquête et que le Premier Ministre avait fait part de ses souhaits quant à la composition de celle-ci.

Mais M. Michel Roussin a répondu dans une lettre du 12 juin 1998, adressée au rapporteur et confirmée par M. François Léotard, " qu’aucune demande du Général Roméo Dallaire concernant une enquête par la France n’avait été adressée au ministère de la Coopération ".

M. Faustin Twagiramungu a indiqué à la Mission que " lorsqu’il était encore Premier Ministre du Gouvernement FPR, il avait soulevé en Conseil des Ministres la question d’une enquête nationale ou internationale sur l’attentat mais que le Président et le Ministre de la Défense lui avaient répondu que ce n’était pas une priorité pour le pays, et que pour les autres Rwandais assassinés, aucune enquête n’avait été menée ". Or cette enquête aurait permis au FPR de faire valoir qu’il était étranger à l’attentat. Les autorités du Rwanda n’ont jamais communiqué les éléments dont elles disposaient sur cette question, et M. Faustin Twagiramungu s’est demandé " pourquoi le régime de Kigali s’oppose à toute enquête sur cet attentat ".

Pourtant, une lettre (cf. annexe) du Ministre rwandais des Transports et des Communications, M. Charles Murigande, en date du 28 mars 1998, indique que le Gouvernement rwandais a demandé au représentant régional de l’OACI de participer à une expertise du Falcon présidentiel.


Source : Assemblée nationale. http://www.assemblee-nationale.fr