Le 7 avril, par télégramme diplomatique, le ministère des Affaires étrangères demande à l’Ambassadeur Jean-Michel Marlaud d’apprécier l’opportunité d’une évacuation de la communauté française, compte tenu de la dégradation brutale de la situation à Kigali. Pour le cas où une telle hypothèse devait se trouver confirmée, les forces françaises " interviendraient en appui des forces belges " avec lesquelles elles se coordonneraient. Les assistants militaires techniques seraient sollicités pour assurer la sécurité de la résidence et celle de l’ambassade et il est précisé que la famille proche du Président Juvénal Habyarimana pourrait y trouver refuge.

En quelques heures, les événements vont s’accélérer. Il apparaît désormais clairement qu’à l’impuissance de la MINUAR, dont dix Casques bleus du contingent belge ont été assassinés, s’ajoute l’incapacité du chef d’état-major de la Gendarmerie (le Général Ndindiliyimana) et du nouveau Chef d’état-major des armées (le Colonel Gatsinzi) de rétablir l’ordre en dépit de leurs déclarations d’intention.

Le 8 avril, les Adjudants-chefs Maïer et Didot, responsables des transmissions, ainsi que l’épouse de ce dernier, sont assassinés. L’information concernant le couple Didot est donnée par un compte rendu radio du directeur de l’hôtel Méridien, M. Eric Lefèvre, qui fait état d’un assassinat par des éléments du FPR.

Vers 19 heures, l’ambassadeur à Kigali rend compte en ces termes de l’assassinat des époux Didot : " cinq Rwandais qui viennent d’arriver à l’hôtel Méridien ont indiqué qu’ils étaient réfugiés chez M. et Mme Didot lorsque des soldats du FPR sont entrés, les ont fait sortir (ils sont Tutsis) et ont abattu les Didot ".

Les Adjudants-chefs Maïer et Didot faisaient partie des 24 assistants militaires techniques restés au Rwanda après le départ des troupes de Noroît le 15 décembre 1993.

L’Adjudant-Chef Didot était un spécialiste de haut niveau dans la réparation des postes radio mais " n’a jamais été un spécialiste des écoutes ", comme l’a souligné le Colonel Jean-Jacques Maurin en réponse à certaines assertions. Il avait été chargé de mettre en place le réseau sécuritaire de l’ambassade équipé de postes YAESU ; il était également responsable des liaisons radio entre les membres de la Mission de coopération. Sa compétence l’avait conduit à assurer la formation des personnels rwandais chargés des transmissions, ainsi que la maintenance des postes radio de l’ensemble de l’armée rwandaise.

En raison du relief des collines, il avait installé sur le toit de sa maison, elle-même située en hauteur, une antenne relais. Le Colonel Jean-Jacques Maurin a rappelé à ce sujet que l’Adjudant-Chef Didot possédait -à titre personnel- un poste radio émetteur-récepteur modulation de fréquence (MF) de courte portée avec une antenne extérieure classique. Ce poste lui permettait d’avoir des liaisons correctes avec des interlocuteurs dotés d’un poste radio portatif MF compatible dans un rayon de dix kilomètres. Cet équipement a-t-il plus particulièrement attiré l’attention des auteurs des massacres qui tenaient précisément à s’emparer du matériel et à entrer sur le réseau interne de transmissions français ? Cette crainte est émise par l’ambassadeur, qui indique dans un télégramme que, dans ces conditions, le FPR peut nous écouter.

S’agit-il au contraire d’une exaction arbitraire réalisée dans l’ignorance des qualités professionnelles des Adjudants-chefs Maïer et Didot mais perpétrée par le FPR dans le but de " faire passer un message à la France " pour signifier le caractère indésirable de sa présence ?

Aucun élément ne permet de répondre définitivement à cette interrogation. La seule information précise vient du témoignage écrit du Colonel Jean-Jacques Maurin que ce dernier a adressé à la Mission. " Le mardi 12 avril, le Major médecin belge Théry, qui avait récupéré les corps du couple Didot avec l’aide de trois officiers sénégalais de la MINUAR, m’informe que toute leur maison avait été saccagée et le matériel informatique détruit. La détérioration éventuelle radio ne fut pas évoquée et je ne peux donc pas vous donner d’informations précises sur ce point. "

Aucun élément matériel n’est venu à ce jour apporter la preuve formelle de ce triple assassinat par le FPR. Le témoignage des voisins tutsis rwandais présents chez les Didot au moment du drame et le fait que les Adjudants-chefs Maïer et Didot étaient logés dans des villas proches de l’hôtel Méridien situé en zone FPR excluant par conséquent la présence des FAR accréditent cependant très fortement cette thèse sans la rendre pour autant irréfutable.

L’assassinat des Adjudants-chefs Maïer et Didot et de l’épouse de ce dernier porte à six le nombre des Français victimes des événements survenus au Rwanda depuis deux jours.

Le ministères des Affaires étrangères répond le 8 avril à 22 heures : " devant les risques que présente la situation au Rwanda, des dispositions sont prises pour procéder à l’évacuation de nos ressortissants ".

L’opération Amaryllis vient d’être déclenchée par la France de façon unilatérale. Cette intervention, strictement limitée dans le temps -elle se déroulera du 8 au 14 avril- a vocation d’assurer la protection et l’évacuation des ressortissants français ou étrangers. Près de 1 500 personnes seront évacuées. Ce ne sera pas, en revanche, une intervention venant en soutien des forces belges. Mais la France intercédera en leur faveur auprès des FAR pour que ces forces puissent se poser à l’aéroport de Kigali.


Source : Assemblée nationale. http://www.assemblee-nationale.fr