L’utilité des forces prépositionnées a été patente. Précocement placées en état d’alerte, elles ont joué un rôle déterminant créant un effet de surprise et permettant au plus vite et au plus tôt de contrôler l’aéroport et de procéder aux premières évacuations, alors que les troupes belges décollaient à peine de Bruxelles.

En revanche, il est à noter, alors que les soldats français sont présents sur le territoire rwandais depuis plus de trois ans, que le détachement ne disposait que de très peu de cartes et de plans de la ville et qu’il n’existait pas de liste exhaustive des ressortissants, qui aurait été extrêmement utile après le départ des personnels de l’ambassade pour traiter les cas isolés.

Dans les comptes rendus d’opérations, il est proposé de mettre en place systématiquement dans les capitales africaines, un dispositif informatisé et centralisé d’identification et de localisation des ressortissants.

La coopération interarmées s’est déroulée de façon contrastée. L’intervention militaire belge n’était pas souhaitée par les autorités rwandaises qui, redoutant des dérapages, se sont montrées très favorables à ce que " la France assure seule la sécurité des ressortissants étrangers qui souhaitent quitter le Rwanda ". Dans l’hypothèse d’une " présence militaire seulement française, il n’y aurait aucune objection rwandaise à ce que des avions vides des pays concernés se posent à Kigali pour emmener les ressortissants étrangers hors du pays " précise l’ambassadeur de France.

Les différents Etats concernés ainsi que la MINUAR procéderont cependant à leurs propres opérations d’évacuation. Un certain nombre de ressortissants français regroupés à l’hôtel Méridien seront évacués par la MINUAR.

Comme l’a indiqué le Colonel Henri Poncet, la France a toutefois négocié avec un commandant des FAR l’arrivée des soldats belges à l’aéroport. Les FAR en effet semblaient déterminées à tirer sur les avions belges avec des pièces d’artillerie sol-air. Il a déclaré qu’il avait alors fait positionner, à proximité de chaque pièce d’artillerie sol-air, un soldat français qui avait l’ordre de tirer sur tout soldat rwandais qui ouvrirait le feu sur les avions belges.

La lecture des télégrammes enseigne par ailleurs que la France a régulièrement informé les FAR des modalités d’intervention des troupes belges, puisqu’il est notamment indiqué le 10 avril par l’ambassadeur de France : " le nombre de militaires prévu par les Belges est de 400 et non 250... J’attire l’attention du département sur la nécessité d’éclaircir rapidement la question du volume de la force belge... L’arrivée d’un nombre plus important, sans rectification préalable de notre part, affecterait notre crédibilité vis-à-vis des FAR ".

S’agissant des tirs de mortiers qui ont précédé, en l’empêchant à deux reprises, le décollage du dernier C 130 de l’aéroport de Kigali, le Colonel Jean Balch a transmis à la Mission son témoignage direct et personnel :

" J’ai l’honneur de porter à votre connaissance quelques précisions sur les tirs de mortiers qui ont précédé notre décollage à la fin de l’opération " Amaryllis ". Je précise que ces tirs n’ont en aucune manière gêné l’accomplissement de notre mission puisque cette dernière était terminée et que nous avions reçu l’ordre de quitter Kigali.

" Dès la fin du deuxième tir, j’ai envoyé un groupe faire le tour complet de l’aéroport et de ses abords afin de trouver et neutraliser cette pièce qui ne pouvait, à mon sens, appartenir qu’aux Forces armées rwandaises : parmi les forces présentes à Kigali à ce moment-là les seules dotées de machines étaient :

" - les FAR : ils nous voyaient partir avec " regret "... et pouvaient tenter, dans un dernier geste de désespoir, de nous en empêcher ;

" - le FPR : ils attendaient notre départ avec impatience et n’avaient aucun intérêt à le différer ;

" - les troupes belges : IMPENSABLE, même s’ils souhaitaient, à l’évidence, nous voir rester le plus longtemps possible à leurs côtés ;

" Le groupe est rentré de sa mission sans avoir vu la moindre pièce mortier des FAR, en revanche, une pièce mortier belge se trouvait en bout de piste. Mes hommes ne s’y sont bien sûr pas attardés, leur mission était de trouver un mortier des FAR.

" La deuxième précision que je ferai est la suivante : ces tirs ont toujours été effectués à une distance d’environ quarante mètres devant l’avion, en barrage. Il n’y a jamais eu de " correction ", il s’agissait donc non de tirs destinés à détruire, mais de tirs d’intimidation, qui visaient à nous empêcher de décoller, d’autant qu’ils se déclenchaient à chaque fois que nous commencions à embarquer dans le C 130.

" Voici les faits, partant de là toutes les suppositions ou interprétations sont possibles, mais elles ne resteront en tout état de cause, faute de preuves, que des hypothèses. "

Pour sa part le Colonel Henri Poncet, a précisé lors de son audition qu’il ne voyait pas le motif pour lequel les Belges auraient tiré sur l’avion français. Il a estimé toutefois que les Belges auraient certainement souhaité le maintien des forces françaises deux ou trois jours supplémentaires, pour ne pas perdre le bénéfice du contrôle d’une partie de la ville, ainsi que celui d’un éventuel appui militaire pour l’évacuation de leurs propres ressortissants.

Les ressortissants italiens ont été regroupés sur la plate-forme par le détachement français, confiés au Consul d’Italie et aussitôt évacués par un C 130. Faute d’unités spéciales formées pour cela, les Italiens ont refusé de participer à la défense de la plate-forme.

Les relations avec les forces des Nations Unies ont souvent été tendues. Le Colonel Henri Poncet n’a pu évoquer que le passage fugitif du Général Roméo Dallaire à son PC. Il a précisé que celui-ci ne lui avait apporté aucun soutien, aucune aide, aucun renseignement pendant toute la durée de l’opération, alors même qu’un officier de liaison de la MINUAR se trouvait à l’aéroport qui aurait pu donner des informations sur le dispositif de la MINUAR en ville et notamment sur ses fréquences radio, ce qui aurait permis de faire le point de la situation.

Enfin, malgré les demandes répétées du COMOPS, aucun véhicule n’a été mis à la disposition du détachement français pour transporter les ressortissants, mais le Général Roméo Dallaire a reproché aux forces françaises d’avoir utilisé des véhicules abandonnés de la MINUAR qu’elles avaient cependant maquillés et décorés de drapeaux français pour éviter toute confusion avec les véhicules des Nations Unies.


Source : Assemblée nationale. http://www.assemblee-nationale.fr