Pour comprendre pleinement la signification des deux ordres précités -" contrôler progressivement l’étendue du pays hutu " et inciter les autorités locales rwandaises civiles et militaires à rétablir leur autorité sur la zone qu’elles contrôlent- il convient de les examiner en les remplaçant dans le contexte précédemment décrit. La France, au moment où elle engage l’opération Turquoise, n’a pas pour autant renoncé à l’idée que seule une solution politique acceptée par les parties et fondée sur un partage du pouvoir mettra un terme définitif à la violence et aux affrontements ethniques.

Toutefois, comme le souligne l’Ambassadeur Jean-Michel Marlaud dans une note qu’il établit le 1er juillet 1994 " nous ne pouvons pas prendre publiquement l’initiative pour obtenir le cessez-le-feu, car nous serions soupçonnés d’avoir cherché à geler la situation, sous couvert d’action humanitaire ".

Ces soupçons étaient-ils infondés ?

L’opération Turquoise avait sans conteste pour but principal et premier de sauver des vies humaines en protégeant indifféremment les populations menacées, qu’elles soient hutues ou tutsies.

En cherchant à stabiliser la moitié du territoire rwandais, sur lequel se serait rétabli l’exercice d’une autorité, l’opération Turquoise a tenté, non pas de relancer l’offensive des FAR contre le FPR, mais de préserver une situation dans laquelle existeraient encore les conditions d’une négociation d’un cessez-le-feu puis d’une négociation politique, à savoir un territoire et une légitimité.

Il n’était cependant pas possible à la France de prendre publiquement cette initiative. Il lui était possible en revanche d’intervenir, sous certaines conditions, pour arrêter les massacres qui continuaient d’être perpétrés des deux côtés même si, comme a pu le faire observer le Colonel Didier Tauzin lors de son audition, lors de l’arrivée des troupes françaises, les massacres à grande échelle avaient cessé.

En procédant de la sorte, la France n’a sans doute pas fixé initialement à l’opération Turquoise un objectif exclusivement humanitaire ; elle n’a pas, pour autant, fait autre chose que de poursuivre " l’idée d’Arusha " par d’autres moyens.

A l’épreuve de la réalité, cette analyse s’est révélée en grande partie utopique, dans la mesure où le FPR, dont la France n’a jamais tenté de contrecarrer les avancées, continuait de progresser militairement face aux FAR en pleine débâcle et à un Gouvernement en fuite.

Si la France a pu donner à penser au FPR qu’elle avait la tentation de lui voler sa victoire, notamment en instaurant une zone humanitaire dont il se trouvait exclu, il faut souligner qu’à partir du moment où la victoire militaire totale du FPR se révèle inéluctable après la chute de Gisenyi, le 17 juillet, celui-ci reçoit l’opération Turquoise de façon beaucoup plus positive.

Comme l’a fait observer le Général Philippe Mercier au cours de son audition, " à partir du 20 juillet, date d’un cessez-le-feu de facto du FPR, l’opération était devenue à dominante humanitaire, en liaison étroite avec les organisations non gouvernementales ".

L’étude du déroulement de l’opération Turquoise illustre bien cette évolution.


Source : Assemblée nationale. http://www.assemblee-nationale.fr