L’absence de désarmement systématique

Parmi les éléments de langage figurant dans une note du ministère des Affaires étrangères du 18 août 1994, on peut lire : " dans la zone humanitaire sûre, les milices ont été démantelées, les FAR désarmées ".

Désarmement des milices

Ce constat mérite d’être tempéré, car pas plus les milices que les FAR n’ont été systématiquement désarmées dans la ZHS. Un télégramme du 10 juillet 1994 indique à propos de cette zone : " sauf à provoquer des réactions générales contre l’opération Turquoise, le désarmement des milices ne peut être systématique. Il est actuellement pratiqué ponctuellement dans les cas où des miliciens menacent des groupes de population ".

Une note du 11 juillet indique que " les milices durcissent leur position dans la ZHS ". Une autre note, faisant état de la situation au 22 juillet, indique que " la ZHS est dans l’ensemble calme, les FAR l’ont quittée, les miliciens se livrent à des actes de pillage, que les militaires français essaient de contrôler avec l’appui de la Gendarmerie ".

Enfin, le Général Jean-Claude Lafourcade, au cours de son audition, indique que les miliciens... " découvrant qu’ils étaient en terrain hostile dans la zone de sécurité, l’avaient quittée rapidement, la grande majorité d’entre eux ayant pu être désarmée préalablement ".

Désarmement des FAR

S’agissant de la présence des FAR dans la ZHS, leur situation au 6 juillet est ainsi décrite par le représentant diplomatique de la France :

" Selon les officiers de Turquoise, elles seraient très peu nombreuses en zone humanitaire. Ceci reste à vérifier. L’essentiel de ce qu’il en reste serait dans le nord (Gisenyi, Ruhengeri...). Il serait bien évidemment souhaitable, à tous points de vue, qu’elles composent à présent avec le FPR... Il me semble qu’en zone humanitaire, nous devrions tout faire pour permettre à la MINUAR I de venir constater ce qui reste des FAR et qu’elles ne sont pas en état de nuire ".

Le représentant de la France signale, le 9 juillet : " la tentation éventuelle des FAR de se réfugier en zone humanitaire avec leurs armes est très préoccupante ".

Une semaine plus tard, une note de la Direction Afrique faisant le point de la situation au 17 juillet indique " qu’une grande partie des forces armées gouvernementales (10 000 sur 30 000) est passée au Zaïre avec son armement ".

Deux questions se posent : d’une part celle de savoir dans quelle proportion les FAR ont traversé ou séjourné dans la ZHS au cours de cette période, d’autre part comment et dans quelle proportion on a pu procéder à leur désarmement.

En réponse à une question du rapporteur, M. Pierre Brana, le Capitaine de frégate Marin Gillier a précisé que, dans le nord de la zone, dont il avait la responsabilité, stationnaient deux bataillons des forces armées rwandaises auprès desquels il envoyait quasiment quotidiennement un de ses officiers pour vérifier qu’ils quittaient la zone. Leurs armes ne leur ont pas été retirées, dans la mesure où ils n’en faisaient pas usage dans la zone de sécurité. En revanche, les armes détenues par les personnes qui avaient édifié des barrages sur les voies de communication afin de filtrer et de rançonner les populations errantes ont été confisquées. Les bourgmestres et préfets, à qui le sens de la démarche avait été expliqué, avaient fait savoir qu’un minimum d’armes leur était nécessaire pour assurer les missions normales de police et contrer les pillards qui s’attaquaient à la population et détournaient les distributions de secours faites par les ONG. Ces demandes paraissant légitimes, des accords avaient été passés avec les autorités locales, qui avaient délivré des cartes spécifiques à quelques personnes, ce qui facilitait les opérations de désarmement. Il a précisé que son détachement avait remis au total un peu moins d’une centaine d’armes au PC des forces spéciales à Gikongoro, pour être, semble-t-il, jetées dans le lac Kivu. Il s’agissait principalement d’armes de guerre plutôt vétustes, de vieux fusils, de deux ou trois fusils-mitrailleurs, mais surtout de très vieux engins qu’il n’avait jamais vus auparavant.

Quant au Colonel Didier Tauzin, il a déclaré que jusqu’au 7 juillet, le désarmement avait été effectué de manière empirique et que, dans son secteur, près d’une centaine d’armes avaient été récupérées, notamment au cours de deux importantes opérations. Il s’agissait principalement d’armes d’infanterie, car les armes d’appui étaient rares dans l’armée rwandaise et pour la plupart, elles avaient été détruites dans les engagements contre le FPR dans le nord.

Peut-on considérer qu’après le 7 juillet et jusqu’au 17 juillet, ce désarmement a été entrepris en ZHS de façon méthodique et systématique ? Cela n’est pas certain.

On peut lire dans une note de la Direction Afrique du ministère des Affaires étrangères en date du 19 juillet à propos de la ZHS : " Alors que le Général Paul Kagame continue à avoir des paroles apaisantes à notre égard, le FPR accentue sa pression politique à l’égard de notre zone ; le désarmement des FAR qui s’y trouvent est demandé avec insistance... "

Il semble bien par conséquent que l’activité des milices et des FAR n’a pas été totalement maîtrisée en ZHS.

Il est bien certain que, compte tenu de l’afflux des populations hutues dans cette zone par centaines de milliers, les seuls effectifs de Turquoise ne suffisaient pas pour y garantir totalement leur sécurité.

En revanche, lorsqu’elles sont parvenues à Goma, dans les jours qui ont suivi la chute de Gisenyi, il est avéré que les FAR ont bénéficié d’un traitement privilégié. D’après les informations recueillies par les rapporteurs de la Mission, les officiers de Turquoise ont en effet remis, le 21 juillet 1994, 10 tonnes de nourriture aux FAR dans la région de Goma. Cela a suscité la vive indignation du représentant diplomatique de la France, qui a souligné le caractère déplorable résultant de la publicité d’un tel geste, contrastant avec la situation de milliers de femmes et d’enfants dépourvus de l’essentiel.

Pour autant, le principe même de cette distribution n’a pas été fondamentalement remis en cause par le représentant diplomatique, qui considérait qu’un tel geste devait rester confidentiel.


Source : Assemblée nationale. http://www.assemblee-nationale.fr