La participation de la Belgique à l’opération MINUAR a posé toute une série de problèmes opérationnels et logistiques. La plupart de ces problèmes sont apparus très tôt, c’est-à-dire dès le début de l’opération, immédiatement après le déploiement des troupes belges. La commission constate que, bien que ces problèmes aient généralement été signalés en temps voulu, et souvent même à plusieurs reprises, aux autorités militaires à Bruxelles et qu’en outre, deux rapports d’inspection aient été rédigés après une visite sur place (respectivement le 31 janvier 1994 par le major Guérin et le 25 février 1994 par le lieutenant-général Uytterhoeven), les problèmes eux-mêmes étaient restés en grande partie sans solution quand se produisirent les événements dramatiques des 6 et 7 avril 1994.

La commission donne ci-après un aperçu de ces problèmes logistiques et opérationnels les plus importants, en vérifiant chaque fois quand et comment ceux-ci ont été traités par les différents échelons de commandement de la MINUAR, ou par l’état-major général, notamment par son centre opérationnel d’Evere (C Ops.) et, le cas échéant, pourquoi les problèmes n’ont pas été résolus.

La demande de munitions supplémentaires

Presque tous les témoignages des officiers belges montrent qu’il n’a pas été possible de lancer, le 7 avril, une opération destinée à délivrer le groupe Lotin, notamment parce que les munitions lourdes faisaient défaut et aussi parce les CVRT dans la mesure où ils pouvaient être engagés ne disposaient pas des munitions adéquates. Le rapport Guérin du 31 janvier 1994 mentionne lui aussi explicitement la nécessité de disposer d’armes lourdes pour garder l’aéroport et procéder à une éventuelle évacuation vers celui-ci. Dans son rapport, Guérin affirme qu’" il serait souhaitable de prépositionner de toute urgence une dotation de munitions lourdes à KIBAT " (traduction).

La première question est de savoir qui a le pouvoir de décider de la dotation et du type de munitions destinées à la MINUAR.

Le colonel Marchal a demandé pour la première fois des munitions supplémentaires au C Ops à Evere le 15 janvier 1994 et il a envoyé une note au général Dallaire contenant cette même demande le 20 janvier ; il a déclaré avoir reçu une réponse positive et l’avoir transmise à Bruxelles. Le 28 janvier, Marchal a réitéré sa demande urgente de munitions lourdes supplémentaires et y a ajouté une question très urgente relative à leur coût, sur la requête du Force Commander . Sur ce document figure, à côté du cachet du C Ops, le mot " urgent ". Le rapport du major Guérin du 31 janvier 1994 a confirmé que des munitions lourdes supplémentaires étaient nécessaires.

Néanmoins, le colonel Marchal a dû insister une nouvelle fois pour obtenir ces munitions, ce qu’il a fait dans une note du 14 mars. Il a demandé quels étaient les motifs qui faisaient obstacle à l’envoi de ces munitions et a demandé encore une fois de traiter le dossier des munitions " D’URGENCE ".

La première action effective du C Ops a consisté à envoyer, le 28 mars 1994, un fax adressé à la division logistique, dans lequel on donne l’ordre de fournir pour le 20 avril une quantité de munitions 30 mm au KIBAT II.

Pourquoi a-t-on traîné aussi longtemps à Evere avant de se décider à agir, alors que la demande avait été formulée par le commandant du secteur le 15 janvier et qu’elle ne sera exécutée que le 20 avril ?

Selon le lieutenant-général Charlier : " Je ne suis au courant des problèmes d’armement qu’à la mi-mars. Le 15 janvier, le colonel Marchal nous informe de son intention de commander des munitions à travers les procédures de l’O.N.U. L’O.N.U. doit être mise au courant, car Kigali est une zone de consignation des armes mais aussi parce que de son accord préalable dépend le remboursement du coût. Le 28 janvier, le colonel nous informe que le général Dallaire n’est pas opposé à cette demande mais veut en connaître le coût. Nous le lui communiquons. " (129b)

Néanmoins, une note du colonel Marchal du 22 avril 1997 montre que le chef d’état-major était informé bien avant cette date du problème des munitions : " Major Guérin m’a dit, à cette occasion, avoir donné le 7 février 1994 un briefing, à JS et GS et d’autres officiers, sur le contenu de son rapport. En ce qui concerne la problématique des munitions, toujours d’après le Major Guérin, JS aurait demandé à l’E.M.G. d’évaluer la possibilité militaire et politique d’envoyer les munitions demandées et aurait désigné le LtCol Briot comme pilote du dossier. " (130b) (131b)

De son côté, l’amiral Verhulst affirme que : " Dallaire s’y est opposé et a dit de faire la demande à New York. Le 28 janvier, le commandant envoie un fax au C Ops pour dire son intention de demander des munitions et pour s’informer sur leur coût. Ce n’est que le 14 mars qu’il s’inquiète de ne pas avoir reçu ces munitions, alors que pendant cet intervalle, les liaisons avec Kigali sont restées normales et qu’il y a eu les visites sur place du ministre des Affaires étrangères et du lieutenant-général Uytterhoeven. Le 15 mars, il est convenu par téléphone que le commandant de la force introduira la demande annoncée le 28 janvier. Le C Ops prescrit ce même jour de prendre la commande mais il n’y a aucune réaction des autorités sur place et aucune demande de New York ou de Kigali. Finalement, la commande est envoyée par le premier avion où il y a de la place, soit le 20 avril. Nous espérions qu’entre-temps, nous recevrions des instructions de New York. " (132b) Outre l’absence d’autorisation de New York, il souligne qu’ " au C Ops, la demande a traîné sans doute suite à un problème interne de hiérarchie. " (133b)

Le lieutenant-colonel Briot signale également le problème de l’absence d’autorisation de la part de New York de fournir des armes. " L’état-major est prêt à fournir les munitions demandées et à donner les directives ad hoc c’est-à-dire, à l’intérieur des forces armées mais a demandé au commandant de secteur d’obtenir l’approbation du force commander, c’est-à-dire le général Dallaire " (134b) ... " Mes déclarations, et celles des autres officiers qui ont été entendus par cette commission, montrent que tout le monde est d’accord sur ce point : nous n’avons jamais été les destinataires de l’accord du général Dallaire . " (135b)

Cependant, l’argument selon lequel New York ne donnait pas ou n’aurait pas donné d’autorisation est réfuté premièrement par la déclaration du général Dallaire lui-même, qui nie que lui-même ou le quartier général de New York se soit opposé de quelque manière que ce soit à la fourniture de munitions supplémentaires demandées par le colonel Marchal " (...) the supply of ammunition, arms and other equipment is the responsability of the State contributing the contingent (...). The Force Commander directed Colonel Marchal to deal directly with Belgium on ammunition as the UN did not possess, nor could it likely obtain from other Governments the necessary arms and ammunition in a timely fashion . " (136b)

Le colonel Marchal est formel : " Le Force Commander avait donné son autorisation au mois de janvier. Question : Cette autorisation figure-t-elle dans le rapport du 15 janvier ? Non. Le fax du 15 janvier signale que je dois encore introduire la demande au Force commander. Cette demande je l’ai introduite à l’aide du document que j’ai sous les yeux, daté du 20 janvier. Quelques jours plus tard, le général Dallaire m’a répondu en apposant sur ce document la mention " d’accord ". Ce document, je l’ai transmis à Bruxelles, et je ne l’ai retrouvé nulle part, tout comme j’en ai d’ailleurs envoyé d’autres que je n’ai trouvé nulle part non plus. Ici, je n’ai pas indiqué de chiffres intentionnellement car j’estimais que le Force commander devait se prononcer sur un principe. J’ai également envoyé un document reprenant les quantités par type de munitions. C’est un document que j’ai envoyé et que je n’ai retrouvé nulle part non plus. Le Force commander avait donc donné son accord fin janvier, très rapidement après cette note du 20. Son principe était le suivant : c’est un problème national ; si le pays veut renforcer le détachement au moyen de munitions, c’est son problème, et c’est à lui de veiller à l’acheminement des munitions . " (137b)

Deuxièmement, l’on finit quand même par décider d’envoyer les munitions sans l’autorisation de New York. Selon le lieutenant-général Charlier : " la demande des Nations unies n’étant jamais parvenue à l’état-major, j’ai fait envoyer les munitions sans l’attendre. Je trouvais que le petit jeu avait assez duré " , ce que le lieutenant-colonel Briot confirme : " Parce que le 15 mars, le colonel Marchal avait demandé : " Où restent mes munitions ? " C’est une décision du chef d’état-major qui estime que cela suffit et qu’il prend le risque de les envoyer " . (138b)

En outre, il s’avère que : " De plus, je voudrais signaler que le même cas s’est produit en Yougoslavie ; sauf erreur de ma part, c’est avec Belbat-3, où on a envoyé des munitions sans autorisation de l’ONU. " (139b)

L’exemple suivant montre également que le C Ops fonctionnait mal. Début décembre 1993, 396 pièces de munition lourde ont été envoyées " discrètement " à Kigali. Selon l’amiral Verhulst, il s’agissait d’une erreur et il a décidé de les laisser sur place (140b). Par contre, le lieutenant-colonel Briot affirme que ces munitions ont été volontairement ajoutées pour la sécurité du détachement (141b). Dans un témoignage ultérieur, le lieutenant-colonel Briot concède néanmoins que le KIBAT ne disposait pas sur place des mortiers adéquats pour utiliser ces munitions (142b).

La commission constate qu’il y avait des problèmes graves dans le fonctionnement du C Ops, ce que confirment plusieurs officiers de l’état-major qui étaient adjoints au C Ops.

Le ministre de la Défense ou son cabinet étaient-ils au courant de ces problèmes au C Ops et du problème des munitions supplémentaires en particulier ?

En application de l’arrêté royal du 19 décembre 1989 portant organisation de l’état-major général, le chef de l’état-major général (JS) est le responsable final de la conduite des opérations y compris l’organisation du centre d’opérations, et il est par conséquent responsable de la question des munitions supplémentaires. Le lieutenant-général Charlier déclare : " En ce qui concerne les munitions, je répète la déclaration déjà faite sous serment que je n’ai été mis au courant des problèmes qu’à la mi-mars. L’état-major n’a donc pu en parler plus tôt au ministre . " (143b) Le ministre Delcroix affirme pour sa part très clairement : " Il n’appartient pas au ministre, qui n’est pas un spécialiste des problèmes de défense, de décider de l’équipement des troupes. Cette tâche incombe à l’état-major général . " (144b) Le général Schellemans confirme : " Le problème des munitions relève de la compétence de l’état-major et n’a jamais été posé au cabinet. " (145b)

L’armement insuffisant des hommes sur le terrain et la difficile distribution des armes et des munitions

La question peut être posée s’il est normal que le peloton qui faisait office de réserve et devait en outre accomplir constamment des missions d’escorte ait circulé sans MAG ? En vertu des règles d’engagement, en cas de légitime défense, on devait se limiter à tirer au coup par coup. Pour l’utilisation de mitrailleuses et d’armes plus lourdes, une autorisation de l’échelon supérieur était nécessaire. C’est pourquoi le colonel Dewez, le commandant de KIBAT II, donna pour instruction que les mitrailleuses MAG montées sur les jeeps soient orientées vers le haut et que l’on ait individuellement à portée de la main une arme (par exemple un FNC) permettant de tirer au coup par coup pour se défendre (146b). Le capitaine Lemaire, commandant de compagnie, interpréta l’instruction comme suit : " En ce qui concerne les MAG, l’ordre donné n’a jamais consisté à ne pas les prendre dans les véhicules mais bien de faire attention car il s’agit d’armes agressives et, dans la mesure où nous devions travailler de façon calme dans les checkpoints, il nous était demandé de ne pas les mettre en batterie sur les véhicules. Ce soir-là, je me souviens très bien avoir insisté auprès de ma compagnie sur le fait qu’il n’était pas question de laisser les MAG en arrière et qu’elles devaient partir avec les véhicules dans tous les déplacements effectués dans les camps où nous remplissions une mission ; en cas de besoin, les MAG étaient sorties. Pour moi, c’était évident. " (147b)

Selon le capitaine Marchal, lui aussi commandant de compagnie, l’ordre du commandant de bataillon était " qu’il ne voulait plus voir de mitrailleuses ". Après protestation, au dire du capitaine Marchal, les commandants de compagnie interprétèrent l’ordre littéralement : on conservait les mitrailleuses dans les véhicules, mais de manière à ce qu’elles ne soient pas visibles (148b). Une autre interprétation de cette instruction a-t-elle été à l’origine du fait que Lotin n’avait pas ses MAG avec lui le jour en question ? Ou était-ce la conséquence de l’absence des affûts nécessaires, comme le suggère le rapport du groupe de travail ad hoc ? (149b). Le colonel Dewez confirme la dernière hypothèse au cours de sa confrontation avec le capitaine Theunissen : " Les mitrailleuses ne pouvaient pas être montées sur les affûts parce qu’il manquait une pièce. J’avais demandé aux compagnies de me donner cette pièce puisqu’elles en avaient et que les Mortiers n’en avaient pas. Donc, il y avait plus de problèmes pour eux pour monter les mitrailleuses sur les jeeps qu’il n’y en avait au peloton Mortier, qui avait reçu ces pièces. " (150b) Selon le capitaine Lemaire, commandant de compagnie, des affûts furent installés dès le début (151b). Quoi qu’il en soit, la question se pose de savoir pourquoi, dans la nuit du 6 au 7 avril, quand l’alerte rouge fut lancée, le colonel Dewez ne retira pas son ordre selon lequel les mitrailleuses ne pouvaient être visibles.

Et bien que l’alerte rouge eût été proclamée et que, dans la nuit du 6 au 7 avril, de plus en plus de barrages routiers aient été dressés, les FAR déployant des blindés légers au moins deux AML , l’ordre ne fut pas donné, ou personne ne demanda l’autorisation au quartier général, de distribuer aux hommes les roquettes antichars de courte portée (LAW) et les munitions de mortiers. Elles restèrent au centre logistique Rwandex. Selon le colonel Dewez, il était précisément impossible d’aller les y prendre en raison des barrages et, de plus, à ce moment, " il n’y avait pas de motif de distribuer ces LAW " (152b). Ce n’est que les 15 et 16 avril que les LAW furent distribués, selon le colonel Dewez, " Les LAW ont été distribués plus tard, en fonction de l’évolution de la situation. Nous ne voulions plus être confrontés à la même impuissance que quand, le 7 au matin, nous avons été sous la menace d’AML . " (153b)

Le colonel Marchal affirme qu’une procédure existait au sein du bataillon en vertu de laquelle tous les cantonnements devaient être autonomes pendant plusieurs jours, notamment pour ce qui est des munitions. Il déclare n’avoir donné pour sa part aucune directive concernant le calibre des munitions. " C’est le commandant du bataillon qui a estimé qu’il ne fallait pas utiliser les LAW. " (154b) Pourtant, selon un des commandants de peloton, le lieutenant Lecomte, le secteur intervenait en permanence dans la distribution des munitions (155b).

Ces problèmes ne se limitaient apparemment pas à la distribution des armes et des munitions lourdes. La commission note un certain nombre de plaintes en ce qui concerne également l’armement léger.

Selon le lieutenant Lecomte, " il y avait un manque crucial de munitions pour chaque soldat puisque nous n’avions que 120 coups pour notre carabine, alors qu’en Somalie nous en avions 200. En outre, il nous était interdit d’utiliser nos armes automatiques, ce qui nous empêchait de réagir efficacement en cas d’accrochage . " (156b)

Sur la question de savoir si, indépendamment des problèmes qui se posaient, il y avait suffisamment de munitions disponibles à Kigali, les avis ne sont pas unanimes. Le caporal-chef Pierard répond par l’affirmative à la question de savoir s’il y avait encore suffisamment d’armes et d’autre matériel militaire pour continuer à être opérationnel à Kigali (157b). En revanche, le major Choffray qui, durant l’opération MINUAR, était responsable en tant que S3 des opérations à KIBAT II, affirme : " le bataillon disposait d’un armement et d’un personnel qui étaient déjà tout juste au niveau d’une opération " Peacekeeping ", mais ne disposait sûrement pas d’un personnel ni d’un matériel permettant de gérer une situation de crise " (158b).

La commission constate que le major Choffray n’a pas procédé, en tant que responsable des opérations au niveau du bataillon, à la distribution d’armes et de munitions supplémentaires. " On n’était pas encore dans une situation de crise et il n’y avait pas encore eu d’atteinte directe aux troupes de l’ONU " (159b), voilà le premier argument du major Choffray, qui est réfuté par la constatation que, dans la nuit du 6 au 7 avril, on a donné l’alerte rouge, ce qui montre bel et bien, selon la commission, que la situation était critique. " Nous y avons pensé ", déclare le major Choffray, " il fallait pouvoir les acheminer vers les cantonnements ... Nous ne disposions pas de véhicules pour forcer les barrages (...) . " (160b)

À la question de savoir pourquoi l’on n’a pas utilisé les CVRT ou les BTR à RUTBAT, le major ne donne pas de réponse claire (161b). " Ce n’est pas la question d’utiliser, mais bien de distribuer. Ces LAW n’ont pas été distribués et sont restés centralisés à Rwandex pour les raisons que je vous ai dites. Il était de toute façon hors de question de les utiliser dans une pareille situation. Par ailleurs, nous avons reçu la mission de reprendre les missions, comme s’il n’y avait rien eu, le lendemain " (162b) ; ces propos constituent le deuxième argument du major Choffray. La commission constate toutefois que les règles d’engagement comportent des procédures relatives à l’utilisation des armes, mais aucune procédure relative à leur distribution. Plusieurs officiers ont d’ailleurs réclamé ces munitions un peu après 11 heures, comme la commission peut du moins le déduire du " Journal de campagne KIBAT " et du " Carnet de veille " (163b). Les munitions seront finalement quand même distribuées, comme le dit le major Choffray. " Il a été décidé de les distribuer dans le courant de la journée. Question : À quelle heure ? Je ne peux pas vous le dire exactement, mais sans doute à la fin de l’avant-midi, dans la journée du 7. (...) Il en a été question et on a étudié le problème de leur récupération, parce qu’ils étaient tous centralisés au même niveau. Il y a d’ailleurs des véhicules du secteur qui, après les différents contacts entre le bataillon et le secteur, sont passés par Rwandex pour en récupérer " (164b), déclare-t-il. Toutefois, le S3 lui-même n’était pas convaincu de l’utilité d’utiliser les LAW, puisqu’il déclare ce qui suit : " Dans un premier temps, je sais que ces LAW auraient servi à dissuader. D’autres moyens pouvaient être employés si on devait, dans un premier temps, utiliser les armes. Il y avait donc une gradation. Jusqu’alors nous n’avions pas encore utilisé le fusil individuel " (165b).

Pour que le présent rapport soit complet, la commission renvoie à l’évolution de la situation en matière d’armement et de munitions, qui a été dépeinte dans l’aperçu suivant, qui figure dans le rapport du lieutenant-général G. Vanhecke, chef d’état-major de la force aérienne :

Le rapport Van Hecke (166b) stipule à ce propos :

" Le mandat manquait de clarté et permettait différentes interprétations du type de munitions autorisées. Il ne semblait pas exclure les mortiers et les armes lourdes. Le contingent belge est parti en opérations doté d’un armement et d’un équipement légers à l’exception de six véhicules blindés légers de type CVR-T. Les armes antichars de type MILAN furent emportées sans les missiles, le but étant de disposer de moyens performants de vision nocturne. Les deux véhicules CVR-T SCIMITAR ne disposaient pas de munitions pour les canons 30 mm. Le 19 janvier 1994, le commandant de KIBAT a demandé les munitions lourdes. Ce besoin a été réitéré par le major Guérin fin janvier 94 et par le commandant du Secteur Kigali le 14 mars 1994. La procédure pour livrer les munitions n’a été entamée qu’à la suite de la réparation des CVR-T, soit le 23 mars 1994. Le 1 er avril, le Centre opérationnel de l’état-major général annonçait l’arrivée des munitions avec l’avion du 20 avril 1994. Lors des évènements, nos casques bleus ne disposaient que d’un armement léger. La majorité des munitions était stockée à RWANDEX. Seule une dotation minimale individuelle était distribuée aux militaires. Partie ou totalité du basic-load n’était pas répartie dans les différents cantonnements. Dans ces conditions, la réserve de KIBAT II ne pouvait être engagée. "

La commission constate toutefois que l’insuffisance des armes et des munitions ne constituait pas le seul problème. Le matériel transporté au Rwanda était généralement usé. Les véhicules UNIMOG étaient rouillés, l’équipement de transmissions était incomplet, etc.

Le mauvais état des CVRT

À Kigali, KIBAT disposait effectivement de 6 blindés légers du type CVRT, mais il ressort de la quasi-totalité des témoignages sur la question que ces véhicules n’étaient pas opérationnels, car ils étaient dans un état déplorable et on manquait d’équipages formés à leur utilisation et de munitions adaptées.

Le chef d’état-major de la force terrestre, le lieutenant-Général Behrin, dit également clairement les choses : " Quant aux véhicules, je vais faire un commentaire qui sera peu agréable pour les hommes politiques. La Belgique est le seul pays occidental qui envoie ses hommes en opération avec un matériel roulant âgé de plus de vingt ans ". ... " Les unités qui partent dans une mission ONU emmènent leur matériel une fois pour toutes. Car il est difficile d’en changer à cause des procédures lourdes dues à la prise en charge par l’ONU. Les véhicules utilisés sont ce qu’ils sont, c’est-à-dire vétustes. Nous avons cherché à pallier leurs déficiences par des renforts en mécaniciens. " (167b)

Le rapport d’inspection du major Guérin, qui a été rédigé en janvier et a été examiné avec l’état-major le 7 février 1994, est lui aussi impitoyable à propos de l’état des CVRT : " Les véhicules sont très détériorés suite à la Somalie : suspensions grippées, corrosion, ... Le chargement des pièces de rechange dans des containers a été exécuté de façon hâtive et négligente : Mat fragile et coûteux écrasé, batteries retournées, ... Le Comd KIBAT a demandé au Det Jud d’ouvrir une enquête. " Dans le même rapport, le major affirme qu’il n’y a pas assez de spécialistes pour rendre ces véhicules opérationnels. Les MAG-COAX et les canons C 30 mm doivent être calibrés. Or, si les équipages sur place sont de bonne volonté, il leur est malheureusement impossible d’effectuer cette opération. En outre, selon lui, seulement trois CVRT sur six étaient en état de rouler. À la question de savoir quand il a su que trois CVRT sur six étaient hors d’usage, l’amiral Verhulst a répondu " Dès leur arrivée sur place " . (168b)

Il y avait pourtant possibilité, au sein du contingent, d’envoyer des chauffeurs et des canonniers spécialisés. L’amiral Verhulst a réagi à cette information en faisant la déclaration suivante : " C’est un reproche qu’on ne peut adresser au COps. La question pouvait se régler à un échelon inférieur. " (169b).

L’avis de l’amiral Verhulst sur les causes du mauvais état des véhicules est très clair : " Pour des raisons économiques, l’état-major de la force terrestre a proposé de faire transférer six véhicules de Somalie vers le Rwanda. Dix spécialistes ont été envoyés à Kismayio avec des pièces de rechange pour reconditionner les véhicules. Les blindés ont été transférés vers le Rwanda après réparation et essai sur route. Le rapport des spécialistes souligne que du point de vue de l’armement et des munitions, leur état était très bon. Comme ils n’ont pas été repeints, ils n’étaient pas beaux mais ils étaient opérationnels. Dès le 20 décembre, les logisticiens de la force terrestre ont demandé à la MINUAR ce qu’il était nécessaire de leur envoyer pour réparer les dégâts dus au transport. Il fallait une réponse avant le 21 janvier. Sept personnes sont parties le 21 janvier pour faire les réparations sur les véhicules du point de vue de la mobilité, et des spécialistes en armement sont partis pour effectuer des réglages autour du 21 février. Dès ce moment, ces véhicules étaient mobiles et aptes au tir. " (170b)

Le lieutenant-général Charlier, chef de l’état-major, n’avait pas conscience de ces problèmes non plus : " Les véhicules provenaient de Kismayo. Afin d’être certain de l’état des véhicules, le personnel qui les a reconditionnés devait les utiliser. Nous étions assurés ainsi que les véhicules étaient en ordre. Ce problème d’état des véhicules ne doit donc pas être pris en ligne de compte " (171b).

Alors que l’état-major et le C Ops à Evere étaient manifestement convaincus, depuis la fin février, que tout était pour le mieux en ce qui concerne les CVRT, les témoignages des officiers sur place contredisent cette conviction : Selon le major Choffray, " Les deux CVRT disponibles étaient effectivement à l’aéroport. On sait dans quel état ils étaient au niveau de l’équipage et de l’armement. Pour ces raisons, ils n’ont pas été utilisés " (172b) . Le colonel Marchal confirme : " Non, les CVRT n’étaient certainement pas dans le même état " (173b). Ils avaient un autre armement et d’autres munitions " (174b).

La question de savoir pourquoi l’état-major ou le C Ops n’ont pas complété le détachement avec des équipages spécialisés a été évoquée à plusieurs reprises au sein de la commission. Il y avait en effet juste assez de marge au sein du contingent pour envoyer ces hommes à Kigali.

Le lieutenant-colonel Briot réplique laconiquement à un commissaire, selon lequel il y a toujours une marge de 22 hommes supplémentaires, : " C’est un autre problème ". Le colonel Flament ajoute : " Dans mon rapport de reconnaissance, je disais également qu’il était indispensable je l’avais même souligné de prévoir un peloton de génie, que nous n’avons pas eu non plus " (175b).

La commission constate que ces véhicules chenillés étaient de type différent (quatre Spartans et deux Scimitars) et qu’ils n’étaient pas organisés comme une unité qui pouvait être engagée. Ces véhicules étaient destinés à transporter les autorités rwandaises et autres autorités et servaient plutôt de guérites blindées (176b). Les deux Scimitars ont été déployés à l’aéroport. Ils ne disposaient cependant pas de munitions. La commission constate en outre qu’on ne disposait pas de personnel entraîné, que les munitions adéquates faisaient défaut et que les véhicules étaient à peine en état de rouler.

Le nombre d’hommes et l’absence d’une réserve propre

La commission constate que l’envoi d’un contingent restreint, comptant 450 hommes au lieu de 600, a aussi des conséquences sur l’organisation d’une réserve propre, dans laquelle les CVRT peuvent jouer un rôle.

D’autre part, le colonel Marchal s’est rendu compte qu’avec un contingent de 450 hommes, il ne pouvait pas compter sur une réserve capable d’intervenir au niveau du secteur Kigali, en attendant l’arrivée de la QRF bangladaise. De là sa demande au C Ops de fournir des véhicules blindés supplémentaires, avec équipages.

Le colonel Marchal : " J’ai adressé ma demande au C Ops et je n’ai pas eu de réponse. Le 8 décembre, me rendant compte que la QRF ne serait pas là avant un ou deux mois, j’ai demandé des blindés pour constituer une réserve. Comme c’était en vain, je me suis senti abandonné et livré à moi-même. Cela m’inquiétait car il était important pour le bataillon de savoir qu’il allait disposer des munitions nécessaires. On pourrait effectivement penser que ma situation n’était pas concevable mais les documents en votre possession prouvent ma bonne foi. Le général Dallaire était d’ailleurs d’accord pour demander des blindés et des munitions car il estimait que tout renforcement était un plus. " (177b)

Le lieutenant-colonel Briot a confirmé l’existence d’un document dans lequel le colonel Marchal demandait à la Belgique de consentir un effort pour fournir des blindés et des troupes. Le lieutenant-colonel Briot a déclaré à cet égard : " Nous avons analysé sa demande. Nous avions le matériel et, bien sûr, le personnel instructeur . " (178b) Et le lieutenant-colonel Briot de poursuivre en déclarant qu’il a analysé la demande et a transmis son avis à son chef, le colonel Flament. Celui-ci ne s’en souvient toutefois pas, mais tous deux supposent que cette information a dû remonter vers le chef d’état-major. En ce qui concerne la réaction du chef d’état-major, le lieutenant-colonel Briot a déclaré : " Il s’agit d’une des conclusions de l’analyse menée. Nous avons les moyens techniques pour le faire, nous avons le personnel mais une limitation gouvernementale nous fixe un quota de 450 et, avec ce quota, nous ne pouvons pas le faire. " (179b)

C’est ce qu’a confirmé l’amiral Verhulst : " Dans le premier projet, celui dans lequel il était prévu d’envoyer 600 hommes, il avait aussi été prévu de les doter de 22 véhicules CVRT. Cette option n’a pas été reprise dans le plan prévoyant 450 hommes. Le général Dallaire était opposé à l’utilisation de véhicules blindés à chenilles. Ces véhicules ont, en effet, une apparence agressive et le général Dallaire ne voulait pas susciter de réactions négatives de la population alors que Kigali semblait vivre normalement. " (180b)

Cependant, la commission constate que l’ordre de bataille de KIBAT II n’a jamais compté 450 hommes. Le détachement belge auprès de la MINUAR a toujours compté entre 400 et 428 hommes au maximum, ce qui laissait une marge numérique de 22 hommes supplémentaires. La commission constate que le C Ops et l’état-major général d’Evere n’ont jamais fait état de la possibilité d’envoyer 22 militaires spécialisés pour équiper et entretenir les véhicules blindés.

Dans son témoignage du 28 mars 1997, le chef d’état-major Charlier a dit comprendre le problème de la réserve propre : " L’équipement dépend de l’effectif. Des CVRT ne suffisent pas pour renforcer la force mobile. Il faut aussi des équipages de pilotage des CVRT. Au Rwanda, nous avions juste de quoi occuper le terrain. Mon idée était de retirer, lors de la relève, une compagnie de fusiliers et de la remplacer par du personnel pour des opérations mobiles sur des véhicules blindés . " (181b)

Un mois plus tard, le chef d’état-major Charlier allait toutefois répondre à la question de savoir pourquoi cela ne s’était pas fait : " Cela aurait pu être fait, mais cela n’a pas été demandé par la Force . " (182b)

La demande du colonel Marchal du 8 décembre n’est-elle pas, en fin de compte, parvenue au chef d’état-major par l’entremise du lieutenant-colonel Briot et du colonel Flament ? Il est, en outre, étonnant que l’amiral Verhulst affirme avoir lui-même demandé l’autorisation au général Dallaire d’acheminer une réserve de véhicules blindés, alors qu’il affirme, par ailleurs, ne pas être en mesure de confirmer la demande du colonel Marchal (183b).

La commission constate néanmoins que, même avec les moyens particulièrement limités mis à sa disposition, KIBAT a constitué une réserve propre. Il s’agissait précisément du peloton Mortiers auquel appartenait le groupe Lotin, qui constituait la réserve du bataillon et qui devait assurer trois escortes permanentes (184b). Les événements du 7 avril allaient montrer que combiner des missions d’escorte de personnalités rwandaises et la constitution d’une réserve n’était pas une solution crédible.

Le rapport Van Hecke le confirme : " Au moment des événements, le bataillon belge ne disposait pas d’une réserve crédible. " (185b)

Absence d’une QRF opérationnelle et crédible

Comme son nom l’indique, la QRF (Quick Reaction Force) est une force d’intervention rapide qui devait être mobilisable sur l’ensemble du territoire Rwandais et se trouvait sous l’ordre direct du général Dallaire (186b). Au sein de la MINUAR, la QRF consistait en une compagnie (80 hommes) des forces armées bangladaises et était fournie par RUTBAT. Cette QRF disposait de 8 BTR, véhicules de transport sur roues, blindés et armés de mitrailleuses pour l’infanterie, de fabrication d’Europe de l’Est, provenant d’opérations antérieures en Mozambique.

Il ressort de quasi tous les témoignages que la QRF était confrontée à des problèmes tels qu’elle ne pouvait, à aucun moment, constituer une force capable de réagir rapidement et de manière efficace.

Dès leur arrivée le 4 décembre 1993, le colonel Marchal et le lieutenant-colonel De Loecker constatent les carences qu’avait déjà mises en évidence un mois plus tôt le lieutenant-colonel Kesteloot, membre de la mission de reconnaissance. " Question : Wanneer bent u in Kigali toegekomen, kolonel ? Op 4 december 1993, samen met de andere detachementen. ... De QRF moest een zeer mobiele eenheid worden, maar dat was precies een probleem bij de Bengalen. Op het ogenblik van hun aanduiding beschikten zij over geen enkel vervoermiddel. De voertuigen voor de QRF waren toen nog niet aanwezig. Men heeft moeten wachten tot begin februari om de opleiding van die eenheid te starten. Dat was op 7 februari. " (187b)

Cette arrivée tardive des véhicules nécessaires ne constitue pas la seule déficience. Aux dires de plusieurs témoins, il était extrêmement difficile de traiter avec les officiers et les hommes bangladais. Le colonel Marchal témoigne : " Le commandant du bataillon n’est arrivé que fin janvier et il avait donné instruction de ne pas exécuter d’ordres avant qu’il ne soit présent. J’ai néanmoins fait travailler les Bangladais mais ils l’ont fait avec des pieds de plomb. " (188b)

Le lieutenant-colonel De Loecker, qui était chargé de l’entraînement des soldats bangladais de la QRF, le confirme : " Bovendien was de stafchef van ons hoofdkwartier een Bengaal die, om het zacht uit te drukken, er helemaal niet van hield dat ik ter plaatse naar zijn landgenoten ging kijken. Hij gaf er de voorkeur aan dat ik op het hoofdkwartier bleef, op mijn stoel achter de telefoon bleef zitten en dat ik van daaruit de opleiding controleerde. " (189b)

Il ressort cependant de tous les témoignages que ces soldats bangladais ne pouvaient que bénéficier de l’entraînement qui leur étaient offert. Et le lieutenant-colonel De Loecker de déclarer : " Na 14 dagen opleiding was er al een achterstand van 13 dagen. Het eerste probleem was dat de chauffeurs die voertuigen niet konden besturen. Nochtans hadden zij ons verzekerd dat er zeer ervaren tankchauffeurs zouden overkomen, zodat ik erop vertrouwde dat wij na een dag reeds de baan op zouden kunnen. " (190b) Le colonel Marchal est lui aussi conscient de cet état de choses : " ... il n’y avait pas de mécaniciens et les chauffeurs devaient être formés. Il y avait donc des lacunes évidentes du côté bangladais. " (191b)

Même le général Dallaire, le " Force Commander ", convient que : " there simply was no credible military force within UNAMIR which could on the short notice required by the situation gather a sizable intervention force. " (192b)

Après la constatation que le personnel bangladais était non opérationnel, se pose au sein du contingent bangladais le problème du manque de véhicules, lesquels présentaient en outre de sérieuses déficiences. Le colonel Marchal déclare : " Cette force devait pouvoir intervenir n’importe où au Rwanda, mais la fiabilité des véhicules laissait à désirer. " (193b)

Le général Dallaire est très clair en la matière : " The original plan had called for 20 APC’s and 8 helicopters in order to allow for a company strenght Quick Reaction capability ... By the date of the incident, only 8 APC’s had been provided of which just 5 were serviceable. " (194b) ... " The APC’s had arrived in late Februari/early March without tools, spare parts, mechanics, manuals and with limited ammunition. The main weapon on the APC’s had never been test fired in Rwanda... The equipment limitations and their proficiency in using such systems was still below operational standards ". (195b)

La commission constate qu’en raison de tous ces problèmes, la QRF bangladaise n’était pas du tout opérationnelle et était tout à fait dénuée de crédibilité dans le cadre de la MINUAR. Ce qui s’est passé le matin du 7 avril est encore la meilleure illustration de la " valeur " de la QRF et de son influence au moment du dérapage de la situation. À 8.50 heures, les trois BTR de RUTBAT ont essayé de franchir un barrage. Ces trois BTR constituaient alors 60% des véhicules de la QRF. Le barrage était doté d’armes antichars. Ils informèrent le colonel Marchal qu’ils étaient bloqués. Ayant vainement négocié le passage, et après que les Rwandais eurent menacé d’utiliser leurs armes antichars, ils firent demi-tour. À compter de ce moment, il était évident pour le colonel Marchal que la MINUAR ne disposait plus de sa liberté d’action. Le colonel Marchal ajoute : " Non, les CVRT n’étaient certainement pas dans le même état. Ils avaient un autre armement et d’autres munitions. Question : Si vous les aviez eus, cela aurait tout changé ? Il est clair qu’en tant que responsable militaire, connaissant la valeur de l’élément bangladeshi, je n’aurais jamais demandé à ces gens de foncer et de faire sauter le barrage. D’ailleurs, le commandant de bataillon exigeait des ordres écrits de ma part pour faire bouger ces gens. Telle était la procédure. Il est clair que quand vous pouvez engager ce genre d’objectif avec un canon de 35 ou 30 mm, les choses sont en effet tout a fait différentes. Et cela, vous pouvez le faire de loin. " (196b)

Les officiers de la MINUAR ont-ils entrepris des actions pour répondre à cette déficience importante ?

Le lieutenant-colonel De Loecker, qui avait le plus de contacts avec le détachement de la QRF, déclare qu’il a maintes fois abordé le problème : " Ik heb dat uiteraard gemeld. Iedereen werd op de hoogte gebracht, tot en met generaal Dallaire zelf. ... Ik meld de informatie en wat de staf ermee doet is niet mijn taak, andere mensen moeten dit nader bekijken en een oplossing zoeken. Ik heb het probleem verschillende malen gemeld. Elke dag was er ’s morgens een coördinatievergadering op het hoofdkwartier en daar kwam het verloop van de opleiding van de QRF regelmatig ter sprake. ... Ik weet niet wat mijn oversten met mijn informatie deden. Ik meen mij te herinneren dat er regelmatig nota’s naar Brussel werden gezonden waarin men om bijkomende middelen vroeg. Die vraag bleef voor zover ik mij kan herinneren, zonder respons. " (197b)

Le colonel Marchal alerte alors le général Dallaire : " L’autre mesure a consisté à expliquer au général Dallaire que je ne pouvais faire face à mes missions ; je lui ai suggéré d’envisager la possibilité de demander le remplacement du Bengladesh par un autre pays. Question : À quelle époque a eu lieu ce débat entre M. Dallaire et vous à ce sujet ? Le 3 avril, après son retour de congé ... Donc, fin mars-début avril. Il m’a demandé de rédiger un document pour pouvoir réagir. J’ai donc rédigé un document à l’intention du général Dallaire, en décrivant toutes les limitations techniques et opérationnelles du bataillon bengladeshi. " (198b)

Il ressort des témoignages du colonel Flament et du lieutenant-colonel Briot que ces messages sont bel et bien arrivés à Evere. Lorsqu’un commissaire demande au colonel Flament à quel moment il a constaté, étant au C Ops, que la QRF n’était pas opérationnelle, il répond : " Au fil des semaines. ... C’était le problème du général Dallaire. " (199b) Le lieutenant-colonel Briot confirme les propos de son collègue : " Ce sont les Nations unies qui désignent le Bengladesh suivant des procédures bien connues d’après l’évolution géographique et les influences. Celui-ci a accepté de fournir le personnel mais n’avait pas les véhicules. Les Nations unies ont fait appel à différents pays pour trouver ces véhicules et le personnel de formation. " (200b) ... " L’état-major général a rapidement été conscient de la non-existence de la QRF. Le colonel Marchal, par un fax, nous a dit qu’il faudrait plus ou moins deux mois pour rendre les Bangladais opérationnels. Nous étions donc au courant. L’ONU devait trouver, en fonction de critères d’équilibre, les pays qui fourniraient des véhicules. Elle a fait appel à différents pays tant pour les véhicules que pour le personnel. " (201b)

Le C Ops n’était pas le seul à être au courant du problème. Les départements concernés en avaient également connaissance. L’incompétence du contingent bangladais fait l’objet d’une discussion au cours de deux réunions de coordination du Ministère des Affaires étrangères et du Ministère de la Défense nationale, auxquelles un représentant du Premier ministre était présent. Le déploiement du contingent autrichien est discuté plusieurs fois.

L’on a déployé les efforts nécessaires pour convaincre les Autrichiens, comme le montre le rapport concernant la visite que le ministre Delcroix a rendue le 18 février 1994 à son collègue autrichien de la Défense. Même après le 13 janvier, l’on a tenté d’amener l’Autriche à fournir rapidement une force de 150 à 200 hommes. Cependant, la commission constate que le but était de réduire proportionnellement le nombre de soldats belges, ce qui fait qu’il n’était pas question d’un deuxième contingent crédible.

La commission constate que toutes les autorités, tant militaires que politiques, tant en Belgique qu’aux Nations unies, étaient au courant de l’absence d’une QRF opérationnelle. La commission constate également qu’un certain nombre d’initiatives, tant militaires que politiques, ont été prises, mais qu’elles n’ont pas eu de résultat.

Les difficultés avec les autres contingents étrangers

" It will also be recalled, as stated in my report of 24 September 1993, that the projected strength of UNAMIR military personnel was to stand at 1,428 by the end of phase I and to reach a peak, at the end of phase II, with a total of 2,548 all ranks. As of 22 March 1994, UNAMIR had a strength of 2,539 military personnel, from the following 24 nations : Austria (15), Bangladesh (942), Belgium (440), Botswana (9), Brazil (13), Canada (2), Congo (26), Egypt (10), Fiji (1), Ghana (843), Hungary (4), Malawi (5), Mali (10), Netherlands (9), Nigeria (15), Poland (5), Romania (5), russian Federation (15), Senegal (35), Slovakia (5), Togo (15), Tunisia (61), Uruguay (25) and Zimbabwe (29). These figures include the 81 military observers serving with the United Nations Observer Mission Uganda-Rwanda (UNOMUR). " (202b)

Il ressort de divers témoignages que le malaise au sein de la QRF reflétait celui de l’ensemble du contingent RUTBAT, et même celui des autres détachements étrangers.

Le chef de l’état-major, le lieutenant-général Charlier, a déclaré au sujet de RUTBAT : " On s’est très rapidement aperçu que les militaires du Bangladesh n’étaient pas en mesure d’assurer leur mission. Cela allait jusqu’au refus d’obtempérer. C’est pourquoi nous avons envisagé d’obtenir un renforcement de KIBAT. À l’époque, mon opinion était qu’il fallait obtenir les renforts autrichiens ou se retirer. Les discussions se sont éternisées. " (203b) L’amiral Verhulst a souscrit à ce point de vue : " C’est donc dans l’action que nous avons constaté que les Bangladais refusaient d’obéir aux ordres. Nous estimons donc qu’il est nécessaire d’avoir l’appui d’une autre nation disposant de troupes équipées et bien entraînées pour ce genre d’opérations. " (204b)

Le problème des Ghanéens était d’un tout autre ordre. Le contingent ghanéen était composé d’hommes bien entraînés, mais ils n’étaient pas en possession du matériel requis.

Quant aux autres contingents étrangers, on peut lire à ce sujet le témoignage inquiétant du général Dallaire : " In addition the Bangladeshi battalion was under-equipped, the Ghana Battalion deployed into the country in January and February without their equipment which was yet to transit by sea. The 60 man Tunisian Company, which was a well-led, trained and disciplined force, possessed no integral vehicles, communication equipment or logistics capability. Medical, logistics and engineering assets were similarly poorly equipped and supplied. " (205b)

Le colonel Marchal a témoigné devant la commission qu’il en avait parlé avec le général Dallaire, mais que " Il était assez délicat de solliciter le remplacement des Bengladeshis pour incompétence alors qu’à cette époque le Bengladesh avait mis 15 000 Casques bleus au service de l’ONU. Le Conseil de sécurité n’aurait certainement pas accepté, puisque c’était un fournisseur de troupes. " (206b)

L’état-major à Evere a été mis au courant de la situation désastreuse d’une partie de nos partenaires militaires au Rwanda dès le 31 décembre 1993, au moyen d’une note du SGR : " Toutes les troupes (...) qui font partie de cette mission ONU sont arrivées, mais pour la plupart elles sont très mal organisées, hormis les Belges (...). Les détachements des autres nations sont très mal équipés ; ils ne sont pas opérationnels, certaines troupes sont venues presque sans armements ! " (207b)

Le colonel Marchal répète ce constat dans un rapport qu’il fait parvenir le 28 janvier 1994 au C Ops à Evere : " Je dois reconnaître que notre partenaire au sein du secteur Kigali n’est pas fiable. " (208b)

La commission constate qu’en Belgique et au sein des Nations Unies, les autorités militaires et politiques étaient informées du caractère non opérationnel de plusieurs contingents étrangers. Le détachement bangladais (RUTBAT) avait reçu une mauvaise formation et, en outre, il était réticent à se soumettre aux ordres des supérieurs hiérarchiques de la MINUAR. Les autres détachements étrangers étaient fiables quant à eux, mais ils ne disposaient généralement pas des véhicules, des moyens de communication et du soutien logistique nécessaires pour pouvoir être opérationnels.

La dispersion des cantonnements

Au cours de la mission de la MINUAR, la situation des cantonnements du KIBAT II est restée inchangée. Les troupes belges étaient réparties entre 14 cantonnements, dont certains ne disposaient que d’une section ou d’une équipe de quelques militaires.

Une série de témoignages montrent que cette forte dispersion a eu des répercussions sur la possibilité d’engager les troupes, sur la sécurité, et sur la constitution d’une réserve propre au détachement belge.

Pourtant, et le colonel Leroy (KIBAT I) et le colonel Dewez (KIBAT II) ont insisté auprès du général Dallaire pour que l’on réduise le nombre de cantonnements et que l’on regroupe les troupes belges. Le capitaine Theunissen en témoigne comme suit : " En ce qui concerne le regroupement des cantonnements, avant le départ de la mission, ici en Belgique, on a reçu un briefing général de la MINUAR. Je lis : " localisation des cantonnements : actuel 1 para très dispersé - projet 2-CODO il s’agit du colonel Dewez " centralisation des cantonnements : un par groupe " il y avait trois groupes, une compagnie c’est un groupe, " un groupe en ville, avec deux cantonnements, un cantonnement à l’aérodrome et un cantonnement à " Don Bosco " cela c’est la quatorzième compagnie. Telle était donc l’idée du colonel. Mais je sais qu’il a subi des pressions pour conserver la dispersion parce qu’il fallait une présence en ville. Question : de la part de qui a-t-il subi des pressions ? ... C’était probablement Dallaire ". (209b)

L’amiral Verhulst confirme l’existence de divergences de vues entre l’état-major général à Evere et le Force Commander en ces termes : " L’état-major général voulait le plus possible réduire les cantonnements. Le général Dallaire, quant à lui, souhaitait disperser les troupes dans la ville afin de favoriser l’information et les contacts avec la population " (210b).

Dans son rapport d’inspection, le lieutenant-général Uytterhoeven signale que, pour diverses raisons, la dispersion des cantonnements participait d’une décision logique : " en ville + de l’hygiène + durée de la mission + saison des pluies + disponibilité de bâtiments en dur (hangars et maisons) ". Le lieutenant-général Uytterhoeven a affirmé que la dispersion des cantonnements était également inspirée par le souci d’assurer la sécurité des compatriotes : " Il fallait également tenir compte du fait qu’une éventuelle évacuation nous obligeait à pénétrer dans la ville. Le cantonnement d’un peloton dans la ville procurait d’une part un sentiment de plus grande sécurité et pouvait d’autre part faciliter une éventuelle évacuation. " (211b). Le général confirme par ailleurs que le Force Commander approuvait cette décision (212b).

Ce sont les militaires belges sur le terrain qui ont constaté quotidiennement que cette forte dispersion limitait sensiblement leurs possibilités d’action militaires. Deux commandants de compagnie en témoignent.

Voici ce qu’en dit le capitaine Marchal : " Il suffit de voir la manière dont le bataillon était réparti dans Kigali pour comprendre que les principes de l’art militaire n’étaient pas respectés ". (213b)

Voici l’avis du capitaine Lemaire : " Or , moi, quand je suis venu en janvier, la première chose qui m’a effrayé je pense que nous étions tous dans le même cas au 2-CODO était la dispersion du bataillon dans la ville. D’ailleurs, c’est un des éléments qui fera que d’office, au départ, le bataillon était inopérationnel, parce que nous étions chaque fois en position de faiblesse par rapport à un ennemi éventuel, puisque nous étions fractionnés. Quand nous avons discuté sur place du problème de la dispersion, on nous a bien sûr expliqué les problèmes de location au niveau ONU, mais on nous a parlé également d’un problème de confort, en disant qu’en Afrique, il faut du confort. Il est évident que pour nous, la priorité c’était d’abord la sécurité ". (214b)

Le S3 du KIBAT, le major Choffray, confirme les choses en ces termes : " La situation eût été plus facile, si nous avions été centralisés. ... L’intervention de KIBAT pour mener une opération n’était pas réalisable. Les cantonnements étaient trop dispersés, mal protégés et vulnérables ". (215b)

Le lieutenant-colonel Leroy déclare qu’en cas de troubles majeurs, il fallait 75 hommes pour garder les cantonnements : " En cas de manifestation, une partie des hommes affectés aux activités logistiques abandonnent celles-ci pour faire la garde des cantonnements. En cas de troubles majeurs, ce sont les 75 personnes de la logistique qui interviennent. " (216b)

Le colonel Dewez impute l’absence de réserve notamment à la dispersion importante des cantonnements : " Les cantonnements étant relativement dispersés, le peloton de réserve n’était pas entièrement disponible, puisqu’il fallait toujours laisser des sentinelles pour la protection du camp ". (217b)

Les signaux relatifs à ce problème ont-ils atteint le C Ops et l’état-major général à Evere et, si oui, quelles mesures a-t-on prises ?

Le 3 décembre 1993, le commandant du KIBAT I, le colonel Leroy, a envoyé une note au C Ops à Evere dans laquelle il proposait, pour des raisons de sécurité, de réduire le nombre de cantonnements à 5. Sur ce, le C Ops a envoyé, le 6 décembre 1993, un rapport à l’état-major général (JSO-P), dans lequel il affirmait qu’il n’y voyait aucune objection (218b).

Le 19 décembre, le colonel Marchal a adressé un rapport au C Ops, dans lequel il mentionnait que les problèmes relatifs aux cantonnements n’étaient toujours pas résolus (219b).

Le 31 décembre, une information du SGR signalait que l’un des problèmes principaux auxquels les casques bleus belges étaient confrontés était celui du logement (220b).

Le rapport du major Guérin du 31 janvier 1994 traite de manière approfondie le problème des cantonnements. Son jugement est sévère et ses recommandations à l’état-major général sont très claires : " Par volonté du Comd Force et par manque de logements gratuits, le Bn a réparti ses moyens entre 14 Cant, certains n’étant occupés que par une Sec ou une Eq (Heli, CVR-T, Med). Sur le plan de la sécurité, cette dispersion est dangereuse en cas de troubles. Les unités isolées pourraient se retrouver otages de l’un ou l’autre parti.

Le Comd KIBAT II a l’intention de regrouper ses moyens par Cant de Cie. Vu les frais de location et la rareté des habitations disponibles, il serait souhaitable d’importer ou de construire des containers. Les moyens locaux (ATS Don Bosco, menuiseries locales) permettraient une construction sur place par de la main-d’oeuvre locale. Une étude détaillée des besoins sera fournie par le Comd KIBAT II lors de sa visite du 3 février 1994 à JSO-P.

Quelle que soit la solution choisie, il est URGENT de fournir au Pl qui campe sur l’aéroport des moyens pour améliorer la salubrité de son Cant :

1. SIX grandes tentes pour remplacer les tentes FR actuelles

2. Aérosol anti-moustiques à pulvériser par Heli AIII sur les marécages avoisinants. "

Une série de rapports du C Ops qui datent de la période allant du 3 février au 24 mars 1994 ont montré que l’on préférait placer une série de cantonnements dans des modules à construire soi-même (Kigalodge). L’objectif était de ramener le nombre de cantonnements de 14 à 10. Le 24 mars, le plan Kigalodge a été communiqué. Cependant, le lieutenant colonel Leroy a constaté, dans un rapport du 30 mars 1994 qu’il a adressé à l’état-major général, que les militaires belges étaient toujours confrontés à d’énormes problèmes de logement. Kigalodge ne sera finalement jamais construit (221b).

Les autorités politiques étaient-elles informées du problème des cantonnements et des conséquences de celui-ci sur la sécurité de nos troupes et sur la possibilité de les engager ?

Le chef d’état-major Charlier confirme que le problème a été abordé avec le cabinet du ministre de la Défense : " Le colonel Marchal m’en a parlé au début du mois de décembre. Il m’a dit qu’il pouvait résoudre le problème du logement s’il obtenait un budget. J’ai répondu qu’il l’obtiendrait et j’en ai prévenu le cabinet du ministre. Il a reçu l’argent. Quelques jours plus tard, il m’a retéléphoné et je lui ai dit de procéder aux locations. Il a reçu l’assurance qu’il aurait l’argent durant la première semaine de décembre. Il avait estimé le besoin à 5 millions de francs belges ". (222b)

La Défense nationale s’est déclarée d’accord pour octroyer plus d’argent pour un meilleur logement.

La commission constate que, dès décembre 1993, les autorités militaires de l’ONU et la Belgique étaient informées du problème de logement des Casques bleus belges et ont rassuré les autorités civiles. Ce n’est que quatre mois plus tard, le 24 mars 1994, que l’état-major général parvient à communiquer un calendrier pour la construction de Kigalodge. Au moment où la crise éclate, le KIBAT est toujours dispersé entre 14 cantonnements et cette dispersion sera l’un des facteurs déterminants de l’absence d’intervention.

La mise au point laborieuse du plan d’évacuation et l’absence de scénario catastrophe

La commission fait quatre constatations importantes concernant ce problème. D’abord, l’absence de plan d’évacuation opérationnel, avant mars 1994, ce plan n’a toutefois pas été finalisé au niveau de KIBAT. Puis le fait que KIBAT et ses différentes compagnies n’étaient absolument pas préparés à un scénario de crise. Ajoutons-y une grande confusion quant aux éventuels groupes cibles d’un plan d’évacuation et, enfin, les mauvaises communications sur ce plan entre Kigali et l’état-major général d’Evere.

Le colonel Balis a été chargé par le général Dallaire de dresser un plan d’évacuation, bien qu’en fait, cela relevât selon lui de la compétence du collègue bangladais. Cette mission lui a été confiée à la mi-février 1994. " Pas nadat ik samen met de h. Booh Booh naar Mulindi geweest ben, kreeg ik de nodige inlichtingen en stelde ik het evacuatieplan op. Het is dus onrechtstreeks mijn verantwoordelijkheid geworden. Ik vatte het plan op als een zeer klassiek militair manoeuver in verschillende fasen. De eerste fase bestond in het verzamelen van de vreemdelingen in de verschillende provinciehoofdsteden, ze naar Kigali te brengen en vervolgens de militairen met een systeem van inkrimpende perimeters naar de luchthaven te brengen en ze uit Rwanda te verwijderen.

De dringende reden voor het evacuatieplan was het feit dat ik op 4 of 5 maart met de h. Booh Booh, die de plaatselijke politiek verantwoordelijke was van UNAMIR, naar een vergadering ben geweest in Mulindi. " (223b)

Ce plan ne partait toutefois pas d’un scénario catastrophe, ce qui se révélera ultérieurement être sa plus grande faiblesse : " Onze basishypothese was wel dat wij niet in een vijandelijk milieu zouden opereren. We verwachtten niet dat men ons zou viseren, maar dat UNAMIR zich zou kunnen terugtrekken in een neutrale of beter gezegd semi-neutrale sfeer " (224b).

La principale critique relative au plan émane du commandant de secteur, le colonel Marchal, qui a quand même une certaine expérience de l’Afrique et qui dit, sur un ton très tranchant : " J’ai l’expérience pour les évacuations. En 1978, j’ai déjà opéré à Kolwezi. Le général Dallaire n’avait aucune expérience en la matière. Le 1 er avril, nous avons " briefé " la communauté des expatriés, non seulement les Belges mais également les autres. Les Français voulaient être certains que le plan d’évacuation leur convenait. Après discussion et légère adaptation, ils ont marqué leur accord sur ce plan " (225b). Un commissaire lui ayant demandé si ce plan avait finalement été mis à exécution, il répond laconiquement " non ".

Il ressort de différents témoignages que ce plan d’évacuation n’existait que sur papier, mais qu’il n’a jamais atteint les commandants de compagnie sous la forme d’un ordre opérationnel. Le capitaine Theunissen affirme qu’au niveau de la compagnie, rien n’était prévu concernant un plan d’évacuation de la MINUAR (226b).

Le chef des opérations de KIBAT, le major Choffray, confirme également qu’il n’existait pas de plan de regroupement et que KIBAT II ne s’est jamais exercé au regroupement des effectifs en cas de difficultés " (227b).

La commission constate qu’il s’est produit à propos de ce plan d’évacuation de sérieuses difficultés de communication entre le commandant de secteur, le colonel Marchal, et le commandant de bataillon, le colonel Dewez. En réponse à la question répétée de la commission quant à savoir pourquoi ce plan d’évacuation n’avait jamais été finalisé à l’échelon des bataillons, nous notons les témoignages suivants. L’amiral Verhulst : " Je ne peux pas répondre à votre question. C’est le colonel Marchal qui était responsable de la diffusion de l’information sur le plan d’évacuation. Posez-lui la question " (228b). Le colonel Balis s’étonne, lui aussi, de ce manque de communication : " Daaruit kan ik alleen afleiden dat het plan dat naar mijn weten is gestuurd naar de verschillende ondergeschikten van het hoofdkwartier van UNAMIR namelijk voor de sector Kigali naar kolonel Marchal, naar de sector DMZ of de gedemilitariseerde zone waar een Ghanese kolonel de chef was en naar de sector UNMO ; die zich uitstrekte over gans Rwanda wel degelijk is ontvangen. Zij hebben het bovendien " ter lezing gekregen " wat wil zeggen dat zij het met hun opmerkingen moesten terugsturen. Afgezien van enkele details, waren er geen opmerkingen. Het zou mij dan ten zeerste verbazen dat zij dit rapport dan niet ter kennis gebracht hebben van hun ondergeschikten. Dat is immers de normale stafprocedure " (229b).

Le colonel Marchal donne sa version des faits : " En fait, le plan d’évacuation des expatriés avait été minutieusement coordonné par l’ambassade de France, en collaboration avec l’ambassade de Belgique. De mon coté, le 1er avril, j’avais donné un briefing à tous les responsables belges de secteurs en ce qui concerne le plan d’évacuation. Ce plan à nécessité quatre mois de préparation et de coordination. Dans ce domaine-là, on n’improvise pas : ce n’est pas au moment où l’on est confronté à la situation que l’on réfléchit. Je me suis rendu compte, de façon tout à fait fortuite, que KIBAT ne semblait pas au courant du plan d’avacuation : il connaissait le plan, mais pas son mécanisme. Le plan consistait à rassembler les expatriés à divers endroits, à les évacuer le long de deux itinéraires qui devaient être protégés par les troupes de la MINUAR, vers l’aérodrome. Cette évacuation a débuté par une évacuation sauvage, sans la mise en place d’aucun dispositif particulier. C’est sur ce point que nous étions en désaccord, le colonel Dewez et moi-même.

Les conséquences pouvaient être dommageables pour la sécurité des expatriés, car nous ne leur garantissions pas une structure sûre sur le plan de l’encadrement du rassemblement " (230b).

Les faits, tels que le capitaine Lemaire, commandant de compagnie, les rapporte, montrent que l’exécution du plan catastrophe ne marchait pas bien : " Je pense que c’est le 9, on nous a dit que nous pouvions commencer l’évacuation des expatriés, alors qu’à cette date, ils étaient déjà aux trois quarts rassemblés " (231b).

Dans son rapport du 16 novembre 1994, le lieutenant-général Uytterhoeven a confirmé que le plan d’évacuation n’a pas été appliqué. Une grande partie des expatriés avait déjà été regroupée et il ne restait qu’à réunir des informations auprès des personnes encore sur place et à organiser ensuite, à partir des divers cantonnements, une évacuation, sous escorte militaire, vers l’aéroport (232b).

Abstraction faite de la constatation que ce plan d’évacuation n’était pas ou presque pas opérationnel, il y avait la question de savoir quels étaient les groupes cibles d’une éventuelle évacuation.

Le colonel Balis a interrogé le général Dallaire à ce propos : " Ik vroeg hem of ik ook moest voorzien in de evacuatie van de " expatriés ", de vreemdelingen in Rwanda. Hij moest die vraag op zijn beurt stellen aan het hoofdkwartier in New-York ... Het ging wel degelijk enkel om niet-Rwandezen. Door omstandigheden heb ik generaal Dallaire tweemaal expleciet gevraagd of Rwandezen ook mochten worden geëvacueerd als ze in gevaar waren. Hij antwoordde formeel dat de bevelen van New-York " no locals " luidden. Er mochten dus geen Rwandezen geëvacueerd worden. " (233b)

Même en ce qui concerne l’évacuation des expatriés, la position du Force Commander était ambiguë. Voici ce qu’en dit l’amiral Verhulst : " En cas de complications, l’ONU avait prévu d’évacuer son propre personnel. Le " Force Commander " marqua son accord pour que l’on procède également à l’évacuation des expatriés. Contrairement au colonel Marchal, il ne souhaitait pas que cela figure dans le plan d’évacuation officiel. Le colonel Marchal espérait pouvoir infléchir le point de vue du général Dallaire. Il était prévu de faire intervenir la délégation belge auprès de l’ONU, si nécessaire.

Le général Dallaire souhaitait que l’évacuation complète des expatriés soit achevée dans les quatre jours. Le colonel Marchal demandait s’il devait suivre les instructions des Nations unies ou celles de la Belgique, si ce délai n’était pas respecté. Le colonel Marchal a reçu deux lettres et un fax. Il est stipulé dans le rapport du Secrétariat général de l’ONU du 24 septembre 1993, que le mandat de l’ONU n’est pas limitatif. Les expatriés étaient couverts par le mandat de l’ONU. Cela a été confirmé par l’ambassadeur à Kigali. En cas de catastrophe, la MINUAR devait protéger les expatriés. Le général Dallaire reconnaît donc que l’évacuation des expatriés fait bien partie du mandat de la MINUAR et, dès lors, que la réponse de l’état-major général au colonel Marchal correspond à la réalité " (234b).

Se pose enfin la question capitale de savoir si le colonel Marchal a aussi informé l’état-major général à Evere de cette carence et si ce dernier a envisagé ou entrepris des actions.

Après la manifestation du 8 janvier 1994, le colonel Marchal est parvenu à la conclusion qu’il se pouvait que la situation devînt incontrôlable et qu’il était urgent de mettre au point un plan d’évacuation et un scénario catastrophe. Au point nº 5 d’un rapport qu’il a adressé au C Ops le 15 janvier 1994, le colonel Marchal fournit la précision suivante : " Ce point est secret et a été transmis via le STU II et SECURE. Je demande une réponse rapide sur ce point . " Le contenu de ce message a été transmis par communication téléphonique cryptée. Le colonel Marchal demandait, dans ce message, de plus amples directives en cas d’événements graves et d’une nécessaire évacuation. " Ben ik verplicht de VN bevelen te volgen of moet ik een Belgisch standpunt innemen en verder landgenoten evacueren ? (onder Belgische muts i.p.v. blauwe). Ik vraag dringend antwoord. Situatie kan basculeren. Duidelijke richtlijnen " (235b).

Le colonel Marchal fit le témoignage suivant devant la commission : " En ce qui concerne le statut, ma première demande remonte au 15 janvier. Elle porte sur les conséquences d’une dégradation de la situation et de l’accroissement du danger pour nos expatriés et même pour la communauté des expatriés. La manifestation du 8 janvier m’a inquiété, car le mouvement de foule était non maîtrisable. J’ai alors essayé d’exprimer mon inquiétude en demandant des directives au cas où la situation devrait encore s’aggraver. Je n’ai jamais obtenu de réponse à ma demande du 15 janvier. À la mi-mars, je suis allé trouver l’ambassadeur et lui ai expliqué que j’avais demandé des directives mais qu’aucune réponse satisfaisante ne m’avait été fournie. J’ai souhaité qu’il intervienne via le Ministère des Affaires étrangères pour mettre ce point à l’ordre du jour de la réunion du jeudi suivant, à Bruxelles.

Le 20 mars, j’ai confirmé la teneur de nos entretiens et de mes préoccupations à l’ambassadeur. Il était temps que Bruxelles se préoccupe du problème. Je me demandais si, en cas de problèmes, il convenait de garder mon béret bleu ou de remettre mon béret belge pour avoir une attitude nationale.

Je crois avoir fait preuve de responsabilité en avertissant les autorités sur la situation que je prévoyais et qui malheureusement s’est présentée quelques jours plus tard.

J’estimais que les problèmes posés était importants pour la sécurité du détachement. J’étais commandant ONU mais aussi Belge. Ma mission m’imposait en outre de préserver la sécurité des expatriés belges " (236b).

Le 15 janvier, le C Ops a répondu à la demande du colonel Marchal par un message qui précisait la portée du mandat. À la question d’un commissaire qui désire savoir si le colonel Marchal avait reçu ce message, celui-ci répond comme suit : " Oui, mais il n’était pas satisfaisant. Le fond du problème était différent. Je voulais savoir ce qu’il convenait de faire, si l’évacuation se passait mal. C’était un problème de statut.... À la suite de la manifestation du 8 janvier, je me suis rendu compte qu’on n’avait pas les moyens pour faire face à cette situation de crise.... Je voulais recevoir des directives pour savoir ce que je pouvais faire, en cas de trouble, pour évacuer les expatriés. Les évacuations précédentes se sont toujours déroulées convenablement mais, cette fois, je n’étais pas convaincu des résultats. Le propre d’un responsable est de prévoir les cas de force majeure " (237b).

La commission constate qu’il y a eu également des discussions au cours desquelles le colonel Marchal a insisté pour recevoir des directives spécifiques applicables dans un scénario de crise. Un commissaire a demandé si l’on avait examiné la possibilité de remplacer un béret bleu par un béret vert au cas où se produirait un tel scénario.

L’amiral Verhulst a répondu à cette question de la manière suivante : " Il n’y a pas eu de réponse écrite, mais il y a eu des discussions entre l’état-major général et le colonel Marchal dont je ne connais pas la teneur. Je ne comprendrais pas d’ailleurs que le colonel Marchal n’en ait pas parlé au chef d’état-major... La possibilité de changer de béret était implicite dans la priorité donnée par le chef d’état-major au commandant de KIBAT d’assurer la sécurité de son personnel " (238b).

La commission constate que le colonel Marchal n’a jamais obtenu de réponse satisfaisante à ses questions.

La question d’une évacuation éventuelle des expatriés n’a pas été mentionnée seulement dans les messages et les discussions entre le secteur Kigali et l’état-major général. Le rapport Uytterhoeven du 25 février 1994 la mentionne lui aussi explicitement.

" Évacuation de la communauté des expatriés.

Bien que cette évacuation soit à présent intégrée au plan général d’Evac de l’UNAMIR, la question se pose de savoir quelle doit être l’attitude du Det (Be) UNAMIR si cette Evac ne se passe pas comme prévu et que des expatriés de la communauté belge ne peuvent pas être évacués avant le départ des Tp de l’ONU ?

D’autre part, en cas de départ anticipé de l’UNAMIR, la communauté des expatriés se trouvera sans protection extérieure. Quid de la présence Be ? " (239b)

Après les événements dramatiques des 6 et 7 avril, KIBAT se trouvait dans un scénario catastrophe auquel il n’était pas préparé. La discussion et la contradiction, que l’on avait déjà remarquées à la suite de la manifestation du 8 janvier, ont été manifestes au cours des jours qui suivent le 7 avril. Dans un télex du 9 avril, le colonel Dewez a fait rapport au C Ops à Evere de l’entretien qu’il a eu avec le général Dallaire. Il appert de ce télex que le général Dallaire a une fois de plus interdit aux Casques bleus belges de participer à l’opération d’évacuation. Cela a manifestement fortement déçu le colonel Dewez qui a déclaré ce qui suit : " si New-York ne modifie pas le mandat, nous ne pouvons participer à cette ops et devrons donc nous même faire partie du pers MINUAR à évacuer et non des unités évacuant (...). (...) l’humiliation de devoir répondre sans cesse aux compatriotes qu’on ne pouvait quasiment rien faire (...). Je demande instamment que la Belgique contacte New-York pour demander soit de changer notre mandat, soit de nous permettre de quitter la MINUAR et de repasser sous ctl BE et faire ops avec collègues FR en BE. " (240b).

La commission constate qu’il y avait, au niveau de l’ambassade belge, un plan d’évacuation des civils et que des expatriés avaient des contacts téléphoniques avec l’ambassade. Nombre d’expatriés ont été évacués individuellement après avoir demandé à l’être à l’ambassade. La commission constate aussi que, sur le plan militaire, les autorités de Kigali et d’Evere étaient au courant du manque de crédibilité militaire du plan d’évacuation et du manque de directives claires à l’intention des commandants de compagnie et des commandants de peloton pour le cas d’un scénario catastrophe.

La préparation de KIBAT II

La commission constate que la préparation de KIBAT II différait entre autres de celle de KIBAT I dans la mesure où l’accent était mis constamment sur la nécessité de prévenir la répétition des indisciplines de KIBAT I. On exhortait Kibat II à adopter une attitude moins agressive, à n’utiliser les armes qu’avec l’autorisation d’en haut.

Le capitaine Lemaire témoigne :

" Le briefing comportait quatre aspects. Il y avait la limitation du mandat et le fait d’éviter la répétition des indisciplines commises par la 1 Para. Ensuite on nous a demandé d’éviter les attitudes agressives envers les Rwandais et on nous a signifié que des autorisations étaient nécessaires pour utiliser les armes.

Je peux résumer le message comme suit : " Vous êtes en quelque sorte ici comme observateurs... "

On nous a dit que le risque, pour nous, était limité. Jamais on ne nous a parlé de risques directs pour les Belges et la MINUAR, sinon je n’aurais pas autorisé les sorties le soir " (241b).’’

En outre, la commission constate qu’il y avait une grande confusion concernant les ROE au cours de la préparation de KIBAT II. Nous n’approfondirons pas la question des règles d’engagement dans le présent volet, étant donné qu’un chapitre entier y sera consacré.

Enfin, la commission constate que la préparation en général était plutôt défectueuse et sommaire, comme le montrent les témoignages reproduits ci-dessous.

La combinaison des expériences en Somalie avec les problèmes disciplinaires de KIBAT I a provoqué une réaction disproportionnée, qui a amené l’état-major général à Evere à décider de donner une autre préparation à KIBAT II.

Le lieutenant-général Charlier affirme que c’est la conclusion essentielle qu’il a tirée de l’opération KIBAT I : " Le rapport du lieutenant-général Uytterhoeven fait le constat de ces difficultés. Il en est résulté une modification de l’entraînement du deuxième Codo. Les problèmes de discipline du premier bataillon étaient la conséquence de son retour de Somalie où il avait connu un univers totalement autre. L’entraînement différent donné au deuxième bataillon Codo consistait notamment à expliquer qu’il s’agissait d’un autre mandat et qu’il fallait éviter les incidents. Il ne s’agissait nullement d’apprendre à mieux se défendre, mais bien de s’inscrire plus parfaitement dans un mandat de maintien de la paix en milieu urbain. (...) Le deuxième Codo a aussi participé à la mission en Somalie. Il y avait de toute façon des leçons à tirer. Mais assurer la sécurité fait partie de l’entraînement de base " (242b).

D’après le commandant de bataillon Dewez, l’on a informé suffisamment et convenablement les hommes sur la nature de leur mission : " Je vous ai dit qu’un cours a été donné, dans la salle de musique, à tous les gradés, jusqu’au niveau de chef de peloton. Dans ce cours, j’ai assuré la première partie et j’ai expliqué le fonctionnement général de l’ONU, des opérations de paix etc. Ensuite, le capitaine Choffray a poursuivi avec, notamment, les règles d’engagement. À l’issue de ce briefing, un document a été distribué à chaque compagnie... Ensuite, la mission de chaque compagnie consistait à transmettre ce briefing au sein de la compagnie vers les pelotons... Un autre jour c’était au camp de Vogelzang j’ai rassemblé les compagnies donc tous les soldats et je leur ai donné un briefing d’une heure environ.

Lors de ma première audition, je vous ai donné une photocopie de ces notes extraites de mon petit carnet noir. Vous constaterez que j’indiquais que la mission allait être difficile et qu’il ne s’agissait pas du tout de vacances. Je n’ai jamais dit aux hommes qu’ils allaient en vacances ; je vous ai expliqué l’autre jour que ce bruit s’était certainement répandu entre eux en raison de la comparaison avec la Somalie. À Kigali la vie était " normale " si je puis dire certes pas comme à Bruxelles , mais ils pouvaient sortir, aller au restaurant le soir, ils pouvaient aller nager à la piscine du Méridien " (243b).

Le colonel Dewez concède néanmoins que les renseignements qu’il avait reçus de l’état-major général à propos de la situation au Rwanda étaient d’ordre relativement général, et que, pour se faire une idée plus précise de la situation, il s’était adressé sur place au père Bouts (244b).

Cependant, le colonel Dewez estime que son bataillon a été convenablement préparé.

Le 6 avril, il a expliqué au général Dallaire comment il préparait ses hommes et celui-ci a exprimé sa satisfaction à ce sujet. Après une reconnaissance sur place, le colonel Dewez a regroupé les chefs de section, de compagnie et de bataillon pour un nouveau briefing au cours duquel il a exposé les règles de l’ONU et les différentes phases de la MINUAR. Il a encore rappelé que la mission était différente de celle menée en Somalie. Au Rwanda, chaque section devait opérer en collaboration avec la gendarmerie locale.

En outre, à l’arrivée, il a fait remettre à chacun un aide-mémoire reprenant les règles d’engagement (245b).

Le chef d’état-major Charlier estime lui aussi que les hommes étaient bien informés de la nature de leur mission : " Je suppose que le briefing ne constituait pas la seule source d’information du colonel Dewez. Des synthèses sur le Rwanda existaient à l’état-major et le colonel Dewez a dû en avoir connaissance. (...) Je n’accepte pas que l’on dise que nos militaires sont partis au Rwanda comme s’ils allaient en vacances. Ce que vous me lisez me paraît difficilement concevable " (246b).

Le commandant de la brigade paracommando, le général Roman, affirme lui aussi qu’il n’a rien à se reprocher. À la question de savoir ce qu’il a fait pour mieux former et informer KIBAT II après les expériences de KIBAT I, le général Roman a répondu ce qui suit : " Concrètement, j’ai veillé à ce que toutes les conditions soient remplies pour que le bataillon puisse mener sa mission à bien. Cela relève d’ailleurs des responsabilités du chef. Toutes les conditions dans lesquelles se trouvait KIBAT II devaient être favorables. Le bataillon lui-même reconnaît qu’il a été bien formé. Le colonel Dewez tenait à être bien informé. Il est donc parti sur place en mission de reconnaissance et a d’emblée pris contact avec ses collègues de KIBAT I. Il disposait donc des dernières informations " (247b).

Alors que l’état-major à Evere et le commandant de bataillon Dewez affirment formellement que les hommes connaissaient très clairement la nature de la mission, qu’ils étaient informés des ROE et qu’ils avaient été convenablement préparés à l’exécution de cette mission, une série de témoignages montrent que les chefs de peloton et les cadres inférieurs ne partageaient pas du tout ce point de vue.

Le caporal-chef Pierard a déclaré sans ambages : " On nous disait d’oublier la Somalie. On disait que le Rwanda était autre chose, qu’on nous offrait des vacances " (248b). Le témoignage de Mme Lotin va aussi dans le même sens : " Mon mari m’a dit que ce qui lui faisait peur, c’est qu’on leur avait dit qu’ils partaient en vacances. Pourtant, un père trappiste l’avait informé des dangers de la mission. D’ailleurs, lui-même a déclaré qu’il craignait de ne pas être prêt si des événements dangereux survenaient " (249b).

L’adjudant Boequelloen ne partage pas non plus l’avis de son commandant de corps selon lequel les hommes étaient bien préparés : " La seule préparation que j’ai eue est la conférence d’un père ". Il a également reçu une farde de son prédécesseur et communication des règles d’engagement. " Je n’ai assisté à aucun cours sur le changement des règles d’engagement " (250b).

Le capitaine Marchal, commandant de compagnie, a en outre déclaré que la préparation avait été très sommaire. À la question de quelle manière il avait été informé de la gravité de la situation avant son départ pour Kigali, le capitaine Marchal a répondu : " Je n’ai pas réellement reçu de briefing en ce qui concerne la gravité de la situation. Il a été question du climat dans lequel nous partions. Des briefings ont été organisés à ce sujet. Dès que nous sommes arrivés à Kigali, nous avons eu une réunion avec le colonel Marchal lequel nous a dit que nous devions travailler avec les institutions en place " (251b).

L’aumônier Quertemont, qui a participé à la préparation de KIBAT II, estime lui aussi que la préparation a été fort courte et quelque peu bâclée (252b).

Le colonel Marchal admet aussi que la préparation était défectueuse : " Je vais donner un exemple concret, pour montrer la complexité du problème. J’ai donné un " briefing " aux officiers du second détachement. Or, un commandant m’a reproché de n’avoir rien dit et que rien ne lui avait été communiqué sur les règles d’engagement, ce qui est inexact. Toutefois, il n’était pas de ma responsabilité d’organiser un " briefing ". C’est au moment de la préparation de la mission qu’il doit avoir lieu et non pas sur le terrain. J’ai cependant essayé de subvenir à un manquement manifeste " (253b).

L’état-major à Evere savait-il que la préparation du contingent, qu’il jugeait très sérieuse, ne portait aucun fruit sur le terrain ? Y a-t-il eu des rapports qui, soit faisaient ressortir les erreurs ou les manquements dans la préparation, soit signalaient que KIBAT II n’avait pas tiré d’enseignements de l’expérience de KIBAT I ou en avait tiré de mauvais ?

Il y a tout d’abord le rapport du lieutenant-général Uytterhoeven, dans lequel est examiné en détail le problème de la nature de la mission et selon lequel le général Dallaire n’était pas tellement satisfait de la préparation de nos hommes : " Au départ, il y a eu un problème. KIBAT I est arrivé au Rwanda avec une mentalité " peace-enforcing ", comme en Somalie, alors que la situation requérait une mentalité de " peace-keeping ". La situation, qui était en pleine évolution, commandait en tout cas une adaptation permanente qui n’est pas facile à réaliser au niveau des échelons d’exécution... Le 1 Para a été confronté le premier à des problèmes d’adaptation énormes, à une infrastructure difficile, à de nombreux changements, à l’absence du niveau secteur, etc. Il s’est bien tiré d’affaire. Nous avons payé le prix de l’inexpérience. Ceux qui assurent la relève n’ont pas le droit de passer par la même période d’adaptation.

Le commandant de la brigade paracommando et l’état-major général de la force terrestre prendront les mesures qui s’imposent pour préparer le 2 Cdo. Outre une meilleure préparation en Belgique, il faudra prévoir un bon schéma pour la relève sur place des échelons inférieurs (traduction) " (254b).

Le général Dallaire a fait observer au lieutenant-général Uytterhoeven que les soldats belges étaient conditionnés pour une opération de peace-making alors que l’opération en cours relevait du peace-keeping pur, c’est-à-dire qu’elle constituait une mission de police. Le général Dallaire a demandé au lieutenant-général Uytterhoeven d’assurer une bonne préparation psychologique du détachement suivant et lui a signalé que, pour ce genre de mission, le Canada n’envoyait pas de parachutistes et faisait suivre à ses hommes une préparation spéciale de trois mois. Le lieutenant-général Uytterhoeven conclut que la brigade paracommando et l’état-major général de la force terrestre devaient résoudre ce problème ASAP (as soon as possible ) (255b).

La commission constate que la brigade paracommando et l’état-major général à Evere étaient convaincus que KIBAT II avait été bien préparé et qu’on avait tiré les enseignements de l’expérience de KIBAT I. Elle constate cependant que de nombreux témoignages tendent à indiquer que les troupes avaient été préparées d’une manière trop sommaire et que l’on a fait une interprétation erronée du caractère " maintien de la paix " de la mission.

Les problèmes de communication

Quelle était la situation de KIBAT en avril 1994 ?

Le colonel Marchal était manifestement satisfait du matériel : " Je n’ai jamais travaillé avec un réseau aussi fiable et fonctionnel que le réseau Motorola.

Il faut bien se rendre compte que, le 7 au matin, les réseaux étaient saturés et que la procédure qui devait être appliquée pour permettre de transmettre un message n’était pas opérationnelle. Je vous ai dit qu’il me fallait généralement plusieurs minutes afin de faire passer un message et que j’étais très content lorsque j’y parvenais " (256b).

L’adjudant Boequelloen, qui était le responsable de la transmission au niveau du bataillon, et spécialiste en la matière, a expliqué à la commission quels étaitent les moyens de transmission dont on disposait.

Au sein du bataillon, on travaillait essentiellement avec le système " SAIT ", équipement spécifique différent de l’équipement organique des unités para-commandos, amené par KIBAT I et repris par KIBAT II. Le peloton Mortiers n’avait pas été doté de postes portatifs de ce type.

Par ailleurs, il avait emporté de Belgique, malgré l’interdiction officielle, ses postes radio " PP 11 ", postes portatifs relativement compacts. Ces PP 11, vu les distances considérées en l’occurrence, auraient pu permettre une liaison entre le peloton Mortiers et le PC du bataillon, moyennant une adaptation des cristaux (opération de routine, pour autant qu’on dispose de ces cristaux, ce qui n’était pas le cas).

Il semble d’ailleurs que le lieutenant Lotin n’avait pas emporté de PP 11 le 7 avril. Même s’il les avait emportés, il n’aurait pas pu, avec le cristal dont ses postes étaient munis, communiquer sur une des fréquences utilisés le 7 avril par le bataillon et les compagnies.

Le peloton Lotin ne pouvait donc pas entrer dans le réseau de commandement du bataillon dès qu’il s’éloignait de ses véhicules, ce qui fut le cas le 7 avril.

L’on disposait, au niveau du bataillon, outre de ce réseau de combat, d’un réseau téléphonique civil, qui était branché sur le réseau Rwandatel, mais que l’on pouvait facilement saboter.

Il affirme : " Au sein du bataillon, l’on a installé un réseau téléphonique mais il a montré très vite ses limites, car il reposait sur le réseau Rwandatel, le téléphone local, et dès que les quelques centraux sautaient, le réseau était paralysé (...). Cela, c’était donc le réseau interne KIBAT. Au niveau supérieur, à savoir celui du Secteur et de la Force, il y avait un système installé par le personnel civil de l’ONU, que l’on pouvait très facilement saboter et utiliser pour du contre-espionnage. (257b) Nous, les militaires, nous évaluons très rapidement les possibilités dont l’autre pourrait disposer pour nous rendre inopérants. Nous savions également comment neutraliser le système au niveau supérieur. "

En ce qui concerne l’utilisation du Motorola, l’expert est formel : " Le KIBAT avait également accès à ce réseau. Mais ce système civil fonctionne comme un réseau GSM : tout le monde peut l’utiliser. N’importe qui pouvait acheter un Motorola et suivre les conversations sur les différents canaux " (258b).

L’adjudant Boequelloen fait clairement la distinction entre le niveau du bataillon (2e commando) et les échelons supérieurs de l’ONU. " Jusqu’au stade du bataillon, nous étions une armée en opération. Par contre, au-dessus de ce niveau, le système était civil car nous étions en opération de maintien de la paix.

Un système civil, je vous le dis honnêtement, montre rapidement ses limites. Il eût suffi de saboter deux stations et c’était terminé, il n’y avait plus de liaisons " (259b).

L’adjudant Boequelloen a demandé des éclaircissements à propos de cette situation au colonel Marchal, qui l’a renvoyé tout simplement à la Force : " Là, j’ai rencontré un officier de transmission bangladais qui ne pensait qu’à jouer aux cartes sur son ordinateur. Il m’a renvoyé à Rwandex, auprès de civils de l’ONU, qui m’ont dit qu’ils disposaient de motorolas et m’ont indiqué où se trouvaient les relais. Je leur ai dit que cela n’allait pas mais ils m’ont répondu que c’était ainsi. Si vous me le permettez, je voudrais ajouter que du point de vue militaire, c’était de l’amateurisme, mais les gens qui ont fait ça sont des professionnels " (260b).

" Je le répète, dans le cadre d’une opération militaire, ce système ne nous permet pas de réagir. En effet, il s’agit de petits motorolas que l’on met sur une table et qui mènent à un relais, mais si celui-ci saute, il n’y a plus de motorola, donc plus de communication " (261b).

La déclaration suivante montre que l’utilisation du motorola demande moins d’efforts de la part du personnel que l’appareillage radio classique, mais qu’elle ne favorise pas la discipline militaire :

" Un beau jour, j’ai constaté qu’une jeep vide se trouvait sur un parking, la radio allumée. J’ai été très désagréablement surpris. J’ai constaté que deux officiers mangeaient un petit bout. Ils avaient laissé leur jeep sur le parking avec la radio de combat allumée, et ils étaient assis à table avec leur motorola " (262b).

Dans ses premières déclarations, l’adjudant Boequelloen parle du motorola ainsi que du réseau radio " camp de vacances ". Il s’explique : " Cela signifie qu’il était organisé comme un camp de vacances. Chacun avait sa petite radio. Quand on se levait le matin, on l’allumait et, ensuite, on l’éteignait tout simplement. Ce n’était pas un réseau de combat " (263b).

Il s’avère que si, au niveau du bataillon, l’on utilisait un appareillage militaire, celui-ci n’était pas pour autant adapté aux situations à risques. Le lieutenant Lotin et son peloton de mortiers furent coupés du bataillon, pour ce qui est de la communication, lorsqu’ils quittèrent leurs véhicules, car leurs radios étaient montées sur les véhicules et ils n’avaient pas reçu de kits ou de radios portables. À un moment comme celui-là, une bonne liaison radio est tout à fait vitale. C’est ce que confirme le rapport de Uytterhoeven, du 16 novembre 1994 : à 8 h 20, au moment où Mme Uwilingiyimana a décidé de s’enfuir par les jardins, le lieutenant Lotin a demandé des instructions. Le colonel Pochet (quartier général Secteur) a dit au lieutenant Lotin que sa mission était de la protéger et qu’il devrait donc l’accompagner (même dans les jardins).

Le lieutenant Lotin a fait remarquer qu’il lui était impossible de le faire à pied, car, en le faisant, il ne disposerait plus de sa liaison radio. C’est à ce moment-là et pour ladite raison que l’on a décidé que le peloton Mortiers ne suivrait pas Mme Uwilingiyimana dans sa fuite (264b). S’il avait disposé d’un matériel radio portable, le groupe Lotin aurait pu poursuivre sa mission de protection dans les jardins, avec ses armes.

Quelle était la situation de l’adversaire ? Les FAR disposaient-elles de moyens radio convenables ? En cas d’opération coup de poing en direction de Lotin, pouvaient-elles demander rapidement des renforts ? Il est frappant de constater que les officiers qui n’ont aucune expérience de l’Afrique estiment que oui, alors que ceux qui la connaissent, relativisent nettement les possibilités de transmission des FAR.

En tout cas, il est certain qu’il n’y a aucune clarté à propos de ces renseignements élémentaires, alors que l’on sait qu’il y avait une coopération militaire entre la Belgique et les FAR.

L’adjudant Boequelloen, qui a accompli beaucoup de missions en Afrique, répond : " Je ne pense pas qu’il (le système de transmission des FAR) était fantastique. Nous voyions bel et bien des antennes, mais elles ne semblaient pas très puissantes ".

Le caporal-chef Pierard doute lui aussi de la possibilité pour les FAR d’appeler rapidement des renforts : " Les petits groupes que nous voyions à gauche et à droite comptaient environ une quinzaine d’hommes, ils n’avaient aucune radio, etc. (265b) ".

Le C Ops ou l’état-major général à Evere étaient-ils informés des difficultés de transmission à KIBAT ? Le rapport Guérin consacre un chapitre particulier à cette question et souligne qu’il y a lieu de résoudre le problème d’urgence.

" a. Tr Long Range
Actuellement, tous les moyens sont au Sect, ce qui oblige le Bn à passer par le Sect. Même pour les Tr de routine (Br1, Br4, ...), avec le retard que cela implique. Une Eq et des moyens pourraient être déplacés de Mombassa à Kigali pour Rft le Bn.
b. Tf Rwandatel
Le réseau Rwandatel fonctionne de manière satisfaisante mais il est sur écoute. Il n’est pas disponible dans chaque Cant et il est vulnérable. Il peut être amélioré à peu de frais dans certains Cant (Don Bosco, ...) avec des moyens Mil (Centrale, dérivation de raccordement, ...)
c. R civiles
Le réseau motorola utilisé au niveau de la Force et du Sect est encombré par les utilisateurs Mil et civils. Aucun des systèmes proposés (Motorola, Kenwood, Philips) n’est sûr. Une dizaine de radios portables de faible encombrement serait cependant utile au Bn pour certaines missions spécifiques (Ln Comd, Lo, ...) .
d. R Mil
Le réseau SAIT/BLU fonctionne de manière satisfaisante dans la KWSA mais il est très probablement sur écoute. La mise en place de Mat Rita permettrait d’assurer des Ln Safe entre les Cant sans nécessiter de Pers supplémentaire.
Évaluation sommaire des besoins :
une station fixe par Cant (14 actuellement)
une station mobile par autorité (Co, Comd Cie, S3, Otr)
e. Immarsat mobile
Le Bn reçoit régulièrement des missions à longue distance (escortes). Il est nécessaire de doter certains Veh d’un Immarsat pour assurer les Ln jusqu’aux frontières de la Tanzanie et Ouganda : Heli, Pl Recce, ... (266b). "

La commission ignore dans quelle mesure le C Ops a tenu compte des remarques faites par Guérin.

A-t-on tenu un debriefing sur les problèmes relatifs à la transmission ? A-t-on tiré les conclusions qui s’imposaient ? La situation en la matière a-t-elle été améliorée depuis ?

Selon l’adjudant Boequelloen, aucun debriefing n’a eu lieu. Et le caporal-chef Pierard ajoute qu’en Yougoslavie, on utilise encore les mêmes motorolas. " Dans mon groupe, nous disposions de notre radio et d’un motorola. En Yougoslavie, mon groupe est en contact avec la compagnie par la radio et avec le Force Commander, le G2, par le motorola " (267b).

La difficile collecte et l’utilisation insuffisante des renseignements

La collecte des renseignements, leur interprétation exacte et leur traduction en directives opérationnelles destinées aux troupes stationnées à Kigali se sont faites de manière très lacunaire.

Dans le présent chapitre, la commission constate, dans sept grandes parties que, dans de nombreux domaines, les informations militaires et politiques ont été collectées et traitées de manière très lacunaire. Dans la première partie, la commission constate que l’ONU ne dispose d’aucun service de renseignements ; dans une deuxième partie, elle constate la tentative d’organisation des services de renseignements aux divers niveaux opérationnels, à Kigali ; une troisième partie est consacrée aux renseignements qui ont été obtenus ou non grâce à la coopération technico-militaire ; une quatrième partie traite des échanges d’informations avec les services étrangers et les autorités rwandaises ; ensuite, la commission cite une série de témoins qui expliquent ce qui est advenu des informations collectées, quelles actions l’on a entreprises à l’égard de l’état-major général et, plus particulièrement, à l’égard du SGR à Evere ; dans une sixième partie, la commission constate comment ce service fonctionne en pratique et, dans une septième et dernière partie, elle constate comment les informations ont atteint le Ministère de la Défense et le Ministère des Affaires étrangères et comment s’est faite l’interaction entre ces départements en matière de renseignements.

(1) Le fait qu’il n’existait pas de service de renseignements de l’ONU

Dans sa réponse à l’avocat général de la Cour militaire, le général Dallaire constate qu’il n’existait pas de point de rassemblement des informations au niveau de l’ONU : " The United Nations Assistance Mission for Rwanda (UNAMIR), like all other United Nations Peacekeeping Operations, did not have an independent " intelligence " service. The collection of information was done overtly by military staff officers assigned as Information Officers, to the UNAMIR Military Division Force HQ, the five Sector Hqs and the three Battalion Hqs. Information contained in patrol reports, observation post reports, and investigations reports was transmitted in the form of daily situation reports through the chain of command, from the Military Information Officer through the Chief Operation Officer, to the Deputy Force Commander and the Force Commander himself. The Special Representative of the Secretary-General (SRSG) or his Chief Civilian Staff Officer, were briefed regularly by the Force Commander and the Military Information Officer. Occasionally, unofficial information was provided by local informants and diplomatic or governmental sources " (268b).

Le capitaine Claeys, qui, au niveau de la Force, était responsable de la branche 2 (renseignements), se plaint que, pour cette raison, sa mission était officiellement trop limitée : " Neen, de UNO moest als neutrale partij blijven optreden. Ik weet niet of u ervan op de hoogte bent, maar voor de UNO mag er niet aan intelligence worden gedaan. Vandaar dat men een gebrekkige term hanteert zoals military information officer.

Wat ik officieel moest doen, lag heel ver van wat ik in werkelijkheid deed. Officieel moest ik briefings geven aan de nieuwe stafofficieren. Ik moest hen het relaas geven van de vooruitgang en van de verschillende pogingen om de overgangsregering in de startblokken te zetten. Ik moest de verschillende granaataanslagen en moordpartijen opvolgen die er op het ganse grondgebied gebeurden. Daarbuiten beperkte mijn taak zich tot eventuele contacten met liaisonofficieren van het RPF of de liaisonofficieren van de FAR. " (269b). Cependant, le capitaine Claeys informe quotidiennement le major Maggen, qui est responsable des Sitreps quotidiens destinés à New York, et concernant les incidents et les autres renseignements pertinents (270b).

Le major Podevijn, qui était chargé officiellement de l’accompagnement des convois humanitaires, et qui, en outre, rassemblait discrètement des informations pour le SGR au niveau de la Force, le confirme comme suit : " Non, je devais d’ailleurs rester discret à ce sujet, surtout vis-à-vis de l’ONU, étant donné que recueillir des informations ne faisait pas partie des missions de l’ONU " (271b) ".

Au niveau du secteur, le commandant de secteur, le colonel Marchal, constate également l’absence d’officiers spécialisés : " Pour pallier ces insuffisances, fin décembre, j’ai demandé au général Dallaire de pouvoir disposer d’un officier spécialisé au QG du secteur. La composition des états-majors est de la compétence de l’ONU à New York, car il faut respecter les équilibres de nationalité. J’avais suggéré que cet officier supplémentaire soit belge, car il était impératif qu’il parle la langue du pays. La réponse fut négative, car le renseignement est une fonction offensive qui ne fait pas partie du mandat de la MINUAR (272b). "

Le colonel Balis, qui était officier de liaison entre la Force et le Secteur, a également proposé au général Dallaire de créer semblable cellule de renseignements : " Het is natuurlijk zo dat we heel veel geruchten, mededelingen, hadden, maar weinig concreets op papier. Volgens mij was dat misschien wel de grootste zwakte van de zending UNAMIR.

U moet mij verontschuldigen, ik ben een verkenner (NDLR : officier des troupes de reconnaissance). Ik wil weten wat er gebeurt.

Het is mij direct opgevallen dat de belangrijkste sectie in zo’n staf en zo’n operatie bestond uit één Belgische kapitein. Die man heeft dag en nacht gewerkt. Die heeft werkelijk schitterend werk gedaan, maar dat was te veel voor hem.

Ik heb generaal Dallaire voorgesteld, toen mijn Bengalese chef er was en er bijna geen, of geen, operaties liepen, om mij toe te laten een G2 te maken, om een inlichtingencel op te richten met drie, vier of vijf officieren en vooral met enkele mensen die Rwandees kennen. In heel die staf sprak niemand Rwandees. Dat is dus onvoorstelbaar.

Dallaire heeft gezegd : " OK, ik noteer dit. Ik vraag de toelating aan New York. " Het antwoord van New York was dat het niet wenselijk was een inlichtingencel op te richten omdat het inwinnen van inlichtingen een daad van agressie zou zijn " (273b).

Le commandant de la brigade paracommando, le général-major Roman, a affirmé également qu’il était très difficile de se faire une idée exacte de la réalité : " L’analyse de la situation sur place était très complexe. Il faut, en effet, brasser des centaines de documents pour construire une image mouvante de la réalité. Ce type de structure est inexistant à l’ONU " (274b).

Le général-major Delhotte, chef du SGR à Evere, explique cette lacune par le fait que les États membres de l’ONU craignaient que les Américains n’acquièrent une influence excessive dans une telle cellule de renseignements : " En ce qui concerne la conduite d’opérations sous la responsabilité de l’ONU, on devrait se demander pourquoi cette institution n’a pas son propre service de renseignements. La raison est que les Américains avaient offert à l’ONU de mettre en place gratuitement un centre de renseignements alimenté par leurs propres banques de données.

Les autres pays ont, bien entendu, rejeté cette proposition qui aurait permis aux Américains de téléguider les décisions de l’ONU " (275b).

Le commandant adjoint du SGR, le général-major Verschoore, regrette que le SGR n’ait reçu aucune analyse de la part de l’ONU. Selon lui, ce n’est qu’à l’occasion du déplacement d’un officier belge à l’ONU en rapport avec le dossier yougoslave que le SGR a pu obtenir davantage d’informations (276b).

Bien que, comme le montrent les témoignages ci-dessus, l’on n’ait pas pu compter sur un service de renseignements de l’ONU, l’on a fait appel, pour tenter de combler cette lacune, à un service de renseignements au niveau du bataillon. Selon le S2 (renseignements) au niveau du bataillon KIBAT I, le lieutenant Nees, c’était une première pour une mission des Nations unies. Il concède néanmoins qu’il n’a pas demandé de renforts à son échelon, parce que ses supérieurs n’estimaient pas cela nécessaire (277b).

La commission constate que tous les échelons, à Kigali et à Evere, ont trouvé très grave que l’ONU ne dispose d’aucun service de renseignements. L’on a fait diverses démarches pour résoudre le problème, mais New York a toujours rejeté catégoriquement toute proposition en la matière.

(2) La tentative d’organisation de services de renseignements aux divers niveaux à Kigali

Malgré l’absence d’un service de renseignements de l’ONU, le capitaine Claeys a tenté lui-même à plusieurs reprises, au niveau de la Force, de collecter des renseignements utiles à la MINUAR. Il était l’officier d’information qui pouvait, dans cette fonction, recueillir des renseignements importants : " Hij (Jean-Pierre) informeerde mij bijvoorbeeld over de lijsten van geregistreerde Tutsi’s. Hij heeft mij die echter nooit willen overhandigen, want dat was zijn grootste garantie. Het bestaan van die lijsten werd later bevestigd door de uitvoering van het plan. Hij zei toen al dat men in staat was om 1 000 Tutsi’s per 20 minuten te vermoorden in heel Kigali. Hij heeft ons de precieze plaatsen aangeduid waar wapenopslagplaatsen zich bevonden. Het ging dan zowel om kleine loodsen, als om zogezegde beerputten. Hij heeft ons ook getoond langs waar de konvooien zouden rijden. Het ging in feite niet om konvooien, maar om burgervoertuigen voor vervoer van wapens vanuit militaire kampen naar opslagplaatsen. Verder vertelde hij ons altijd dat hij onder druk werd gezet door de partij om zo snel mogelijk de wapens en de munitie te verdelen. Hij zei ons dan dat hij, ofwel de wapens, ofwel de munitie bezorgde, maar nooit aan dezelfde persoon wapens en munitie. " (...) À la question de ce qu’il a fait de ces informations, le capitaine répond : " Die werden telkens doorgezonden naar generaal Dallaire. Elke ontmoeting die ik met hem heb gehad, heb ik gebrieft aan de generaal. Vraag : welke Belgische officieren waren op de hoogte van uw ontmoeting met Jean-Pierre ? Alleen kolonel Marchal en kolonel Kesteloot " (278b).

Le colonel Marchal a fourni un témoignage important et détaillé devant la commission concernant la manière dont le secteur Kigali recueillait les informations : " En ce qui concerne les informations fournies, je vais distinguer deux périodes. La première se situe avant mon départ, le 4 décembre 1993, pour le Rwanda. J’étais informé par la presse de l’époque et par des télex envoyés par l’ambassadeur Swinnen, dont j’avais connaissance, le suivi des opérations étant de ma compétence.

Quand je me suis trouvé sur place, je disposais de diverses sources d’information telles que la radio, les synthèses du service de presse de la MINUAR et un ensemble de contacts personnels. Mon information était encore alimentée par notre perception des réactions de la population, lorsque nous circulions dans Kigali et par des comptes rendus verbaux et écrits émanant de mes unités.

Les contacts que j’ai eus à partir du 10 janvier avec Jean-Pierre ont été très révélateurs et ont fourni une base solide.

Je voudrais maintenant détailler la structure qui permettait d’obtenir des informations de la MINUAR. En premier lieu, le QG de commandement du général Dallaire, dont la branche opérations était constituée de deux officiers, un Belge et un Sénégalais, bénéficiait d’une cellule renseignements. En ce qui concerne le QG secteur, rien n’était organisé dans ce cadre. Au niveau des unités elles-mêmes, elles disposaient de leurs propres cellules de renseignements, dirigées par le lieutenant Nees pour le bataillon belge. J’estime que le lieutenant Nees a pu ainsi acquérir des informations indispensables. Rutbat avait une cellule de renseignements dont le niveau technique n’était pas plus élevé " (279b).

À côté de cela, le colonel Marchal a pris lui-même une série d’initiatives en vue de collecter des informations supplémentaires : " Il y avait une troisième réunion qui se tenait toutes les semaines et que je présidais. Elle réunissait les commandants de détachement " (280b).

Ainsi a-t-il obtenu également l’autorisation du lieutenant-général Charlier, et ce, à la demande du lieutenant Nees, de créer un réseau d’informateurs et de disposer d’un budget (281b).

La commission interrogea aussi le lieutenant sur la méthode utilisée pour obtenir des informations et pour les traiter, ainsi que sur l’accueil que ses supérieurs leur avaient réservé. Le lieutenent Nees déclara : " J’ai reçu 30 000 francs rwandais par mois, ce qui correspond à 1 000 francs belges, pour indemniser les menus frais des informateurs. (...) Le colonel Leroy recevait les rapports complets. Il y ajoutait des copies si cela s’avérait nécessaire. Il envoyait le tout au colonel Marchal. S’il s’agissait de rapports importants, ils étaient transmis au C Ops... Il n’y a eu que très peu de réaction à mes messages de la part de l’état-major général. En tant que " petit pion " dans l’armée belge, je ne m’attends d’ailleurs pas à recevoir une demande de renseignements de la part de l’état-major général " (282b)

Le lieutenant Nees a en outre confirmé que la transmission des renseignements obtenus aux différents niveaux était soit inexistante, soit insuffisamment organisée. Son supérieur hiérarchique était le colonel Marchal, et il ne disposait pas d’un service de renseignements à son niveau.

Comme le capitaine Claeys au niveau de la Force, il a tenté d’obtenir immédiatement, au niveau du bataillon, des renseignements tactiques utilisables, concernant, par exemple, les endroits où se trouvaient des armes (283b).

Pourtant, le colonel Marchal s’est plaint à plusieurs reprises de la difficulté particulière de rassembler et d’échanger efficacement des renseignements utiles : " Il ne suffit pas d’avoir de l’information. ... Une réunion hebdomadaire, présidée par le chef d’état-major bengalais, traitait du renseignement. Assistaient à cette réunion les officiers de renseignements. Malheureusement, cette réunion avait lieu en anglais, langue parfois mal maîtrisée par nos officiers (...). J’ai ainsi pu constater, hélas, que les militaires belges avaient tendance à avoir un complexe de supériorité. Je me suis efforcé de faire apparaître les aspects positifs des autres détachements " (284b).

Selon le colonel Marchal, l’absence d’officiers de renseignement spécialisés, au niveau du secteur et au niveau de KIBAT, qui auraient pu l’assister dans sa mission de collecte de renseignements, constituait une lacune importante : " Le rôle des officiers S2 dans les bataillons est de récolter des informations tactiques. La récolte des informations opérationnelles était la mission de Podevijn et Claeys, pas celle des officiers S2. Ces derniers, qui n’ont pas reçu d’entraînement, ont fait de leur mieux, mais ils n’ont pas récolté l’information aux bons endroits.

Le capitaine De Cuyper propose des analyses à propos des gouvernements de transition. Ce n’est pas son rôle. Il devait s’occuper d’informations tactiques. De plus, je ne suis pas d’accord avec son analyse, car si le Gouvernement de transition n’est pas en place le 25 mars, c’est dû au manque d’un des acteurs, le FPR " (285b). Le colonel continue : " Ma préoccupation principale était d’éviter l’intoxication, ce qui est une tâche difficile pour un spécialiste du renseignement et encore plus difficile pour les amateurs que nous étions. Il fallait respecter la neutralité et bien évaluer l’information. J’ai demandé que l’on me fasse, à la fin de chaque mois, un rapport de synthèse et d’évaluation pour chaque détachement belge. Je n’en ai jamais reçu " (286b).

Le colonel Marchal estime qu’avec des analystes spécialistes, on aurait pu éviter le drame : " Ce qui m’a particulièrement fait défaut, c’est l’absence d’une équipe d’analystes du renseignement. En effet, nous étions régulièrement confrontés à des incidents sans pouvoir identifier ceux qui tiraient les ficelles. Si, dans la nuit du 6 au 7 avril, des analystes avaient été sur place, je suis convaincu qu’ils auraient détecté que le schéma burundais se répétait à Kigali.

Nous aurions dès lors pris des dispositions pour que Mme Agathe soit mise en sécurité " (287b).

Pourtant, la situation dont le colonel Marchal se plaignait ne date pas du début 1994. Le lieutenant-colonel Leroy, commandant de KIBAT I, était convaincu, dans un premier temps, que la collecte d’informations ne posait pas de problème : " Il était possible d’obtenir le maximum de renseignements. Ainsi, tous nos hommes de KIBAT I pouvaient disposer d’informations sur les partis politiques, les personnalités, les attitudes à adopter, les possibilités touristiques, etc. " (288b). Il concède néanmoins que la réalité sur place était totalement différente : " Lors de nos contacts sur place, nous nous sommes rendus compte que nous avions peu de connaissance de l’arrière-plan politique. Nous recevions peu de renseignements de l’état-major général. Nous avons donc dû les collecter nous-mêmes. Dans cette démarche, le travail du lieutenant Nees a été très utile " (289b).

Le lieutenant Nees, qui était S2 à KIBAT I, avait lancé la collecte de renseignements pour son bataillon. Il avait créé un réseau de cinq informateurs et avait également essayé d’écouter RTLM. Ce n’était toutefois pas une tâche aisée : " Au moment où je suis arrivé au Rwanda, je ne connaissais pas le pays. On ne peut pas faire fonctionner convenablement un réseau de renseignements en quatre mois " (290b). Cela concernait aussi le fait que l’on n’avait pas d’informateur auprès du FPR : " Il était très difficile d’entrer en contact avec le FPR. En fait, nous n’avions aucun contact avec lui " (291b).

Le fait que son supérieur, le colonel Marchal, ne disposait pas d’un service de renseignements à son niveau, compliquait encore sa mission (292b). Le lieutenant Nees a fait de son mieux pour traiter les informations qu’il recueillait.

Tout d’abord, il devait, pour ce faire, obtenir confirmation des renseignements de sources diverses. Cependant, il ne pouvait pas le faire seul et, en outre, ce n’était pas son unique mission. Il assurait souvent aussi la permanence à la chambre d’opérations (293b). Pourtant, le lieutenant Nees s’est efforcé d’accorder une attention suffisante aux émissions de RTLM : " À KIBAT I et II, quelques sous-officiers maîtrisaient le kinyarwanda. Ces personnes écoutaient sporadiquement la RTLM. J’ai chargé mon informateur principal de prêter surtout attention à la RTLM, mais nous n’avions pas suffisamment de personnes, ni de moyens pour écouter en permanence. J’ai en tout cas demandé si cela pouvait être réglé " (294b).

Enfin, il relativise lui-même les possibilités de son réseau d’information ainsi que ses propres connaissances en la matière : " J’ai commencé à collaborer avec un certain nombre de personnes en décembre et j’ai reçu l’autorisation officielle le 16 janvier. J’ai travaillé avec un informateur principal et quatre informateurs occasionnels. Tout cela a été monté en épingle dans la presse et présenté comme un réseau de renseignements. Je n’ai pas été formé pour travailler comme officier de renseignements. C’est la mission du SGR. En fait, nous ne savions rien du Rwanda et nous n’y connaissions personne. Je trouvais donc très important que nous obtenions des informations, par exemple sur l’appartenance politique des différents quartiers de Kigali. (...) C’était effectivement dû à mon initiative. J’ai également demandé à un moment donné à mon supérieur d’évaluer mes renseignements. On m’a alors répondu qu’ils étaient très intéressants. Le 20 mars, je suis parti du Rwanda. Le capitaine De Cuyper m’a remplacé le 14 mars.

Lui aussi avait des contacts avec mon informateur principal. Mais le capitaine De Cuyper ayant des contacts au Rwanda, il n’avait plus besoin de mon réseau " (295b).

Le capitaine De Cuyper, qui reprend en effet la mission de S2 (à KIBAT II) du lieutenant Nees, affirme pourtant qu’il continue à suivre la voie empruntée par son prédécesseur : " Ma façon de travailler était tout à fait identique à celle du lieutenant Nees. Je n’ai ajouté que quelques informations supplémentaires. Je pouvais aisément savoir ce qui avait été dit et par qui. Au moyen d’un réseau constitué d’un certain nombre de hauts fonctionnaires, j’ai seulement voulu savoir s’ils pouvaient confirmer ce qui avait été dit lors de certaines réunions. Pour le reste, j’obtenais des informations par le biais des commandants de compagnie, de réunions politiques et de personnalités. (...) La façon dont l’information circulait a changé lors de l’arrivée de KIBAT II. J’ai communiqué des informations secrètes et confidentielles au commandant de KIBAT II, lequel ne transmettait à son tour que les informations confidentielles. Seul le commandant de KIBAT II disposait donc d’informations secrètes. Le Sitrep quotidien contenait seulement des informations confidentielles " (296b).

Le capitaine De Cuyper confirme lui aussi que le colonel Dewez, son commandant de bataillon, ne pouvait s’appuyer que sur les informations qu’il lui transmettait, et que ce dernier n’a en tout cas jamais pu lui fournir d’informations complémentaires (297b).

Les officiers subalternes se plaignent également, dans leur témoignage devant la commission, du manque d’informations et regrettent aujourd’hui que le peu d’informations disponibles ne leur soit même pas parvenu.

Le capitaine Lemaire : " Le deuxième gros problème concernant les fautes relatives à la mort des paras, c’est que pour moi, après coup, et sur place en tout cas, il y a eu une mauvaise exploitation de tous les renseignements dont on disposait. Je vais reprendre plusieurs volets : le colonel Marchal, certainement ; le 1-para aussi. Je vais m’expliquer un peu. Il semblerait qu’on savait sur place qu’il y avait un risque de génocide et qu’on savait également qu’il y avait un risque direct dirigé contre les Belges. " (298b).

Son adjoint, le lieutenant Lecomte, le confirme également comme suit : " Je me rends compte maintenant que nous, sur place, nous n’avions que très peu d’informations concernant la menace qui pesait sur le détachement belge. Cette menace était très peu perceptible par nous, sur place. Moi, en tant que commandant en second d’une compagnie " fusilliers " qui se trouvait à Don Bosco, je n’ai pas ressenti cette menace. L’information qui est parvenue à notre échelon et à l’échelon " compagnie " se basait principalement sur des informations provenant du lieutenant De Cuyper et des informations que la compagnie avait réussi à obtenir via certains contacts locaux. Je tiens à préciser que toutes ces informations ont fait l’objet de rapports de situation qui ont été envoyés à l’échelon supérieur.

Mais ces informations concernaient principalement des réunions qui montraient la collusion entre certaines personnalités de la gendarmerie et des groupes d’Interahamwe.

Maintenant, quand on voit la masse d’informations qui provenaient aussi bien de l’ambassade de Belgique, du Service général de renseignements et de la CTM que de l’état-major " secteur ", on se rend compte que nous, sur place, nous ne disposions que d’une infime partie de ces informations.

Je n’ai personnellement jamais entendu parler de menaces directes contre des Belges, contre des soldats belges. Maintenant, il suffit aussi de s’imaginer que, toutes les nuits, nous pouvions, à tour de rôle, sortir à Kigali pour se rendre compte que la menace n’était pas présente. Si menace il y avait eu, nous ne serions pas sortis à Kigali toutes les nuits.

Je pense que si une faute cruciale a été commise, c’est certainement dans le manque de distribution de l’information. Je pense qu’avec toute l’information qui est arrivée en Belgique, on aurait pu " la redistribuer " et la renvoyer aux hommes qui étaient sur le terrain, afin qu’ils puissent se rendre compte exactement dans quel jeu, dans quelle situation ils se trouvaient " (299b).

À Evere, l’on savait que nos officiers de renseignements à Kigali étaient mal équipés, mais le général Roman, commandant de la brigade paracommando, affirme que nos hommes à Kigali n’étaient pas inquiets : " Faire une analyse à distance n’était pas dans les capacités de notre service de renseignements (...) Selon moi, les officiers de renseignements sur place étaient mal équipés. Toutefois, je tiens à répéter combien il est difficile de prévoir certaines situations. Nous sommes dans une situation où chacun cherche à montrer qu’il a bien fait son travail. Les officiers du renseignement n’étaient pas inquiets. La preuve en est que certains voulaient, eux aussi, faire venir leur femme. La vérité de l’analyse des renseignements est qu’ils rassemblaient des faits partiels qu’ils ne pouvaient intégrer dans une image plus grande " (300b).

La commission constate qu’une série d’officiers à Kigali ont tenté de récolter quand même un minimum d’informations, mais qu’ils n’avaient aucune formation en la matière et que leurs moyens étaient insuffisants. À Evere, l’on était certes conscient de la situation, mais l’on n’a pas fait grand-chose, ou, du moins, rien de concret pour renforcer les services de renseignements belges au Rwanda.

(3) Les renseignements provenant de la coopération technique militaire

Le colonel Vincent a commandé la coopération technique militaire auprès de l’armée rwandaise à partir de 1991. Il était également le conseiller militaire de l’ambassadeur Swinnen et une source d’informations importante pour le SGR.

Il ressort des témoignages reproduits ci-après que la MINUAR, en général, et KIBAT, en particulier, entretenaient peu de contacts avec la coopération technique militaire (CTM). Les officiers de renseignements belges avaient d’ailleurs pour instruction d’avoir le moins possible de contacts avec la CTM. L’objectif était de préserver la neutralité belge. Bien que ce fût justifié, cela n’a pas favorisé l’échange d’informations.

À la question de savoir comment le lieutenant Nees, le major Podevijn et le colonel Marchal avaient certaines indications sur l’imminence du génocide, et pas lui, le colonel répond : " Je précise que la CTM fonctionnait comme source de renseignements mais ne disposait pas de son propre réseau d’information. Nous nous contentions de rapporter à Bruxelles nos informations. Je n’ai pas perçu l’imminence du génocide et je n’ai jamais pensé au cas de figure du 6 avril 1994. L’assassinat du président n’a été prévu par personne et c’est pourtant cela qui a fait basculer le Rwanda dans l’horreur " (301b).

Le lieutenant-colonel Beaudoin, officier CTM, fait mention d’un entretien avec des officiers des FAR en ce qui concerne le génocide : " Quinze jours avant l’attentat, lors d’un dîner chez chef CTM, le G3 FAR a déclaré que " si Arusha était exécuté, ils étaient prêts à liquider les Tutsis " (302b).

Le colonel Vincent a fourni, devant la commission, des précisions sur la manière dont il traitait les informations qu’il recueillait : " Nous devions contrôler l’inflation des nouvelles. Si la même information nous parvenait trois ou quatre fois, nous aurions pu penser qu’il s’agissait de nouvelles différentes. Étant moi-même coopérant technique militaire auprès des forces rwandaises, des rapports professionnels poussés auraient terni l’image de la MINUAR. Je connaissais toutefois le colonel Marchal mais nous n’évoquions pas nos problèmes professionnels " (303b).

Le colonel Vincent déclare qu’il disposait de bons renseignements, car, en tant que chef du bureau de liaison, il entretenait des contacts fréquents avec le commandement de l’armée rwandaise et il avait beaucoup de contacts avec les responsables rwandais des trois projets belges (304b). Il était également au courant de beaucoup d’informations en tant que conseiller militaire de l’ambassadeur Swinnen, mais uniquement dans le domaine militaire (305b).

Il souligne cependant qu’il n’était pas, lui-même, un officier de renseignements, mais le chef de la coopération, et que ce n’était donc pas à lui de faire des analyses (306b).

D’après le colonel Vincent, les contacts qu’il entretenait avec le major Podevijn, qui travaillait lui aussi pour le SGR, se limitaient à transmettre les documents de celui-ci lorsque son fax était en panne (307b).

De son côté, le major Podevijn confirme ces contacts avec le colonel Vincent : " au début, j’ai utilisé son infrastructure pour expédier des rapports " (308b).

Le " Information officer " officiel auprès de la Force, le capitaine Claeys, a déclaré qu’il avait été en contact avec le colonel Vincent, mais jamais pour des affaires concrètes comme Jean-Pierre. Il s’agissait plutôt de discussions informelles sur la situation en général, comme les incidents continuels, les milices, le climat antibelge, ... (309b).

Le lieutenant Nees, le S2 de KIBAT I, témoigne que ses contacts avec le colonel Vincent étaient uniquement sporadiques : " Dès le début, on nous a dit d’avoir le moins de contacts possible avec la CTM afin de garantir la neutralité belge. Il y avait des militaires belges qui donnaient cours aux Rwandais et qui portaient des uniformes rwandais. Je n’ai jamais eu d’informations au sujet d’une implication éventuelle du colonel Vincent, à Kigali. Nous n’avons eu que des contacts sporadiques " (310b).

La commission constate que le colonel Vincent, parce qu’il séjournait à Kigali depuis 1991 et du fait de la fonction qu’il y occupait, disposait de beaucoup d’informations utiles. Elle constate également qu’il n’y avait, par la volonté de l’état-major, pratiquement pas de collaboration entre la CTM et les officiers de renseignements de la MINUAR et de KIBAT au niveau des renseignements.

(4) La collaboration avec les services de renseignements rwandais et étrangers

Le général Delhotte, le commandant du SGR, témoigne qu’au cas où la CIA ferait une analyse importante qui intéresse la Belgique, elle la communiquerait si on la lui demandait, mais pas automatiquement (311b). Le général pense d’ailleurs que des questions précises ont été posées aux Français et aux Américains concernant les milices Interahamwe (312b). Cependant, il admet que, en ce qui concerne le Rwanda, le SGR n’a pratiquement rien reçu comme information en provenance des États-Unis et absolument rien des Français (313b). À la question d’un commissaire qui désirait savoir si la France a refusé de communiquer ces renseignements, le général Delhotte a répondu par la déclaration suivante : " Il est évident qu’un service de renseignements étranger ne refuse jamais catégoriquement de fournir des informations, mais qu’il dira qu’il ne les a pas. Étant donné que la France avait encore des personnes travaillant sous couverture sur place et qu’elle menait sa propre politique nationale dans cette région, je présume que ce pays disposait quand même d’informations, mais je n’en ai naturellement pas la preuve " (314b).

Le général Verschoore, adjoint du SGR, a confirmé ce fait : " Les services de renseignements français et américains ne nous ont guère fourni d’informations. J’avais l’impression que le seul objectif des États-Unis était d’obtenir des informations de la Belgique " (315b).

Le major Hock, qui était analyste pour le Rwanda au SGR, donne une explication plus précise de la mauvaise volonté des Français : " Nous n’avions pas de relations individuelles avec les services secrets étrangers. Vis-à-vis des Français, le syndrome de Kolwezi subsistait et ce n’est que plus tard que la confiance a été rétablie. (...) Les relations avec la France n’ont pas toujours été simples. (...) Dans le renseignement, lorsque l’on demande quelque chose, il faut offrir autre chose " (316b).

La collecte de renseignements en provenance des collègues étrangers posa également des problèmes sur le terrain à Kigali. Le capitaine Claeys témoigne : " Il aurait été difficile de tester ce genre de choses sur d’autres nationalités. En effet, le bataillon bengali sur place ne faisait aucune collecte d’informations. Cependant, je sais que le général Dallaire a contacté les ambassadeurs de France, des États-Unis et de la Belgique. Je suppose que ceux-ci ont également prévenu leur attaché à la défense sur place. L’attaché des États-Unis était aussi en poste à Bujumbura. Une dame s’occupait également de cette question sur place " (317b).

Le lieutenant Nees (KIBAT I) donne sa version des faits : " Je n’ai eu aucun contact avec les services de renseignements français ou américains. Pour autant que je sache, cela vaut également pour toutes les autres personnes du KIBAT. Nous savions que les militaires français n’avaient pas tous quitté Kigali. Il y avait même des rumeurs selon lesquels les Français écoutaient toutes les communications téléphoniques et radiophoniques. Il n’y avait cependant aucune forme de coopération " (318b).

Le capitaine De Cuyper (KIBAT II) (319b) assistait aux réunions hebdomadaires de la gendarmerie : " Je ne participais pas aux débats lors des réunions hebdomadaires de la gendarmerie. Je n’y étais qu’observateur. J’ai cependant averti le commandant de KIBAT II que ces réunions n’avaient aucune valeur étant donné que le général-major de la gendarmerie éludait toutes les questions et remarques à quelques rares exceptions près. Aucun membre ne s’y est opposé, à l’exception de deux membres du UNCIVPOL. Le colonel français attaché au DAMI (détachement d’assistance militaire à l’instruction) assistait également aux réunions. Il intervenait régulièrement pour soutenir le général-major. Des réunions hebdomadaires se tenaient régulièrement au secteur. On n’y a jamais rien dit d’intéressant et je n’ai guère pu prendre la parole. Aucune information ni analyse ne nous parvenait d’en haut " (320b).

La commission constate qu’il n’y avait pas d’échange d’informations avec les services étrangers. On n’a pas non plus pu recueillir d’informations utiles auprès de la gendarmerie rwandaise. Il n’y a eu des contacts qu’au niveau diplomatique, mais ces contacts n’ont eu aucun résultat pour les officiers de renseignements sur le terrain.

(5) Le traitement des renseignements aux divers échelons à Kigali et à Evere

Dans ce chapitre, la commission étudiera le cheminement des renseignements militaires et diplomatiques à partir du moment où ils étaient recueillis au niveau de KIBAT (et à un échelon supérieur) jusqu’à ce qu’ils parvenaient au SGR et (éventuellement) à l’état-major général. Les témoignages montreront que beaucoup de renseignements ne parvenaient pas au SGR et à l’état-major général et que certains renseignements n’ont pas été appréciés correctement.

Le capitaine De Cuyper, S2 de KIBAT II, explique que sa responsabilité consistait à transmettre des renseignements à son chef de corps : " ... Je n’ai aucun contrôle sur ce qui est transmis au-delà. Je sélectionnais les informations à mon niveau et j’en faisais rapport complet à mon commandant de corps. " (321b)

Son prédécesseur, le lieutenant Nees, S2 de KIBAT I, travaillait de la même manière : " Les rapports étaient quasiment rédigés chaque jour ou tous les deux jours. Le premier destinataire de ces rapports était le commandant de KIBAT, c’est-à-dire le lieutenant-colonel Leroy. Les rapports contenaient un aperçu des informations, des rumeurs, des faits et des pamphlets dont nous avions eu connaissance. Les rapports étaient transmis intégralement au colonel Marchal. Le colonel Leroy n’avait pas le temps ni les moyens de filtrer ces informations. C’est pourquoi il transmettait les rapports au secteur. Par après, j’ai vu que les rapports avaient également été transmis au C Ops. " (322b)

Le lieutenant Nees est très clair sur la question de savoir si on a fait quelque chose de ces informations : " Il n’y a eu que très peu de réactions à mes messages de la part de l’état-major général. En tant que petit pion dans l’armée belge, je ne m’attends d’ailleurs pas à recevoir une demande de renseignements de la part de l’état-major général. " (323b) Lorsqu’un commissaire lui demande si, dans ces conditions, il estimait que son travail avait été inutile, le lieutenant Nees a répondu : " Lorsque j’étais à Kigali, je l’estimais utile, parce qu’il me donnait une idée des structures et des relations politiques existant au Rwanda à ce moment-là. Quand on regarde ce qui s’est passé, mon travail était peut-être bien inutile. " (324b)

En outre, l’officier de renseignement au niveau du bataillon (Nees) n’avait pas de contact avec l’ambassade (325b), de sorte que le cheminement de l’information du bataillon à Bruxelles ne passait pas par notre ambassade.

Le colonel Leroy (Cdt KIBAT I) confirme qu’il recevait de nombreux dossiers, mais que les rapports de Nees constituaient sa seule source d’information : " Cependant, ce n’était pas à moi de faire une analyse. Nous ne sommes pas formés pour cela et nous n’avons pas le recul nécessaire. Nous ne pouvons que collecter des informations et résoudre des problèmes concrets. " (326b)

Le colonel Leroy ajoute qu’il transmettait les informations qu’ils avaient collectés, mais qu’il n’en faisait pas de synthèse. Il n’en avait ni le temps ni les moyens. Il ne pouvait pas faire appel au major Podevijn ni au capitaine Claeys pour cela, car ils ne faisaient pas partie de son bataillon (327b).

Le colonel Dewez (KIBAT II) confirme que, le 3 février 1994, au C Ops, le SGR lui a communiqué certains renseignements. Selon les termes du colonel, on lui a alors exposé la situation en cinq minutes. Au cours de ce briefing, il n’a été fait état, ni de Jean-Pierre, ni des rapports du lieutenant Nees. Le colonel Dewez mentionne qu’il n’y a pas eu de document écrit au sujet de ce briefing de la part du SGR et qu’il dispose simplement de ses propres notes dans son carnet (328b).

Le commandant de secteur, le colonel Marchal, a collecté lui-même des informations à son niveau et il avait connaissance des informations relatives à Jean-Pierre et au rapport du lieutenant Nees, informations auxquelles il attachait l’importance voulue. C’est le colonel Marchal qui a mis l’ambassadeur et le C Ops à Bruxelles au courant : " En ce qui concerne l’importance accordée aux renseignements fournis, je peux affirmer que, après vérification, je n’avais plus aucun doute sur ce qui se préparait. Le nombre et la précision des détails obtenus indiquaient qu’un plan était en phase d’exécution et que sa mise en pratique laissait présager d’un nombre énorme de victimes. Mon évaluation des pertes s’élevait à plusieurs dizaines de milliers de morts.

Ceci a suscité diverses réactions et j’ai prévenu l’ambassadeur ainsi que le centre d’opérations à Bruxelles. Le 17 janvier, le général Charlier m’a téléphoné pour s’informer sur les caches d’armes et sur mon appréciation du général Dallaire. Je lui ai répondu que j’estimais qu’il fallait absolument soutenir le général dans sa démarche. Le 9 février, le général Charlier me contacte à nouveau et je lui réitère ma demande de soutenir le général Dallaire, notamment pour mener des actions offensives. " (329b)

L’officier responsable de l’information au niveau de la Force, le capitaine Claeys, déclare qu’il était en rapport direct avec le SGR, plus particulièrement avec un officier de l’état-major, à savoir le major Podevijn (330b).

Le major Podevijn confirme qu’il avait des contacts quasi quotidiens avec le capitaine Claeys (331b) et il se considère comme une des sources d’information du SGR. Il réunissait toutes les informations et faisait des notes (332b).

D’autre part, le SGR ne faisait pas parvenir d’informations à la Branche 2 (renseignements) de la Force. Le capitaine Claeys témoigne : " Neen, want ik kreeg geen feedback van SGR. Ik werkte op dat ogenblik als Belgisch officier, maar ik was niet in verbinding met de Belgische staf. ... Alle informatie die ik kreeg heb ik, telkens de gelegenheid zich voordeed, doorgespeeld naar zowel generaal Dallaire als naar kolonel Marchal. Men heeft mij altijd geantwoord dat er op hoger niveau geen garanties konden worden geboden aan Jean-Pierre. Men kon dus moeilijk nog meer informatie verwachten.

Alle informatie die hij op vrijwillige basis gaf was welkom. " (333b)

L’on peut résumer comme suit l’échange d’informations entre le colonel Vincent (CTM), l’ambassadeur Swinnen et le SGR : " Le colonel Vincent a rédigé des rapports pour le SGR. Nous en avons la synthèse. Il faisait également rapport à l’ambassadeur Swinnen et les informations qu’il lui transmettait étaient intégrées dans les télex adressés à ce dernier. À part quelques rapports SGR, nous ne disposons pas de rapports directs du colonel Vincent. ... Il y a, par exemple, la réunion avec le président Habyarimana, de février, à laquelle le colonel Marchal et l’ambassadeur Swinnen étaient également présents. Il en existe même un double rapport. Celui du colonel Vincent est adressé au SGR. " (334b)

L’ambassadeur Swinnen déclare devant la commission qu’il a transmis régulièrement des messages à Bruxelles. C’est ainsi qu’il a plaidé pour que l’on continue à suivre très attentivement la question de la sécurité et que l’on n’exclue pas d’entreprendre des démarches supplémentaires à la lumière de certaines évolutions (335b).

L’ambassadeur a également pris des mesures pour que les émissions de RTLM soient écoutées et que Bruxelles soit informée du contenu de celles-ci : " Au départ, cette radio n’émettait qu’une à deux heures par jour en français. À un moment donné, j’ai donné l’ordre d’écouter plus souvent les émissions. Bon nombre d’entre elles ont été enregistrées et j’ai toujours amplement informé Bruxelles de leur contenu. " (336b) Un jeune diplomate, Bruno Angelet, a été envoyé en renfort à l’ambassade en janvier 1994. L’ambassadeur Swinnen déclare qu’il faisait le nécessaire pour envoyer des extraits des émissions de RTLM à Bruxelles. L’ambassadeur admet cependant que les moyens pour ce faire étaient très limités : " Si nous avions pu, nous aurions tout enregistré et demandé une traduction des émissions en kinyarwanda. Nous aurions aussi enregistré radio Rwanda. Mais nous manquions de personnel. Nous écoutions donc les émissions en français diffusées le soir ainsi que les éditoriaux. Nous informions ensuite Bruxelles par télex. " (337b)

La commission constate que ces témoignages ne concordent pas avec les déclarations du général Roman, commandant de la brigade paracommando, qui a répondu formellement " non " aux questions suivantes que lui a posées un commissaire : " Étiez-vous au courant de plans de terroristes rwandais visant à faire exploser les cantonnements belges et de plans visant à empoisonner ou assassiner les Casques bleus belges afin de forcer le retrait de la Belgique de la MINUAR, comme notre informateur Jean-Pierre nous l’avait annoncé ? ... Étiez-vous au courant de l’appel lancé à la fin janvier sur RTLM incitant à viser des cibles belges ? ... Aviez-vous connaissance des informations sur la manière dont on tentait de provoquer les Casques bleus belges ? Ou du Sitrep faisant mention du risque d’une attaque à la grenade ? Certains Sitrep furent également envoyés à la brigade paracommando. Saviez-vous qu’il existait une note du service de renseignements traitant des Interahamwe et des menaces potentielles à l’égard des Belges ? " (338b)

La commission constate que les messages des officiers de renseignements et de l’ambassade ne sont jamais arrivés jusqu’au commandant de la brigade paracommando.

Le général Roman a déclaré à ce propos : " Il y a des documents du terrain qui sont parfois envoyés à la brigade paracommando, mais pas toujours. Les documents du SGR auraient dû m’être transmis. (...) Mais pour lui : " (...) Les informations ponctuelles n’étaient pas utiles au second bataillon paracommando parce qu’elles risquaient d’être mal interprétées. " (339b)

Les informations en provenance de Kigali étaient essentiellement et directement transmises au SGR à Evere, où le major Hock était responsable des analyses concernant la situation au Rwanda. À la question de savoir s’il a reçu ces documents du capitaine De Cuyper, S2 (renseignements) à KIBAT II, le major Hock répond qu’il ne se souvient même pas du nom de De Cuyper, mais bien de Claeys (340b). Le major Hock ne se souvient pas davantage que le capitaine De Cuyper a succédé au lieutenant Nees (KIBAT I). Il déclare en tout cas ne pas pouvoir faire de différence entre ses interlocuteurs en arguant que la continuité dans la façon de traiter l’information était assurée, puisque la fonction (S2) avait été reprise. Lorsqu’on connaît personnellement l’interlocuteur, on s’en souvient mieux, prétend-il (341b). Le major Hock connaissait mieux le colonel Vincent (CTM) et, comme la commission l’a déjà constaté ci-dessus, il accordera davantage d’importance aux informations que celui-ci lui fournit : " J’ai croisé le colonel Vincent, car nous avons fréquenté des écoles équivalentes. Je l’ai personnellement connu lorsqu’il a rejoint le SGR. " (342b)

La commission constate, comme en témoigne le major Hock, que le fait de connaître personnellement son interlocuteur, lorsqu’il s’agit de renseignements joue un rôle important en ce qui concerne l’appréciation du contenu de ceux-ci.

On en trouve une preuve plus concrète dans la façon dont le major Hock a traité les informations fournies par Jean-Pierre : " À l’époque, Jean-Pierre était un inconnu pour nous. C’était un informateur de la MINUAR. Si l’on analyse le personnage, on remarque qu’au départ il appartenait aux services de sécurité de la présidence qui bénéficiaient d’une triste réputation. C’était un déserteur. Donc, a priori, il n’était pas fiable. N’oubliez-pas que l’intox, ça existe. ... Les informations de Jean-Pierre ont été intégrées, mais seulement après vérification, car nous pouvions avoir à faire à un affabulateur. " (343b) Le major Hock déclare formellement devant la commission qu’il fait une distinction déterminante entre les informations, et ce, selon leur source : " La cote 6 (344b) est attribuée s’il n’y a pas de vérification possible. Dans le cas de Jean-Pierre, j’aurais mis la cote F6. " (345b) Un commissaire ayant fait observer que le général Verschoore avait souligné que ce témoignage (de Jean-Pierre) était très fiable et très important, le major Hock répond que " si l’information provient de l’ambassadeur ou de son attaché militaire (le colonel Vincent), la cote fournie sera généralement A 1. " (346b)

Enfin, le major Hock déclare lui aussi qu’il manquait de moyens : " La situation au Rwanda nous paraissait, à cette époque, moins importante que celle du Burundi. Notre service qui, comme beaucoup l’ont souligné, manque de moyens, a donné la priorité au Burundi " (347b).

Le général Verschoore (adjoint au SGR) explique à la commission comment le SGR traitait les informations en provenance de Kigali : " Le SGR est un service militaire placé sous les ordres de l’état-major général. Le ministre de la Défense, le chef de la maison militaire du Roi et, en fonction de la nature des informations, d’autres instances militaires, ont été systématiquement informés.

L’analyse des informations, qui provenaient de différentes sources, consistait en une évaluation de celles-ci. Nous essayions d’en extraire les vraies informations. Nous procédions à des comparaisons et nous en déduisions ce qui était important. Tant en ce qui concerne les informations que les sources, nous analysions ce qui était crédible ou non. Il appartenait alors à l’analyste d’évaluer la valeur des informations.

Le major Podevijn a été envoyé par le SGR en vue de fournir des informations sur la situation de l’époque. Le colonel Vincent était également chargé de transmettre des renseignements. Ces deux personnes n’ont toutefois pas été confrontées, étant donné qu’il s’agissait de puiser le maximum d’informations dans différentes sources. C’est pourquoi on ne procède jamais à une confrontation des sources. Le colonel Vincent n’a jamais été informé de notre conclusion " (348b).

Le général déclare ensuite que le SGR avait uniquement pour but de rassembler des informations et de les transmettre aux autorités compétentes. Le service était placé sous le commandement direct du chef de l’état-major général (JS). Le service n’avait pas pour mission, d’après le général Verschoore, de faire des propositions politiques (349b).

Le général confirme qu’il y a eu des instructions de l’état-major concernant des activités du SGR, mais qu’il ne se rappelle plus de quelles questions précises il s’agissait (350b).

À la question de savoir s’il était au courant de l’existence de Jean-Pierre et des informations qu’il fournissait, parmi lesquelles celle au sujet d’un plan visant à assassiner des Casques bleus belges, le général Verschoore donne en tout cas une réponse catégoriquement négative. Il ne pense d’ailleurs pas avoir jamais lu d’informations au sujet d’un plan visant à assassiner des Casques bleus belges (351b).

Un commissaire déclare que le colonel Marchal considérait, en tant que commandant le plus haut placé, que les informations de Jean-Pierre sur les préparatifs du génocide étaient essentielles. À la question de savoir si ces informations ne constituaient donc pas un signal pour faire intervenir le SGR, et si l’on en avait parlé au C Ops, le général répond une fois de plus : " Pas pour autant que je sache " (352b).

La commission constate néanmoins que le général Verschoore disposait d’informations importantes, comme il ressort des messages alarmants, qui figurent dans le " Complément d’information " du 2 février 1994. Après qu’Evere eut reçu les informations de Jean-Pierre, l’état-major général a chargé le SGR de rassembler davantage d’informations. C’est à ce moment que l’on a rédigé ce " Complément d’information ", que le SGR a adressé à divers destinataires, dont le C Ops.

Des informations importantes en provenance de Kigali avaient toutefois déjà été adressées auparavant au SGR. C’est ainsi que le major Podevijn avait, déjà en décembre, transmis des informations concernant un éventuel attentat contre un cantonnement belge. De plus, il y avait les rapports du lieutenant Nees (S2 KIBAT I), dont certains étaient alarmants. (353b).

Le général Verschoore répond qu’il doute fortement que les renseignements du lieutenant Nees soient parvenus au SGR. Il croit qu’ils ont été transmis directement au centre d’opérations. La commission constate toutefois que le SGR a bel et bien reçu ces informations, comme en témoignent certaines pièces du procès Marchal (354b).

Interrogé sur le sort qui avait été réservé à ces informations, le général Verschoore répond ce qui suit : " Les informations qu’on recevait furent traitées et présentées à l’état-major. ... Les rapports ont été acceptés (par l’état-major général). Je ne me souviens pas de critiques éventuelles, mais il arrivait parfois qu’on posait des questions supplémentaires. ... Il y a eu une discussion entre toutes les parties intéressées. À cet égard, je pense aux chefs de l’opération et à leurs responsables, dont le colonel Flament. Celui-ci participa aux réunions. Il disposait de tous les éléments en notre possession, ainsi que des éléments belges. Il devait en tirer ses conclusions. Le SGR n’a pas participé à la prise de décision " (355b).

Le général Delhotte, le chef du SGR, confirme qu’il avait été mis au courant, par l’intermédiaire du colonel Marchal, des informations fournies par Jean-Pierre.

Un commissaire lui demandant pourquoi l’on a privilégié l’information qui était minimalisée par le colonel Vincent (CTM), alors que le SGR disposait de toute une série d’informations alarmantes, le général Delhotte répond : " Les synthèses et les appréciations du SGR n’ont été contredites par aucune autorité locale. Le C Ops n’a pas considéré la voix du SGR comme prépondérante. Il disposait d’autres sources et les renseignements du SGR n’ont pas été critiqués. Si le rapport n’avait pas été plausible, il y aurait eu un choc en retour du général Charlier " (356b).

Et le général Delhotte d’ajouter : " Vincent était un des nombreux informateurs et, comme vous l’avez déjà dit, il n’était pas membre du SGR. ... Vincent avait de l’expérience et pouvait dès lors fournir davantage d’informations " (357b).

Le chef de l’état-major général, le général Charlier, confirme qu’il avait été informé par le colonel Marchal, de l’existence des dépôts d’armes. Il confirme qu’il a lu son rapport et l’analyse qu’en a faite le SGR. Le général Charlier déclare ensuite très brièvement que cela faisait partie des informations négatives qu’il avait intégrées dans l’évaluation de la situation (358b).

La commission constate que les informations de CTM étaient considérés comme bien plus importantes que les informations en provenance des officiers de renseignements de KIBAT.

(6) Le fonctionnement du SGR à Evere

Plusieurs témoignages d’officiers concernés en poste à Evere révèlent qu’il y avait un manque de moyens et d’hommes. Les témoins concèdent, en outre, à plusieurs reprises, qu’il peut arriver, dans le domaine des renseignements, que l’on fasse des erreurs d’appréciation.

Le général Roman, commandant de la brigade paracommando, a déclaré qu’une situation peut évoluer rapidement sur le plan de la sécurité et qu’aucune analyse ne peut être réalisée en Belgique à ce sujet (359b).

Le major Hock, analyste du Rwanda au SGR, concède qu’il y a eu des erreurs d’appréciation : " Nous n’anticipions pas un génocide mais des dérapages en dehors du processus d’Arusha qui auraient pu amener à des milliers de victimes. ... Personne ne pouvait imaginer ce qui allait se passer. Un service de renseignements n’est pas Mme Soleil " (360b). Le Major Hock admet néanmoins qu’il dispose, au SGR, de nombreuses sources d’information, sinon de toutes : " Les sources pour le Rwanda sont la coopération technique militaire, le ministère des Affaires étrangères et, en particulier, l’ambassade du Rwanda et d’autres postes, nos services IH et IC, les services amis, la presse, la Sûreté de l’État à travers la voie hiérarchique et les troupes sur place, c’est-à-dire le major Podevijn, le commandant de secteur et les rapports du lieutenant Nees qui nous parvenaient via le centre d’opérations " (361b).

C’est surtout le chef adjoint du SGR, le général Verschoore, qui se plaint du manque de moyens : " Les moyens dont nous disposions étaient limités. Nous avons fait le maximum avec les moyens disponibles " (362b). Il fournit des précisions sur les personnes dont il a pu disposer et souligne que, selon lui, elles ont fait du bon travail : " Le major Podevijn était le seul spécialiste pour le Rwanda. Le major Hock était responsable pour le Zaïre et le Burundi. Il suivait également la situation au Rwanda, pour pouvoir intervenir en cas de besoin. Le chef de bureau, le major Boogaerts, connaissait également l’Afrique et pouvait éventuellement venir en aide. Plus tard, le major Podevijn reprendra les fonctions du major Hock. Les officiers du même bureau devaient s’initier au plus vite. Ils ont fait un excellent travail " (363b).

Le général a déclaré qu’avec davantage d’analystes, il aurait naturellement pu effectuer un meilleur travail d’analyse. Selon lui, cela suppose également que, sur le terrain, il y ait davantage de possibilités d’obtenir des informations plus fiables. À cet égard, il cite l’exemple de la permanence de 24 h. qu’on n’a assurée qu’après avoir appris, au SGR, que l’avion présidentiel avait été abattu : " Cette permanence prit fin au retour des derniers paras ... Avant cette date, ce n’était pas le cas par manque de personnel ... J’en ai fait part à l’état-major mais aucune suite n’y a été donnée. Le renfort provenait du service même : on n’a pas engagé des personnes de l’extérieur, mais bien des personnes qui travaillaient dans les bureaux d’Afrique et d’Asie. Le SGR travaillait avec des officiers de carrière et un civil " (364b).

Il s’est également plaint de la collaboration avec la Sûreté de l’État : " Les informations échangées entre la Sûreté de l’État et le SGR étaient limitées. La collaboration n’était pas entièrement satisfaisante. Nous transmettions les informations qui nous semblaient importantes pour eux. Le SGR ne faisait pas uniquement des analyses. J’assurais le management du SGR. J’étais associé aux plannings budgétaires, à la question du personnel, aux développements techniques, etc. Ce n’était pas le travail qui manquait " (365b).

Lorsqu’un commissaire lui fit remarquer qu’il ne se souvenait plus de grand-chose, il répondit : " Il est inexact que ma mémoire est défaillante. Je me souviens de beaucoup de choses, mais pas de détails. Je crois que, compte tenu des moyens dont nous disposions, nous avons fait tout notre possible " (366b).

À la question de savoir si après la crise du Rwanda, l’on a fait une analyse et/ou pris des mesures, il a répondu : " Une telle analyse n’a pas été faite. Il y a bien eu une évaluation en vue de remédier aux dysfonctionnements à l’avenir. Ainsi, on a conclu qu’il faudrait disposer de plus d’analystes, assouplir le fonctionnement interne du SGR et prendre des mesures afin de pouvoir retrouver plus facilement les informations " (367b).

Le général Verschoore attribue cette carence en hommes et en moyens au fait que tout est une question de budget et il ajoute que, depuis lors, la situation a peu évolué. Il déclare cependant qu’en revanche, on s’efforce d’améliorer la formation (368b).

Le général Delhotte, chef du SGR, estime que, de manière générale, les faits étaient mieux connus du commandement local que du SGR. C’est ce commandement qui doit en premier lieu évaluer les faits. Le SGR en a cependant fait des rapports de synthèse et journaliers (369b). La commission constate que le commandement local a transmis nombre d’informations utiles au SGR, mais que le SGR n’a pas beaucoup tenu compte de ces informations spécifiques. Il n’en a même pas tenu compte du tout dans certains cas.

Le général Delhotte se plaint, en outre, du manque de personnel : " Le service de renseignements contient une cellule d’analystes avec différents bureaux par région. Alors que le Pentagone peut disposer de plusieurs milliers de personnes par cellule, nous disposons d’analystes par continent. Pour le Rwanda, le Zaïre et le Burundi, nous pouvions disposer de trois à quatre analystes ainsi que de M. Podevijn à Kigali. Le SGR ne dispose pas de résidents sur place. Il utilise les services de volontaires qui ne sont, la plupart du temps, pas payés. Le colonel Vincent en constitue un exemple ... Le SGR appartient aux forces armées. Il ne peut être comparé à la CIA. Il ne s’agit pas d’un service de renseignements national. Il n’y avait, en 1993, aucun centre où ramener toutes les informations. Le SGR est un service à son niveau, comparable au service des renseignements militaires du Pentagone. Le SGR ne possède pas d’hommes sur place. Il n’a donc pas les moyens de faire du renseignement tactique " (370b).

Le général Delhotte, en tant que chef de service, a néanmoins informé directement le ministre Delcroix de ces plaintes. Le général a constaté que la rotation n’était pas importante au SGR et il a dit regretter, en s’adressant au ministre Delcroix, que, depuis des années, il n’y avait plus un seul officier du SGR retenu pour de l’avancement. Pour le général Delhotte, ce n’est pas l’idéal pour motiver (371b).

La commission constate, d’après les témoignages des officiers concernés, que le SGR disposait de moyens insuffisants et d’effectifs trop peu nombreux dont la formation présentait, de surcroît, des lacunes. Il est néanmoins d’une importance capitale, pour que les ordres soient efficaces et opérationnels, de disposer d’une analyse correcte des informations rassemblées. Enfin, la commission constate que l’échange d’informations se faisait principalement dans un seul sens et que les analyses d’Evere ne parvenaient pas à Kigali.

(7) L’information des autorités politiques et la coordination entre les Ministères de la Défense nationale et des Affaires étrangères

Dans ce chapitre, la commission fait une série de constatations concernant l’échange d’informations destinées aux autorités politiques. Dans une première partie, l’on examine si des informations sont parvenues au cabinet de la Défense nationale et, le cas échéant, quelles étaient ces informations, ainsi que les réactions éventuelles qu’elles ont entraînées. Dans une deuxième partie, le même examen est fait au niveau des Affaires étrangères et, dans une troisième partie, l’on examine comment s’est opérée la coordination entre ces deux départements en matière de traitement de ces informations et de prise de décision.

(a) Défense nationale

À un commissaire qui lui demandait s’il avait pu vérifier, après coup, lesquelles de ces informations étaient parvenues au cabinet de la Défense nationale et s’il avait l’impression que ces informations étaient transmises de façon régulière, le major Podevijn (Tak 2 Force) a répondu qu’après son retour en Belgique, il a effectivement eu cette impression-là. Mais il ajoute qu’au Rwanda même, il n’avait aucun feedback (372b).

Selon le chef adjoint du SGR, les INSUMS (Information Summary) étaient également transmis au cabinet de la Défense nationale. Ces Insums présentent les faits, une analyse ainsi qu’une conclusion : " Les renseignements fournis à l’état-major étaient essentiellement de nature tactique et concernaient la sécurité sur les routes, l’accès à l’aéroport, etc.

Nous disposions de peu d’informations au sujet de la situation politique. Celles-ci étaient transmises directement au cabinet du ministre. Personnellement, je situe les émissions de la RTLM, les formations ainsi que la distribution d’armes à la fin décembre, début janvier. Les INSUMS présentent les faits, l’analyse et la conclusion. Ma conclusion était que quelque chose se préparait. On a également transmis les INSUMS au cabinet de la Défense nationale. " (373b)

Le général Charlier, chef d’état-major (JS), a expliqué devant la commission comment l’on a organisé la transmission de renseignements du SGR et du C Ops au cabinet de la Défense nationale : " Chaque jour, les officiers du SGR et ceux du C Ops se rencontrent le matin et présentent un exposé couvrant les faits des 24 dernières heures. J’essayais moi-même d’assister à cette réunion. Chaque jour, un document est publié. Il est surtout l’oeuvre du SGR. La contribution de ce service est reprise dans un document périodique qui est transmis au ministre (374b).

Selon le chef d’état-major général, le contenu du document journalier est, selon les besoins, aussi communiqué au ministre. Il faut savoir que le porte-parole du Ministère de la Défense nationale assiste à la réunion quotidienne et que ce porte-parole, qui est un officier, a été mis en place par le ministre. Et le général Charlier de conclure que ce porte-parole est donc chargé de la coordination des informations (375b).

Le général n’a jamais eu l’impression qu’entre l’état-major et le cabinet du ministre, il y ait eu le moindre degré différent d’information. Ainsi, les informations sur la campagne antibelge ont-elles été reprises dans les documents SGR transmis au ministre (376b).

Le général a déclaré que, dans un ensemble d’une ampleur telle qu’est la force armée, le processus de décision est certes structuré autour de différents échelons, mais que, selon lui, la responsabilité en matière de défense et de forces armées est indivisible (377b).

Le général Schellemans, à l’époque chef de cabinet du ministre de la Défense nationale, a confirmé que l’échange d’informations se faisait lors de la réunion journalière de 11 h au C Ops : " Celle-ci (la réunion de 11 h) était consacrée au briefing du chef d’état-major général sur les événements des dernières 24 h ainsi qu’à l’examen des questions laissées en suspens à la réunion de 9 h. Cette réunion n’a fait l’objet d’aucun rapport. La réunion commençait systématiquement par un briefing du SGR, dont il existe un document. Au début, nous ne recevions pas les rapports jusqu’au moment où un pilote du cabinet déclara qu’ils contenaient d’importantes informations. Dès lors, on demanda au général Charlier de les transmettre. Dès ce moment, il furent transmis régulièrement au cabinet. Cela se passait en décembre et en janvier (378b).

Le chef de cabinet confirme que la note de synthèse du major Hock (SGR) du 2 février est, entre autres, parvenue au cabinet. Cette note fait apparaître les risques que mettent en évidence les révélations de Jean-Pierre. On y trouve des allusions aux risques encourus par les Belges de la MINUAR et au génocide, et elle fait également référence à la localisation de familles tutsies. Le chef de cabinet déclare avoir reçu des informations concernant des menaces, mais ces menaces n’étaient pas considérées comme très dangereuses. En ce qui concerne plus précisément la question de savoir si le nom de Jean-Pierre lui était connu, le chef de cabinet a répondu : " Pour autant que je m’en souvienne, le cabinet a reçu des messages d’un certain Jean-Pierre. Le nom de Jean-Pierre n’apparaît dans ces messages que durant quelques jours. À mon avis, le ministre a lu ces messages ... Je confirme avoir vu le nom de Jean-Pierre dans le courrier et qu’en principe ce courrier a été transmis au ministre (379b). Dans un fax du 11 janvier, il est aussi question d’un certain Jean-Pierre et des informations qu’il avait reçues sur un projet de génocide. En ce qui concerne ce fax, le chef de cabinet a déclaré qu’il décidait lui-même des informations des INSUMS et des INTREPS qui étaient pertinentes pour le ministre. Il y a toutefois ajouté que le ministre devait avoir vu la note en question du 11 janvier.

D’une manière plus générale, le chef de cabinet a déclaré, lors de son témoignage devant la commission, que les INSUMS du SGR et les rapports de la Sûreté de l’État lui étaient adressés directement. Il les lisait avant de les transmettre aux " pilotes " (380b). Le chef de cabinet a dit, en outre, qu’il pouvait ainsi déjà faire un rapport oral à l’intention du ministre et que le ministre était donc bel et bien au courant de tous les documents, fût-ce au moyen d’un résumé. Le chef de cabinet n’a jamais constaté la moindre rétention d’informations par l’état-major général. Et le général Schellemans de poursuivre : " Personnellement, je n’ai jamais constaté la moindre rétention d’informations de la part de l’état-major général. Les informations étaient communiquées si le cabinet en faisait la demande ou si nous l’estimions important pour le cabinet. Il y avait également d’autres contacts entre le cabinet et l’état-major général, en présence d’un représentant du cabinet. Nous disposions des rapports de ces réunions. En outre, les contacts téléphoniques étaient également très fréquents. ... Il y eut des contacts réguliers entre le général Charlier et moi-même. Le général Charlier avait pris l’habitude de rendre visite au cabinet (381b).

Le ministre Delcroix a lui aussi déclaré qu’il ne soupçonnait personne d’avoir retenu des informations. Il a précisé devant la commission comment il a été informé de la situation au Rwanda : " L’information sur la situation au Rwanda arrivait à mon cabinet le plus souvent via des canaux informels et parfois aussi via des canaux formels. La source la plus importante était les rapports du SGR. Mon chef de cabinet attirait mon attention sur les événements importants contenus dans ces rapports. Je pouvais également disposer de rapports de synthèse du SGR pour préparer mes entretiens avec les ambassadeurs ou mon voyage à Kigali début mars " (382b).

Le ministre obtenait aussi des informations grâce à la coordination avec les Affaires étrangères, sur laquelle nous reviendrons.

À propos de la présence de représentants du cabinet aux diverses réunions, le ministre Delcroix relativise la déclaration du chef d’état-major Charlier : " Il y avait aussi des réunions quasi quotidiennes à l’état-major à Evere relatives aux diverses actions militaires. Ces réunions avaient lieu à 9 h et on y préparait la réunion de 11 h, qui était dirigée par l’état-major et où les décisions importantes étaient prises. Aucun représentant de mon cabinet n’assistait à ces deux réunions. Mon cabinet ne recevait pas non plus de rapports de ces réunions. Par contre, une réunion hebdomadaire se tenait au sujet du C Ops à laquelle mon collaborateur assistait. Je présume que l’on m’a communiqué d’éventuelles informations importantes issues de ces réunions. Le chef d’état-major, le général Charlier, avait des contacts réguliers avec mon chef de cabinet " (383b).

Le ministre a répété peu après qu’il n’y avait selon lui aucun des ses collaborateurs présents aux réunions journalières. Ils étaient toutefois présents lors de la réunion hebdomadaire, mais on n’y examinait que des affaires secondaires. Le ministre estime par ailleurs que la réunion formelle la plus importante était celle du C Ops qui se tenait à 11 h.

D’une manière générale, le ministre Delcroix a déclaré qu’il n’y avait pas ou presque pas de problèmes de communication entre le commandement et le Ministère de la Défense nationale (384b). Au cours de sa deuxième audition, le ministre Delcroix a répété que l’on ne peut certainement pas accuser le SGR de n’avoir pas suffisamment transmis d’informations à son cabinet et aux instances militaires concernées (385b).

La commission constate que le cabinet de la Défense nationale a eu, par divers canaux, des contacts fréquents avec l’état-major général et que le cabinet a reçu suffisamment d’informations de la part du SGR. Par ailleurs, la commission constate que le cabinet n’a pas donné de missions spécifiques à l’état-major général en ce qui concerne ces informations.

(b) Affaires étrangères

Le colonel Vincent, qui était non seulement chef de la C.T.M. mais également conseiller militaire de l’ambassadeur, faisait toutes les semaines un rapport sur la situation politique et militaire : " D’octobre 1990 à l’arrivée de la MINUAR en 1993, nos rapports quotidiens portaient surtout sur des actions militaires. Une fois par semaine, je rédigeais un rapport sur la situation politique et militaire. Celui-ci était envoyé à M. Swinnen qui le transmettait dans le rapport hebdomadaire au ministère des Affaires étrangères. Après l’arrivée de la MINUAR, notre importance a diminué et l’accent a été mis sur la MINUAR. Nous étions en retrait. Nous continuions cependant à transmettre nos informations directement à Bruxelles " (386b).

Le colonel Vincent déclare également qu’il transmettait ces mêmes informations directement au SGR. Il faisait donc rapport simultanément à l’ambassadeur et au SGR (387b).

L’ambassadeur Swinnen a déclaré devant la commission que son interlocuteur était les Affaires étrangères. Toutefois, dans la plupart de ses télex, il proposait qu’ils soient transmis à certains autres départements ou services, ainsi qu’à d’autres ambassades. Il savait également qu’à Bruxelles, le chef de cabinet et le directeur " Afrique " du Ministère des Affaires étrangères avaient maintenu des contacts permanents avec l’ambassade du Rwanda et d’autres acteurs (388b).

L’ambassadeur a également dénoncé un certain nombre de faits auprès des Nations unies, pour que le secrétaire général informe le Conseil de sécurité et que celui-ci publie les informations afin de mettre la pression (389b).

L’ambassadeur a, en outre, pris lui-même d’autres initiatives : " Moi-même j’effectuais aussi régulièrement des analyses. Les nouvelles hebdomadaires en sont un exemple. J’avais également des entretiens téléphoniques fréquents, entre autres avec le cabinet, l’ " Africa-desk ", avec Arusha et avec d’autres ambassades. Lors de mes séjours en Belgique, j’ai eu également des conversations approfondies sur notre politique au Rwanda " (390b).

Un commissaire fait remarquer que l’ambassadeur Swinnen n’utilise jamais le terme génocide, contrairement au ministre, qui emploie ce terme plus spécifiquement dans un télégramme qu’il envoie à Delbelonu après sa visite au Rwanda. Interrogé à ce sujet, l’ambassadeur déclare qu’il pense avoir eu connaissance de ce télégramme, mais qu’il ne sait plus s’il l’a reçu à ce moment-là. Pourtant, l’ambassadeur Swinnen est aussi conscient de la gravité des nombreuses informations qu’il reçoit : " Concernant les causes de l’escalade qui a finalement mené au génocide, je répète qu’au cours des mois qui précédaient le génocide, nous avons rassemblé beaucoup d’informations fort inquiétantes... Les informations de JP concernaient essentiellement la manifestation du 8 janvier et la menace portait essentiellement sur cette manifestation-là. Nous avions convenu que nous allions parler en termes généraux en nous référant à la démarche de MM. Dallaire et Booh-Booh. Nous avons insisté sur le point qui concernait la sécurité car nous étions convaincus que le message aurait été perçu et compris " (391b).

L’ambassadeur Swinnen avait déjà déclaré au cours d’une première audition, en mars 1997, qu’il considérait très positivement les échanges d’informations : " À la question de savoir si j’ai été suffisamment bien compris par les autorités belges et si la communication fut suffisamment bonne, je puis répondre très positivement. Les relations entre les autorités belges et l’ambassade étaient marquées par une confiance absolue. Je ne me suis jamais senti isolé, au contraire. Les instructions détaillées des Affaires étrangères me permettaient d’agir efficacement.

J’ai reçu des instructions tant écrites que verbales. À certains moments, j’avais des entretiens téléphoniques quotidiens avec le chef de cabinet Willems, ainsi que de nombreux contacts avec l’administration, en particulier avec le bureau africain. Je me suis donc toujours senti suffisamment soutenu " (392b).

Lorsqu’un commissaire lui demanda concrètement, au cours d’une audition ultérieure, en mars 1997, si M. Swinnen avait reçu des analyses de l’Africa-desk du Ministère des Affaires étrangères, celui-ci lui répondit qu’il était inutile de lui envoyer des tonnes de papier. Il ajouta qu’il croyait bien avoir reçu un certain nombre de documents dans lesquels la politique était stipulée (393b).

M. Lode Willems, à l’époque chef de cabinet du ministre des Affaires étrangères, déclare avoir reçu le rapport de l’ambassadeur Swinnen à propos d’un entretien qui a eu lieu le 13 janvier. À cet entretien participèrent : le général Dallaire, M. Booh-Booh et les ambassadeurs de Belgique, des États-Unis et de la France. L’entretien portait sur la lettre de l’informateur des Nations unies, le dénommé Jean-Pierre. Le lendemain, il y eut un entretien entre notre ambassadeur et ses collègues d’Allemagne, d’Égypte, des États-Unis et de France, en présence du nonce apostolique. Le chef de cabinet, M. Willems, ajoute que l’ambassadeur Swinnen lui a fait savoir à cet égard que, lors de cet entretien, l’aspect sécurité avait été souligné. La crainte générale serait à l’origine de méfiances et de préjugés. Le soir, lors d’une conversation téléphonique directe entre le chef de cabinet et l’ambassadeur, ce dernier a une fois de plus exprimé sa préoccupation.

Selon le chef de cabinet, l’ambassadeur était inquiet parce que les milices se trouvaient sous l’autorité du MRND, et parce que M. Booh-Booh et le général Dallaire avaient signalé des caches d’armes de même que des milices illégales (394b).

Lorsqu’un commissaire attire l’attention sur le fait que le télex nº 32 (du 13 janvier 1994) contient davantage d’informations, à savoir des plans spécifiques visant à assassiner des Casques bleus belges, et demande pourquoi il n’y a pas eu de réaction, le chef de cabinet répond que notre ambassadeur en était informé et avait mis le cabinet des Affaires étrangères au courant. Le chef de cabinet confirme que le ministre était bel et bien conscient, au début du mois de février, de l’évolution négative de la situation au Rwanda. Dans le cadre de son témoignage, il déclare que les informations sur les réserves d’armes se faisaient de plus en plus insistantes et que le blocage de la situation faisait craindre une explosion de violence (395b).

Le ministre des Affaires étrangères déclare devant la commission qu’il ne disposait, sur le plan militaire, que de données provenant de Kigali (le colonel Vincent). L’on obtenait également certaines informations par le biais des réunions de coordination avec la Défense nationale. Le ministre prétend toutefois avoir consacré chaque jour le temps nécessaire à la lecture des messages relatifs à la situation au Rwanda (396b).

La commission constate que le cabinet des Affaires étrangères disposait d’informations détaillées et fiables, surtout grâce aux télex de l’ambassadeur Swinnen. Elle constate également que l’ambassadeur a entretenu de nombreux contacts diplomatiques à divers niveaux et a régulièrement fait rapport de ses constatations.

(c) La coordination entre les deux départements ministériels

Pendant la période examinée, il y avait une réunion de coordination (presque) hebdomadaire entre les départements des Affaires étrangères et de la Défense nationale, à laquelle assistaient généralement aussi des représentants du cabinet du Premier ministre et de la Coopération au développement. Les informations échangées et les sujets traités étaient généralement de nature pratique. En outre, les deux départements échangeaient des renseignements (397b).

À un commissaire qui fait remarquer que plus de cent télex des Affaires étrangères sont parvenus également au cabinet de la Défense nationale, le chef de cabinet Schellemans répond que ces télex provenaient du SGR (398b). Le ministre Delcroix affirme lui aussi que le cabinet de la Défense nationale ne recevait pas systématiquement les télex de l’ambassadeur au Rwanda et que le contact pour l’ONU en Belgique était le département des Affaires étrangères (399b). Un commissaire fait remarquer au ministre que (presque tous) les télex de l’ambassadeur Swinnen mentionnent le cabinet de la Défense nationale. Le ministre prétend cependant qu’il n’a reçu que quelques télex, et qu’il n’était pas le destinataire direct de ceux-ci.

Pour le ministre Delcroix, la réunion de coordination hebdomadaire au cabinet des Affaires étrangères constituait une source d’information. Il prétend toutefois n’avoir jamais lu lui-même les rapports de ces réunions, mais il suppose que son cabinet l’a tenu au courant des éléments importants.

Au cours d’une audition ultérieure, à la fin du mois de mars 1997, le ministre de la Défense nationale a souligné une fois de plus que les réunions de coordination aux Affaires étrangères et les contacts aisés qui existaient entre les départements de la Défense nationale et des Affaires étrangères permettaient également un bon échange d’informations.

Le ministre Delcroix avait l’impression que les Affaires étrangères étaient mieux informées des affaires militaires que le cabinet de la Défense nationale ; le ministre de la Défense nationale imputait cela à des relations personnelles, ce dont il ne s’offusquait pas (400b). Le ministre Delcroix estime que les membres du cabinet des Affaires étrangères étaient mieux au courant de matières intéressant son département, mais le ministre Claes prétend exactement le contraire : " Le principe général veut que les informations en provenance du service de renseignements de l’armée ne soient pas mises à la disposition des diplomates. C’est également le cas des renseignements de l’état-major. Les Affaires étrangères ne disposaient que de données provenant de l’attaché militaire à Kigali. Certaines données militaires ont toutefois été communiquées lors des réunions de coordination hebdomadaires réunissant le Premier ministre, la Défense nationale, la Coopération au développement et les Affaires étrangères " (401b).

Pour conclure, la commission constate que les décisions politiques de base ont été discutées en Conseil des ministres, comme le Premier ministre Dehaene en a témoigné devant elle. Le Premier ministre a déclaré que le Conseil des ministres était régulièrement informé de la teneur générale, mais que les télex ne lui étaient pas systématiquement soumis in extenso . Il prétend en outre qu’il ne ressortait pas des télex qu’il pouvait y avoir un climat antibelge généralisé.

La collaboration avec les forces armées rwandaises

Sur cette collaboration, les avis sont partagés. Selon certains témoins cette collaboration a été aisée. Par contre, selon d’autres, il y a eu de sérieuses difficultés. Les événements des 6 et 7 avril ont montré que cette collaboration était surtout apparente et que l’on n’a pas pu faire appel à la collaboration des autorités rwandaises au moment où l’on en a eu besoin. Dans cette partie du rapport, nous commencerons par approfondir la question de la composition et des missions de UNCIVPOL et par examiner l’utilité des réunions hebdomadaires qui eurent lieu entre les différentes autorités. Dans une deuxième partie, la commission fournira une idée de ce que fut l’attitude des gendarmes rwandais dans les cas où il fallut exécuter les tâches communes, comme les vérifications aux postes de contrôle et la fouille des caches d’armes. Nous nous intéresserons plus particulièrement ici à l’attitude provocante du colonel Bagosora. Enfin, nous nous arrêterons aux événements des 6 et 7 avril et des jours suivants, qui ont montré que la confiance en la collaboration avec les autorités rwandaises locales n’était plus fondée.

(1) UNCIVPOL et la collaboration

Quels étaient, outre la MINUAR, les différents acteurs à Kigali ? Au niveau local, il y avait essentiellement la gendarmerie nationale ainsi qu’une police communale limitée. Au niveau militaire de l’ONU, il y avait à la MINUAR une branche de la police militaire qui avait une compétence de police à l’égard du personnel des Nations unies. Enfin, toujours au niveau de l’ONU, il y avait le détachement de UNCIVPOL, qui était composé de membres de la police civile, de la police militaire et de la police judiciaire.

Bref, UNCIVPOL était composée de diverses nationalités. La mission principale de UNCIVPOL consistait à surveiller ce que faisait la police locale et à veiller à ce qu’elle fasse son travail de façon efficace et impartiale.

Un colonel autrichien se trouvait à la tête de UNCIVPOL. Il y avait une relation triangulaire entre UNCIVPOL, la gendarmerie locale et la MINUAR. UNCIVPOL a progressivement été élargie de façon à être complètement opérationnelle fin février 1994. L’unité comptait environ 60 personnes.

KIBAT a détaché le S2 (renseignements) pour qu’il participe aux réunions de coordination avec les autorités locales. Concernant ces réunions, le lieutenant Nees (S2 KIBAT I) fait la déclaration suivante : " Je participais régulièrement à des réunions auxquelles assistait également l’état-major. Le but de ces réunions était d’informer tout le monde d’éventuelles manifestations. L’état-major de l’armée me semblait donner là une impression d’un laisser-faire, laisser-passer. Les manifestations précédentes avaient été minimalisées par le général rwandais et il ne donnait que peu d’informations sur les manifestations annoncées. Je me pose des questions sur l’implication des responsables rwandais dans les événements " (402b).

Le capitaine De Cuyper (S2 KIBAT II) assistait lui aussi à ces réunions (403b). " Je ne participais pas aux débats lors des réunions hebdomadaires de la gendarmerie. Je n’y étais qu’observateur. J’ai cependant averti le commandant de KIBAT II que ces réunions n’avaient aucune valeur, étant donné que le général-major de la gendarmerie éludait toutes les questions et remarques, à quelques rares exceptions près. Aucun membre ne s’y est opposé, à l’exception de deux membres d’UNCIVPOL " (404b).

(2) Quelle a été l’attitude de la gendarmerie rwandaise au cours des opérations conjointes avec UNCIVPOL et la MINUAR ?

En 1990, la gendarmerie rwandaise se composait de 2 000 hommes, formés notamment par les Français et les Allemands. En raison de la reprise des hostilités en 1990, ces effectifs ont été augmentés. Le colonel Marchal a déclaré qu’à son arrivée, il avait trouvé 6 000 gendarmes non formés. Le grand problème de la gendarmerie, mais aussi de l’armée, était donc cette augmentation des effectifs et l’absence d’une formation adéquate (405b). La collaboration sur le terrain avec ces gendarmes rwandais était loin d’être idéale. Il y a eu des problèmes de langue, mais aussi et surtout le fait que les gendarmes adoptaient une attitude beaucoup trop laxiste, comme le montrent les témoignages suivants.

Pour le colonel Leroy (KIBAT I), la gendarmerie n’a pas fait sciemment obstacle à la MINUAR, mais il n’y avait pas de collaboration pour autant (406b).

Le colonel Balis, qui était responsable de l’élaboration d’un plan d’évacuation, a confirmé lui aussi qu’il ne comptait pas directement sur sa collaboration. Le colonel supposait toutefois qu’il ne devrait pas opérer en milieu hostile, mais dans un climat de semi-neutralité où la MINUAR ne serait pas visée (407b).

En décrivant l’attitude des gendarmes rwandais aux points de contrôle, les divers témoins constatent tous que cette collaboration était très difficile et que, sur les plans technique et militaire, elle était tout sauf opérationnelle.

Le lieutenant Nees (S2 KIBAT I) confirme que des gendarmes rwandais étaient présents à chaque point de contrôle. Souvent, ils ne parlaient que le kinyarwanda, ce qui entraînait parfois des problèmes de communication. Il fait également état de quelques incidents déplorables à ces points de contrôle : " Il n’y a eu que quelques incidents déplorables. Les problèmes, notamment aux points de contrôle, étaient provoqués en général par les Rwandais. Les problèmes se produisaient durant les missions de patrouille. Les autres incidents étaient provoqués par des personnes de la même tendance politique.

Je me souviens d’un incident où moi-même j’étais à un poste de contrôle. À chaque poste de contrôle, il y avait toujours deux gendarmes rwandais qui contrôlaient les véhicules. Ces contrôles se déroulaient sans la moindre agressivité. À un certain moment, un véhicule a passé un poste de contrôle et les militaires belges ont dû s’esquiver. Je l’ai signalé au commandant de KIBAT et je lui ai demandé également si nous ne devions pas en informer le colonel Marchal " (408b).

Le colonel Marchal a donné à la commission une idée du nombre d’hommes impliqués dans l’organisation de ces points de contrôle : " Dans certains cas, nous disposions d’une section, soit 10 hommes ; dans d’autres cas, par exemple pour contrôler un carrefour, nous disposions d’un peloton. Il faut considérer que, pour dix hommes, il y avait quinze gendarmes. Comme nous ne disposions pas d’effectifs actifs suffisants, nous nous sommes coordonnés de manière séparée avec les observateurs de l’ONU. Ce système n’était pas parfait mais représentait une amélioration et un contrôle plus performant " (409b).

La deuxième mission importante de la MINUAR consistait à installer, en collaboration avec les autorités rwandaises locales, une zone sans armes (la KWSA - Kigali Weapon Secure Area). Pour accomplir cette mission, la MINUAR avait un mandat pour rechercher les caches d’armes en collaboration avec les gendarmes rwandais et UNCIVPOL. Le colonel Balis témoigne à ce sujet qu’il avait l’impression que les gendarmes n’avaient pas l’intention de rechercher ces caches.

Le colonel a cependant ajouté que New York n’a pas donné l’autorisation de vider les dépôts d’armes et que, dès lors, il ne pouvait pas savoir si la gendarmerie aurait coopéré (410b).

Le colonel Marchal aussi était conscient du problème que posait l’obligation pour la MINUAR de travailler avec la gendarmerie dans ce domaine. Il a déclaré qu’il devait veiller à sa présence dans toutes les actions, car seule la gendarmerie disposait de la compétence juridique requise, par exemple pour procéder à des fouilles. Le colonel Marchal a cependant tenté à plusieurs reprises de rechercher les caches d’armes avec la gendarmerie rwandaise. Voici le témoignage qu’il a donné à la commission à ce sujet : " Notre idée était d’impliquer la gendarmerie dans la recherche des caches d’armes. Ce n’était pas simple et il y a eu un long travail d’approche qui a finalement abouti à un résultat positif. Mi-mars, la gendarmerie avait procédé à sa première opération de fouille et de bouclage. Ce fut un fiasco qui s’expliquait essentiellement par la méconnaissance technique. Nous étions présents en qualité d’observateur et avons pu définir les problèmes, conseiller la gendarmerie et établir des recommandations qui furent d’ailleurs bien accueillies. La deuxième opération de fouille et de bouclage s’est faite dans le cadre de nos recommandations mais sans participation de la MINUAR. Elle avait donc un caractère purement rwandais. Nous étions bien sûr présents sur le terrain, afin de vérifier que, sur le plan militaire, tout se déroulait normalement et que, sur le plan civil, la législation du pays était respectée " (411b).

Avec la commission, le colonel Marchal constate l’échec de cette mission KWSA. En effet, dit-il, la zone de consignation n’a jamais été réalisée comme elle aurait dû l’être suivant le protocole (412b).

Le chef de cabinet Willems trouve intéressant que ce soient précisément les autorités rwandaises qui aient demandé à la MINUAR et à la gendarmerie de procéder à des actions visant à démanteler les groupes armés. La balle était ainsi dans le camp de New York dont la réponse a été négative, l’opération étant jugée trop dangereuse (413b).

Outre le laxisme généralisé de la gendarmerie rwandaise, la commission a relevé, en particulier, l’attitude récalcitrante du colonel Bagosora, chef de cabinet du ministre de la Défense. Plusieurs témoignages montrent que ce colonel n’hésite pas à menacer les troupes de la MINUAR avec des armes. La commission constate que l’attitude du colonel Bagosora constitue un indice important des motifs véritables et du caractère sincère ou non de la coopération avec les troupes de la MINUAR. Le lieutenant Nees (S2 KIBAT I) témoigne à propos d’un premier incident qui a lieu au début du mois de février 1994 : " Le 5 février, lors de l’installation du KWSA, une patrouille nocturne a remarqué de nombreux Rwandais armés autour de la maison du colonel Bagosora. La patrouille voulait intervenir mais, à ce moment, le colonel Bagosora est sorti et a ordonné à sa garde militaire de braquer ses armes sur les Belges " (414b).

Son commandant de bataillon, le colonel Leroy (KIBAT I), témoigne à propos d’un incident semblable et déclare qu’il a demandé immédiatement après des directives à Bruxelles, mais en vain. Il fait ensuite la déclaration suivante : " Dans la plupart des checkpoints et des escortes, il y a danger lorsqu’il y a provocation. Ainsi, dans un des 152 checkpoints, un véhicule s’arrête et le passager ordonne à ses gardes de sécurité d’armer. Le chef de patrouille fait armer à son tour. Le ton baisse et, sur la carte remise par le passager, qui déclare qu’on entendra parler de lui, on lit Bagosora. J’ai informé le commandant de secteur et Bruxelles, parce que c’était le énième incident qui se produisait dans le cadre de la mission de sécurité. Je ne me sentais pas équipé et entraîné pour y faire face.

À la date du 1er mars, j’ai envoyé un message à Bruxelles demandant des directives, mais en vain, et je me suis refusé à appliquer les ordres, voulant à tout prix éviter de faire remplir par mes hommes des tâches de gendarmerie au lieu de tâches militaires " (415b).

Le commandant de secteur, le colonel Marchal, ne laisse planer aucun doute à propos du colonel Bagosora : " Dès le début, j’ai essayé de me faire une idée de la valeur de ce partenaire. Je n’ai pas seulement discuté avec Bagosora, j’avais aussi de nombreux contacts avec les ministres. Je savais cependant que je ne devais attendre aucune collaboration de la part du colonel Bagosora " (416b).

Enfin, nous notons le témoignage du conseiller en droit de la guerre, le capitaine commandant Noens, qui témoigne que le colonel Bagosora se livrait constamment à la provocation et que celle-ci était très agressive : " Tijdens een van de nachtelijke patrouilles botste een bereden patrouille in een kleine straat op een 30 à 35 gewapende FAR-soldaten.

Dat betekende een grove schending van de regels van de KWSA. Dat wordt aangekaart en nog eens besproken ter gelegenheid van de veiligheidsconferentie van 15 februari, waaraan ook de minister van Landsverdediging, de Stafchef van de Rijkswacht en kolonel Bagosora deelnamen. Deze kolonel was in feite zowat de slechte geest van de groep, de meester-provocateur voor onze para’s. Met een brede smile op zijn gezicht verklaarde hij dat er geen enkele overtreding gebeurd was en dat zijn soldaten het volste recht hadden om daar te zijn, want, zo zei hij, ik heb recht op vijf man en ik heb nog een reeks autoriteiten bij mij uitgenodigd die elk hun escorte hebben meegebracht.

Bij dergelijke provocaties, waarbij een Blauwhelm tegenover een FAR-soldaat kwam te staan, had de FAR-soldaat het geweer in de aanslag met een kogel in de kamer, terwijl onze Blauwhelm wel zijn lader op had, maar zonder kogel in de kamer. Dat is een merkelijk nadeel. Wij hebben bij herhaling aangedrongen op een aanpassing van the rules en gevraagd dat onze mensen buiten het kwartier en in zo’n situaties patrouilles zouden mogen uitvoeren met de kogel in de kamer. Ik besef dat dit een gevaarlijke situatie is. Op onze vraag is altijd een negatief antwoord gekomen " (417b).

(3) La collaboration pendant les événements des 6 et 7 avril

La commission constate que le colonel Dewez estime, au moment où lui parviennent les premiers messages alarmants du lieutenant Lotin, que la seule façon de résoudre le problème des barrages routiers consiste à demander l’intervention des gendarmes rwandais. Pour ce faire, il fait appel au commandant de secteur, le colonel Marchal, mais, comme le montrent les faits, le colonel Dewez attendra en vain que les autorités rwandaises interviennent d’une manière ou d’une autre en faveur du peloton Mortiers.

Le colonel Dewez le dit très clairement dans son témoignage : " J’ai eu une conversation avec le colonel Marchal à ce moment-là (pas précisément au sujet de l’escorte de Mme Agathe), et lorsqu’il m’a demandé de reprendre les patrouilles dans l’ensemble des missions, je lui ai fait part des problèmes que nous rencontrions pour les réaliser, notamment à cause des barrages. Il nous fallait obtenir l’aide des gendarmes et si possible des FAR, pour nous aider à franchir ces barrages.

Il m’a appris que, suite à une réunion, la gendarmerie et les FAR collaboraient pour contrôler la situation ... Dès le moment où l’on a repris ces escortes, plus exactement la mission de patrouille, j’ai insisté auprès de tout le monde pour avoir des gendarmes. J’étais persuadé que sans l’appui des gendarmes, on ne pourrait pas passer les barrages. Donc, il me fallait l’appui des gendarmes rwandais pour pouvoir passer les barrages et remplir les missions de patrouille comme on le faisait d’ailleurs d’habitude. Il y a eu des problèmes pour avoir suffisamment de gendarmes ; on n’en a eu que quelques-uns. Je me suis également rendu compte en fin de nuit que les gendarmes ne suffisaient pas pour passer les barrages, que ceux-ci étaient constitués de gendarmes et de militaires rwandais et qu’il était quasiment impossible de passer si un officier des FAR n’accompagnait pas les patrouilles. J’ai, à plusieurs moments, demandé au QG-secteur lorsque je savais que mes gens étaient bloqués aux barrages de pouvoir disposer d’un officier FAR pour débloquer la situation. Aussi, lorsque j’ai suivi l’évolution des essais du lieutenant Lotin pour rejoindre Mme Agathe, je lui ai dit : " Si l’on ne veut pas te laisser passer le barrage alors que tu expliques pourquoi, de mon côté, je prends contact avec le secteur " (418b).

Le colonel Dewez est convaincu que cette démarche était la meilleure. Voici ce qu’il dit à ce propos : " Donc, comme je pensais qu’il y avait quelqu’un de l’ONU là-bas, j’ai pris contact avec le colonel Marchal, pour lui dire qu’il fallait absolument intervenir au niveau des forces armées rwandaises, car j’avais des hommes qui se faisaient tabasser alors qu’ils étaient prisonniers ... Sous le coup de l’émotion et du choc je me rendais compte que des hommes à moi se faisaient tabasser j’ai plutôt demandé du secours auprès de la personne qui, à mon sens, était en contact avec les forces armées rwandaises et avec les observateurs de l’ONU, parce que tout cela se trouvait au niveau du QG-secteur. C’est pourquoi j’ai pris contact avec le colonel Marchal, non pour me débarrasser d’un problème, mais en réagissant de manière instinctive. Dans ces circonstances, vous ne réfléchissez pas pendant une heure ! " (419b).

Un commissaire fait remarquer qu’il s’avère, déjà entre 5 et 6 heures du matin, que la coopération avec les autorités rwandaises est en fait inexistante. À la question de savoir pourquoi le colonel Dewez n’a pas pris d’autres initiatives à ce moment-là, celui-ci répond qu’il s’était rendu compte que la coopération ne fonctionnait pas, mais qu’il avait mis cela sur le compte du temps nécessaire pour transmettre les instructions du comité de crise aux soldats installés sur les barrages. Il ressort de son témoignage qu’il pensait que les soldats n’avaient pas encore reçu l’ordre de coopération (420b).

Même lorsque le peloton Mortiers avait été désarmé et emmené, le colonel Dewez n’était pas vraiment inquiet. Il déclare que, quand les hommes ont été emmenés par les FAR, il était tranquillisé. Ils étaient prisonniers mais sains et saufs (421b).

L’importance des contacts personnels avec les collègues officiers ressort également du témoignage du colonel Dewez : " (...) À l’époque, quand je suis arrivé au Rwanda, j’ai rencontré des officiers rwandais avec qui j’avais fait mon deuxième cycle, mes études à l’IRSD. J’ai également rencontré le major Ntabakuze, le commandant du bataillon para, avec qui j’avais fait un an aux États-Unis. J’avais confiance en eux ... Et je dois avouer que le major Ntabakuze, tout commandant du bataillon de para qu’il fût, aurait pu dire qu’il était face à l’ennemi... Or, dans la suite des événements, il a tiré certains de mes hommes de mauvaises circonstances. Il est venu et il les a sortis de certains pétrins. Donc, j’avais en effet une confiance dans les FAR se trouvant à un certain niveau ... Je connaissais le colonel Vincent ... Il ne m’informait pas. Nous avons été manger à la CTM " (422b).

Le colonel Marchal a déclaré devant la commission qu’il s’est adressé au général Dallaire pour lui demander son intervention auprès des autorités rwandaises. D’après le colonel, c’était logique, puisqu’il aurait une importante réunion avec ces autorités. Le colonel Marchal a également tenté lui-même de contacter les autorités rwandaises avec lesquelles il était généralement en relation pour leur demander une intervention. Le colonel pense avoir informé le major Karangwa de la situation. Il ajoute que tout s’est passé il y a longtemps, mais qu’il a l’impression que ce major lui avait promis l’engagement des gendarmes (423b).

La commission constate toutefois qu’il n’y avait plus aucune collaboration avec la gendarmerie rwandaise dès la veille du 6 avril, et que les tentatives de trouver des officiers de liaison des FAR étaient vaines. La commission constate avec étonnement que le chef de UNCIVPOL observe, le 6 avril, aux alentours de 20 heures, que la gendarmerie rwandaise est " au complet et bien armée " . L’avion présidentiel ne sera pourtant abattu qu’une demi-heure plus tard et cette nouvelle ne sera diffusée pour la première fois sur Radio Rwanda qu’à 23 heures.

Dans son rapport, le général Uytterhoeven fait le récit exact des diverses demandes d’assistance qui ont été adressées à des gendarmes rwandais et à des officiers de liaison des FAR au cours de la nuit du 6 au 7 avril.

Le bataillon demande une première fois au colonel Marchal, aux alentours de 3 heures du matin, de lui envoyer une section comprenant des gendarmes rwandais, et ce, à la demande du premier sergent Leroy.

Le caporal Lhoir signale entre-temps au bataillon que le lieutenant Lotin est en pleine discussion avec les gendarmes qui se trouvent près du barrage.

À 3h30, le lieutenant Lotin signale au bataillon que les gendarmes rwandais ne peuvent pas non plus convaincre les militaires des FAR de les laisser franchir le barrage.

À 3h45, le colonel Dewez prévient le lieutenant Lotin qu’il fait tout le nécessaire pour lui envoyer un officier de liaison des FAR.

À 3h50, le S3 (capitaine Choffray) précise que le peloton Mortiers doit rester sur place en attendant l’arrivée de cet officier de liaison des FAR.

Le capitaine Marchal est lui aussi bloqué au barrage Mille Collines. Il attend à son tour l’arrivée d’un officier de liaison FAR.

À 4h10, le lieutenant Lotin informe le S3 que l’officier de liaison des FAR n’est toujours pas arrivé et qu’il se trouve encore au barrage Mille Collines (424b).

Ni le capitaine Marchal ni le lieutenant Lotin ne verront jamais un officier de liaison des FAR. Le capitaine Marchal parvient tout juste, sous une pluie de balles, à se rendre dans un cantonnement, alors que le lieutenant Lotin tient bon et atteindra, de sa propre initiative, la maison de Mme Agathe.

La commission constate que les demandes d’assistance adressées aux gendarmes rwandais et aux officiers de liaison des FAR sont restées sans suite depuis 3 heures du matin. Elle constate d’autre part que le colonel Dewez et, dans une moindre mesure, le colonel Marchal, continuent à croire, au moins jusqu’à 10 heures du matin le 7 avril, qu’il sera possible de résoudre la crise en collaboration avec les autorités rwandaises précitées.


Source : Sénat de Belgique