En ce qui concerne le comportement des troupes belges au Rwanda, on peut distinguer le comportement des troupes en service et l’attitude des soldats lors des congés et permissions.

Le comportement des troupes en service

Plusieurs problèmes liés à l’attitude des soldats belges ont été soulevés devant la commission par différents interlocuteurs. Parmi ceux-ci, nombreux sont ceux qui ont estimé que ces problèmes étaient dus, au moins en partie, à une préparation insuffisante des hommes à la mission qu’ils allaient accomplir. D’autres témoins considèrent que ces problèmes sont dus, en majorité, à des provocations émanant de certains groupes de Rwandais.

Des incidents et difficultés d’application de la mission portés à la connaissance de la commission et liés au comportement des troupes, on peut retirer les éléments suivants.

Manifestement, au début de la mission KIBAT I, les troupes belges en opération ont adopté un comportement militaire classique, défensif, parfois qualifié d’agressif. Cela s’explique par la formation spécifique de paracommando qu’elles ont reçue, privilégiant les capacités de combat, renforcées par la dernière mission exécutée par ces troupes en Somalie quelques mois auparavant seulement, où il s’agissait d’une véritable opération de rétablissement de paix menée dans un climat souvent hostile. Ainsi, on lit dans le rapport de la commission Uytterhoeven, présidée par le lieutenant général Uytterhoeven, qu’il " faut aussi admettre que l’attitude adoptée au Rwanda n’était pas de nature à plaire au paracommando. Elle était éloignée des réflexes de base qui lui étaient jusqu’alors inculqués tout au long de sa formation : dominer la situation, en imposer en étalant sa force et sa confiance en soi. Le paracommando n’est pas un policier et n’aspire certainement pas à jouer ce rôle " (425b).

Le colonel Marchal a déclaré devant la commission : " Nos hommes sortaient de l’opération en Somalie. Au Rwanda, la situation était différente, mais ils croyaient qu’ils devaient travailler de la même façon. Par exemple, la première patrouille à Kigali, le 14 décembre, s’est faite fusil pointé alors que la situation était normale. Cette attitude a surpris la population et a entraîné des critiques. Je crois qu’on pouvait patrouiller d’une autre manière tout en restant prudent . " (426b)

De même, on lit dans le rapport de la commission Uytterhoeven que " les patrouilles eurent au début une attitude fort musclée " (427b). Ces patrouilles, tant à pied, en véhicules, qu’en hélicoptère, ont donné lieu à des plaintes de la part de la population (428b).

L’établissement de checkpoints (points de contrôle routier) fut également source de problème. Les contrôles se faisaient au début arme tenue des deux mains (429b). Cette attitude menaçante fut très mal perçue par la population, " aussi bien les Rwandais que les expatriés " (430b). De plus, de nombreux incidents éclatèrent lors de contrôle de militaires ou de personnalités politiques. Il semble que l’attitude des soldats belges n’ait pas toujours été adaptée à cette mission de simple police, exécutée par des agents étrangers contrôlant les autorités locales. Comme l’a souligné le colonel Marchal devant la commission, " quand le chef d’état-major des troupes rwandaises est arrêté à un contrôle routier, il faut adopter une attitude particulière. C’est ce manque d’adaptation qui est à l’origine de l’incident avec le général Nsabimana. (...) Nous avons connu ce genre d’incident aussi avec le ministre de la Défense et le colonel Bagosora " (431b). Des incidents éclatèrent aussi avec des " VIP civils ou militaires tous proches de la présidence qui ostensiblement refusaient de se soumettre à toute forme de contrôle " (432b). La réalisation du seul " road-block " de toute la mission (consistant à bloquer des personnes, sur ordre des observateurs de l’ONU, pour les empêcher de circuler sans escorte UNMO) fut également source de critiques, basées cette fois, semble-t-il, sur l’attitude désinvolte des troupes (433b).

À propos de la cause de ces incidents, certains ont évoqué l’hypothèse d’un plan visant à déstabiliser les militaires belges (434b). Dans plusieurs situations, le comportement des Rwandais contrôlés s’apparentait, selon plusieurs témoins, à de véritables provocations.

Le colonel Marchal " ne nie pas l’intention de déstabiliser le détachement et de susciter des incidents " , mais ne pense pas qu’il s’agissait d’un plan concerté de déstabilisation. De plus, il estime " qu’un militaire professionnel doit pouvoir éviter ce genre de piège (435b). (...) " La conclusion que j’ai tirée des incidents qui se sont produits pendant les contrôles routiers était que le détachement n’était pas préparé et qu’il y avait une méconnaissance de l’environnement dans lequel il évoluait. Cela engendrait des attitudes inamicales et inutilement agressives . " (436b)

Le lieutenant Nees a évoqué plusieurs provocations lors de son audition devant la commission d’enquête. Il cite notamment le cas de l’intervention d’une patrouille la nuit près de la maison de M. Bagosora, lors de laquelle ce dernier " a ordonné à sa garde militaire de braquer ses armes sur les Belges " (437b). Dans un document du 7 février 1994, Nees écrit qu’il faut considérer l’attitude antibelge non comme hostile à l’égard des Casques bleus belges, mais comme faisant partie d’une politique délibérément dirigée contre les Belges ; il a confirmé ces propos devant la commission (438b).

L’auditeur militaire Van Winsen estime quant à lui, après enquête, que " les provocations ont été nombreuses, sans qu’elles soient suivies de réaction ". Il ne veut pas pour autant privilégier l’idée selon laquelle ces provocations s’inscrivaient dans un plan visant à obtenir le départ de la MINUAR, et qui aurait impliqué l’assassinat des soldats belges, même s’il ne peut rejeter totalement cette idée (439b).

À la suite de ces nombreux incidents, un changement d’attitude a été exigé par l’état-major [du secteur et de la Force] (440b).

Dans les checkpoints, les contrôles se firent " arme à la bretelle ". Bientôt, " le Force Commander (FCO) décida en date du 6 février 94 de mettre provisoirement un terme aux CHP [checkpoints] établis par des militaires belges. Ce n’est qu’en date du 25 février que les CHP furent remis au programme " (441b).

Les patrouilles à pied se firent moins nombreuses, ainsi que les arrêts lors des patrouilles en véhicules. On expliqua aux troupes que le but de ces patrouilles était " de prendre contact avec la population, amicalement. Fin mars, ces patrouilles étaient surnommées " patrouilles Coca-cola " (442b).

Après avoir eu une attitude " militaire ", les forces belges ont adopté une attitude plus proche de celle de " policier de quartier ", selon le rapport de la commission Uytterhoeven (443b).

Cette interprétation est cependant nuancée par le colonel Marchal qui s’insurge contre l’affirmation selon laquelle " il voulait limiter le rôle des militaires belges à celui " d’agents de quartier ". Il estime " avoir toujours exigé une mentalité d’opération ". Il a déclaré avoir " défendu une attitude conciliant une apparence décontractée et le doigt posé sur la détente (...) ma devise était " relax mais vigilant ". De ce point de vue, le colonel Marchal semblait en phase avec le général Dallaire.

Mais le colonel reconnaît lui-même que, si ses instructions concernant la décontraction apparente ont bien été appliquées, l’exigence de vigilance accrue a été moins bien rencontrée.

Lors de la préparation de KIBAT II, on a donné des consignes de modification de cette attitude. " On mit spécialement l’accent sur la différence d’attitude à adopter, en comparaison avec la Somalie. La philosophie de base était que l’on se rendait au Rwanda comme invité et que, dès lors, la coopération (avec la gendarmerie notamment) était la clé du succès " (444b).

Comme les militaires l’ont souligné eux-mêmes, il apparaît que ce changement ne s’est pas toujours fait sans problème (445b). " À titre d’illustration, l’on peut dire que le conseiller en droit de la guerre a notamment attiré l’attention sur certaines réactions divergentes des cadres subalternes au cours de la formation "(446b).

Dans une partie suivante, la commission fera une série de constatations sur la fonction et l’importance de ce conseiller en droit des conflits armés (CDCA).

Indépendamment du rôle de ce CDCA et des problèmes qui y sont liés, la communication des règles de comportement et son intégration par la troupe paraît avoir été difficile. À la suite des incidents de début de mission, il a donc fallu insister, tant sur place pour la deuxième partie de KIBAT I que lors de la préparation en Belgique de KIBAT II, sur la retenue nécessaire, et sur le caractère contraignant des ROE. " On a tant insisté sur les interdictions contenues dans les ROE que, finalement, le principe le plus important la légitime défense n’était plus présent à l’esprit des exécutants " (447b). La qualité de l’armement et des munitions, adaptée à un rôle de policier, mais qui rendait illusoire aux yeux des soldats toute action militaire sérieuse, " certainement eu une influence sur la vigilance des paracommandos, leurs réflexes de base, voire même sur leur sens de l’initiative et leur confiance en soi " (448b).

Enfin, " il faut ajouter que les cas pendants devant l’auditorat général, à la suite des opérations ONU en Somalie auxquelles ces mêmes unités ont participé, continuent de créer une certaine peur d’être jugé pour avoir utilisé son arme " (449b). L’auditeur militaire Van Winsen a affirmé que certains hommes " étaient traumatisés par les poursuites engagées " (450b).

" Sur le terrain, cela se traduisait par un sentiment d’impuissance " (451b). " Cela a conduit à une certaine démobilisation des esprits, mettant en doute l’utilité des patrouilles, contrôles ... " (452b).

On est donc passé d’un extrême à l’autre : à un comportement conquérant et peut-être trop agressif, a succédé une attitude effacée, incertaine. Bien entendu, aucune de ces attitudes ne convient aux missions de peace-keeping , lesquelles exigent " une maîtrise de soi de tous les instants, accepter de rester vigilants pendant de longues périodes, et contrôler son stress " (453b).

Alors que les incidents dus, d’une part, au comportement inadapté des troupes au début de la mission et, d’autre part, à une volonté de provocation de la part des Rwandais ont pu créer, ou renforcer, un sentiment de défiance vis-à-vis du contingent belge qui a pu mener à une attitude plus menaçante, l’attitude adoptée ensuite par nos troupes ne permettait pas de faire face à cette attitude menaçante, puisqu’il n’était plus question de " montrer sa force ". En somme, face à une attitude peut-être hostile mais peu menaçante, les paras ont adopté un comportement considéré comme agressif par certains ; ensuite, face à une attitude réellement menaçante et face à une hostilité grandissante, les paras ont fait montre d’une attitude plus passive.

Le capitaine Theunissen témoigne également de la diminution du respect à l’égard des paras belges. Le capitaine Theunissen a déclaré au sujet de la valeur plutôt symbolique des barrages mis en place par les Rwandais : " Je vous ai parlé la dernière fois des barrages où l’on mettait deux cailloux et une baguette sur la route. Les gens faisaient demi-tour parce qu’il n’était pas question de forcer des barrages. Le soldat rwandais qui voit ce genre de réaction est conforté dans son idée que cette fois-ci il peut y aller : Belges ou pas de Belges, ils ont un béret bleu et il peut en profiter au maximum " (454b).

C’est ce que confirme le lieutenant Lecomte au cours de son audition du 7 mai 1997 :

" Ce n’est pas d’office, mais je pense que de voir en permanence les Belges cotoyer les gendarmes rwandais en ayant une attitude assez passive et assez discrète également fait que les Rwandais se sont sentis en position de supériorité vis-à-vis des troupes belges. "

Ensuite, le lieutenant Lecomte a déclaré :

" Je pense que, si on avait pu faire preuve de plus de fermeté, je ne dis pas que la situation ne serait pas arrivée, mais leur attitude aurait été totalement différente " (455b).

Nous retrouvons également des remarques similaires dans les déclarations faites à la commission Uytterhoeven : le sergent Bulinckx affirme par exemple :

" On nous a tellement martelé Show the flag que je me suis senti en faute après avoir utilisé les armes pour me défendre... Certains officiers (Capt. Marchal) se sont fait fouiller et désarmer par les FAR en passant un road block " (456b).

Dès lors, la commission Uytterhoeven a tiré la conclusion suivante, qui est importante :

" Sur le terrain, cela se traduisait par un sentiment d’impuissance : dans tous les cas, le succès d’une opération dépendait du bon vouloir des Rwandais. La MINUAR n’avait pas les moyens d’imposer sa volonté, son Comd n’a d’ailleurs jamais voulu utiliser la force pour ce faire. Cette impuissance de la MINUAR ne devait évidemment pas passer inaperçue des Rwandais. Ils ont donc pu estimer ne guère courir de risques en bloquant la MINUAR, voire en s’en prenant à ses troupes " (457b).

Cela a entrainé une réduction importante de la crédibilité de la MINUAR, qualifiée d’ailleurs de " Minua " (en kinyarwanda, " ceux qui parlent ").

À la suite de problèmes de formation, et des corrections brutales qui suivirent, il n’y eut donc jamais d’adéquation entre le comportement des troupes et la situation sur le terrain.

La fonction de conseiller en droit des conflits armés

Le rôle du CDCA était important au sein des missions de KIBAT I et II.

L’existence du CDCA est prévue par le premier protocole additionnel aux conventions de Genève du 12 août 1949, art. 82. La mission du conseiller a été définie après les événements au Rwanda par l’état-major :

" a. Conseiller les commandants militaires quant à l’application du droit des conflits armés, quant à la doctrine existante et à l’enseignement.

b. En cas de participation à une opération extérieure, conseiller les commandants en ce qui concerne les aspects du DCA (Droit des conflits armés) inhérents à ce type de mission " (458b).

Le commandant Noens était conseiller en droit des conflits armés auprès de la MINUAR, plus particulièrement auprès du KIBAT I. Il n’a été désigné comme tel que le 22 novembre 1993, après que la presse eut fait état de la mauvaise conduite des paracommandos en Somalie. Comme les directives destinées au CDCA se limitaient à un ordre général fort succinct de 1991, il a dû, pour ainsi dire, déterminer lui-même sa propre mission. En tant que conseiller de l’état-major, il vérifiait si les instructions étaient conformes aux règles d’engagement et au droit humanitaire. Le commandant Noens a rendu un seul avis négatif, sur le fait que l’armée belge n’était pas formée aux missions de maintien de l’ordre. Il assistait aux réunions de sécurité avec les Rwandais et donnait des cours de droit humanitaire au KIBAT I. Selon le commandant Noens : " Het werk op het terrein gaf dikwijls aanleiding tot hevige maar positieve discussies met de mensen, met de troep aangaande het nut van het oorlogsrecht en het nut van de VN-opdracht " (459b).

D’après le commandant Noens, nos soldats n’étaient pas préparés à la mission de maintien de la paix au Rwanda : " ... de para’s die vertrokken zijn, hebben gedacht dat het een gemakkelijke operatie was en dat men in zekere zin een ruiloperatie had gedaan. (...) Het was allerminst aangenaam, vooral op mentaal gebied omdat zij van de Force en de sector kritiek kregen, vaak ten onrechte. (...) Zij hadden de indruk niet begrepen te worden, en vooral niet gesteund te worden " (460b).

Pour le commandant Noens, les divers messages fax envoyés à Evere soulignaient la nécessité de mieux préparer KIBAT II. Il craint que ces messages n’aient eu un effet négatif en ce sens que les hommes ont eu le sentiment de ne plus rien pouvoir entreprendre. Le commandant juge néfaste que les Casques bleus aient d’abord patrouillé à pied, en section (show the flag ) et armés et que, par la suite, ils aient réduit leur armement. Le commandant Noens estime que " ... Dat was in de kaarten spelen van bepaalde FAR-officieren die helemaal niet Belgisch gezind waren " (461b).

Au commandant Noens a succédé le major Bodart, qui a assumé la tâche de conseiller en droit des conflits armés pour le KIBAT II. Le commandant Noens et le major Bodart ne sont pas issus de la brigade paracommando et n’en font pas davantage partie. La commission constate pourtant que les rapports entre le commandant Noens (KIBAT I) et le premier bataillon para de Diest étaient assez bons, tandis que ceux qu’entretenaient le major Bodart (KIBAT II) et le deuxième commando de Flawinne avaient un caractère plutôt polémique.

Le major Bodart explique la situation comme suit : " J’ai fait en tout et pour tout trois interventions. La première c’est le 7 avril au matin lorsque j’ai vu arriver un chauffeur dans le cantonnement où je me trouvais, équipé d’une grenade. J’ai dit, tiens on a distribué des grenades. Je l’ai vérifié près du colonel Dewez qui m’a dit : " c’est normal, ils doivent pouvoir se défendre ". Ma deuxième intervention n’a pas trait à un phénomène d’armement mais à un bête problème de parking. J’ai demandé à un chef de section qui rentrait d’une mission relativement dure c’était la compagnie qui était à Don Bosco de bouger sa camionnette qui était dans le chemin. Au même moment, nous recevions des autobus pour évacuer des expatriés qui étaient à l’hôtel Méridien. Il y avait une certaine excitation. Je lui ai demandé à plusieurs reprises de déplacer sa camionnette. Il ne l’a pas bougée. Après trois fois, je l’ai légèrement empoigné par le bras pour le tourner vers sa camionnette en lui demandant de la bouger. À ce moment-là, un lieutenant a failli en venir aux mains. Je crois que cette réaction est tout à fait légitime " (462b).

Pour ce qui est de ce dernier incident, il apparaîtra toutefois que le commandant du bataillon, le colonel Dewez, avait donné l’ordre de sortir les MI.50. Le major Bodart témoigne qu’il n’était pas au courant de cet ordre. Il témoigne également qu’il a parfois dû entendre des mots durs, ce que confirment les témoignages suivants de quelques cadres inférieurs.

Le capitaine Theunissen a fait le témoignage suivant concernant le major Bodart : " Je le considère comme incapable. À aucun moment, il n’a appuyé son colonel " (463b).

Le caporal-chef Pierard a porté le jugement suivant sur le CDCA : " Je ne sais s’il s’est bien rendu compte de la situation " (464b). Et le caporal-chef Pierard d’ajouter que le major Bodart ne lui a donné aucun cours de droit de la guerre.

Le caporal Kinkin a dit quant à lui : " Nous avions l’impression que Bodart ne servait à rien. Il était là pour aider les Noirs, pas les Belges " (465b).

La commission constate que les CDCA de KIBAT ont dû remplir leur mission à Kigali alors qu’ils n’avaient pas été suffisamment préparés. Ce n’est qu’en 1995-1996 qu’un ordre de service précisera plus avant en quoi consistent la mission et la fonction de CDCA. De même, en ce qui concerne le recrutement de ces CDCA, la commission constate que leur candidature était volontaire et que la formation était très sommaire.

La commission constate, en outre, que le commandement s’est heurté, à plusieurs reprises, à des ordres contraires du CDCA, surtout lors du KIBAT II, ce qui ne fit qu’accroître la confusion parmi les troupes concernant leur comportement militaire et opérationnel. Au cours du KIBAT II, le rôle du conseiller militaire a manifestement été un problème en soi, du fait de sa personnalité et de certaines de ses positions (466b).

L’attitude des soldats hors service

Les militaires belges ont pu se promener, hors service, dans la ville de Kigali. En effet, des sorties étaient autorisées, et les congés pouvaient se prendre dans la zone d’opération.

Quant aux sorties, il a paru " normal " au commandement de KIBAT I, le lieutenant-colonel Leroy, " d’autoriser les sorties pour autant qu’elles se déroulent selon des règles très strictes (tenue civile, pas d’armes, sous la protection des RP, dans des endroits reconnus, et selon un horaire, et un tour de rôle préétablis) (467b). Ces règles sont précisées (pour KIBAT II), notamment dans un document daté du 19 mars 1994 signé par le LtCol Dewez consacré aux " régimes des sorties " (468b). Elles prévoient des sorties dans des restaurants autorisés, de 18 heures à 23 heures.

Les congés étaient organisés selon les règlements de l’ONU, qui " prévoient 2,5 jours de congé par mois presté dans la zone de mission, soit environ dix jours à prendre au cours des quatre mois de missions pour autant que la Sit. Ops le permette " (469b). En ce qui concerne ces congés, " le Rwanda et la Belgique entretenant des rapports cordiaux d’État à État, le FCO, le Sect Comd et le Comdt de KIBAT n’ont trouvé aucune raison valable au fait que des familles ne soient pas autorisées à se rendre à leurs frais à Kigali. D’autre part, si les congés devaient être pris dans la zone Ops, rien ne s’opposait en fait à ce que des Mil belges, accompagnés ou non de leur famille, prennent ces congés dans la KWSA, et plus particulièrement dans la ville même de Kigali " (470b).

Le 2 avril 1994, le lieutenant-colonel Dewez informait les troupes que " des problèmes de divers ordres se sont posés avec KIBAT I. KIBAT II n’a plus droit à l’erreur ". Et il imposait des restrictions dans le cadre des congés, notamment en imposant au personnel prenant ses congés dans la KWSA de rester soumis, en dehors du cantonnement, aux mêmes règles que le personnel qui n’était pas en congé (471b).

Ces " problèmes de divers ordres " étaient notamment de " nombreux incidents à caractère judiciaire ou disciplinaire " (472b). La note du lieutenant-colonel Leroy précise que " à la suite de nombreux incidents survenus en cours de service, mais pas par le fait du service, vingt militaires belges appartenant à KIBAT I ont été renvoyés en Belgique au cours des quatre mois qu’ont duré les Ops ". La note évoque des cas évidents de méconduite, d’indiscipline, voire d’escroquerie, et précise que, compte tenu de vols, d’accidents de la circulation, de plaintes diverses, l’auditeur militaire a traité en tout et pour tout soixante-cinq dossiers en date du 17 mars 1994. Dans les 65 dossiers sont inclus ceux où des militaires belges étaient les plaignants.

Le lieutenant-colonel conclut en espérant " que la justice suivra son cours et que certains éléments qui ont nui gravement au renom de l’unité, voire du pays, seront écartés de l’armée, où ils n’ont pas leur place. Pour ceux qui ont fauté moins lourdement, mais qui se sont rendus coupables d’actes répréhensibles qui sur place ont trouvé une incroyable caisse de résonance, qu’ils sachent qu’ils seront punis conformément aux règlements, mais de façon à ne pas pénaliser l’immense majorité de ceux qui se sont comportés comme il se doit ".

Le lieutenant-colonel Leroy confirme que " l’énorme majorité [de ses hommes] ont réussi à se conduire en adultes responsables, et à être nos meilleurs ambassadeurs auprès des instances de l’ONU, de la communauté expatriée, et surtout du peuple rwandais ".

Lors de son audition par la commission, le lieutenant-colonel a précisé que " certains individus ont nui à l’image de leur unité. Ils ont été punis. Les missions se sont déroulées du mieux possible selon les moyens dont nous disposions " (473b).

La commission a appris de diverses sources que ces incidents disciplinaires n’avaient rien à voir avec la mission. Il s’agissait, pour l’essentiel, de rixes durant les sorties. La multiplication des incidents a entraîné la menace d’interdiction de ces sorties puis sa mise en oeuvre. Cette suppression des sorties tenait à des raisons de sécurité mais elle était aussi la conséquence de ce que certains militaires belges de la MINUAR s’affichaient ostensiblement avec des Rwandaises Tutsies, ce qui provoquait des commentaires sur RTLM et de nombreuses caricatures dans la presse locale. De plus le général Dallaire a envisagé le renvoi de KIBAT I en raison de ces dérapages (474b).

A aussi été rapporté un incident qui s’est produit début mars : des hommes de KIBAT I, ivres, s’étaient rendus à l’Hôtel des Mille Collines où ils ont saccagé différents étages. Cela a sans aucun doute terni l’image du détachement.

Ici aussi, on a évoqué l’existence de provocations visant à déstabiliser le contingent belge. Ces provocations ne justifient pas les nombreux dérapages que l’on a observés dans le comportement des troupes.

Lors de la préparation de KIBAT II, une importance particulière a été accordée au respect de la discipline. Cela semble avoir porté ses fruits. Il n’y paraît plus avoir eu d’incidents graves à déplorer, et le comportement des troupes en congé ou en sortie semble avoir été plus adapté. De ce point de vue, il y a donc eu une évolution favorable.


Source : Sénat de Belgique