La commission rappelle que le colonel Marchal a été jugé et acquitté par la Cour militaire.

C’est le colonel Marchal qui, à la fin de la première réunion de crise de la nuit du 6 au 7 avril ou juste après celle-ci, a convaincu Dewez de faire abstraction de ses objections à l’encontre de certaines escortes et patrouilles à effectuer, arguant de ce que la gendarmerie et l’armée rwandaise avaient promis de collaborer. L’attitude du colonel Marchal relève des questions dès lors que, comme le colonel Dewez d’ailleurs, il a reçu assez tôt dans la matinée des messages laissant entendre que la collaboration promise restait lettre morte (la gendarmerie fournit peu de personnel, les officiers de liaison des FAR ne se présentent pas aux rendez-vous, l’armée rwandaise ouvre le feu sur des Casques bleus ou encerclent des cantonnements). Il est difficile de parler encore d’une opération de maintien de la paix à partir du moment où les FAR refusent de collaborer. Pourquoi, dès lors, continuer les escortes ? Pourquoi ne pas augmenter considérablement la force de feu de KIBAT ? (671b)

La commission constate que les avis sur la possibilité et/ou l’opportunité d’une intervention de dégagement du groupe Lotin sont partagés. La majorité des officiers sur place étaient convainçus qu’une intervention devait être exclue dans les circonstances données. Tous les témoignages estiment pourtant qu’une intervention de dégagement du groupe Lotin était certainement réalisable sur le plan militaire si on avait pu disposer de blindés légers et des munitions nécessaires pour ces véhicules.

Selon le colonel Dewez, le commandant de KIBAT II qui estimait qu’une intervention n’était pas opportune, le nombre des effectifs était aussi insuffisant (672b). Lors de sa confrontation avec le capitaine Theunissen devant la commission, il déclara qu’une intervention au camp Kigali eût été possible en attaquant avec une quarantaine d’hommes. Quoi qu’il en soit, d’un point de vue technico-militaire, dégager le lieutenant Lotin était une opération difficile mais pas impossible (673b). Contrairement à ce que déclare le capitaine Theunissen, selon le colonel Dewez les FAR ne disposaient peut-être pas d’un réseau de transmission très élaboré, mais elles avaient néanmoins des postes Motorola et Kenwood (674b).

Selon le major Choffray, l’officier responsable des opérations à KIBAT II, une opération de dégagement du lieutenant Lotin n’était pas réalisable. " D’abord, nous avions la dispersion et la vulnérabilité des cantonnements, qui étaient bien souvent sans aucune protection conséquente face à une attaque éventuelle des forces armées rwandaises.

Nous disposions également de 4 CVRT que nous ne pouvions sortir, car il s’agissait de véhicules légèrement blindés à chenilles, sans munitions et dont les équipages étaient non opérationnels.

Pour mener une opération à ce niveau, il fallait au moins l’équivalent d’une compagnie complète, simplement pour suivre un itinéraire, et donc avoir la protection suffisante, avoir l’armement et le personnel que l’on pouvait regrouper, donner des ordres et ensuite mener l’action. " (675b) À la question de savoir ce qu’il aurait fait si le bataillon belge avait disposé de blindés légers, il répond : " J’aurais proposé une action pour aider Lotin. Il est d’ailleurs possible qu’il ait reçu un ou deux de ces blindés pour sa mission d’escorte. " À la question de savoir pourquoi on n’a pas utilisé les deux CVRT disponibles, il répond : " Le problème de l’utilisation de ces CVRT ... Ils auraient été utilisés pour franchir les barrages. Mais pour franchir les barrages, si on leur tirait dessus, il fallait avoir un équipage qui sache utiliser le CVRT, ce qui n’était pas le cas : il fallait avoir de l’armement dessus, or ce n’était pas le cas pour tous les CVRT, il fallait avoir des munitions et nous n’avions pas les munitions pour les CVRT. "(676b)

Selon le colonel Marchal, pour intervenir au domicile de la Première ministre Mme Agathe Uwilin

giyimana, il aurait fallu des armes antichars de courte portée et un véhicule blindé. Pour une action de dégagement au camp Kigali, il aurait en tout cas fallu encore plus de moyens(677b). Il convient aussi de mentionner la conclusion que tira le colonel Marchal devant la commission lors de son audition du 10 juin 1997 de l’incident survenu le matin du 7 avril à 8 h 50 avec trois BTR de RUTBAT (voir ci-dessus point 3.3.4). Sa conclusion va dans le même sens que celle du major Choffray : avec les BTR, il était exclu de forcer des barrages ; avec des CVRT en bon état la situation aurait été absolument différente (678b).

Selon le capitaine Marchal, une opération de dégagement du groupe Lotin " aurait été une entreprise hasardeuse et délicate " en raison de la présence d’expatriés, du regroupement nécessaire des troupes et vraisemblablement du manque de puissance de feu (munitions). À la question de savoir si l’opération aurait été possible s’il avait disposé de LAW et d’une QRF avec des CVRT et des APC, il répond : " Si nous disposions de tous ces moyens, oui. " Le capitaine Marchal pense toutefois que les forces armées rwandaises disposaient d’un réseau radiophonique (679b).

Selon le capitaine Lemaire, commandant de compagnie, il aurait fallu deux heures pour mettre sur pied une opération offensive et atteindre le camp de Kigali. La principale raison en était la présence des barrages et la dispersion des hommes entre les cantonnements, qui nécessitait un regroupement. La première chose qui aurait dû se faire en tout cas, c’était aller chercher les missiles antichars LAW au centre logistique RWANDEX. Le capitaine Lemaire confirme aussi que si le bataillon belge avait eu à sa disposition les munitions et les hommes nécessaires pour le fonctionnement des CVRT, ils auraient pu intervenir pour sauver le peloton mortiers (680b).

Le lieutenant Lecomte déclare qu’une intervention pour dégager le groupe Lotin était " techniquement " possible : " L’emplacement exac t du peloton mortiers nous était connu et nous aurions pu réunir rapidement deux gros pelotons grâce à la présence de la quatorzième compagnie. " Ce sauve

tage aurait certainement été plus facile si l’on avait disposé de blindés légers opérationnels (681b).

Selon une note du major Maggen du 17 mai 1994 rédigée à l’attention de l’état-major général (et transmise également à l’auditorat général de la Cour militaire et à la commission chargée de l’enquête interne de la force terrestre, la commission dite Uytterhoeven), une opération de dégagement du groupe Lotin aurait peut-être été possible, mais les Belges ne disposaient pas du " matériel lourd (M113, AIFV) nécessaire " (682b).

Le capitaine Theunissen affirme dans sa déclaration que non seulement une intervention pour dégager le groupe Lotin était possible, mais que si une QRF opérationnelle équipée de 22 CVRT, dont il avait été question avant le déploiement des troupes belges, avait été présente, rien ne se serait jamais passé : " Non, Lotin aurait pu les utiliser et la menace des FAR n’aurait pas existé. " (683b) Il souscrit ainsi au point de vue du major Choffray et du colonel Marchal.

Par ailleurs, pour le capitaine Theunissen, une telle intervention ne présentait pas de danger pour les expatriés : " Les unités rwandaises étaient dispersées et il n’était pas évident qu’elles disposaient de l’équipement radio nécessaire. Si notre attaque avait été locale et très rapide, elle n’aurait pas engendré de conséquences ailleurs. " (684b) Il est soutenu en cela par le caporal-chef Pierard, qui déclare que les FAR n’étaient pas organisées et qu’à l’exception de quelques AML, leur armement était léger. " En mettant en oeuvre les Points 50 et par après les LAW, nous n’aurions pas rencontré de gros problèmes. " (685b)

Au niveau de l’état-major de la Force, du secteur et du bataillon, par contre, l’opinion a prévalu que leur intervention avait constitué un risque pour les expatriés.

La commission fait remarquer que si la présence des expatriés a pu constituer un obstacle à une intervention quand des hommes se sont trouvés en difficultés le 7 avril, cette même présence d’un grand nombre d’expatriés a pu constituer un frein à l’action du contingent belge à d’autres moments.


Source : Sénat de Belgique