Comme le relève le rapport du Joint Evaluation , les massacres ont été exécutés avec tant de minutie qu’il paraît difficile de conclure qu’ils n’ont pas été organisés à l’avance (20c).

Outre les éléments relevés par le rapporteur spécial de l’ONU, déjà cités, de nombreux indices laissent penser que les massacres ont été menés dans le cadre d’un plan préparé par des officiels de haut niveau, tant au niveau local que gouvernemental, à la présidence, dans l’armée, et au sein du MRND (21c).

Au-delà du cadre général, la commission a examiné trois points particuliers : la création de milices, la constitution de listes de personnes à tuer et l’achat de machettes.

Planification - Généralités

M. Lemarchand montre que l’appareil qui a supervisé le génocide était constitué depuis 1992 : " En 1992, l’appareil institutionnel du génocide était déjà en place. Il impliquait quatre niveaux distinctifs d’activité, ou jeux d’acteurs : a) l’akazu (petite maison), qui est le groupe-clé, consistant en l’entourage immédiat d’Habyarimana, c’est-à-dire sa femme (Agathe), ses trois beaux-frères (Protée Zigiranyirazo, Séraphin Rwabukumba et Elie Sagatwa), ainsi que quelques conseillers de confiance (dont notamment Joseph Nzirorera, Laurent Serubuga et Ildephonse Gashumba) ; b) les organisateurs ruraux, dont le nombre était d’au moins deux à trois cents, tirés des cadres communaux et préfectoraux (préfets, sous-préfets, conseillers communaux, etc.) ; c) la milice (Interahamwe), estimée à 30 000, constituant les opérateurs de base de l’exécution des massacres ; et d) la garde présidentielle, recrutée presque exclusivement parmi les hommes du nord et entraînée dans l’optique de fournir un support auxiliaire aux escadrons de la mort civils dans les massacres " (22c).

De nombreux témoins ont exprimé devant la commission leur conviction que ces structures ont bien planifié le génocide.

Lors de son audition du 11 juin 1997, le professeur Prunier explique : " (...) L’organisation préalable ne fait aucun doute. De plus, quantité de faits ont été, depuis lors, portés à la connaissance des chercheurs. Moi-même, j’en ignorais certains concernant, notamment, les achats d’armes lors de la rédaction de mon livre.

Dans la culture occidentale, on considère que l’achat d’armes doit être réalisé chez un marchand d’armes ; en effet, nous pensons tout de suite à des armes à feu. Or, une collègue journaliste a retrouvé, parmi les connaissements des douanes de Kigali, les bills of lading, c’est-à-dire les documents de transport relatifs à l’importation de machettes en provenance du Kenya. Elles avaient été commandées chez Chillington, une bonne vieille entreprise anglaise implantée dans ce pays depuis très longtemps et spécialisée dans les instruments agricoles. Ce document porte le nom fait révélateur de Félicien Kabuga. Il s’agit tout de même de 50 000 machettes, et si l’on considère qu’elles étaient destinées à l’usage personnel de M. Kabuga, de sa famille et de ses connaissances, cela représente tout de même une grande quantité... Je possède ce document, daté de mars 1994.

Voilà donc une preuve documentaire, simple, émanant des services des douanes, comme en souhaitent les tribunaux. Ce camion transportait aussi des produits chimiques agricoles et d’autres produits anodins. Sans cette suite dramatique, on aurait pu penser qu’il achetait ces 50 000 machettes pour " s’installer " dans le commerce. Cette journaliste a retrouvé ce document après bien des recherches, mais je suis sûr qu’en creusant, nous retrouverions encore des archives.

À présent, venons-en au déroulement. J’ai parlé à de nombreuses personnes qui soit ont survécu au génocide, soit ont été des acteurs de celui-ci. Dans les deux cas, aussi bien les acteurs que les victimes potentielles décrivent la manière dont les bourgmestres, les autorités communales sont venus rassembler les gens, allant parfois les chercher chez eux quand ils étaient réticents à mettre la main à la pâte, si j’ose m’exprimer ainsi, afin de les amener à tuer. Il s’agissait donc d’une organisation tout à fait officielle de l’administration locale. Le terme utilisé était le mot " umuganda ", qui désignait les travaux agricoles collectifs, comme le défrichage, le désherbage, l’entretien des fossés ou des routes. Ce terme bien connu était même l’un des éléments dont se vantait le régime : une population bien disciplinée, qui accomplissait des travaux d’intérêt général, pour le bien collectif, sans pour autant être rémunérée. Même le vocabulaire utilisé relevait de l’umuganda : on parlait par exemple de désherber ... Pour dire " tuer les enfants ", on disait " arracher les herbes jusqu’à la racine ". C’est là un élément qui revenait souvent : " Dans les années ’50, ’60, nous avons laissé partir les femmes et les enfants ; il aurait fallu les tuer aussi, parce que maintenant, ces enfants se retrouvent dans le FPR ", ce qui, d’un point de vue strictement militaire, est tout à fait exact. Nous avions donc une administration qui remplissait une tâche. Il y a là d’ailleurs une sorte de mystère psychologique et social : beaucoup de paysans ont tué, froidement, leurs voisins, sans vraiment leur en vouloir " (23c).

" Je crois que le génocide n’est donc absolument pas une affaire spontanée. C’est un programme gouvernemental qui a été appliqué, de manière extrêmement maladroite, selon moi. Envisager de tuer trois quarts de millions d’êtres humains et de garder le pouvoir par la suite n’est peut-être possible que quand on est empereur de Chine, parce que l’on a alors la capacité de signer de très gros contrats, avec la maison Airbus ou avec d’autres, mais quand il s’agit d’un petit pays comme le Rwanda, on est obligé d’être relativement moral, car on n’a pas de gros contrats à signer. On n’oublie les crimes que s’ils rapportent. Le Rwanda n’avait rien à offrir pour faire oublier ses crimes. Les gens du noyau dur autour d’Habyarimana, qui ont cru pouvoir s’en tirer dans cette affaire, étaient donc de grands naïfs, des personnes qui, politiquement, n’étaient certainement pas conscientes de ce qu’elles étaient en train de faire et du contexte mondial au sein duquel elles opéraient " (24c).

" (...) le noyau de personnes qui a prévu et organisé est doublement responsable, responsable avant tout de la mort des victimes, mais aussi d’avoir transformé leurs concitoyens en criminels. Si tous ces paysans ont obéi bêtement aux ordres qui leur ont été donnés, c’est parce qu’ils jugeaient que ces messieurs bien éduqués dans les universités des Blancs, qui parlaient si bien, qui savaient lire et écrire et fréquentaient les conférences du FMI, avaient une bonne raison de leur dire de tuer, que cela devait être pour le bien de la patrie. Ces gens sont doublement responsables.

(...) Ce que je puis dire, c’est que les gens qui ont préparé le génocide étaient peu nombreux " (25c).

Lors de son audition du 17 juin 1997, M. Degni-Segui, ancien rapporteur spécial sur le Rwanda et auteur des rapports qui ont suivi le génocide, a résumé ses recherches concernant la planification du génocide de la manière suivante : " Mon rapport préliminaire indiquait un faisceau d’indices concordants quant à une planification. Ces indices sont au nombre de quatre :

l’incitation à la haine ethnique par la Radio Télévision Mille Collines ;

la distribution d’armes en provenance de dépôts ; en outre, les miliciens Interahamwe étaient entraînés ;

la célérité exceptionnelle avec laquelle les événements se sont produits ; le gouvernement intérimaire a été constitué et les barricades dressées en l’espace selon les informations que j’ai reçues de 30 à 45 minutes ;

enfin, des listes de personnes qui devaient être arrêtées circulaient.

Il convenait d’effectuer des vérifications à propos de l’ensemble de ces indices.

Les investigations faites par les observateurs déployés sur le terrain et par les observateurs du Tribunal pénal international ont abouti à la découverte de fosses communes, de documents, de cassettes audio de Radio Mille Collines incitant à la haine. La traduction de ces enregistrements montrent une distinction entre les émissions diffusées en français et les émissions diffusées en kinyarwandais, ces dernières amenant à se prononcer sur l’assassinat. Des documents officiels portant trace d’une liste de personnes à assassiner et signalant des Tutsis comme étant des personnes à abattre ont également été découverts et transmis au Tribunal pénal international. La responsabilité individuelle des auteurs du génocide relève du tribunal et il ne m’appartient pas de divulguer quoi que ce soit à cet égard.

Je citerai cependant, comme je l’ai fait dans le cadre de mon rapport préliminaire, la garde présidentielle, les militaires, d’une manière générale, et les préfets et bourgmestres qui ont exécuté les décisions.

Le gouvernement intérimaire a joué un rôle important au niveau des ordres qui ont été donnés. En effet, il ressort de plusieurs témoignages que les ordres provenaient d’un échelon supérieur. Je vous donnerai deux exemples à cet égard. Le premier concerne les préfets ; nous y reviendrons tout à l’heure.

L’une des causes du génocide était l’impunité. Par ailleurs, des préfets qui avaient accompli leur travail, c’est-à-dire empêché des massacres, ont été démis. C’était le cas du préfet de Gitarama et de celui de Butare qui ont empêché les Interahamwe d’entrer dans la ville et de piller les maisons. Le deuxième exemple, tout aussi célèbre, concerne le président du gouvernement intérimaire qui était originaire de Butare. Vous devez connaître son fameux discours du 19 avril 1994, dans lequel il incite les Rwandais à aller " travailler ", dans le sens que l’on connaît " (19c).

Par ailleurs, Mme Des Forges a fourni à la commission, lors de son audition du 26 février 1997, l’analyse suivante : " Dès le début du conflit en octobre 1990, M. Habyarimana, président du Rwanda, et la cellule qui l’entourait, ont décidé d’attiser les conflits ethniques pour conforter leur position avec l’aide de la population hutue et pour régler d’autres conflits liés à la présence au pouvoir de M. Habyarimana depuis vingt ans. Les critiques contre son régime ne cessant de croître, le président rwandais décida d’attaquer les Tutsis pour consolider sa position grâce aux Hutus. Les autorités décidèrent de lancer des massacres de Tutsis, le 11 octobre au nord-est du pays en janvier 1991, au nord-ouest en mars 1992 et durant d’autres mois de la même année pour, fin 1992 et début 1993, revenir au nord-ouest. Ces massacres ont plusieurs caractéristiques répétitives. Ainsi, le rôle des autorités locales fut toujours d’intoxiquer les populations par une propagande adéquate afin de faire monter la peur juste contre un camp militaire et de fausses annonces radio selon lesquelles les Tutsis se préparaient à attaquer les Hutus. De plus, chaque fois, une série de prétextes furent invoqués et cela dès octobre 1990, avec des accusations selon lesquelles les Tutsis avaient des caches d’armes, communiquaient avec le FPR par radio, nouaient des contacts avec les étrangers et tenaient des réunions secrètes. Après chaque massacre, des excuses officielles étaient présentées. On assurait que les attaques n’étaient jamais que le résultat d’une colère spontanée et que les autorités locales avaient été débordées. En résumé, le génocide était le fait d’un peuple littéralement terrorisé qui ne faisait que se défendre. (...)

Ensuite, des incidents ethniques ont éclaté. D’abord, il y a eu la formation de milices du MRND, le parti d’Habyarimana, et du CDR, son proche allié. Ces milices ont bénéficié d’une formation militaire dirigée par des soldats rwandais, probablement des membres de la garde présidentielle. Des milices d’autres partis existaient également mais elles n’étaient ni formées ni armées. Au cours de l’été 1992, certaines autorités rwandaises se sont inquiétées de l’influence accrue des milices. Une enquête a, par exemple, été demandée par un procureur sur les cordelettes détenues par certaines milices et qui n’étaient alors utilisées que par les gardes présidentiels. En 1992 et 1993, des armes ont été distribuées à des civils. En octobre 1992, le gouvernement rwandais a acheté 20 000 fusils. Or, l’armée rwandaise était alors composée de 30 000 hommes. En fait, on a donné les nouvelles armes aux soldats et les plus anciennes ont été distribuées aux agents communaux et aux civils. À la même date, 20 000 grenades à main ont été achetées par le Rwanda. Ce type de grenade ne nécessite qu’un apprentissage de vingt minutes, à la différence de lance-grenades achetés plus tôt dans l’année, pour lesquels une formation plus importante est nécessaire. Lors du génocide, on a beaucoup parlé d’assassinats perpétrés avec des machettes. C’est exact, mais les armes à feu ont également joué un rôle important. Elles ont été très utiles pour faire peur et essentielles pour briser les résistances. En début 1993, lorsque les armes ont été distribuées, un gouvernement de coalition était au pouvoir. Le premier ministre a alors demandé que les armes soient retirées des populations civiles. Il a aussi demandé que cesse l’établissement par certaines autorités civiles et militaires de listes de gens partis à l’étranger, supposés membres du FPR et d’ennemis. (...)

Entre le mois d’août et la fin de l’année 1993, les Interahamwe achetèrent un grand nombre de machettes à Kigali. Un homme d’affaires et financier important de RTLM en fit même importer 25 tonnes de l’extérieur ; Il est donc clair qu’il existait déjà à ce moment un projet de recommencer la guerre en prenant les civils pour cibles. Un événement capital fut l’assassinat par des militaires tutsis du président du Burundi, appartenant à l’ethnie hutue, et qui fut suivi par des tueries de civils, sans que la communauté internationale ne réagisse. Je suis convaincue que les coupables ont trouvé dans la passivité de la communauté internationale un encouragement à croire que la tuerie de civils était une stratégie tolérée pour raffermir leur pouvoir politique. (...)

Le 3 décembre 1993, des militaires haut gradés envoyèrent anonymement une lettre au général Dallaire pour l’avertir qu’Habyarimana et certains militaires importants se préparaient à commettre des violences ethniques et des assassinats d’opposants politiques pour faire recommencer la guerre. (...) Ce premier avertissement fut suivi par d’autres dont un télégramme envoyé en janvier où il était clairement fait état des préparatifs en cours. Des indications sont également venues d’autres sources. J’ai fait une compilation des risques avertisseurs entre novembre et mars : elle comprend une vingtaine de pages. La distribution des armes ne se faisait pas en cachette. Des diplomates en place à Kigali m’ont dit qu’ils en avaient discuté à haute voix entre eux. Ils savaient aussi qu’il y avait recrutement et formation de milices " (26c).

Mme Desforges a également analysé le lien entre le processus de démocratisation entamé après 1990 et les préparatifs des massacres : " Il existe un lien fort important entre le développement du processus de paix et celui de la violence et des préparatifs des massacres. Chez le président Habyarimana et ses proches, deux éléments ont été prépondérants : le FPR et l’opposition domestique interne. Leur souci essentiel était d’éviter l’union des deux. Dès janvier 1991, le danger de collaboration entre les Hutus de l’opposition et le FPR était bien identifié et cette crainte réalisée. Le processus de démocratisation a paru susceptible d’encourager une invasion militaire. Un amalgame fut volontairement créé entre le FPR, les Hutus rebelles et les Tutsis qui reçurent, tous les trois, le label d’" ennemis ". Cette conception prévalut au sein de l’état-major de l’armée rwandaise dès septembre 1992. Parmi les stratégies ennemies, on cite les efforts pour détourner l’opinion publique des questions socio-économiques au profit des questions ethniques ; Les aspirations naturelles et bien fondées de la population à la démocratie étant ainsi placées au second plan. De ce fait, les efforts pour combattre la croissance de l’opposition interne démocratique et du FPR engendrèrent des massacres chaque fois que le pouvoir se sentit menacé " (27c).

Lors de son audition du 26 février, le professeur Reyntjens soulignait lui aussi les conséquences du coup d’État du Burundi et de l’assassinat du président burundais : " Ensuite, interviennent le coup d’État du Burundi et l’assassinat du président burundais, ce qui a pour conséquence que les Hutus et notamment les Hutus qualifiés de modérés affirment qu’on ne peut pas faire confiance au FPR, et, par extension aux Tutsis eux-mêmes, entrant ainsi dans une logique génocidaire. " (28c)

Le professeur Reyntjens déclare également : " Ce génocide n’est pas un accident de l’histoire, il a été tout à fait organisé. On peut montrer, qu’étape par étape, une structure génocidaire s’est mise en place et qu’il y a eu une évolution progressive de la logique génocidaire.

Le meurtre du président du Burundi n’est qu’un des éléments qui ont permis d’amplifier cette structure. Au-delà du noyau central et des cercles locaux, il existe un troisième cercle, celui des civils co-auteurs et complices du génocide. C’est en amplifiant le meurtre du président et en convainquant la population de ce que, si elle ne tue pas les Tutsis, c’est eux qui vont les exterminer, qu’on développe l’idéologie et la structure nécessaire à la mise en marche du génocide " (29c).

La commission constate cependant que l’attentat contre le président Habyarimana a été l’élément déclenchant qui a transformé ces préparatifs en réalité. La machine génocidaire s’est alors mise en marche et de nombreuses personnes s’y sont assocciées.

Création des milices

Monsieur Prunier a expliqué le processus de création des Interahamwe : " En ce qui concerne les Interahamwe, il ne fait aucun doute qu’il s’agit d’une milice politique et non militaire tout simplement parce que la majorité d’entre eux n’avaient aucun entraînement militaire. Cette milice a été créée longtemps avant le génocide. Je ne crois pas qu’elle avait au départ vraiment pour but d’exécuter le génocide qui n’était même pas encore conçu à l’époque, me semble-t-il. Certaines personnes aimeraient bien que l’on oublie le rôle qu’elles ont joué dans la formation de ces milices. L’actuel ministre des Affaires étrangères de la République du Rwanda, M. Anastase Gasana, est un membre fondateur des Interahamwe et il est pourtant membre du gouvernement actuel ! C’est d’ailleurs une des manières par lesquelles le gouvernement le tient. Cela, on ne le dit jamais.

Ces milices étaient vues au départ comme une sorte de groupe d’activistes loyalistes. À cet égard, je ferais un parallèle avec les milices de l’Ulster Defence Force, les Orange men, de l’Irlande du Nord, c’est-à-dire une milice politique au service d’une idéologie avec, en arrière-plan, le désir de s’en servir dans une guerre civile urbaine, mais non dans ses opérations militaires sérieuses en rase compagne contre une armée. Quelques cadres ont été entraînés militairement dans les camps de l’armée, y compris par l’armée française. C’est sur ce fait que s’appuient ceux qui disent que les Français ont collaboré au génocide. Il ne fait aucun doute que certains cadres des Interahamwe ont été entraînés par les Français. Pourquoi ? C’est assez simple à comprendre. Les Français avaient un programme de formation des officiers et sous-officiers des Forces armées rwandaises. Celles-ci comportaient 5 200 hommes en octobre 1990 et, au printemps 1994, elles en avaient près de 50 000. Sa taille avait décuplé. Vous imaginez ce que cela représente au point de vue logistique, de la formation et aussi des dépenses, ce qui a d’ailleurs entraîné des catastrophes budgétaires au Rwanda à l’époque et une inflation galopante ! Ce décuplement de l’armée a été largement assuré avec le concours français. Les Français ne se sont jamais battus directement en première ligne en tout cas au niveau de l’infanterie mais leur grosse coopération militaire était à ce niveau-là, c’est-à-dire la formation qui a permis de décupler l’armée rwandaise en l’espace d’un peu plus de deux ans. Quand les Interahamwe ont été créés, les Rwandais ont habilement " fourgué " il n’y a pas d’autres termes des Interahamwe comme sous-officiers en formation. Les Français les ont donc formés en croyant qu’ils allaient rejoindre l’armée régulière. En fait, lorsqu’ils sortaient de la période de formation, ils retournaient aux Interahamwe (30c). "

L’ancien premier ministre Nsengiyaremye confirme le point de vue du professeur Prunier : " ... il y a eu constitution de milices. Au début il s’agissait de mouvements de jeunesse des partis chargés d’animer des meetings politiques mais par la suite ils se sont transformés en forces de combat. Le processus s’est poursuivi avec le et l’armement et la situation s’est sérieusement aggravée à partir de septembre 1992 jusqu’à la fin. Quand on constitue une milice, c’est qu’elle devra un jour ou l’autre servir à quelque chose ! La présence de milices était donc un élément de préparation, un pion en cas de guerre civile. " (31c). "

Quant à l’importance numérique de ces milices, Mme Desforges juge qu’" il est difficile de préciser le nombre de personnes impliquées dans les milices qui furent d’abord créées par chaque parti pour lutter contre les autres. On a parlé de 1 200 à 1 300 Interahamwe, mais le général Dallaire pensait qu’ils étaient au moins 3 000 à Kigali. Le premier ministre a même affirmé, ce qui me semble excessif, qu’il y en avait dans chaque commune. Ceci serait donner trop d’importance au parti au pouvoir et minimiser le rôle joué par les autres (32c). "

Constitution de listes de personnes à tuer

Le professeur Prunier a expliqué très clairement le phénomène de la constitution de listes de personnes à tuer : " Le problème des listes était une question d’urgence parce que ces personnes ne savaient pas quand on allait les interrompre. Ils craignaient d’être interrompus dans leur tâche. Il y avait des ordres de priorité et les listes étaient très courtes. J’estime le génocide à 800 000 morts, avec une marge d’erreur très importante de l’ordre de 10 à 15 %. Il n’y avait pas 800 000 personnes sur des listes. Tout le monde n’avait pas le même ordre de priorité dans la mort. Certaines personnes devaient mourir tout de suite et à tout prix. Les personnes qui ont été tuées les 7, 8, 9, 10 et 11 avril devaient mourir parce qu’elles étaient importantes. Il y avait là un certain nombre de Tutsis mais aussi beaucoup de Hutus de l’opposition. Au départ, on a presque tué moitié, moitié. Mme Agathe a été tuée et son mari aussi, parce qu’il avait le malheur d’être le mari de sa femme ! Il était hutu et pas politisé. M. Landucas Ndasingwa était le secrétaire général du président du parti libéral et avait une femme canadienne blanche qui a aussi été tuée, ainsi que leurs enfants. Ils étaient sur la liste d’urgence parce que si on arrêtait les auteurs des tueries le troisième jour, il fallait au moins que ceux-là soient morts. Par exemple, l’ancien Premier ministre M. Twagiramungu leur a échappé en sautant par-dessus la clôture et en passant par les jardins. Il était évidemment sur la liste. Tous les leaders du parti social démocrate s’y trouvaient.

Personnellement, je suis membre du parti socialiste français et de son secrétariat international. J’avais des liens particuliers avec les membres du parti social démocrate. Sauf un, tous sont morts. Les gens du MDR, pas la tendance Mugenzi parce que c’était le MDR Power, mais la tendance Twagiramungu, étaient sur les listes. Il s’agissait d’une liste d’urgence. Ces personnes devaient mourir même si le génocide était interrompu le quatrième ou le cinquième jour. C’est pourquoi il y a eu cette affaire où vos soldats sont morts. Mme Agathe était sur la liste des priorités. Et ce n’était pas la dominante tutsie, mais la dominante politique, bien sûr, les Tutsis du FPR. Ils ont donc attaqué les bâtiments de l’Assemblée nationale où le bataillon du FPR était cantonné. Après cela, on a continué dans l’euphorie générale (33c). "

Achats de machettes

Concernant l’achat de machettes, M. Prunier informe la commission d’enquête des constatations suivantes : " La personne qui a acheté ces machettes n’est pas n’importe qui. Il s’agit de M. Félicien Kabuga, un des hommes-clés des milices Interahamwe. Il n’avait absolument aucun usage de ces machettes. Il pouvait simplement les distribuer à ses miliciens. La machette est un instrument agricole. De nombreuses personnes ont été tuées par des tas d’autres instruments, notamment avec des bâtons cloutés, car tout le monde ne disposait pas de machettes. Il suffisait d’enfoncer de très gros clous de charpenterie avec une pierre ; on obtenait une sorte de massue primitive dont les clous frappaient violemment la boîte crânienne. Des houes ont également été utilisées pour tuer. Il s’agit aussi d’instruments agricoles dont le fer suffit à faire éclater une boîte crânienne. De nombreux crânes de victimes présentent d’ailleurs un éclatement au sommet. Les machettes ne sont jamais achetées en si grande quantité, tout simplement parce qu’il ne convient pas d’immobiliser un stock trop important. On n’achète pas 50 000 machettes en une seule fois, car il faudrait trop de temps pour les revendre. En fait, elles étaient achetées pour être distribuées. Vous me demandez s’il ne s’agissait pas d’un simple achat de matériel agricole. La réponse est non. Tout d’abord, l’acheteur n’était pas un agriculteur et, ensuite, la quantité était trop importante. Un marchand aurait pu effectuer un achat raisonnable de 500 ou 1 000 machettes, mais il aurait tout de même mis un certain temps à les revendre. Le nombre de 50 000 est complètement fou. Même en dix ans, ces machettes n’auraient pu être vendues " (34c). "

" Ces 50 000 machettes venaient du Kenya " (35c). "

Mme A. Desforges apporte d’autres précisions : " Les armes à feu ont été achetées par le ministère de la Défense, les machettes par une entreprise privée gérée par un ami proche d’Habyarimana. L’argent pour les armes à feu provenait de sources officielles. (À noter que 25 tonnes de machettes correspondent plus ou moins à 25 000 machettes). L’aide civile importante dont bénéficiait le Rwanda a contribué au déclenchement du génocide, dans la mesure où cette aide a permis d’acheter des machettes. Mais il faut également tenir compte d’emprunts faits par le Rwanda pour l’achat d’armes. Un important crédit en dollars a ainsi été accordé par le Crédit Lyonnais avec pour garantie, la production de thé pendant une période de cinq ans (36c). "

La commission n’est pas en mesure d’apprécier le lien entre ces achats et la préparation du génocide.

Autres éléments révélateurs de la planification du génocide

Lors de son exposé introductif à son audition pour la commission, Mme Suhrke, rédacteur du rapport 2 du " Joint Evaluation " , a déclaré : " Pouvait-on prévoir le génocide ? " Elle répond : " Personne n’a pu imaginer la rapidité et l’importance du génocide tel qu’il s’est développé. Les décideurs internationaux n’ont pas pu tirer les conclusions. Disposaient-ils des informations pour ce faire ?

Beaucoup savaient à l’époque que des forces organisées existaient. Il y avait eu des actes de violence et l’appareil de l’État était impliqué dans une propagande extrémiste. Elle visait l’élimination des Tutsis. Début 1994, la MINUAR envoyait un télégramme à l’ONU dans lequel il était fait mention des projets de tuer des Belges faisant partie des troupes de l’ONU. Le plan est détaillé dans le télégramme.

Toutefois, cette information n’a pas conduit à la conclusion qu’un génocide pourrait avoir lieu. Les tueries auraient dû être envisagées comme scénario. En outre, la CIA, en 1994, avait émis un rapport qui analysait les accords d’Arusha. Ce rapport concluait qu’on allait vers un échec. Il estimait que des violences massives allaient éclater et qu’elles conduiraient à l’assassinat d’un demi million d’hommes. D’autres observateurs ont certifié que la violence ethnique était probable si la guerre civile éclatait. Les raisons pour lesquelles les signaux n’ont pas été perçus sont dus notamment à une déficience structurelle dans le système de l’ONU.

On a identifié plusieurs signaux donnant les renseignements différents. Qui fallait-il écouter ? La France était la mieux informée au Rwanda sur les extrémistes Hutus mais elle s’attachait principalement aux renseignements sur le FPR qu’elle considérait comme un adversaire.

Comme ce rapport de l’ONU ne faisait référence qu’à deux ou trois cents personnes, il n’a pas été pris au sérieux.

Il contenait des voeux pieux. Si le génocide semblait planifié, il préconisait une intervention internationale plus importante. Or, quand le génocide a eu lieu, la seule réaction de la Communauté internationale a été de se retirer. Il faut dire que le Rwanda, aux yeux des membres du Conseil de sécurité, avait peu de signification stratégique.

La mauvaise interprétation des signaux annonçant le génocide montre qu’il y avait aussi un problème dans l’efficience de la collecte de renseignements et dans l’analyse politique à l’ONU. En janvier 1994, le Secrétariat général avait des informations claires sur la préparation du génocide. Ces informations n’étaient pas isolées, elles circulaient dans tous les départements de l’ONU.

Les ambassades des États-Unis, de la France et de la Belgique à Kigali en disposaient aussi. Pourtant, aucun plan supplémentaire n’a été élaboré pour tenir compte du risque de détérioration de la situation. Il n’y a pas eu de changement dans les règles d’engagement de la MINUAR.

Les États aussi ont été incapables de collecter et d’utiliser les renseignements (37c). "

Parmi les " signaux " évoqués par Mme Suhrke, citons, outre les éléments relevés dans le rapport du groupe ad hoc :

a) Un document, révélant l’existence du " réseau zéro ", rendu public pendant l’été 1992. Il s’agit du document " Le Réseau Zéro - lettre ouverte à Monsieur le Président du Mouvement Républicain National pour la Démocratie et le Développement (MRND) ". Ce document a très largement circulé dans les milieux diplomatiques de Kigali. L’auteur y expliquait ses raisons de démissionner du MRND. Dans sa lettre, il expliquait que notamment : " D’autre part, le " leadership " du MRND n’a précisément pas changé. Les quelques structures et hommes nouveaux ont été ankylosés, puis phagocytés par les vieux /gourous/ du MRND ancienne formule. Ceux-ci ont, depuis plusieurs années, déjà, formé ce que j’appelle " LE RESEAU ZERO ", un noyau de gens qui a investi méthodiquement toute la vie nationale : politique, militaire, financière, agricole, scientifique, estudiantine, familiale et même religieuse. Ce noyau considère le pays comme une entreprise dont il est légitime de tirer le maximum de profit, ceci justifiant toutes sortes de politiques. Le " Réseau Zéro " se présente comme le champion de la défense du Chef de l’État actuel et chef du parti MRND, quitte à le réduire au niveau étroit de chef de plan. C’est que ce noyau s’est constitué à base de relations personnelles, multiformes, organisées par des hommes omniprésents et, ma foi, fort habiles. (...) C’est le /Réseau Zéro/ qui a attisé les clivages ethniques et régionaux pour couvrir ses visées et ses intérêts. Le " Réseau Zéro " est d’autant plus puissant qu’il occulte et qu’il dispose de moyens considérables financiers et d’autres ... innommables (38c) ".

Ce document a été publié de manière bilingue en français et en Kinyarwanda.

b) Janvier Afrika, directeur du journal Unurava, publie dans le numéro 10 du 28 août un article qui décrit dans le détail la façon de procéder de ce réseau. Afrika affirme lui-même avoir fait partie de ce réseau et avoir participé à des actions violentes. Il cite une liste de plus de 25 noms dont le président Habyarimana lui-même ainsi que ses trois beaux-frères et son gendre ; Afrika est aussitôt arrêté (39c).

c) La dénonciation publique des escadrons de la mort.

En septembre 1992, le professeur Reyntjens et le sénateur Kuypers dénonçaient publiquement l’existence d’escadrons de la mort et le Réseau Zéro (40c). Les auteurs de ces dénonciations disposaient : " qu’un groupe de personnes met tout en oeuvre afin de faire échouer le procès de démocratisation. Il s’agit en l’espèce d’escadrons de la mort, qui sont organisés par une quinzaine de personnes, qui ont des fonctions importantes et qui se trouvent à proximité immédiate du Président. (...) Plusieurs personnes au Rwanda connaissent ce groupe qui opère actuellement sous le nom " réseau zéro ". Cependant, ce groupe dispose d’un tel pouvoir et est tellement dangereux, que personne n’ose en parler et que les enquêtes judiciaires sont vouées à l’échec. (...) (41c). "

Ce Réseau Zéro avait pour objectif de " discréditer le changement en cours ". Il était composé notamment de trois beaux-frères du Président Habyarimana (Protée Zigiranyirazo, Séraphin Rwabukumba, colonel Elie Sagatwa) ainsi que du colonel Bagosora.

Dans une note complémentaire intitulée " Les escadrons de la mort ", le professeur Reyntjens écrivait : " (...) la technique la plus inquiétante consiste en des tentatives de causer des affrontements meurtriers. Nous possédons des témoignages très précis de ces déstabilisations au Bugesera et à Kibuye. Au Bugesera, les affrontements ont fait plusieurs centaines de morts, beaucoup plus de blessés et des milliers de déplacés. (...) Les activités de ce groupe ont un triple effet : - sabotage du processus de démocratisation, qui ne peut se dérouler correctement dans un contexte de déstabilisation ; (...) (42c). "

Dans une lettre adressée au président Habyarimana le 2 octobre 1993, le sénateur Kuypers répétait ces accusations " sur le risque de déstabilisation continue au Rwanda et sur les entraves au processus de paix, suite aux manoeuvres et aux actes criminels de ce groupe (43c). "

d) Il faut encore signaler le discours de Léon Mugesera du 22 novembre 1992, à Kabaya en préfecture de Gisenvi.

Ce discours, émanant d’un haut responsable du MRND, est un véritable appel aux meurtres des Tutsis comprenant des phrases comme : " Sachez que celui à qui vous n’avez pas encore tranché la tête, c’est lui qui tranchera la vôtre " ou encore à propos des Tutsis : " Je vous apprends que votre pays c’est l’Éthiopie et nous allons vous expédier sous peu via Yangorabo (une rivière) en voyage express. " Ou encore dans les extraits : " Pourquoi n’arrête-t-on pas ses parents (des enfants qui auraient rejoint le FPR) pour les exterminer ? ", " Pourquoi n’extermine-t-on pas tous ces gens qui convoient les jeunes au front ? Dites-moi vraiment, attendez-vous béatement qu’on vienne vous massacrer ? "

e) Le rapport de la FIDH (Fédération internationale des Ligues des Droits de l’Homme)

Pour la première fois, la question du génocide est évoquée dans un document public connaissant une large diffusion.

Dans ses conclusions, le rapport de la FIDH de février 1993 (44c) mentionnait entre autres : " (...) Après avoir recueilli des centaines de témoignages et entrepris des fouilles des fosses communes, la commission a conclu sans aucun doute que le gouvernement rwandais a massacré et fait massacrer un nombre considérable de ses propres citoyens. La plupart des victimes étaient des Tutsis, mais le nombre de victimes hutus, presque tous adhérants des partis du comité de concertation, monte depuis les derniers mois. Au total, on estime que le nombre de victimes se chiffre à au moins 2 000 depuis le 1er octobre 1990. De plus, les attaques organisées par le gouvernement ont blessé des milliers de personnes et les ont dépourvus de leurs raisons, animaux domestiques et de la presque totalité de leurs biens.

D’après le témoignage des agresseurs aussi bien que celui des victimes, les autorités étaient impliquées dans les attaques : des bourgmestres, des sous-préfets, des préfets, des membres de comité de cellules, des responsables de cellules, des conseillers, des policiers communaux, des cadres de services administratifs et judiciaires, des gardes forestiers, des enseignants, des directeurs de centres scolaires et des cadres de projets de coopération.

La complicité de ces autorités fut trop importante et trop générale pour supposer que leur participation ait été le résultat de décisions individuelles et spontanées. (...)

Dans chaque commune, les troubles épousent en général des frontières administratives, conséquence naturelle de la participation ou non-participation des autorités. La simultanéité des attaques dans les communes différentes établit l’existence d’une organisation plus étendue. De la même façon, les prétextes pour les attaques se répètent de l’une à l’autre : nécessité de débroussailler une région, travail à faire pour la communauté (umuganda), l’arrivée d’un inconnu avec un sac à la main, la présence d’un recruteur des Inkotanyi (45c). "

Dans ses conclusions, la FIDH abordait directement la question du génocide : " Les témoignages prouvent que l’on a tué un grand nombre de personnes pour la seule raison qu’elles étaient tutsis. La question reste de savoir si la désignation du groupe ethnique " Tutsi " comme cible à détruire relève d’une véritable intention, au sens de la Convention, de détruire ce groupe ou une part de celui-ci " comme tel ".

Certains juristes estiment que le nombre de tués est un élément d’importance pour que l’on puisse parler de génocide. Les chiffres que nous avons cités, certes considérables pour le Rwanda, pourraient, aux yeux de ces juristes, rester en deçà du seuil juridique requis.

La commission estime que, quoi qu’il en soit des qualifications juridiques, la réalité est tragiquement identique : de nombreux Tutsis, pour la seule raison qu’ils appartiennent à ce groupe, sont morts, disparus ou gravement blessé et mutilés ; ont été privés de leurs biens ; ont dû fuir leur lieu de vie et sont contraints de se cacher ; les survivants vivent dans la terreur.

On constate certes une extension des agressions aux Hutus opposants du MRND ou de la CDR. Cette extension peut compliquer mais pas modifier la nature fondamentale du débat (46c). "

Par ailleurs, dans le chapitre consacré aux violations des droits de l’homme par les forces armées, la FIDH concluait : " (...) Ces exactions ont toutefois pu se développer et prendre un caractère structurel, non seulement par l’impunité dont elles ont bénéficié, mais également du fait que les exactions les plus graves sont manifestement le résultat d’initiatives organisées au plus haut niveau de l’état-major militaire. Si l’armée se comporte de manière arbitraire et indisciplinée vis-à-vis des populations, l’on observe que la hiérarchie est en revanche bien structurée et que l’autorité y est forte. La redoutable efficacité de l’armée dans un certain nombre de mises en scènes, de coups montés, d’exécutions massives (voir notamment à ce sujet le cas du massacre des Bagogwe) permet de conclure que cette autorité est utilisée pour de telles organisations d’exactions. En revanche, c’est à dessein que cette autorité ne se manifeste pas dans d’autres cas, où les militaires sont laissés à eux-mêmes et sont certains de rester impunis. (...) (47c) "

Le rapport reprenait ensuite les extraits les plus significatifs de la FIDH visant à définir l’ennemi cité plus haut (48c).

Dans ses conclusions finales et recommandations, la FIDH écrivait : " (...) Pour ce qui concerne l’État rwandais toutefois, la commission d’enquête internationale est arrivée à la conclusion que la violation des droits de l’homme a été commise de manière massive et systématique avec l’intention délibérée de s’en prendre à une ethnie déterminée de même qu’aux opposants politiques de manière générale (49c). "

La FIDH faisait trois recommandations au président de la République, M. Habyarimana, qui n’en a suivi aucune, en particulier la troisième " en sa qualité de président du MRND, le président de la République devrait dissoudre immédiatement la milice armée du MRND, appelée Interahamwe " (50c).

Ce rapport a fait l’objet d’un débat dans la Chambre des représentants belge le 10 février 1993.

f) Rapport du rapporteur spécial de la Commission des droits de l’homme de l’ONU, M. Ndiayé : Mission Rwanda du 8 au 17 avril 1993. Ce rapport confirme largement celui de la FIDH :

78. The question whether the massacres described above may be termed genocide has often been raised. It is not for the Special Rapporteur to pass judgement at this stage, but an initial reply may be put forward. Rwanda acceded to the Convention on the Prevention and Punishment of the Crime of Genocide on 15 April 1975. Article II of the Convention reads :

" In the present Convention, genocide means any of the following acts committed with intent to destroy, in whole or in part, a national, ethnical, racial or religious group, as such :

(a) Killing members of the group ;

(b) Causing serious bodily or mental harm to members of the group ;

(c) Deliberately inflicting on the group conditions of life calculated to bring about its physical destruction in whole or in part ;

(d) Imposing measures intended to prevent births within the group ;

(e) Forcibly transferring children of the group to another group. "

79. The cases of intercommunal violence brought to the Special Rapporteur’s attention indicate very clearly that the victims of the attacks, Tutsis in the overwhelming majority of cases, have been targeted solely because of their membership of a certain ethnic group, and for no other objective reason. Article II, paragraphs (a) and (b), might therefore be considered to apply to these cases (51c). "


Source : Sénat de Belgique