La commission ne dispose que de très peu de documents écrits datant de cette période (avril 1994) et ayant été rédigés sur le terrain.

Le rapport le plus circonstancié sur la situation est, sans doute, le code cable du représentant du secrétaire général de l’ONU, M. Booh Booh adressé à M. Kofi Annan le 8 avril 1994 :

" 1. La sécurité se dégrade à Kigali à mesure que les combats entre la Garde présidentielle et le FPR s’intensifient. Le reste du pays reste calme bien que la tension soit perceptible.

2. À la suite du décès des présidents du Rwanda et du Burundi dans la nuit du 6 avril, des éléments de la Garde présidentielle ont attaqué la résidence de plusieurs personnalités politiques et enlevé le Premier ministre, le juge-président de la Cour constitutionnelle, les ministres de l’Information, du Travail et des Affaires sociales, et de l’Agriculture. Nous avons ensuite reçu des rapports non confirmés selon lesquels ces dirigeants auraient été tués par leurs kidnappeurs. On rapporte que la Garde présidentielle a également attaqué plusieurs autres résidences et assassiné plusieurs personnes suspectées d’être des sympathisants du FPR.

3. Un important effectif de personnel militaire du FPR a quitté le complexe CND (ancien siège du parlement) le 7 avril à 16 h 00 (heure locale) pour se rendre dans les zones occupées par la Garde présidentielle, où ont eu lieu d’importants accrochages entre ces militaires et la Garde présidentielle. L’UNAMIR a observé plusieurs patrouilles armées du FPR se déplaçant à pied dans les zones jouxtant le QG de l’UNAMIR et du bataillon bangladais, qui sont aux mains des partisans du gouvernement.

4. Dans l’intervalle, un groupe d’officiers supérieurs des forces armées rwandaises s’est constitué en " Comité de crise " pour tenter de stabiliser la situation sur le plan de la sécurité. Ils ont demandé à l’UNAMIR d’arranger un cessez-le-feu entre le FPR et la Garde présidentielle. Ils ont également invité les partis politiques de l’actuel gouvernement de transition à se réunir pour instituer l’autorité légale et pour accélérer la mise en place des institutions transitoires évoquées dans l’accord de paix d’Arusha. L’UNAMIR soutient activement ces efforts et participe en qualité d’observateur aux réunions du " Comité de crise ". Veuillez trouver ci-joint une copie émanant dudit " Comité de crise ".

5. Nous avons organisé une réunion entre les membres du " Comité de crise " et le FPR. Cette réunion est prévue aujourd’hui à 14 h 00 (heure locale) et se tiendra au QG UNAMIR. Nous avons également noué des contacts avec le FPR et la Garde présidentielle afin de tenter de négocier un cessez-le-feu. Les négociations se poursuivent.

6. La mort du président de la République et la mort non confirmée du Premier ministre et du juge-président de la Cour constitutionnelle ainsi que de plusieurs ministres a créé une vacance du pouvoir qui risque de poser de nouveaux problèmes dans le processus de paix. Le Premier ministre désigné a été évacué par l’UNAMIR vers notre quartier général où il a trouvé refuge et nous assurons sa protection dans le site UNAMIR.

7. Aujourd’hui à douze (12) heures (heure locale), nous avons reçu le message suivant du général Kagame, à remettre au " Comité de crise " indiquant :
1) qu’il était prêt à participer à une rencontre à Kigali afin de poursuivre le processus de paix ;
2) qu’il envoyait un bataillon à Kigali pour aider les forces gouvernementales à empêcher les forces renégates de tuer des innocents ;
3) que le Comité de crise pouvait prouver son sérieux en n’ouvrant pas le feu sur son bataillon FPR en phase d’approche ;
4) que le FPR n’autorisera aucun appareil à atterrir sur l’aéroport international Kayibanda de Kigali et que cette mesure est d’effet immédiat.

8. Notre réaction immédiate à ce message a été d’informer le général Kagame qu’à ce stade, l’introduction de nouvelles forces à Kigali risque de provoquer un résultat inverse à celui escompté et d’entraver les efforts en cours visant à négocier un cessez-le-feu entre la Garde présidentielle et le FPR. Nous lui avons exprimé notre appréciation du fait qu’il soit disposé à participer à une rencontre à Kigali en vue de poursuivre le processus de paix et avons transmis le message au Comité de crise conformément à sa requête.

8. Je poursuis mes efforts auprès de toutes les forces politiques pour établir la sécurité à Kigali afin de créer le contexte nécessaire à la reprise des efforts visant à mettre en place les institutions de transition. À ce sujet, la position de la direction du nouveau " Comité de crise " a été portée à ma connaissance et nous avons pu procéder à un échange de vues.

8. Au nom du secrétaire général et de tous les membres de l’UNAMIR, j’ai lancé un appel national à la restauration de la loi et de l’ordre et à la coexistence pacifique entre toutes les forces vives du pays. J’ai également diffusé la déclaration du président du Conseil de sécurité condamnant les meurtres et lançant un appel au calme.

9. J’ai le regret de confirmer la mort de dix (10) militaires du contingent belge qui ont été capturés et maintenus en détention par des éléments de la Garde présidentielle.

10. Le texte qui suit est une évaluation militaire de la situation actuelle et une mise à jour des aspects militaires de la mission.

11. Mandat et missions. Conformément à la résolution 872 du Conseil de sécurité du 5 octobre 1993 et au rapport du secrétaire général au Conseil de sécurité sur le Rwanda, date du 24 septembre 1993, nous avons passé notre situation en revue et vous présentons l’évaluation suivante.

12. À l’extérieur du KWSA. Les rapports de nos équipes UNMO dans les secteurs FAR, SUD et DMZ rapportent tous une situation générale calme, à l’exception de quelques réactions très négatives à la mort du président à Gisenyi. Dans le secteur FPR, d’importants préparatifs sont en cours en vue d’une offensive imminente. Nos contacts UNDP confirment également cette situation générale.

13. À l’intérieur du KWSA. L’apparition d’une campagne de terreur bien planifiée, organisée, délibérée et savamment orchestrée, menée principalement par la Garde présidentielle depuis le matin qui a suivi la mort du chef de l’État a complètement modifié la situation à Kigali. Des agressions ont été dirigées non seuleument contre les leaders de l’opposition, mais aussi contre le FPR (tirs prenant pour cible le CND), contre des groupes ethniques particuliers (massacre de Tutsis à Remera), contre la population civile en général (banditisme) et contre l’UNAMIR (tirs directs et indirects sur les installations, les véhicules, le personnel et les agences liées aux Nations Unies (à savoir l’UNDP), faisant plusieurs victimes dont certaines mortelles. Le meurtre particulièrement barbare des 10 soldats belges capturés souligne cette situation. Le mandat de l’UNAMIR est-il toujours valable ?

14. Les missions du KWSA et la situation actuelle à la lumière du mandat sont abordés ci-dessous :
A. Stockage des armes des parties en lieu sûr. Ce stockage n’a manifestement pas lieu étant donné que les parties ont retiré leurs armes et qu’elles ont ouvert les hostilités. Nos observateurs ont dû se retirer et cette mission ne peut plus être remplie dans la situation actuelle.
B. Maintien de la sécurité à Kigali. Le maintien de la sécurité était assuré à Kigali par deux petits bataillons d’infanterie mais le bataillon est à présent morcelé dans des camps confinés coupés de l’extérieur par les combats, les tirs et les barrages routiers et les éléments de ces bataillons se concentrent sur l’autodéfense. De plus, ces éléments sont coupés de leur appui logistique, à savoir une source d’approvisionnement en eau et en nourriture (à l’exception des rations d’urgence) et de leur réapprovisionnement en énergie, eau de lavage, carburant, sanitaires et, surtout, au vu de la menace que représente la situation actuelle, de leur hôpital de campagne. Kigali ne fait plus l’objet d’aucune surveillance, patrouille ou dispositif de sécurité vu la situation actuelle. Il s’agit d’un exercice de survie défensive pour l’UNAMIR.
C. Maintien de la sécurité de la zone FPR BN dans le CND. Pas assuré étant donné que le FPR est sorti de ses installations et conduit des opérations militaires offensives et défensives à Kigali. Le GD de la zone UNAMIR RPF BN s’est retranché dans son camp et a adopté une position défensive. La surveillance du FPR n’est donc pas assurée ni sa sécurité à Kigali.
D. Récupération des armes. Manifestement impossible puisque la Garde présidentielle et le FPR sont engagés dans des hostilités complètes et ouvertes et que la Garde présidentielle lance fréquemment des attaques contre l’UNAMIR. Cette mission n’est pas remplie et n’est ni possible ni viable dans la situation actuelle.
E. Utilisation des APC. Les APC sont utilisés pour les opérations urgentes telles que des opérations de secours et Casevac, au lieu de leur utilisation initiale comme moyen de dissuasion.
F. Surveillance et vérification. Vu la situation actuelle et les événements des dernières 48 heures, la conduite de ces opérations avec des UNMO désarmés ou même avec des troupes légèrement armées constitue un risque inacceptable. De plus, il y a une nouvelle armée dans le pays. Certains éléments de l’ancienne armée ont exprimé leur loyauté envers le gouvernement transitoire encore à former, dans un front contre la Garde présidentielle et l’ancienne Garde armée. On ne sait cependant pas avec certitude quelle attitude cette armée adoptera au cas où le FPR ouvrirait les hostilités. Kigali ne fait donc l’objet d’aucune surveillance (sauf à l’intérieur et à proximité de notre base) ni observation ou vérification.
G. Sécurité des individus. C’est devenu la principale mission de l’UNAMIR. Mais compte tenu de la situation, cela n’a pas permis de sauver la vie du Premier ministre Agathe ni des autres ministres enlevés, mais le dispositif fonctionne pour d’autres VIP. Comme L’UNAMIR tente d’organiser un cessez-le-feu, cette mission nécessitera des escortes, des gardes et une protection générale. Compte tenu des événements des dernières 24 heures, cette mission exposera la vie du personnel de l’UNAMIR. Ce risque doit être mis en balance avec la nécessité de sauver les derniers moyens de mettre en place le BBTG et de sauver le processus de paix. Ce risque sera accepté.
H. Sécurité de l’aéroport. Une sous-unité de la compagnie est à l’aéroport de même qu’une poignée de membres de la Garde présidentielle et un nombre plus important de combattants de troupes gouvernementales incertaines. L’aéroport peut être mis sous surveillance mais il est impossible d’en assurer la sécurité. Vu la taille de la zone d’intérêt de l’aéroport, la présente force ne peut accomplir cette mission dans la situation actuelle. En effet, la piste est bloquée par des membres de la Garde présidentielle.
I. Protection de la communauté UN et des expatriés. Cette communauté est en sécurité jusqu’ici dans les maisons ou localisations (à l’exception de l’UNDP). Cependant, une fois que les réserves d’eau et de nourriture seront épuisées, l’UNAMIR risque de devoir évacuer ces personnes vers un ou plusieurs endroits. Vu la situation actuelle dans les rues, cette évacuation risque d’être entravée ou retardée et très dangereuse. Un plan d’évacuation a été élaboré et coordonné mais il repose sur l’hypothèse que l’UNAMIR sera autorisée par les parties à mettre ce plan à exécution, en comptant sur un aéroport sûr et opérationnel jouissant de l’immunité contre les attaques. Cette mission sera possible à la condition que certaines conditions préalables soient réunies.

15. Soutien. La mission manque cruellement de soutien logistique et opérationnel de base. Les réserves demandées par les Nations Unies pour cette mission n’ont soit pas été fournies par les troupes des États participants, soit n’ont pas été fournies à cette mission. Il faut se rendre compte que Kigali est une ville en état de guerre. L’économie locale ne fonctionne pas. Les magasins, stations-service, fournisseurs, etc. sont fermés et leurs propriétaires et leur personnel se cachent. La mission est actuellement en train d’évaluer ses réserves logistiques. La compagnie logistique et un des principaux dépôts ou sont stockées les fournitures sont coupés de l’extérieur et le personnel logistique au QG de la force est bloqué à l’Hôtel Méridien malgré des tentatives de les amener à forcer le QG à fournir son appui à ce processus, étant donné que la majorité des combats se déroulent le long de la route. Selon une estimation optimiste, l’UNAMIR dispose des réserves suivantes :
A. Eau potable. 20 litres par homme. Cette eau est malheureusement située dans une réserve inaccessble pour la plupart des membres de la Force. La plupart des unités ont une réserve d’eau potable de 1 à 2 jours. Des mesures de rationnement ont été décrétées.
B. Eau à usage général. Les toilettes et les douches dans la plupart des localisations ne fonctionnent plus. L’eau à usage général sera bouillie en vue de pouvoir être bue et une quantité minimale sera utilisée à des fins d’hygiène. Cette situation est acceptable à court terme mais provoquera des problèmes de santé à long terme.
C. Rations. Les unités varient entre néant au QG de la force et 2 jours à RUTBAT. Des mesures de rationnement ont été décrétées. La force dispose d’une réserve de 3 jours par homme et la compagnie logistique à KIBAT d’une réserve de 10 jours par homme. Malheureusement, ces réserves se trouvent dans des endroits coupés de l’extérieur pour la plupart des unités. Si l’UNAMIR a accès à ces endroits, elle disposera de réserves de nourriture permettant de tenir un peu moins de deux semaines.
D. Carburant. Le carburant sera notre principale difficulté. La force dispose d’une réserve de 20 000 litres d’essence et de 40 000 litres de diesel à la compagnie logistique. Cet endroit est inaccessible pour la plupart des unités. La plupart des unités pensent disposer de réserves pour deux à trois jours. Comme l’électricité est coupée, les générateurs à carburant sont cruciaux pour fournir un éclairage limité, alimenter les radios et les pompes. Même moyennant un rationnement, les réserves seront épuisées en moins d’une semaine.
E. Munitions. Ce poste critique compte tenu de notre situation actuelle et de notre futur incertain est notre plus grande faiblesse. Un inventaire complet du stock est en cours et les chiffres ne sont pas encore disponibles. Cette mission ayant été conçue comme une opération de maintien de la paix, nous ne disposons que d’armes légères et d’une quantité très limitée de munitions pour armes légères. L’UNAMIR pourra se défendre pendant une durée limitée.
F. Réserves défensives. Ces réserves n’ont pas encore été fournies par le système d’appui des Nations Unies. Les unités de réserve sont épuisées. L’UNAMIR peut appliquer des mesures ad hoc à titre temporaire mais ne pourra pas assurer une défense à long terme.
G. Fournitures médicales. Déjà épuisées par les programmes d’aide à la population civile. L’utilisation des réserves d’unité pour le traitement de notre personnel avant le 6 avril et l’absence de réapprovisionnement de ces fournitures rendent la situation critique en cas de pertes lourdes. À titre conservatoire, nous avons cessé de fournir un traitement d’urgence à la population civile et nous les transférons à l’hôpital de Kigali.
H. Communications. Le réseau téléphonique local ne fonctionne plus. L’UNAMIR dispose d’un Inmarsat avec fax au QG et à KIBAT. Ce sont nos seuls liens avec le monde extérieur et ils sont protégés et entretenus comme réserves critiques de la mission.
I. Transport. L’UNAMIR souffrait déjà d’un manque de véhicules avant le début des hostilités. Cette situation s’est aggravée par la perte de véhicules, la pénurie de carburant prévue et l’indisponibilité des sources locales en raison du conflit. L’UNAMIR ne peut s’aéroporter, sans parler de toute personne supplémentaire. Nous disposons des ressources suffisantes pour des mouvements de navette à condition de disposer de carburant.

16. L’UNAMIR a été conçue, mise en place et développée logistiquement comme une force de maintien de la paix. Elle ne dispose donc pas de réserves d’articles cruciaux pour un scénario de conflit prolongé. De plus, une grande partie de ces réserves sont séparées des autres localisations en raison des difficultés d’hébergement à Kigali. L’aspect positif de la situation logistique est qu’environ la moitié de la force est hors de Kigali et qu’elle peut, au besoin, subvenir à ses besoins par l’intermédiaire de l’économie locale qui continue à fonctionner dans un calme relatif. L’UNAMIR consacrera une grande partie de ses efforts et de ses ressources à l’amélioration de notre capacité de subsistance mais il faut souligner que nous sommes confrontés à des pénuries critiques qui réduiront notre capacité et mettront la force en danger dans quelques jours.

17. Les dirigeants RGF ont demandé au FPR (via l’UNAMIR) de consentir à un cessez-le-feu et à un retrait (désengagement) étant donné qu’ils essaient d’obtenir la même chose de la Garde présidentielle. Nous avons passé le message au FPR qui nous a dit être prêt à signer un cessez-le-feu si la Garde présidentielle fait de même. Les négociations ont été freinées par la coupure du réseau téléphonique local. D’importantes échauffourées se poursuivent, les axes de communication sont bloqués, des barrages routiers barrent la route et empêchent tout mouvement dans la ville, les balles et cartouches perdues, les ricochets et parfois les tirs directs et indirects requièrent de prendre des mesures défensives et retardent les activités, en particulier les déplacement à pied ou à bord d’un véhicule non protégé. Nous essayons d’assurer la sécurité du QG de la force et de la zone du stade Amahoro pour en faire le point de départ de nos opérations, mais les combats en cours entre le FPR et la Garde présidentielle dans cette région ont empêché de mener cette opération à bien. (...) D’autres localisations à Kigali sont sur la défensive et ont réduit leurs activités au minimum et aux activités vitales ou de maintien de la paix.

18. Le FC de l’UNAMIR doit connaître les intentions des principaux pays concernant une évacuation éventuelle, en particulier des expatriés et des Nations Unies ou de l’UNAMIR. Nous avons une compagnie légère à l’aéroport mais nous ne contrôlons pas les routes et la sécurité n’est pas garantie sur le parcours jusqu’à l’aéroport. L’aéroport ne permet pas d’atterrir ou de décoller en sécurité étant donné que nous ne connaissons pas les instructions des forces adverses ni à qui va leur loyauté.

19. Le FC de l’UNAMIR a assisté à une réunion du comité de crise (...). Nous ne connaissons pas les détails de ce plan ni son calendrier d’exécution.

20. L’UNAMIR reste attachée à son mandat bien que la situation actuelle ne permette pas à notre mission de remplir les tâches qui nous ont été assignées ou pour lesquelles nous avons été créés. Mais il ne fait aucun doute que la situation à Kigali aurait été pire sans la présence de l’UNAMIR. Tous les efforts visent à présent à assurer notre propre protection, la survie et la sécurité des personnes clés du processus de paix, une aide humanitaire limitée et l’utilisation de toutes nos compétences pour amener les parties à un cessez-le-feu et à se rasseoir à la table de négociation pour faire avancer le processus politique.

21. Nous vous tiendrons informés de l’état d’avancement de la situation.

22. Bien à vous. "

Bruxelles n’a pas reçu ce rapport. Selon le major Maggen, c’est parce que le général Dallaire aurait rédigé lui-même ce situation report et " s’est opposé à la transmission d’une copie du rapport SITREP à Bruxelles. Il voulait que son SITREP soit uniquement envoyé à New York. " (80c)

Dans un télégramme daté du 7 avril 1994 adressé à Bruxelles et à différentes ambassades, M. Noterdaeme écrit :
" Selon l’analyse du général Dallaire, la menace vient de la garde présidentielle et de certains éléments des forces armées rwandaises (FAR)(...)
Le représentant du secrétaire général de l’ONU, M. Booh-Booh essaye d’établir un comité de crise englobant la Gendarmerie, la MINUAR, les FAR...
Selon Dallaire, au moins 3 soldats belges de la MINUAR ont été tués (le général a vu les corps). Dix autres soldats belges de la MINUAR sont toujours détenus (désarmés) par la garde présidentielle responsable du meurtre des 3 soldats belges.(...) L’aéroport et le C-130 belge qui s’y trouve, sont sous contrôle de la garde présidentielle et ne sont donc pas accessible à la MINUAR à Kigali, une partie du bataillon FPR se bat dans les rues. Dans la zone démilitarisée, des éléments armés du FPR (non qualifiés par le Secrétariat) se dirigent vers Kigali, ce qui accroît le risque d’une déflagration militaire majeure. " (81c)

Dans ces réponses écrites aux questions soumises par la commission le général Dallaire, celui-ci déclare : " Le 7 avril 1994, le commandant de la Force de la MINUAR était informé que RTLM faisait de la propagande anti-belge en déclarant que les gardiens de la paix belges de la MINUAR avaient aidé le FPR à abattre l’avion présidentiel. "

Lors d’une interview de la RTBF par téléphone d’un Belge qui vit au Rwanda, celui-ci décrit la situation en fin de matinée du 7 avril 1994 à 13 heures : " Chacun est claquemuré chez soi à la maison et entend des coups de feu, (...). Mais il est évident que l’insécurité est grande et nul ne sait de quoi sera faite la prochaine heure ". Ce même jour à 17 heures, la RTBF a en ligne Bernard Schijns, représentant de la Croix-Rouge à Kigali. Il déclare : " Ils cassent les fenêtres à coup de crosse, ils rentrent dans les maisons et liquident tout ce qui passe. Moi je n’ai évidemment pas vu directement ce qui se passait à l’intérieur puisque je me garde bien de sortir. Actuellement les militaires rwandais viennent d’investir mon stock qui se trouve juste en-dessous de ma maison où se trouve tous les ... et je ne sais absolument pas ce qui s’y passe. Ça tire dans tous les coins, des grenades explosent partout, la situation est très tendue. La MINUAR est complètement absente, nous nous sentons tout à fait non protégés et en grand danger. Voilà en clair mes impressions pour le moment. "

La journaliste Colette Braeckman a, elle aussi, tenté de rallier Kigali le 6 avril. Elle témoigne que les rumeurs anti-belges ont été répandues non seulement par RTLM, mais aussi par l’ambassade de France : " Le 6 avril, j’ai essayé d’aller à Kigali par le Burundi. Je me suis rendue à Butare et j’ai rencontré le premier convoi qui fuyait les tueurs de Kigali. Les Belges se sont fait passer pour des Anglais ou des Américains car ils avaient entendu les rumeurs anti-belges. Certains d’entre eux étaient bouleversés car des Tutsis avaient été retirés du convoi pour être assassinés. La rumeur disait que les Belges avait pris contact avec les ambassades belge et française pour connaître la situation exacte. À l’ambassade de France, une voix leur a dit que c’étaient des Belges qui avaient tiré sur l’avion du président. La rumeur anti-belge provenait donc de deux sources : les Français et la radio des Milles Collines. " (82c)

Le 8 avril à 8 heures, la RTBF, annonce : " Il y a eu des tueries entre Hutus et Tutsis hier, des règlements de compte, on ne connaît pas le bilan des victimes.(...) Pour le colonel Marchal, porte parole des Casques bleus belges sur place, les Rwandais vont régler les choses entre eux et les Casques bleus ne devront pas s’interposer entre les deux ethnies. "

Le climat anti-belge ne fait que de s’amplifier. Mme Els De Temmerman témoigne devant la commission :

" Le 10 avril, j’ai parcouru la ville avec un convoi français qui était chargé de l’évacuation. C’était le chaos, les rues étaient parsemées de vêtements et de cadavres (...) D’autres journalistes m’ont raconté qu’ils avaient été arrêtés et qu’on leur avait demandé, en leur mettant la machette sur la gorge, s’ils étaient Belges. Je voulais donc laisser tous les signes de ma nationalité à l’aéroport. Comme j’avais oublié de le faire, j’ai eu peur au cours du trajet avec le convoi français (...) Comme ma nationalité belge constituait un problème, je suis retournée avec les premières voitures (...) Un Néerlandais, Albert Broom, m’a accompagné dans l’avion. Il a quitté l’aéroport et a été tué. Des témoins ont signalé que le fait qu’il portait un gilet pare-balles belge y était pour quelque chose. J’ai néanmoins essayé de retourner. Un convoi de la Croix-Rouge a refusé de m’emmener au Rwanda en raison de ma nationalité belge (...) Vers le 9 mai, j’ai réservé à Nairobi une place dans un avion de l’ONU. Je me suis présentée comme étant Suédoise et je disposais d’un passeport suisse. Au dernier moment, on m’a débarquée de l’avion parce que mon nom était connu à Kigali et qu’on voulait m’assassiner ". (83c)

Quand on demande, le 20 juin, au cours de son troisième passage devant la commission, à l’ambassadeur Swinnen de procéder à une reconstitution des événements dramatiques des 6 et 7 avril, il souligne qu’il a refusé la protection du colonel Marchal pour la raison suivante :

" Devant la campagne anti-belge qui se déroulait alors de manière violente, j’ai pris la décision de ne pas accepter cette protection. Je craignais que, loin de nous apporter la sécurité, la présence de la MINUAR risque d’avoir l’effet contraire. "

(...) " La haine était crachée tous les jours sur les ondes de RTLM. A ce moment-là, la campagne anti-belge battait son plein et il était difficile de laisser les troupes belges sur place. " (84c)


Source : Sénat de Belgique