La commission estime que la prise de décision par la Belgique de participer à l’opération de paix MINUAR a présenté des déficiences à divers points de vue (politico-psychologiques et technico-militaires).

Pour ce qui est des facteurs politiques et psychologiques, le Gouvernement est parti essentiellement de la considération que les accords d’Arusha auxquels tout le monde croyait à cette époque devaient réussir, que les deux signataires de ces accords souhaitaient une participation de la Belgique et que celle-ci était le seul pays militairement crédible se montrant disposé à fournir des troupes à court terme dans le cadre de la force de paix prévue par lesdits accords. On ne s’est pas ou pas suffisamment interrogé sur le point de savoir si une participation belge était réellement souhaitable au vu des éléments suivants :

Le passé colonial de la Belgique. En envoyant des Casques bleus belges au Rwanda, les Nations unies même si ce n’était pas la première fois que cela se produisait à leur niveau ont dérogé à une règle non écrite qui veut qu’une force de paix ne comprenne pas de troupes fournies par des pays voisins ou des pays ayant des liens particuliers avec l’État ou la région ou cette force est envoyée. Concrètement, cela signifie que l’on n’envoie normalement pas de Casques bleus venant d’un pays susceptible d’avoir des prétentions territoriales ou d’une ancienne puissance coloniale. En s’écartant de cette règle, on court le risque de voir les troupes envoyées arriver dans un environnement qui leur sera soit hostile soit exagérément favorable, selon les parties impliquées dans le conflit. En pareil cas, il ne pourrait être question ou alors si peu d’" impartialité ", condition essentielle à la réussite d’une opération de maintien de la paix.

La présence de nombreux citoyens belges au Rwanda a constitué une des raisons de la participation belge à l’opération MINUAR. Cependant, le mandat initial de l’ONU ne prévoyait pas la possibilité d’une évacuation par la MINUAR des expatriés et les commandants des troupes belges n’ont jamais reçu les directives qu’ils avaient demandées à ce sujet au commandement de l’armée. Il ressort du déroulement des événements ultérieurs que la présence de ces expatriés a, en réalité, paralysé la capacité opérationnelle de la composante belge de la MINUAR. Plusieurs officiers ont en effet déclaré qu’aucune opération de dégagement du groupe Lotin n’aurait pu être exécutée, entre autres en raison des dangers qu’elle aurait fait courir aux citoyens belges résidant au Rwanda.

Le climat antibelge qui régnait au Rwanda, en tout cas au sein des milieux extrémistes hutus liés au président Habyarimana et à son entourage direct. Ce climat était, principalement, la conséquence directe des décisions prises par la Belgique en 1990 de ne pas livrer les munitions que le Rwanda avait payées et de retirer ses troupes, alors que la France était restée sur place et avait soutenu le régime d’Habyarimana face à l’offensive du FPR.

En ce qui concerne les aspects techniques et militaires, le chef de l’état-major général, le lieutenant général Charlier, assumait, malgré la limitation des effectifs, la responsabilité de l’opération ; cependant, quand on a pris la décision de participer à la MINUAR, on n’a pas suffisamment accordé d’attention aux points suivants :

le nombre et la nature des tâches susceptibles d’être confiées au bataillon belge (KIBAT) à la suite de la réduction de l’effectif à 450 hommes ;

l’absence d’un deuxième contingent crédible, dont la présence était nécessaire, eu égard à la décision de ne fournir qu’un nombre réduit de troupes belges à la MINUAR ;

l’absence d’une force d’intervention rapide (Quick Reaction Force QRF) et des véhicules blindés qui doivent équiper une telle force, comme demandé par la Recce et le général Dallaire.

Enfin, il y avait également la portée du mandat qui, à bien des points de vue, avait été atténué par rapport à ce qui était initialement prévu dans les accords d’Arusha et ne permettait plus à la force de l’ONU de remplir la plupart de ses missions sans la collaboration des autorités rwandaises.

La commission constate donc que, tant du point de vue politique que du point de vue technico-militaire, la décision du Gouvernement de participer à la MINUAR était déficiente et a fait l’objet d’une appréciation erronée. Ce constat est d’autant plus à déplorer que l’on aurait pu tirer les leçons des analyses des opérations antérieures. On s’est manifestement trop focalisé sur la recherche d’un compromis entre l’approche politique du dossier rwandais (impliquant une participation plutôt symbolique à la force de paix de l’ONU ainsi que des limitations budgétaires) et les desiderata et préoccupations technico-militaires du général Dallaire et de l’armée belge. La commission constate qu’en raison de ce compromis et de l’absence d’un deuxième contingent crédible, la Belgique a dû former l’épine dorsale de la MINUAR, même si, au départ, le Gouvernement voulait éviter cela à tout prix.

En tout état de cause, la commission estime que, même si la responsabilité de la décision relève de l’ensemble du Gouvernement, le ministre de la Défense nationale, M. L. Delcroix, ne l’a pas informé suffisamment de toutes les conséquences militaires de l’option retenue et des suites qu’elle pouvait avoir sur le terrain.

De son côté, le ministre des Affaires étrangères, M. W. Claes, n’a pas été conscient de l’affaiblissement insidieux du mandat et des conséquences que cela aurait pu avoir sur la réussite ou l’échec de la mission.

Même si notre pays n’était pas membre du Conseil de sécurité, et n’était donc pas en droit de négocier, il n’a pas tiré parti de l’avantage de la position de la Belgique en tant que fournisseur du contingent le plus crédible pour tenter de prévenir cet affaiblissement du mandat.

Enfin, la commission constate que la décision de participer à l’opération de la MINUAR n’a fait l’objet ni d’une communication gouvernementale au Parlement, ni d’un débat d’initiative parlementaire.


Source : Sénat de Belgique