La décision de retrait des troupes belges de la MINUAR a été prise par le Gouvernement après qu’il eut pris contact avec les autorités des Nations unies, en particulier avec le Secrétaire général, le secrétaire général adjoint (DPKO) et avec des membres du Conseil de sécurité. Des contacts ont eu lieu dans une grande confusion en raison des difficultés de communication entre New York, Kigali et Bruxelles, ce qui ressort notamment de déclarations contradictoires de M. Boutros Boutros-Ghali et du ministre des Affaires étrangères, M. Willy Claes. Finalement, la décision des Nations unies et celle du Gouvernement belge ne sont pas allées dans le même sens.

La décision du retrait des troupes belges a été précédée de démarches diplomatiques entreprises en vue de déterminer ce que serait le rôle de la MINUAR en cas de massacres massifs et pour savoir si le mandat permettait d’assurer la protection de responsables politiques rwandais connus. On a en outre demandé s’il était possible d’engager les troupes de la MINUAR en vue de l’évacuation des expatriés. Il est apparu qu’il était impossible de réinterpréter le mandat et le rôle de la MINUAR dans ce sens. Finalement, on a envoyé des troupes françaises et belges, en dehors du cadre des Nations unies, pour procéder à l’évacuation des expatriés. Cette décision d’évacuation était justifiée par les menaces spécifiques dont faisaient l’objet les Belges, à qui on attribuait la responsabilité de l’attentat contre l’avion présidentiel, et qui s’ajoutaient à celles dont les Belges avaient fait l’objet précédemment.

En ce qui concerne les événements dramatiques qui ont eu lieu après le 7 avril 1994, la commission estime qu’ils relèvent d’une responsabilité collective.

D’abord de la responsabilité de la communauté internationale, plus précisément du Conseil de sécurité des Nations unies, qui a omis, dès le début du drame rwandais, de modifier, de renforcer ou d’élargir le mandat. À aucun moment, les autorités de l’ONU ou les autorités militaires sur place n’ont pris la décision d’appliquer l’article 17 des ROE qui stipule :

" Des actes criminels motivés ethniquement peuvent également être perpétrés pendant ce mandat et demanderont moralement et légalement que la MINUAR utilise tous les moyens disponibles pour y mettre fin. Exemples : exécution, attaques contre des personnes déplacées ou réfugiées, émeutes ethniques, attaques contre des soldats démobilisés, etc. À ces occasions, le personnel militaire de la MINUAR suivra les ROE élaborées dans cette directive, en appui de la UNCIVPOL et des autorités locales ou en leur absence, la MINUAR prendra l’action nécessaire pour empêcher tout crime contre l’humanité. "

Même s’il apparaît que la situation sur le terrain justifiait l’application de cet article 17 et que le droit international permettait, voire imposait, une réaction militaire pour empêcher les massacres, il faut évaluer quels étaient les rapports de force sur le terrain. Même s’il est apparu, à de très nombreuses reprises, que la MINUAR, et particulièrement sa composante belge, s’est trouvée en difficulté sur le terrain, la mise en commun de l’ensemble des forces militaires occidentales disponibles à Kigali ou dans les pays voisins aurait permis d’éviter l’ampleur du génocide.

La commission estime qu’en plus de la communauté internationale, notre pays porte également une responsabilité dans les événements. La décision de retrait unilatéral de la composante belge de la MINUAR a été prise par le Gouvernement en raison de son analyse, à savoir que les Nations unies ne voulaient pas modifier le mandat, qu’il considérait que les troupes belges se trouvaient en danger et étaient devenue inutiles et que la Belgique ne pouvait agir seule. Le Premier ministre, M. Jean-Luc Dehaene, a déclaré devant la commission que si la même situation se reproduisait, il prendrait la même décision.

Cette décision a été prise après que les Casques bleus belges eurent quitté l’école Don Bosco, où 2 000 Rwandais se trouvaient sous la protection de la MINUAR. La communauté internationale et les autorités belges étaient au courant des multiples assassinats politiques et des massacres systématiques de la population civile tutsie. En plus, cette décision de retrait de la composante belge de la MINUAR n’a pas été assortie de la garantie de son remplacement par un autre contingent.

La commission estime que la responsabilité de cette décision de retrait unilatéral des troupes incombe au Gouvernement. Le Parlement porte également une responsabilité en la matière. Cette décision du Gouvernement n’a soulevé aucune protestation. Au contraire, les divers groupes parlementaires, à l’exception de quelques membres qui ont lié le retrait à certaines conditions, ont soutenu la décision de retrait des Casques bleus. Cela ne peut s’expliquer qu’en partie, en raison d’un manque d’information et par l’émotion que l’assassinat des dix paracommandos a provoquée dans l’opinion publique belge.

En tout cas, la commission ne peut comprendre l’offensive diplomatique belge qui, parallèlement à la décision de retrait, a voulu mettre fin à l’ensemble de l’opération MINUAR, notamment pour des raisons d’ordre psychologique.

En tout état de cause, et avec le recul, la communauté internationale, et certaines de ses composantes, dont la Belgique, ont failli en avril 1994.


Source : Sénat de Belgique