La question de la place des prévenus en prison a déjà été longuement évoquée : on a insisté sur leur nombre (19 726 en 1999), l’inéquité de leur régime de détention, plus sévère que celui des condamnés alors qu’ils sont présumés innocents, et sur la difficulté qu’il y avait, tant qu’ils sont soumis au régime de détention provisoire, de promouvoir une action d’insertion.

Il faut noter qu’au Canada, la liberté sous caution est la règle et que la détention provisoire n’est prononcée que dans 15 % des cas. La caution ne consiste pas obligatoirement en une somme d’argent, mais impose le respect de diverses obligations.

Il faut dès lors initier une réflexion plus en amont, qui permettrait de limiter le placement en détention provisoire et de réduire sa durée. Le débat a été clairement posé lors de la discussion du projet de loi renforçant la protection de la présomption d’innocence et plusieurs réformes décisives ont pu être adoptées dans ce cadre : les conditions de placement en détention provisoire ont été revues et ne concernent plus majoritairement que les délits pour lesquels la peine encourue est supérieure à trois ans, contre deux auparavant. Les délais de la détention provisoire ont été réduits et ne peuvent plus dépasser, en matière correctionnelle, quatre mois lorsque la peine encourue est inférieure ou égale à cinq ans et un an dans les autres cas (contre six mois auparavant lorsque la peine était inférieure ou égale à cinq ans, deux ans lorsqu’elle était inférieure à dix ans et illimitée pour les peines supérieures à dix ans).

En matière criminelle, le délai de droit commun est de deux ans pour les peines inférieures à vingt ans et trois ans dans les autres cas ; cette durée était auparavant illimitée, sous la seule réserve du respect d’un " délai raisonnable " imposé par la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme.

La ministre de la Justice a indiqué, lors de son audition qu’une baisse de 4 à 5 000 détentions provisoires était escomptée de la mise en _uvre de ces mesures.

Les délais d’audiencement des affaires ont également été fixés limitativement : six mois en matière correctionnelle et deux ans en matière criminelle.

La détention provisoire se trouve également strictement encadrée dans le cas de parents élevant seuls leurs enfants.

Le texte adopté, et sur lequel les parlementaires ont fait des propositions décisives, démontre que rien n’est inéluctable dans la décision de placer en détention et que toute initiative réformatrice ne bute pas inexorablement sur la question des moyens.

Au-delà du texte adopté, la réflexion reste ouverte sur les responsabilités qui incombent à chacun dans la décision du placement en détention provisoire.

Il y a d’abord, reconnaissons-le, une responsabilité du législateur, qui a eu pour souci de faire cesser le plus rapidement possible le trouble à l’ordre public causé par l’infraction. Interprété extensivement par les juges, ce critère de trouble à l’ordre public a désormais essentiellement pour objectif d’apaiser une opinion publique, relayée par les médias, qui exige souvent des mesures immédiates.

" Concernant la première question relative à la pression de l’opinion publique et des enquêteurs sur la décision de placer en détention provisoire, je vous renvoie à la loi : la détention provisoire doit être l’unique moyen d’apaiser le trouble à l’ordre public. C’est ce qui figure dans la loi. Si l’on veut supprimer ce critère, il faut le faire, mais il convient de savoir que nous prenons une décision sur la base des réquisitions du procureur de la République qui défend les intérêts de la société, donc les vôtres, et de la plaidoirie de la défense. Souvent, des réquisitions ne sont fondées que sur le trouble à l’ordre public, car tel est le critère figurant dans la loi. Son application a été limitée lors de dispositions récentes, mais, en tant que magistrats qui appliquons la loi, c’est là un critère que nous devons prendre en compte.

En règle générale, il est extrêmement rare qu’une décision de placement en détention provisoire soit prise sur ce seul critère. Je ne puis m’engager au titre de mes collègues, mais c’est personnellement mon cas. Cela dit, il est bien évident qu’à partir du moment où la loi prévoit la mise en détention et si la détention provisoire est l’unique moyen d’apaiser le trouble à l’ordre public, nous nous devons de prendre en considération le trouble à l’ordre public. [...]

Il y a peu, à l’issue d’un débat contradictoire, je n’ai pas placé une personne en détention. On entend souvent dire que le débat contradictoire ne sert à rien. Ce n’est pas vrai ; il arrive ainsi que nous ne placions pas une personne à l’issue d’un débat contradictoire. Le lendemain, j’ai été appelé par la victime. Je me suis fait vertement tancer. Je lui ai expliqué les raisons de ma décision. Il s’agit là de notre rôle, notre responsabilité. " (M. Jean-Baptiste Parlos, représentant de l’association française des magistrats chargés de l’instruction)

Il serait donc nécessaire de revoir les critères de placement en détention provisoire ; si l’objectif d’apaisement du trouble à l’ordre public répond à des motivations tout à fait respectables dans des cas très précis, il n’est pas souhaitable que ce critère soit dévoyé sous la pression de l’opinion publique.

La décision de placement en détention provisoire peut également répondre à une attente des officiers de police judiciaire à l’issue d’une enquête qu’ils ont menée de bout en bout.

" Pour ce qui est des policiers, je vous exposerai clairement ma pratique, dont je pense qu’elle est également celle d’un certain nombre de mes collègues. Lorsqu’ils identifient une personne comme étant l’auteur d’un délit, alors même que nous devons pour notre part la considérer, selon la loi, comme innocente, ils souhaiteraient que des mesures coercitives soient prises immédiatement. Dans les cas où nous ne prenons pas ces mesures, j’ai coutume de les appeler pour leur en expliquer les raisons. Rien n’est plus désagréable pour quelqu’un qui a accompli des actes d’enquête compliqués, qui s’est donné dans son enquête, d’apprendre par une autre voie une décision qu’on ne lui a pas expliquée. Je considère les policiers et les gendarmes comme mes collaborateurs et je leur explique pourquoi je ne prends pas une décision de détention provisoire. Il est vrai que cela " remue " parfois, mais nous assumons notre rôle de magistrats. " (M. Jean-Baptiste Parlos, représentant de l’association française des magistrats chargés de l’instruction)

Surtout, le placement en détention provisoire semble de plus en plus être décidé par des juges d’instruction dans le seul objectif de conduire le prévenu à passer aux aveux. Il s’agit là d’un véritable dévoiement de la procédure de détention provisoire, dont il est difficile d’apprécier l’ampleur.

" Sur la détention utilisée comme moyen de pression, je ne vous dirai pas que cela n’a jamais existé. Il faut quand même savoir que l’enquête pénale a changé de visage. L’aveu n’est plus la reine des preuves, notamment en matière financière. En matière financière, nous travaillons sur des documents, sur des comptes, sur des éléments papiers. Il en va de même dans les affaires de banditisme. On travaille aussi sur les tests d’ADN, les téléphones portables, plus souvent qu’auprès des personnes placées en garde à vue ou celles en détention provisoire qui ne disent rien ou contestent leur responsabilité pénale. Je ne vous dirai pas que cela n’a jamais existé, mais il serait totalement illusoire de fonder une enquête et une instruction sur une détention utilisée comme pression. " (M. Jean-Baptiste Parlos, représentant de l’association française des magistrats chargés de l’instruction)

La loi sur la présomption d’innocence, qui institue un juge des libertés et de la détention, seul compétent pour ordonner le placement en détention provisoire, devrait permettre de mettre fin à ces pratiques.

Il serait cependant hâtif de dénier toute utilité à la détention provisoire ; elle correspond, le plus souvent, à une réelle nécessité de l’enquête, qui est de s’assurer de la garantie de présentation des suspects. Des mesures alternatives existent, telles que le contrôle judiciaire, mais souffrent d’une absence de moyens.

" ... actuellement, la seule mesure alternative est le contrôle judiciaire. Il serait bon de développer d’autres mesures alternatives. On a parlé du bracelet électronique, mais je ne suis pas certain que l’on en ait les moyens. En tout état de cause, il est certain que plus l’éventail des choix sera large, plus on limitera la détention provisoire. [...]

S’agissant des moyens alternatifs, par exemple, en matière de contrôle judiciaire, je vous invite à relire l’article 138 du code de procédure pénale. C’est extraordinaire ! Vous avez l’impression que vous pouvez tout faire ! Le premier des moyens alternatifs serait de pouvoir assurer l’efficacité du contrôle judiciaire. Je cite un exemple : le contrôle judiciaire permet d’assigner une personne à résidence, c’est-à-dire qu’elle ne sort pas de chez elle, sauf pour se rendre à son travail ou pour les besoins de la vie courante. Je viens, dans le cadre d’un dossier, de placer quelqu’un sous contrôle judiciaire et de l’assigner à résidence en province, car je suis juge d’instruction à Paris. Je ne dispose d’aucun moyen de vérifier que cette obligation est respectée. Certes, j’ai appelé la brigade de gendarmerie locale en lui signalant que je lui avais envoyé copie de mon ordonnance de placement sous contrôle judiciaire. Je lui ai indiqué que la personne dépendait de son ressort et lui ai demandé si elle pouvait vérifier de temps à autre si mon contrôle judiciaire était exécuté. Le commandant de brigade, très gentiment, m’a répondu qu’il le ferait, mais il a également ajouté que lui et ses hommes étaient très chargés.

Le premier point consiste donc à assurer l’efficacité de la mesure alternative. " (M. Jean-Baptiste Parlos, représentant de l’association française des magistrats chargés de l’instruction)

La loi sur la présomption d’innocence a prévu qu’avec l’accord de l’intéressé, la détention provisoire pourrait être effectuée sous surveillance électronique. Cette mesure paraît réellement prometteuse pour peu que les moyens adéquats lui soient attribués.

Il est également indispensable de réduire la durée de la détention provisoire ; rappelons que celle-ci est en moyenne de quatre mois pour les délits et d’un peu moins de deux ans pour les crimes ; la loi sur la présomption d’innocence a strictement encadré ces délais. Il reste encore à faire en sorte que le délai maximum prévu dans la loi récemment adoptée ne soit pas interprété comme une norme ; il y a bien évidemment, là encore, un problème de moyens, que ce soit dans la conduite de l’instruction ou dans l’audiencement des affaires.

Il apparaît également une lacune dans le suivi des personnes une fois placées en détention provisoire. Le juge d’instruction n’est en effet pas informé de la façon dont se déroule cette détention ; or cette information apparaît essentielle, à la fois dans la décision de remise en liberté et dans l’efficacité de l’instruction.

" Pendant le temps de la détention provisoire, rien n’est organisé pour préparer la sortie, car il est assez fréquent que l’on place en détention provisoire le temps de l’enquête, le temps d’entendre tous les témoins. Au bout de quatre mois, même si l’instruction n’est pas tout à fait terminée, les confrontations les plus importantes ont été faites et les investigations qui risquaient d’être polluées par des pressions sont achevées. Mais rien n’est prévu pour la sortie. En fait, aucun service éducatif, aucun service social de la maison d’arrêt ne s’occupe d’une préparation à la sortie, puisqu’il n’y a pas d’échanges et que l’on ignore le temps de la détention. Rien n’est prévu pour préparer un hébergement, car, parfois, un hébergement en province serait possible, hors contexte du lieu où se sont déroulés les faits. Je parle en tant que juge d’instruction parisien, mais si on est en province, on peut se placer dans le cadre d’un éloignement général. Si donc les faits ont eu lieu dans la ville où l’on est saisi et que la victime habite là, il est ennuyeux de remettre le prévenu en liberté avant le jugement. Si l’on pouvait prévoir un hébergement éloigné, nous autoriserions peut-être plus souvent une remise en liberté en cours d’instruction. Malheureusement, si l’avocat n’a pas travaillé avec la famille sur cette possibilité, il est très difficile pour le prévenu détenu d’entreprendre des démarches et ce, d’autant plus qu’aucun service social n’est chargé de le faire. Il y a là une petite faille. La détention provisoire pourrait être réduite si, en cours de détention, des recherches régulières étaient effectuées, ainsi que des contacts pris avec les familles pour trouver des solutions alternatives. C’est une possibilité qui peut être avancée. " ...]

Je ferai également des propositions pour rendre la détention plus efficace pour l’instruction, car je ne pense pas que l’instruction ait à gagner à ce que le prévenu soit mal et se présente agressif ou dépressif aux interrogatoires. Il serait donc intéressant de disposer, entre la maison d’arrêt et le juge d’instruction, d’un outil d’échanges qui prendrait la forme d’un cahier ou d’une fiche de renseignements, d’une notice régulièrement réactualisée, qui permettrait d’être informé de l’adaptation du mis en examen en milieu carcéral, des conditions exactes de sa détention, de son isolement, des visites de sa famille, des événements importants de sa vie familiale. Il arrive que l’on prévoie un interrogatoire deux jours après l’annonce d’un décès, d’une maladie grave dans la famille ou d’une rupture conjugale faisant suite à la détention. Ce sont là de très mauvaises conditions pour un interrogatoire et qui sont inhumaines pour le prévenu. Il conviendrait donc que nous en soyons informés. De même, s’agissant de l’état de santé, sans que soit violé le secret médical, il serait utile que nous sachions si la personne est suivie régulièrement et si elle pose problème. Il serait également intéressant que nous soyons informés du suivi psychologique, ainsi que des démarches réelles en vue d’une désintoxication pour ce qui concerne les toxicomanes. " (Mme Sophie-Hélène Château, représentante de l’association française des magistrats chargés de l’instruction)

Plus généralement, au-delà de la question de la détention provisoire, la connaissance de l’univers carcéral doit être une priorité fondamentale de la formation et des méthodes de travail des magistrats. Il est regrettable qu’il existe encore actuellement une telle césure entre l’administration judiciaire et l’administration pénitentiaire. Un réel effort de coopération doit être mené entre ces deux administrations qui dépendent du même ministère .


Source : Assemblée nationale. http://www.assemblee-nationale.fr