Introduction

Il s’est produit, au cours des dernières années, d’importants bouleversements dans de nombreuses régions du monde. L’Union soviétique s’est effondrée et, en raison de la réapparition de sentiments nationaux divergents, les républiques qui la constituaient se sont engagées dans des voies différentes. Des événements imprévus ont fait que l’Europe de l’Est est aujourd’hui tout à fait méconnaissable. La guerre froide est terminée et les anciennes tensions stratégiques et idéologiques qui la caractérisaient ne sont plus maintenant que de vagues souvenirs. Ces changements rapides ont posé un défi aux chefs politiques de tous les pays. Les vieux mouvements et les vieilles institutions politiques sont rapidement remplacés par de nouveaux dont les origines et les orientations sont difficiles à analyser en fonction des connaissances et de l’expérience passées. Le rythme accéléré des changements complique grandement la tâche des organismes de sécurité et de renseignement chargés d’informer et de conseiller les décideurs des institutions gouvernementales qu’ils servent.

David L. Christianson a donné la brève définition suivante des fonctions d’un organisme de renseignement :

Les organismes de renseignement informent à l’avance les autorités nationales [...] en réunissant des renseignements qu’ils obtiennent d’une myriade de sources, en évaluant ces renseignements pour en déterminer l’exactitude, en analysant les renseignements obtenus de toutes les sources possibles et, enfin, en produisant un document ou un rapport qu’ils communiquent aux différents utilisateurs(1).

Le gouvernement du Canada a récemment défini ainsi le renseignement étranger :

Produire du renseignement étranger signifie recueillir et analyser des informations sur les moyens, les intentions et les activités d’États, de personnes morales ou d’individus étrangers. Ces informations peuvent être d’ordre politique, économique, militaire, scientifique ou social. Les renseignements produits ont souvent une incidence sur le plan de la sécurité(2).

Le présent document porte sur le Centre de la sécurité des télécommunications (CST) qui, de tous les organismes canadiens, est celui qui comporte la majorité, sinon la totalité, des éléments de cette définition d’un organisme de renseignement responsable du renseignement étranger. Le CST est l’un des organismes les plus secrets du Canada. Ce qu’on en sait, par exemple les renseignements qui figurent dans le présent document, ne peut être obtenu qu’à partir du recoupement de différentes sources. Contrairement au Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS) et à la GRC, le CST n’est pas régi par une loi qui précise son mandat, ses pouvoirs et les mécanismes de contrôle/d’obligation de rendre compte. D’une façon générale, le CST a un double mandat, à savoir le renseignement sur les transmissions (SIGINT), qui est à caractère offensif, et la sécurité de l’information ou des communications (INFOSEC ou COMSEC), qui est à caractère défensif. Nous traiterons davantage de ces questions un peu plus loin dans ce document.

Le Canada n’est pas le seul pays à être doté d’un organisme de renseignement étranger comme le CST. Les États-Unis ont la National Security Agency, le Royaume-Uni, le Government Communications Headquarters, l’Australie, la Defence Signals Directorate, et la Nouvelle-Zélande, le Government Communications Security Bureau.

Dans le présent document, nous brossons un historique concis du CST depuis ses origines et nous donnons des renseignements sur ses budgets, ses années-personnes et son fonctionnement. Nous traitons ensuite du mandat du CST et de son obligation de rendre compte pour ce qui est de ses opérations. Enfin, nous examinons plusieurs propositions de réforme du CST, formulées par diverses personnes au fil des ans, et nous tirons certaines conclusions.

Historique du CST

Le CST tire ses origines des activités de cryptographie et de crypto-analyse qui se sont déroulées au cours de la Deuxième Guerre mondiale. Son prédécesseur, créé en juin 1941, s’appelait la Sous-section de l’examen du Conseil national de recherches, et ses bureaux étaient situés dans la maison voisine de ce qui était alors la résidence du premier ministre, avenue Laurier, à Ottawa. On avait en effet estimé qu’en plaçant les bureaux à cet endroit, on n’attirerait pas particulièrement l’attention du public sur les mesures de sécurité nécessaires. Au cours de la première partie de son existence, la Sous-section de l’examen s’est vu confier la responsabilité d’intercepter et d’analyser les communications de la France de Vichy et de l’Allemagne. Au moment de l’entrée en guerre du Japon, elle s’est vu aussi attribuer en partie la tâche de décrypter les communications de ce pays. On pense qu’en 1944, la Sous-section de l’examen avait un effectif de quarante-cinq personnes dont un certain nombre de penseurs d’esprit classique et de joueurs d’échec, c’est-à-dire des gens capables de penser en code(3).

En septembre 1945, le président des États-Unis, Harry Truman, décida qu’il fallait mener des opérations SIGINT en temps de paix et qu’il devrait y avoir collaboration dans ce domaine avec d’autres pays. En décembre 1945, les autorités canadiennes en vinrent à la même conclusion et par la suite, la Sous-section de l’examen prit le nom de Direction des communications du Conseil national de recherches(4).

En 1947, l’Accord de sécurité Royaume-Uni-États-Unis est entré en vigueur. Les parties à cet accord étaient, et sont toujours, les États-Unis, la Grande-Bretagne, le Canada, l’Australie et la Nouvelle-Zélande. Cet accord, dont la teneur n’a jamais été rendue publique et qui porte toujours la classification "très secret", a établi des sphères d’influence et de responsabilité en matière de cryptographie. Les États-Unis et la Grande-Bretagne ont été désignés comme "premières parties", et les autres signataires comme "secondes parties". Cela semble signifier que le traitement et l’analyse de données brutes concernant le renseignement sur les transmissions fournies par les "secondes parties" sont dans une grande mesure effectués par les "premières parties". Le Canada s’est vu confier la responsabilité de la partie nord de l’ancienne Union soviétique et de certaines parties de l’Europe. Les dispositions de l’Accord Royaume-Uni-États-Unis, dont il n’existe peut-être pas de version sur papier, sont mises à jour dans un ouvrage très secret intitulé International Regulations on SIGINT. En 1948, le Canada a conclu avec les États-Unis un accord bilatéral semblable, appelé Accord Canada-États-Unis(5).

L’existence et les fonctions de la Direction des communications du Conseil national de recherches n’ont pas été portées à l’attention du public avant 1974, année où il en fut question lors d’une émission de télévision du réseau CBC. La participation du Canada à l’Accord Royaume-Uni-États-Unis n’a été révélée que le 24 mars 1975 dans les réponses données par l’honorable C.M. Drury, alors ministre d’État aux Sciences et à la Technologie, à des questions posées par les membres du Comité permanent des prévisions budgétaires en général(6).

Le 1er avril 1975, le contrôle et la supervision de l’organisme, rebaptisé Centre de la sécurité des télécommunications, ont été transférés, par décret pris en vertu de la Loi sur les restructurations et les transferts d’attributions dans l’administration publique(7), du Conseil national de recherches au ministère de la Défense nationale(8). À cette époque, on pense que le CST devait avoir entre 250 et 300 employés civils et un budget annuel d’environ 5 millions de dollars. En 1983, son effectif était, pense-t-on, d’environ 580 employés civils(9).

L’existence du CST a été officiellement reconnue pour la première fois par le gouvernement du Canada lorsque l’honorable Jean-Luc Pépin, alors ministre d’État aux Relations extérieures, a fait la déclaration suivante devant le Comité sénatorial spécial sur le Service canadien du renseignement de sécurité, le 22 septembre 1983 :

Le Centre de la sécurité des télécommunications fournit les moyens d’assurer la sécurité des communications du gouvernement fédéral et donne des avis à ce sujet. Il fournit aussi, avec l’aide du système de radio supplémentaire des forces canadiennes, un service de renseignements interceptés pour appuyer les politiques de défense et les politiques étrangères du Canada. Je dois ajouter que les "renseignements interceptés" sont les renseignements recueillis au sujet de pays étrangers par l’interception et l’étude de leurs transmissions par radio, par radar et par d’autres moyens électroniques(10).

Les CST aujourd’hui

Le budget du CST n’est pas rendu public. En réponse à des questions posées par les membres du Comité permanent des comptes publics le 10 octobre 1991, un représentant du CST a indiqué que les activités INFOSEC/COMSEC de cet organisme représentaient de 20 à 22 p. 100 de son budget, soit environ 20 à 25 millions de dollars par année(11). On peut donc en conclure qu’en 1991, le budget du CST était de l’ordre de 100 à 125 millions de dollars par année. Cela ne dit pas tout. Le ministère de la Défense nationale et les Forces canadiennes fournissaient en 1991, a-t-on estimé, une somme supplémentaire de 150 millions de dollars en personnel et autres formes d’aide aux activités SIGINT du CST(12).

En avril 1991, des représentants du ministère de la Défense nationale, interrogés sur le sujet, ont indiqué que la Commission des relations de travail dans la fonction publique avait rendu publiques les données suivantes concernant les années-personnes du CST :

Année financière Nombre d’employés du CST
1984-1985
1985-1986
1986-1987
1987-1988
1988-1989
1989-1990 648
639
713
748
813
826(13)

Ces chiffres étaient quelque peu trompeurs, car ils ne comprenaient pas le personnel du CST qui est exempté et n’indiquaient pas la contribution du ministère de la Défense nationale et des Forces canadiennes aux activités SIGINT de l’organisme. On a estimé qu’en 1991 le CST lui-même comptait environ 850 employés et que les Forces canadiennes affectaient quelque 1 100 personnes aux stations d’écoute au Canada, aux Bermudes et en Allemagne(14). En juin 1993, il a été établi que le CST comptait 875 employés(15).

En 1991, on a établi que le CST avait des stations d’écoute aux endroits suivants : Argentia et Gander, à Terre-Neuve, Station des Forces canadiennes Leitrim, près d’Ottawa, Station des Forces canadiennes Massett, en Colombie-Britannique, et Station des Forces canadiennes Alert, à la pointe nord de l’île Ellesmere (l’installation militaire permanente la plus septentrionale du monde), ainsi qu’aux Bermudes(16).

Le Mandat du CST

Comme nous l’avons indiqué plus tôt, le CST a un double mandat : le renseignement sur les transmissions (SIGINT) et la sécurité des communications ou de l’information (COMSEC ou INFOSEC). Le 20 avril 1990, dans son témoignage devant le Comité spécial de la Chambre des communes sur l’examen de la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité, Ward Elcock, sous-greffier, Sécurité et renseignement, et conseiller juridique au Bureau du Conseil privé, a décrit les deux rôles du CST de la façon suivante :

Un de ces rôles est celui qu’on appelle le rôle COMSEC, qui porte sur la sécurité des communications du gouvernement du Canada. La deuxième responsabilité est la collecte de renseignements qui permettent au gouvernement de connaître les activités, les intentions et les capacités de gouvernements étrangers, de particuliers et de sociétés dans le domaine de la diplomatie, des forces militaires, de l’économie, de la sécurité et du commerce(17).

Dans sa Réponse, donnée en 1991, au rapport de 1990 du Comité spécial de la Chambre des communes sur l’examen de la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité, le gouvernement a décrit le double mandat du CST de la façon suivante :

Le CST est responsable de deux programmes :
 Sécurité de la technologie de l’information (INFOSEC)
 Renseignement sur les transmissions (SIGINT).

Dans le cadre du programme INFOSEC, le CST donne au gouvernement des avis techniques, des indications et de l’aide quant à la sécurité des télécommunications du gouvernement fédéral et aux divers aspects de la sécurité informatique. Dans le cadre du programme SIGINT, le CST, avec l’aide du Réseau radio supplémentaire des Forces canadiennes, recueille des informations diffusées à l’étranger par radio, par radar ou par d’autres procédés électroniques, les étudie et en fait rapport au gouvernement afin de lui fournir du renseignement étranger(18).

Comme nous l’avons déjà indiqué, le CST consacrait, en 1991, de 20 à 22 p. 100 de son budget aux activités INFOSEC ou COMSEC. En avril 1991, un représentant du ministère de la Défense nationale a déclaré ce qui suit au sujet de la responsabilité du CST en ce qui concerne INFOSEC :

Le CST s’acquitte, vis-à-vis du gouvernement, de sa responsabilité en matière d’INFOSEC :
* en fournissant du matériel de chiffrement ;
* en s’efforçant d’éviter que l’équipement électronique ne donne lieu à des fuites compromettantes ;
* en conseillant l’industrie canadienne pour l’aider à mettre au point des systèmes de communications et des systèmes informatiques sûrs ;
* en fournissant au gouvernement des services de formation en matière d’INFOSEC(19).

Le CST a, en ce qui concerne les volets INFOSEC/COMSEC, un important rôle à jouer dans le cadre de la politique de sécurité du gouvernement. Cette politique du Conseil du Trésor indique de quelle façon il faut procéder pour attribuer une cote de sécurité aux employés et quelles sont les mesures à prendre pour assurer la sécurité des renseignements et des biens du gouvernement. Dans les lignes directrices énonçant le rôle de divers organismes et ministères à l’échelle du gouvernement, le CST se voit attribuer les responsabilités suivantes :

Le Centre de la sécurité des télécommunications est chargé :

a) d’établir, pour les soumettre à l’approbation du Conseil du Trésor, des normes de sécurité dans le domaine des communications et de l’électronique (COMSEC) et de fournir des conseils sur leur application ;

b) de mettre au point, d’approuver et de diffuser des normes techniques relatives à COMSEC ainsi qu’à la protection des renseignements sur les transmissions et des renseignements et du matériel cryptographiques, et de fournir des conseils sur leur application ;

c) de fournir du matériel et des documents cryptographiques à des institutions gouvernementales appropriées ;

d) d’administrer des accords internationaux touchant aux programmes de sécurité dans le domaine des communications et de l’électronique et aux programmes de renseignement sur les transmissions, et d’approuver la communication à des organismes gouvernementaux et non gouvernementaux de renseignements ou de biens COMSEC classifiés ou contrôlés ;

e) de fournir des conseils sur la planification, l’acquisition, l’installation et les modes d’utilisation des systèmes COMSEC ;

f) de fournir, sur demande, des conseils sur l’évaluation des menaces et des risques ;

g) de faire, sur demande, un rapport au Conseil du Trésor sur la situation de COMSEC au sein du gouvernement ;

h) d’inspecter, de tester et d’évaluer les systèmes et les procédures COMSEC, sauf en ce qui concerne le MDN, et, sur demande, d’étudier les télécommunications gouvernementales pour vérifier si elles sont conformes aux pratiques COMSEC prescrites ;

i) de classifier les renseignements sur les transmissions ainsi que les renseignements et le matériel cryptographiques, et d’établir des procédures pour l’examen systématique de ces renseignements et de ce matériel classifiés en vue de leur déclassification ;

j) d’approuver la création de postes nécessitant un accès spécial (AS) aux renseignements sur les transmissions et au matériel qui s’y rapporte, et de tenir à jour la liste du personnel pouvant avoir accès à ces renseignements et à ce matériel ;

k) de fournir des services de recherche, de mise au point et d’évaluation en ce qui concerne la sécurité du matériel et des logiciels informatiques et des systèmes de communications, pour faire en sorte que le gouvernement dispose de renseignements sur la sécurité des systèmes informatiques et leur utilisation interne(20).

Il n’existe pas de description détaillée semblable du mandat du CST concernant le SIGINT, activité à laquelle 80 p. 100 du budget de l’organisme est consacré et à laquelle va probablement la plus grande partie de l’aide que lui fournissent le ministère de la Défense nationale et les Forces canadiennes. Il faut donc se contenter de descriptions moins détaillées des activités SIGINT. Granatstein et Stafford ont décrit le mandat du CST concernant le SIGINT dans les termes suivants :

Selon un document interne du CST, le Programme de renseignement sur les transmissions "permet de recueillir et de traiter des informations diffusées à l’étranger par radio, par radar ou par d’autres procédés électroniques". Cela veut dire que le CST écoute les communications par radio et téléphone entre les ambassades situées à Ottawa et les pays qu’elles représentent, ou entre les ambassades et leurs consulats ; qu’il est à l’écoute de toutes les communications téléphoniques nationales et internationales ; qu’il écoute de nombreuses communications radio étrangères, et qu’il lit les transmissions électromagnétiques faites dans les ambassades avec des machines à écrire, des machines de traitement de textes, etc.(21).

Pour sa part, Abram Shulsky a défini le renseignement sur les transmissions de la façon plus générale suivante :

"Renseignement sur les transmissions (ou SIGINT)" est le terme générique utilisé pour désigner le procédé par lequel on obtient des renseignements en interceptant des ondes électromagnétiques (radio), appelées généralement signaux. Il peut se diviser en trois, selon le type d’ondes électromagnétiques interceptées :

* L’interception de signaux de communications étrangers (messages radio) et l’extraction de renseignements de ces signaux par des personnes autres que celles auxquelles ils étaient destinés est connue sous le nom de renseignement sur les communications, ou COMINT.

* L’interception, le traitement et l’analyse de télémétrie étrangère (signaux radio qui relaient les renseignements des capteurs qui se trouvent à bord d’un véhicule d’essai aux ingénieurs d’essai et qui donnent la trajectoire et les caractéristiques de fonctionnement du véhicule) sont connus sous le nom de renseignement télémétrique, ou TELINT.

* L’interception, le traitement et l’analyse de radiations électromagnétiques ne concernant pas les communications émises par un équipement militaire (comme un radar) pendant son fonctionnement sont connus sous le nom de renseignement électronique, ou ELINT.

En principe, toute onde électromagnétique, émise directement ou indirectement lors du fonctionnement d’un équipement électrique, peut être interceptée par un récepteur adéquatement placé et suffisamment sensible(22).

On n’a pas beaucoup plus de détails concernant le mandat du CST. Ce dernier a conclu, en matière de COMSEC, un protocole d’entente avec la GRC le 31 octobre 1989 (dans le cadre de la politique de sécurité du gouvernement) et deux protocoles d’entente en matière de SIGINT avec le SCRS (en vertu des articles 12 (renseignement de sécurité) et 16 (renseignement étranger au Canada) de la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité)(23). Le CST a également conclu un protocole d’entente avec le ministère des Affaires extérieures(24). Ces documents établissent et structurent les arrangements nécessaires pour veiller à ce que les institutions gouvernementales oeuvrant ensemble dans des secteurs communs d’activité collaborent de manière efficace, échangent de l’information et ne dédoublent pas leurs efforts respectifs.

Obligation de rendre compte du CST

Dans sa Réponse, donnée en 1991, au rapport de 1990 du Comité spécial de la Chambre des communes sur l’examen de la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité, le gouvernement a décrit comme suit le système d’obligation de rendre compte du CST :

Le ministre de la Défense nationale est responsable du CST devant le Parlement. Il approuve les principales dépenses en capital du CST, son Plan opérationnel pluriannuel et (avec le CCSR [Comité du Cabinet chargé de la sécurité et du renseignement]) ses principales initiatives ayant d’importantes conséquences sur le plan stratégique ou juridique.

Le chef du CST relève du sous-ministre de la Défense nationale pour ce qui est des questions financières et administratives, et du sous-greffier (Sécurité et renseignement, et conseiller juridique) pour ce qui est des questions de principe et des questions opérationnelles.

En outre, on a mis en place des mesures d’imputabilité pour s’assurer que le CST répond aux besoins du gouvernement en matière de renseignement étranger et qu’il le fait de façon légale et efficace tout en tenant compte des changements dans les relations internationales. Ces mesures sont les suivantes :

* le CST dispose d’un conseiller juridique interne venant du ministère de la Justice, et il consulte les hauts fonctionnaires de ce ministère sur des questions d’ordre juridique ;

* le CST consulte fréquemment les hauts fonctionnaires du Bureau du Conseil privé, du ministère de la Défense nationale et du ministère des Affaires extérieures ;

* le CST est assujetti au mécanisme interne d’examen administratif du MDN ;

* le CST soumet son plan stratégique et tous les nouveaux énoncés de politique à l’examen du CISR (Comité interministériel de la sécurité et des renseignements), qui à son tour fait rapport au CCSR.

Ainsi, un vaste système d’imputabilité est déjà en place. Néanmoins, un tel système peut toujours être amélioré. Le gouvernement songe à doter le ministre de la Défense nationale d’autres mécanismes de surveillance à l’égard du CST. Il fera une annonce une fois qu’il aura déterminé la démarche à suivre(25).

C’était là la Réponse du gouvernement à la recommandation n° 87 contenue dans le rapport de 1990 du Comité spécial de la Chambre des communes sur l’examen de la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité. Il était proposé dans cette recommandation que le CST soit créé officiellement par une loi et que le Comité de surveillance des activités du renseignement de sécurité (CSARS) soit habilité à surveiller et à examiner ses activités. Jusqu’à présent, on ne sait toujours pas si, et de quelle manière, le ministre de la Défense nationale se verra accorder les moyens nécessaires pour examiner les activités du CST. On a indiqué en juin 1993, que cette question était encore à l’étude et qu’une annonce serait faite en temps opportun(26).

Propositions de réforme

Au fil des ans, on s’est grandement inquiété de la capacité technique du CST d’intercepter les communications de toutes formes et de la possibilité que les droits et libertés des Canadiens soient ainsi violés. De même, certains milieux sont mécontents du degré d’imputabilité publique des activités du CST et de la manière dont sont dépensés les fonds publics qui lui sont alloués.
Bien que ces inquiétudes aient été exprimées par diverses sources à différents moments, rien ne prouve que, par ses activités SIGINT, le CST enfreint les droits et libertés des Canadiens. Il n’existe d’ailleurs aucune preuve publique de mauvaise gestion financière, ou encore d’inefficacité administrative ou opérationnelle. En fait, chaque fois que des représentants du CST sont interrogés en public sur ces questions, ils insistent sur le fait qu’ils n’enfreignent d’aucune façon les droits et libertés des Canadiens et qu’ils rendent pleinement compte de la manière dont ils dépensent les fonds publics.

Cependant, parce que le CST est une institution gouvernementale tellement secrète, il est pratiquement impossible pour des gens de l’extérieur d’évaluer le sérieux de telles garanties sur l’exercice de ses fonctions. Le mandat, le contrôle et l’obligation de rendre compte du CST ne reposent pas sur une loi. Le décret de 1975 qui transférait la responsabilité du CST du Conseil national de recherches au ministère de la Défense nationale ne touchait que la responsabilité administrative, et non le mandat, le pouvoir, le contrôle ou l’obligation de rendre compte du CST. Pour remédier à cette situation, diverses personnes et divers groupes ont présenté des propositions de réforme du CST.

Dans son rapport de 1981, la Commission d’enquête sur certaines activités de la Gendarmerie royale du Canada a recommandé la création d’un Conseil consultatif sur la sécurité et le renseignement dont les pouvoirs d’examen se seraient étendus à toutes les organisations chargées par le gouvernement fédéral, à l’exception de la GRC et des autres corps policiers fédéraux, de recueillir des renseignements par des moyens clandestins(27). Si cette proposition, qui ne fut pas acceptée dans son ensemble par le gouvernement de l’époque, avait été mise en oeuvre, elle se serait sans doute étendue au CST ; cependant, elle n’aurait pas été suffisante en soi, sauf si le mandat et les pouvoirs du CST avaient été établis par une loi adoptée par le Parlement.
Le Comité sénatorial spécial du Service canadien du renseignement de sécurité a fait indirectement mention du CST dans son rapport de 1983. Il a proposé que le SCRS, dont il examinait alors le projet de loi portant création, jouisse du " monopole opérationnel" des activités de renseignement étranger menées par le CST et autres organisations semblables(28). Cette proposition, qu’a rejeté le gouvernement de l’époque, aurait eu pour effet d’assujettir les activités du CST aux pouvoirs d’examen ou de surveillance du CSARS ; cependant, cette proposition ne définissait pas le monopole opérationnel.

Dans le rapport qu’il a présenté en 1989 au Comité spécial de la Chambre des communes sur l’examen de la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité, le CSARS a recommandé que le Parlement songe à adopter une mesure législative prévoyant un contrôle indépendant des éléments du réseau canadien du renseignement autre que le SCRS, qui fait déjà l’objet d’un contrôle de la part du CSARS(29). Malheureusement, le CSARS ne fournissait aucun détail étayant sa recommandation et il ne traitait pas directement du CST, si ce n’est de manière implicite.

Comme nous l’avons vu plus tôt, ces propositions de réforme ont été reprises en 1990, au moment où le Comité spécial de la Chambre des communes sur l’examen de la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité a recommandé que le pouvoir d’examen du CSARS s’étende au CST, qui devrait être régi par une loi.

John Starnes, directeur du service de sécurité de la GRC au début des années 70, a présenté une variante de ces propositions quand il a récemment exhorté le gouvernement à transférer par décret la responsabilité du CST du ministère de la Défense nationale au SCRS(30). Une telle mesure assujettirait le CST aux mêmes mécanismes de contrôle et d’obligation de rendre compte (instructions du ministre, approbation de mandat par la Cour fédérale, vérification par l’inspecteur général et examen par le CSARS) que le SCRS. Elle influerait d’ailleurs sur le SCRS même étant donné que le fondement législatif de ce dernier ne serait peut-être pas suffisant pour lui permettre d’intégrer aussi facilement le CST sur le plan administratif. Une telle proposition aurait également pour conséquence de confier au CST un mandat de renseignement étranger, ce qui modifierait la nature même de cet organisme.

Jusqu’ici, les propositions de réforme du CST ont été inadéquates. Pour être efficaces, elles doivent traiter en détail du mandat et des pouvoirs du CST, ainsi que des moyens nécessaires pour le contrôler et faire en sorte qu’il ait l’obligation de rendre compte, en supposant qu’il doive continuer d’exister ; de plus, le CST doit également se voir accorder un fondement législatif sous la forme d’une loi adoptée par le Parlement.

Conclusion

Comme le montre le contenu du présent document, on n’en sait pas beaucoup sur les fonctions détaillées du CST et les ressources dont il dispose. Aussi peu important qu’il ait été, le débat public sur cette institution gouvernementale a surtout porté sur la capacité du CST de violer les droits et libertés des Canadiens et sur la nécessité de l’obliger à rendre des comptes au Parlement.

En juin 1993, Ward Elcock a déclaré au Sous-comité sur la sécurité nationale de la Chambre des communes que :

[...] le CST est un organisme de collecte de renseignements étrangers. La nature même de son travail exige un certain caractère secret. Si les activités du CST ne sont pas secrètes, il perd sa capacité de recueillir des renseignements qui sont utiles au gouvernement du Canada(31).

Cette déclaration touche au fond même du problème, à savoir comment une institution gouvernementale qui fonctionne le plus efficacement dans l’ombre peut-elle être tenue de rendre publiquement des comptes sans compromettre son efficacité ? Cette question est particulièrement importante quand elle a trait à un organisme pouvant enfreindre les droits et libertés des Canadiens.

Comme nous l’avons indiqué au début du présent document, d’importants bouleversements politiques sont survenus dans de nombreuses régions du monde. Maintenant que la guerre froide est terminée, nombre de nouvelles questions touchant la sécurité et le renseignement émergent. Par conséquent, les pays songent à apporter d’importantes modifications à leurs organismes de sécurité et de renseignement. Comme l’a dit Wesley Wark :

Il est légitime de se demander [...] pourquoi l’un ou l’autre de ses rôles devrait être confié aux services de renseignement, plutôt qu’à toute autre organisation ?(32)

En effet, pourquoi ces fonctions, si elles sont encore nécessaires, devraient-elles être exécutées par un organisme de ce genre ? Peut-on aussi obliger un tel organisme à rendre des comptes au Parlement sans compromettre son mandat principal ? Voila les importantes questions auxquelles il faut répondre pour assurer la protection efficace des droits et libertés des Canadiens.


(1) David L. Christianson, "Signals Intelligence", Gerald W. Hopple et Bruce W. Watson (éd.), The Military Intelligence Community, Boulder (Colorado), Westview Press, 1986, p. 39 (traduction).
(2) Solliciteur général du Canada, Maintenir le cap : la sécurité nationale dans les années 90, Ottawa, Approvisionnements et Services Canada, 1991, p. 53 (cité ci-après sous le titre Maintenir le cap (1991)).
(3) Pour un historique plus détaillé de la Sous-section de l’examen du Conseil national de recherches voir : J.L. Granatstein et David Stafford, Spy Wars : Espionage and Canada from Gouzenko to Glasnost, Toronto, Key Porter Books, 1990, p. 20-46 ; Peter St. John, "Canada’s Accession to the Allied Intelligence Community 1940-45", Conflict Quarterly, vol. 4, n° 4, automne 1984, p. 5-21 ; et Wesley K. Wark, "Cryptographic Innocence : The Origins of Signals Intelligence in Canada in the Second World War", Journal of Contemporary History, 1987, vol. 22, p. 639-665.
(4) Granatstein and Stafford (1990), p. 44-45.
(5) Ibid., p. 45-46 ; James Littleton, Target Nation : Canada and the Western Intelligence Network, Toronto, Lester and Orpen Dennys, 1986, p. 94-95 ; et Jeffrey T. Richelson et Desmond Ball, The Ties That Bind - Intelligence Co-operation Between the UKUSA Countries, 2e édition, Boston, Unwin Hyman, 1990, p. 89.
(6) Littleton (1986), p. 95 ; et Chambre des communes, Comité permanent des prévisions budgétaires en général, Procès-verbaux et témoignages, 24 mars 1975, p. 18:17-18:21 (C.M. Drury).
(7) L.R.C. 1985, c. P-34.
(8) Gazette du Canada, Partie II, vol. 109, n° 3, p. 233, C.P. 1975-95.
(9) Richelson and Ball (1990), p. 89.
(10) Comité sénatorial spécial du Service canadien du renseignement de sécurité, Délibérations, 22 septembre 1983, p. 11:19 (Jean-Luc Pépin).
(11) Comité permanent des comptes publics de la Chambre des communes, Procès-verbaux et témoignages, 10 octobre 1991, p. 7:12-7:16.
(12) Peter Moon, "Secrecy Shrouds Spy Agency", Globe and Mail (Toronto), 27 mai 1991.
(13) Communication personnelle.
(14) Moon (1991).
(15) Sous-comité sur la sécurité nationale de la Chambre des communes, Procès-verbaux et témoignages, juin 1993, p. 11:9 (Ward Elcock).
(16) Richelson and Ball (1990), p. 354-355 ; et communication personnelle.
(17) Reproduit dans : Association canadienne pour l’étude de la sécurité et du renseignement, Lettre d’information, n° 16, p. 20-21.
(18) Maintenir le cap (1991), p. 56.
(19) Communication personnelle.
(20) Conseil du Trésor du Canada, Secrétariat, Manuel de la politique administrative, Gestion de l’information et gestion administrative, Sécurité, Ottawa, Approvisionnements et Services Canada, 1991, point 2.2.3, p. 5-7. (Au moment de la rédaction du présent texte, la politique de sécurité faisait l’objet d’une révision.)
(21) Granatstein and Stafford (1990), p. 22 (traduction).
(22) Abram N. Shulsky, Silent Warfare : Understanding The World of Intelligence, Washington, Brassey’s (U.S.) Inc., 1991, p. 24-25.
(23) Lettre adressée par Ward Elcock, sous-greffier, Sécurité et renseignement, et conseiller juridique du Conseil privé, à Blaine Thacker, député, président du Sous-comité sur la sécurité nationale, le 13 avril 1992.
(24) Sous-comité sur la sécurité nationale de la Chambre des communes, Procès-verbaux et témoignages, juin 1993, p. 11 : 5-6 (Ward Elcock).
(25) Maintenir le cap (1991), p. 56-57. Le Comité du Cabinet chargé de la sécurité et du renseignement est présidé par le Premier ministre, tandis que le Comité interministériel de la sécurité et des renseignements est constitué de hauts fonctionnaires et présidé par le greffier du Conseil privé.
(26) Sous-comité sur la sécurité nationale de la Chambre des communes, Procès-verbaux et témoignages, juin 1993, p. 11:8 (Ward Elcock).
(27) Commission d’enquête sur certaines activités de la Gendarmerie Royale du Canada, La liberté et la sécurité devant la loi, Deuxième rapport - Volume 2, Ottawa, Approvisionnements et Services Canada, 1981, p. 933.
(28) Rapport du Comité sénatorial spécial du Service canadien du renseignement de sécurité, Équilibre délicat : Un Service du renseignement de sécurité dans une société démocratique, Ottawa, Approvisionnements et Services Canada, 1983, p. 18-19.
(29) Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité, Rapport annuel, 1988-1989, Approvisionnements et Services Canada, Ottawa, 1989, p. 74.
(30) John Starnes, "Cryptography Unit Would be More Accountable under CSIS", Ottawa Citizen, 17 juillet 1991. Une proposition semblable a été faite par l’honorable Jean-Jacques Blais, ancien Solliciteur général et membre du CSARS, dans un article intitulé "Committee Should be Expanded to Review Other Agencies", publié dans le Ottawa Citizen du 2 juillet 1992, bien qu’il ait insisté sur l’élargissement du mandat du CSARS pour qu’il puisse surveiller le CST.
(31) Sous-comité sur la sécurité nationale de la Chambre des communes, Procès-verbaux et témoignages, juin 1993, p. 11:10 (Ward Elcock).
(32) Wesley K. Wark, "The Intelligence Revolution and the Future", Queen’s Quaterly, vol. 100, n° 2, été 1993, p. 273, à la page 284.


Source : Parlement du Canada, Service des études http://www.parl.gc.ca