Plusieurs motifs militent, à l’heure actuelle, pour que le régime des fonds spéciaux ne s’applique plus à des dépenses sur fonds publics qui pourraient être traitées selon les dispositions budgétaires et comptables généralement en vigueur.

a) les polémiques récentes ont montré que l’exigence de transparence à l’égard de l’utilisation des moyens financiers mis à la disposition des pouvoirs publics se faisait de plus en plus pressante. C’est tout particulièrement le cas en ce qui concerne les rémunérations payées sur deniers publics, comme l’indiquent notamment les réactions et commentaires auxquels ont donné lieu les rapports que la Cour des comptes a consacrés en janvier 2000 et avril 2001 à la fonction publique d’Etat, et dans lesquels étaient dénoncées la complexité et l’opacité caractérisant la gestion des traitements et rémunérations accessoires des fonctionnaires et des autres agents publics. Dès octobre 1999, le Gouvernement avait d’ailleurs rappelé 3 l’obligation d’asseoir les primes et indemnités de toute nature sur des bases législatives ou réglementaires et lancé une opération de remise en ordre juridique, qui a déjà donné lieu à la publication de textes intéressant plusieurs corps de la fonction publique.

De ce point de vue, la distribution de rémunérations complémentaires non déclarées à l’administration fiscale et ne supportant pas les prélèvements sociaux, du fait qu’elles sont versées en espèces provenant des comptes de fonds spéciaux, n’apparaît plus seulement comme un privilège anachronique, mais toléré ; elle constitue une irrégularité choquante dès lors qu’il s’agit de compléments de rémunérations versés à des agents publics, sur fonds publics, en dehors de toutes règles et de tous contrôles. Leur dissimulation est d’autant moins admissible que les sujétions supportées par les membres des cabinets ministériels et par les autres personnels qui leur apportent leur concours sont le plus souvent bien réelles, qu’il s’agisse de la charge de travail ou des contraintes de calendrier ou d’horaires, et méritent d’être compensées en toute clarté.

De même, on ne voit pas pour quelles raisons devrait être maintenu le secret entourant les dépenses de fonctionnement courant des services du Premier ministre et de l’ensemble des cabinets, qu’il s’agisse de dépenses de réception, de restauration, de frais de déplacement, de fournitures diverses ou de prestations commandées à l’extérieur. La nécessité, peu discutable, d’une certaine souplesse dans l’allocation des moyens et de la rapidité dans leur mise en œuvre doit être conciliée avec une exigence fondamentale de transparence et de rigueur dans l’usage des fonds publics ; il ne semble pas qu’on se soit soucié de rechercher véritablement cette conciliation, cela depuis des décennies, tant est grande la facilité apportée par le système en usage.

b) à la nécessité d’une meilleure transparence s’ajoute l’intérêt qui s’attache à combattre la suspicion persistante quant à l’utilisation possible des fonds spéciaux pour financer directement ou indirectement des activités de nature politique. Dans le passé, il est certain que ce fut une destination souvent avouée, maintes fois prouvée mais tacitement acceptée de l’usage des " fonds secrets ", que ce soit à l’égard des partis politiques, de leurs organisations satellites ou de la presse 4. Les lois successives qui, de 1988 à 1995, ont établi la surveillance du patrimoine des élus et l’encadrement du financement des partis politiques et des campagnes électorales -y compris le financement sur le budget de l’Etat-, prohibent désormais toute utilisation à ces fins des fonds spéciaux.

Certes, il appartient aux diverses commissions de contrôle indépendantes mises en place d’exercer leur vigilance, dans la limite parfois étroite des pouvoirs qui leur sont reconnus. Force est de constater toutefois que l’usage entièrement discrétionnaire et non contrôlé de 40 % environ des fonds spéciaux ne peut que laisser libre cours au soupçon, ne serait-ce qu’en raison de l’absence de comptes-rendus d’utilisation de leurs dotations par les ministres et de la conservation des reliquats éventuels d’une année sur l’autre ou en fin de mandat.

La réduction du champ actuel des fonds spéciaux paraît de nature à réduire les risques d’un usage contraire aux lois précitées, sous réserve que l’ensemble des crédits demeurant affectés au chapitre 37-91 - et pas seulement ceux destinés à la DGSE - fassent l’objet d’un contrôle externe adapté, auquel le Parlement pourrait être associé.

c) le troisième motif qui incite à préconiser le reclassement dans d’autres lignes budgétaires des crédits de fonctionnement qui devraient y figurer se relie à l’effort de modernisation de la gestion publique, dont l’adoption de la nouvelle loi organique relative aux lois de finances du 1er août 2001 marque une étape importante. D’une part, des dispositions nouvelles ont pour but de renforcer les droits d’information et de contrôle du Parlement ; d’autre part, l’allocation des crédits aux administrations se fera dans un cadre budgétaire rénové, plus lisible aux stades de l’examen et du vote des lois de finances et plus souple au stade de l’exécution : tel est l’objet de la présentation nouvelle par missions et par programmes destinée à remplacer la présentation traditionnelle en termes de moyens.

La révision du régime des fonds spéciaux pourrait parfaitement s’inscrire dans ces perspectives : non seulement elle rendrait au Parlement toutes ses prérogatives sur les dépenses sorties du champ actuel, mais elle contribuerait aussi à progresser dans la voie d’une évaluation des coûts de l’appareil gouvernemental, qui fait défaut jusqu’à présent. En effet, la structure actuelle des budgets ministériels ne permet pas d’avoir une vue même approchée de ces coûts :

 en dehors de la rémunération du ministre (traitement + indemnités représentatives de frais), les dépenses de personnels ne sont identifiées que par une ligne " indemnités de cabinets ", qui ne représente qu’une partie des dépenses de l’espèce dont une grosse part provient des fonds spéciaux ; quant aux rémunérations principales, elles n’apparaissent nulle part : les fonctionnaires affectés aux cabinets ministériels sont généralement en situation de mise à disposition (qu’ils soient rémunérés sur le budget du même ministère ou celui d’une autre administration) ; les personnes non-fonctionnaires sont rémunérées par des " contrats-cabinets ", gagés sur les dotations budgétaires par le blocage d’emplois de titulaires, selon des modalités arrêtées par la direction du budget mais non-décrites dans la loi de finances. 5

 s’agissant des autres dépenses de fonctionnement (matériel, frais de déplacement, prestations extérieures), les crédits mis à la disposition du ministre et du cabinet ne sont identifiés que très rarement dans les budgets et se trouvent en pratique confondus dans les dotations de l’administration centrale correspondante. L’exception la plus notable concerne le budget des affaires étrangères, qui comprend deux chapitres consacrés respectivement aux frais de réception et voyages exceptionnels (34-03) et aux frais de réceptions courantes et de déplacements ministériels (34-04) : encore convient-il de noter qu’une part de ces crédits sert chaque année à abonder les crédits du titre II affectés à la présidence de la République et à financer des déplacements présidentiels.

Le cabinet du Premier ministre lui-même ne dispose pas de crédits individualisés (à part une ligne " frais de réception " dotée de ... 52 381 F en 2001), le coût de son fonctionnement étant évalué - en dehors des 60 MF (9,2 M€) venant des fonds spéciaux - à 22,5 MF (3,43 M€), soit environ 0,63 % du titre III du budget des services généraux du Premier ministre, selon le communiqué du 18 juillet 2001.

La clarification du coût de fonctionnement de l’appareil gouvernemental est un objectif qui dépasse le seul réexamen du périmètre des fonds spéciaux ; elle supposerait notamment que le coût global des personnels affectés aux cabinets ministériels soit évalué, au moins en exécution, notamment dans les comptes-rendus de gestion budgétaire qui doivent être établis annuellement par les ministres et communiqués au Parlement en annexe à la loi de règlement. Les propositions présentées ci-après ont pour objet d’amorcer cette clarification tout en limitant le champ des fonds spéciaux aux opérations qui en relèvent effectivement par leur nature même.


Source : Premier ministre, http://www.premier-ministre.gouv.fr/