Le champ d’application du secret de la Défense nationale

Contrairement à l’opinion courante qui tend à assimiler Défense nationale et défense militaire, il n’existe pas, au plan juridique, d’autre forme de secret que celui qualifié de secret de la Défense nationale. À ce titre, les notions de " secret diplomatique ", de " secret industriel " ou de " secret recherche " pour ne citer que quelques-unes de celles le plus fréquemment citées, n’ont aucun fondement juridique.

Il n’existe que le " secret de la Défense nationale ".

La classification des informations est de la seule responsabilité de chaque ministre concerné, directement ou par délégation.

La violation des règles qui organisent le secret de la Défense nationale est sanctionnée par le code pénal, dans son titre premier qui réprime les " atteintes aux intérêts fondamentaux de la Nation ", et plus précisément dans l’article 419-1, qui définit les éléments constitutifs de l’infraction et établit le barème des peines encourues. La défense s’exerce donc, comme le stipule l’ordonnance de 1959, en tous temps et en tous lieux, et concerne tous les secteurs d’activité : défense militaire du pays, mais aussi défense civile, sécurité intérieure, protection des activités économiques ou industrielles, protection du patrimoine scientifique et culturel de la France. Ainsi, quels que soient les différents découpages des attributions gouvernementales, plusieurs ministres, sous l’autorité du premier d’entre eux, sont toujours nécessairement comptables du secret de la Défense nationale : Défense, Intérieur, Finances, Affaires étrangères, Justice, Recherche, Industrie..., pour se limiter aux principaux départements concernés.

Cependant le droit français ne fournit aucune définition ratione materiae des informations ou objets qui peuvent ou doivent tomber sous le coup du secret de la Défense nationale. Le législateur n’a pas souhaité définir le champ du secret, dont les impératifs sont tels qu’il n’est ni souhaitable ni possible de dresser une liste exhaustive des matières concernées.

Aussi, le principe de base est-il simple et clair : l’obligation de respecter le secret de la Défense nationale s’applique à toute personne, à tout département ministériel et à tout organisme public ou privé, où sont émises, reçues, traitées, mises en circulation ou conservées, des informations intéressant la Défense nationale et la sûreté de l’État telles que les définit l’ordonnance du 7 janvier 1959. Ces informations doivent être protégées, qu’elles relèvent du domaine militaire, ou de quelque autre domaine que ce soit, notamment politique, diplomatique, scientifique, technique ou économique.

Cette obligation ne concerne pas seulement les informations nationales mais elle s’applique aussi, sous réserve des dispositions particulières contenues dans des instructions ministérielles spécifiques, aux informations devant être protégées, confiées à la France par les puissances signataires de traités, comme celui de l’Atlantique Nord (OTAN) ou ceux des diverses instances européennes (UEO), et tout pays ayant signé avec la France des accords de sécurité.

Les ministres responsables ont le devoir de définir, à l’usage des citoyens, ce qui doit être protégé. Sous leur autorité, ce devoir incombe de la même façon aux fonctionnaires auxquels, le cas échéant, ils ont délégué cette compétence. La décision de classification est matérialisée par l’apposition de tampons ou de marquages bien définis, destinés à traduire un niveau de classification : " très secret défense ", " secret défense ", " confidentiel défense ".

Du niveau retenu, découlent un certain nombre de règles dont le non-respect engage la responsabilité pénale des personnes qui les enfreindraient, et qui touchent à l’élaboration, la [non] reproduction, la circulation, la conservation, la destruction, mais aussi la diffusion et l’usage des documents ou objets classifiés.

Concrètement, c’est la réunion d’un certain nombre de critères de présentation matérielle qui confère à un document ou à un objet (logiciel informatique, prototype, etc.), la qualité d’information ou d’objet classifié (cf. l’instruction générale interministérielle sur la protection du secret et des informations concernant la Défense nationale et la sûreté de l’État no 1300/SDGN/SSD du 12 mars 1982 en cours de refonte)

Obligations et devoirs résultant de la classification

Une fois un document classifié, son accès est limité à certaines catégories de personnes. Le corollaire de la classification est l’habilitation des personnes. Il existe plusieurs niveaux de classification : les personnes habilitées doivent donc l’être à des niveaux divers. Le fait d’être habilité est une condition nécessaire, mais non suffisante, pour avoir accès à une information classifiée. Il faut encore que la personne en question puisse invoquer le " besoin d’en connaître ".

Enfin, une information classifiée ne peut être déclassifiée que par l’autorité ayant procédé à la classification.

Deux conséquences souvent méconnues ou mal comprises découlent du système qui vient d’être exposé :

1. il ne peut y avoir de " levée du secret défense " sur une affaire ou un dossier global. Cette notion n’a strictement aucun sens. En revanche, le ministre ayant procédé à la classification peut mettre fin, en respectant des formes précises et sous certaines conditions, à la classification portant sur tel ou tel document ou objet nommément identifiable ;

2. une personne habilitée ne peut être " déliée du secret défense ". Même si c’était le cas, la personne en question ne pourrait faire connaître à un tiers ce qu’elle connaît au titre du secret défense, puisque cette tierce personne devrait, elle aussi, être habilitée et avoir à en connaître, dans le cadre de la matière traitée par le document classifié. " Délier du secret défense " est donc, dans le système français, une notion sans signification.

Une personne habilitée au secret défense ne peut parler à des tiers d’un dossier classifié qu’autant que les informations contenues dans ce dossier ont été déclassifiées. L’habilitation est donc une notion subsidiaire, tandis que la notion principale est celle de classification. C’est la nature de l’information et non la qualité de la personne qui est déterminante, et c’est la présentation matérielle de l’information classifiée qui l’emporte sur son contenu.

Réflexions sur la création de la Commission

Dans le contexte juridique qui vient d’être décrit, à la fois précis et rigoureux en ce qui concerne les règles applicables à l’élaboration juridique, la communication et l’accès aux informations classifiées, et extrêmement flou pour ce qui touche à leur nature, l’opinion publique, relayée par les médias, s’est à maintes reprises interrogée sur le bien-fondé de l’utilisation du " secret défense " par les responsables politiques de notre pays.

Peu à peu, est née l’idée qu’il pourrait exister une forme de secret défense de complaisance ou de confort, voire de classification a posteriori, permettant à tel responsable politique de s’autoconférer l’immunité dans une affaire sensible venant devant la justice. L’idée s’est ainsi accréditée qu’il pourrait exister des abus de classification permettant à l’autorité administrative de substituer, quand bon lui semblait, l’arbitraire au principe d’égalité, d’autant plus que quelques affaires comme le " vrai/faux passeport " dans l’affaire du " Carrefour du développement ", ou comme les " écoutes de l’Élysée " ou encore l’affaire des " frégates de Taiwan " ont particulièrement placé sous les projecteurs de l’actualité le recours au " secret défense ".

En juin 1997, le Premier ministre, M. Lionel Jospin, annonçait donc dans son premier discours de politique générale devant l’Assemblée nationale que, pour que l’on ne puisse plus taxer le Gouvernement d’user du secret défense pour convenance personnelle, les règles applicables à sa mise en œuvre demeuraient inchangées, mais que, désormais, lorsque dans le cadre d’une affaire portée devant une juridiction, le juge demanderait à avoir accès à des informations classifiées, une autorité administrative indépendante du Gouvernement aurait à se prononcer sur la requête de la juridiction. Ainsi, le ministre concerné ne prendrait plus, sans avis, sa décision d’accès ou de refus.

C’est dans cet esprit qu’a été préparée, puis votée, la loi du 8 juillet 1998 portant création de la Commission consultative du secret de la Défense nationale.

Désormais donc, l’autorité administrative ayant procédé à la classification est tenue de requérir l’avis de la Commission dès lors que la justice intervient dans un dossier.

Lorsque cette déclassification est sollicitée par une juridiction française le ministre doit, en effet, obligatoirement saisir la CCSDN, libre à lui ensuite de suivre ou non l’avis qu’elle aura émis. Mais pour communiquer le document, même si telle est l’opinion du ministre dès qu’il reçoit la requête du juge, il doit attendre d’avoir recueilli l’avis - quel qu’il soit - de la Commission.

Après un peu plus de deux années d’exercice, il est aujourd’hui possible de dresser un bilan de l’application de la loi de 1998.


Source : Rapport 2001 de la CCSDN, http://www.premier-ministre.gouv.fr/