Cette Mission parlementaire est née d’une rencontre. Au mois de septembre 1998, quelques mois après les débuts de cette législature, plusieurs parlementaires, parmi lesquels votre Président et votre Rapporteur, ont pris l’initiative d’inviter à l’Assemblée nationale, pour la première fois, les magistrats signataires en 1996 de l’Appel de Genève, Messieurs Bernard Bertossa, Procureur général de Genève, Edmundo Bruti Liberati, Substitut général à Milan, Gherardo Colombo, Substitut du procureur à Milan, Benoît Dejemeppe, Procureur du roi à Bruxelles, Carlos Jimenez Villarejo, Chef du parquet anticorruption de Madrid et Renaud van Ruymbeke, Conseiller à la cour d’appel de Rennes.

Ces juges européens, soutenus par les opinions publiques nationales, ne pouvaient plus longtemps porter seuls sur leurs épaules, une revendication aussi légitime sans être soutenus et relayés par les responsables politiques de leurs pays respectifs.

Lorsque ces magistrats écrivent dans leur Appel : " A l’heure des réseaux informatiques d’Internet, du modem et du fax, l’argent d’origine frauduleuse peut circuler à grande vitesse d’un compte à l’autre, d’un paradis fiscal à l’autre, sous couvert de sociétés offshore, anonymes, contrôlées par de respectables fiduciaires généreusement appointées. Cet argent est ensuite placé ou investi hors de tout contrôle. L’impunité est aujourd’hui quasi assurée aux fraudeurs. Des années seront en effet nécessaires à la justice de chacun des pays européens pour retrouver la trace de cet argent, quand cela ne s’avérera pas impossible dans le cadre légal actuel hérité d’une époque où les frontières avaient encore un sens pour les personnes, les biens et les capitaux. ", ces juges ne peuvent qu’être entendus dans leur diagnostic amer et leur recherche de solutions urgentes.

Il restait dès lors à passer à l’action.

Lors de notre rencontre du mois de septembre 1998, juges et députés décidèrent de proposer la création d’une Mission d’information parlementaire chargée de recueillir des informations sur les paradis fiscaux, centres offshore, refuges secrets des capitaux illégaux qui s’introduisent dans les économies légales européennes.

Votre Rapporteur et les députés qui se sont engagés dans cette enquête auraient pu se contenter de recherches livresques, et de documentation à distance. Il était, en effet possible de décrire chacun de ces paradis fiscaux, bancaires, fiduciaires ou judiciaires à partir de la législation et de la réglementation adoptées par chacun de ces pays.

Cette approche formelle aurait alimenté le reproche contre la Mission d’avoir trop fait confiance aux apparences si trompeuses en matière de délinquance dite " astucieuse ".

C’est pourquoi nous avons pris le parti de ne pas nous contenter de discours officiels, des plaquettes de présentation des services, et de la communication politique des dirigeants des pays que nous avons visités. Les conversations menées au niveau judiciaire, policier, administratif, bancaire, parlementaire ou gouvernemental, n’ont pas toujours été mondaines car il fallait aborder les faits, et souvent des faits encombrants.

Plus original, la Mission qui s’est déplacée dans les principaux pays de l’Union Européenne a rencontré à tous les niveaux d’intervention dans ces pays, des alliés précieux qui ont aidé votre Rapporteur à rassembler des informations contre les centres offshore situés à l’intérieur du territoire européen.

La Mission s’est donc, peu à peu, par l’effet d’accumulation de sympathies, d’amitiés et de soutiens, transformée en porte-parole des exaspérations, des exigences et des revendications de l’ensemble des pays européens et non plus exclusivement de la France à l’égard de ces territoires qui refusent la coopération administrative, policière ou financière.

La Mission a donc choisi, avant de rendre un rapport décrivant l’ensemble des obstacles français à la lutte contre la délinquance financière et le blanchiment des capitaux, de concentrer son analyse et son diagnostic sur les territoires qui refusent ouvertement ou de façon hypocrite cette lutte et réduisent à néant les efforts conjugués des pays plus européens vers cet objectif.

Ces territoires feront l’objet de monographies spécifiques. Ce rapport relatif à la Principauté du Liechtenstein, est le premier d’une série à venir.

La Principauté du Liechtenstein, confetti de 160 km ? coincé entre l’Autriche et la Suisse, est l’un des territoires non coopératifs les plus dangereux que nous ayons rencontrés sur le sol européen, dans le cadre des investigations de la Mission parlementaire.

Les informations que nous avons recueillies auprès de nos amis italiens, allemands, belges, suisses ou néerlandais, confirment la dangerosité de la Principauté du Liechtenstein par sa performance particulière dans l’organisation méthodique du secret entourant l’origine des fonds qui se cachent dans ce pays.

Les indices, les faits, les documents, les preuves se sont accumulés au cours de nos longs mois d’enquête, de ce que le Liechtenstein vit et prospère grâce à l’argent du terrorisme, aux caisses noires des entreprises qui organisent la corruption économique à l’échelle des marchés internationaux, à l’argent de la corruption politique et du financement illégal des partis politiques européens, et aux produits illicites des trafics instrumentés par les mafias européennes et parfois internationales.

Ce rapport décrit avec précision les conditions dans lesquelles le Liechtenstein a organisé avec science, l’attraction des capitaux européens qu’ils soient légaux ou illégaux, propres ou sales, et comment cet Etat a dressé des remparts puissants afin de protéger de tout regard extérieur l’identité des propriétaires de ces fonds et l’origine réelle de ces capitaux.

Ce rapport a pour but de faire connaître aux opinions publiques européennes la portée funeste des mécanismes mis en place par la Principauté du Liechtenstein. Il vise, par ailleurs, à faire connaître à ces propriétaires de capitaux que l’impunité appartient désormais à une période révolue, car l’Etat du Liechtenstein n’aura pas d’autre choix que de transformer radicalement son comportement s’il ne veut pas subir l’opprobre et la condamnation de la communauté internationale.


Source : Assemblée nationale. http://www.assemblee-nationale.fr