Au début des années 20, l’avocat berlinois Heinrich Kuntze soucieux de protéger sa fortune imagina de placer ses fonds au Liechtenstein qui devait se doter, comme on l’a vu, d’une législation adaptée, toujours en vigueur, et visant à garantir l’anonymat et la confidentialité absolus.

Le Liechtenstein offre une grande diversité de statuts juridiques aux sociétés offshore qu’il abrite, qu’elles soient holding ou de domicile, c’est-à-dire ayant leur siège au Liechtenstein mais n’y exerçant aucune activité économique ou commerciale.

Il existe ainsi des fondations, des entreprises fiduciaires et une catégorie spécifique d’entité juridique, dite " Anstalt " ou établissement.

Il s’agit d’une entité dotée de la personnalité morale et qui n’est à proprement parler ni une société ni un contrat de droit privé de type trust. La direction d’un établissement appartient à son ou ses fondateurs qui nomment des administrateurs auprès desquels ils peuvent désigner un Kurator, sorte de conseil qui partage le pouvoir de décision.

Ce montage juridique permet donc aux véritables décideurs (les propriétaires-fondateurs) de rester dans l’ombre alors que seuls apparaissent publiquement leurs mandataires (les administrateurs) ou le Kurator. Il faut aussi souligner que l’établissement n’est pas soumis à l’obligation de publier des comptes, pas plus qu’à celle de tenir une assemblée annuelle.


Les Anstalt : Le sens des affaires n’exclut pas la poésie.

" L’établissement est une structure juridique dotée de la personnalité morale et qui se trouve située entre la société au sens classique de ce terme et le contrat de droit privé ou le trust anglo-saxon. Il existe aussi, dans la principauté, une formule de trust que nous n’examinerons pas ici. Un établissement est fondé par une personne physique ou morale dans un dessein généralement économique, et il est doté d’un capital supposé être propre à la réalisation de ce dessein, qui, au demeurant, peut être fort général. La première démarche pour la création d’un établissement est le choix de nom, et la vérification au registre de la principauté que ce nom n’a pas encore été utilisé. Pour éviter trop de perte de temps, comme il y a beaucoup d’établissements dans la principauté, les cabinets d’avocats de Vaduz se sont, par un gentleman’s agreement, partagé entre eux les noms des choses, qui pourraient être adoptés, si le véritable bénéficiaire de l’établissement ne tenait pas spécialement à un nom particulier. Ainsi, certains cabinets disposent de toute une collection de noms d’oiseau, et d’autres de fleurs... Le sens des affaires n’exclut pas forcément la poésie... En général, le véritable bénéficiaire, pour ne pas apparaître officiellement, fait former l’établissement par le fondateur local qui est, le plus souvent, un avocat avec lequel il se lie par différents documents destinés à le protéger des indélicatesses éventuelles du même fondateur. Matériellement, l’établissement se crée par la rédaction de statuts, comme pour une société, avec inscription au registre du commerce de la principauté et publication des principales dispositions de ses statuts. La preuve de l’identité de la personne et des droits du fondateur et de son successeur est faite par un acte notarié. (...) En cas de non-respect des formalités, dans le délai prescrit, l’établissement reçoit une sommation du registre public qui, si elle reste sans effet durant un délai de 12 mois, procédera à la dissolution et la liquidation de l’établissement. (...) "

Guide des paradis fiscaux face à la Communauté européenne, Edouard Chambost, Ed. Sand 1993.


Enfin, le Liechtenstein est le seul Etat d’Europe continentale à reconnaître avec le mécanisme de la Treuhandschaft le trust anglo-saxon.

L’identité des ayants droit économiques de ces différentes structures, c’est-à-dire de leurs véritables bénéficiaires et commanditaires, peut n’être connue que de la fiduciaire ou de l’avocat liechtensteinois qui les représente et qui n’est pas tenu de la communiquer à l’établissement financier qui tient leur compte. Cette identité est déclarée au registre des sociétés et donc accessible aux autorités, mais le public ne peut en prendre connaissance.

A proprement parler, il ne s’agit d’ailleurs plus de secret bancaire au sens où la banque elle-même ignore ces informations mais plutôt de secret des affaires voire même de secret fiduciaire qui permet aux prestataires de services financiers de la Principauté d’assurer pleinement leur rôle d’écrans opaques, ce qui interdit à d’éventuels enquêteurs de remonter les filières.

Ces mécanismes ont constamment été utilisés depuis l’après guerre.


Reportage à Vaduz.

" Dans ce petit univers secret où la première qualité d’un " client " est de se faire oublier, les seuls échos de leurs activités parviennent épisodement de l’extérieur. La C.I.A. veut-elle financer l’aviation des mercenaires du Katanga ? Elle crée une société au Liechtenstein. La fille de Staline, Svetlana, se soucie-t-elle de mettre à l’abri les millions de dollars payés pour ses Mémoires ? C’est par le biais d’une société créée à Vaduz. En octobre 1974, un banquier genevois, M. Tibor Rosenbaum, parvient-il à détourner 150 millions de francs provenant de la diaspora juive et destinés à Israël ? C’est encore grâce à Vaduz. "

J.C. Guillebaud, Le Monde du 23 février 1975.


Ils alimentent une critique récurrente à l’encontre du Liechtenstein.


Affaire Elf : Les commissions rogatoires convergent vers le Liechtenstein.

" Dans l’ombre de l’ambitieux projet industriel que constituait la reprise de la raffinerie de Leuna, se dissimule un vaste labyrinthe financier, où se perd la trace des commissions d’Elf. L’enquête des juges Eva Joly et Laurence Vichnievsky a mis en évidence la sortie clandestine d’au moins 300 millions de francs (46 millions d’euros), via la Suisse, en marge du rachat de l’usine allemande : versées par Elf et par le groupe allemand Thyssen, en 1992 et 1993, ces sommes étaient destinées à des intermédiaires non identifiés, dont certains s’abritent derrière une fondation constituée au Liechtenstein. Or cette même fondation est apparue au détour de l’enquête sur les opérations financières attribuées à Christine Deviers-Joncour, ancienne compagne de Roland Dumas, et à Alfred Sirven, considéré comme le personnage-clé de l’affaire Elf, aujourd’hui sous le coup d’un mandat d’arrêt international.

Dénommée Treuhandgesellschaft Strub AG, la fondation en question est dirigée par l’homme d’affaires Werner Strub et semble avoir administré l’une des sociétés-écrans destinataires des commissions Elf, elle-même baptisée Stand by Establishment. (...)

Nul ne sait encore où sont finalement partis les fonds, mais les enquêteurs ont relevé un détail édifiant : la société Stand By était, au moment du versement, domiciliée au siège de la fondation Strub, à Vaduz (Liechtenstein) de même qu’une autre société, Delta International, dont le propriétaire est un homme d’affaires allemand, Dieter Holzer, connu pour avoir joué un rôle déterminant dans les montages financiers liés au projet Leuna (Le Monde du 28 mai 1997). "

Hervé Gattegno, Le Monde du 21 janvier 1999.



Source : Assemblée nationale. http://www.assemblee-nationale.fr