L’Assemblée Nationale s’est engagée à travers cette mission d’information parlementaire dans un travail de diagnostic et d’investigation difficile, parfois délicat, qui rejoint les préoccupations exprimées par le Gouvernement issu de cette XIe législature, tant dans son travail actif de réformes législatives que dans son action diplomatique à l’égard de ses partenaires européens ou internationaux.

La Ministre de la Justice, Garde des Sceaux, Madame Elisabeth Guigou, déclarait ainsi le 16 octobre 1998 : " Je crois que nous devons nous pencher sur les effets désastreux de l’existence de paradis fiscaux qui se renforcent au sein même de l’Union Européenne.

Le Premier Ministre des finances du gouvernement de Monsieur Lionel Jospin, Monsieur Dominique Strauss-Kahn, déclarait en écho le 23 juin 1999 devant la Conférence Européenne de la Banque Mondiale : " Nous avons relancé la réflexion sur la lutte contre les centres offshore, ces territoires laxistes, véritables trous noirs de la régulation internationale, lieu de tous les blanchiments. Peut-être faudra-t-il aller jusqu’à bannir les transactions financières avec ces territoires, et demander à nos banques de ne plus avoir de contacts avec, tout en cherchant à convaincre ces pays qu’ils font fausse route dans leur stratégie de développement.(...) Soyons clairs. Qui visons-nous ? La France estime que certains territoires sont aujourd’hui défaillants dans leur contrôle bancaire : Antigua et Barbuda, les îles Cayman, les îles Marshall... par exemple.

Il y en a d’autres. Etablissons au plus vite cette liste de territoires et disons-leur clairement : mettez-vous en règle avec le droit international, cessez de croire que votre prospérité peut se bâtir sur les plaies ouvertes du reste du monde. "

Il serait incompréhensible que l’action ainsi conjuguée des pouvoirs publics français tendant à infliger d’éventuelles sanctions aux centres offshore de la zone des Caraïbes, d’Amérique ou d’Asie, épargne les paradis fiscaux, bancaires, fiduciaires et judiciaires installés, constitués et développés en Europe avec l’aide, le soutien ou la protection de certains des pays les plus importants de l’Union Européenne.

A cet égard, la Principauté de Monaco ne pouvait pas échapper à l’analyse critique que la Mission a déjà réservée à la Principauté du Liechtenstein, et qu’elle réservera également à d’autres pays européens plus puissants que ces deux Etats.

Il eût été inconcevable que le résultat des investigations précises qui nous ont amené à adresser des reproches publics et officiels à certains ne nous conduise pas également, dans un souci de parallélisme méthodologique, à tenir un langage semblable devant des pratiques identiques, au motif que la République Française disposerait d’intérêts dans la Principauté de Monaco.

A cet égard, le travail parlementaire de cette Mission ne consiste nullement en un discours que la France tiendrait seule, dans un face à face historique et géographique avec la Principauté de Monaco. Le langage que nous avons tenu, lors de notre voyage à Monaco et au cours des investigations qui se sont poursuivies, est un langage européen et international que la France comme d’autres, doit non seulement se tenir à elle-même, mais qu’elle doit également avoir le courage d’adresser à ses meilleurs alliés. Ce langage est celui de tous les combattants de la lutte antiblanchiment, celui des magistrats, des fonctionnaires de police, des douaniers, des parlementaires sensibles à ces questions dans tous les pays notamment européens, des administrations chargées de lutter contre le blanchiment de l’argent illégal, langage exigeant que les Etats doivent désormais placer au c_ur des relations chaleureuses que ceux-ci savent entretenir lorsqu’il s’agit d’autres questions. Tel est le cas entre la France et la Principauté de Monaco.

La Principauté de Monaco ne devrait pas, en conséquence, en concevoir de susceptibilité, malgré les reproches graves qui lui sont faits, car ces reproches sont implicitement adressés à la France, dont l’implication dans les structures décisionnelles monégasques lui fait également encourir les critiques sévères contenues dans ce rapport.

Celles-ci concernent autant la défaillance des systèmes de contrôle bancaire ou fiduciaire dans lesquels la France a sa part, en raison des traités et conventions passés avec l’Etat monégasque, que les anomalies et les dysfonctionnements dans le contrôle des jeux ou dans la coopération judiciaire.

La méthode utilisée par la Mission a consisté dans le recueil d’informations, de témoignages dûment collationnés, selon les usages à l’Assemblée Nationale. Chacune des déclarations de ceux que nous avons entendus a fait l’objet d’un procès verbal relu par son auteur afin qu’aucune contestation sur son contenu ne puisse être soulevée, la Mission se réservant la liberté de procéder à leur publication. Certains témoins ont souhaité s’exprimer de façon anonyme en raison des craintes de représailles qu’ils éprouvaient de façon légitime, ou en raison des conséquences que leurs déclarations pouvaient avoir sur leur vie personnelle ou professionnelle. Deux témoignages ont ainsi été publiés sous le sceau de l’anonymat.

Dans son travail d’investigation et de recoupement des informations ainsi collectées, la Mission, a veillé à une permanente confrontation des points de vue. Un voyage a été organisé, en outre, les 16 et 17 décembre 1999, à Monaco, afin d’entendre les explications et commentaires des autorités gouvernementales, judiciaires, policières, bancaires, économiques de la Principauté de Monaco. Les investigations se sont poursuivies après le déplacement d’une délégation de la Mission composée du Président et du Rapporteur, ainsi que de Messieurs Jacky Darne, député du Rhône et Michel Hunault, député de Loire-Atlantique. Les représentants de l’Ambassade de Monaco à Paris ayant souhaité rencontrer le rapporteur de cette Mission, une rencontre fut organisée le 31 mai 2000. A cette occasion, il a été indiqué aux interlocuteurs monégasques de la Mission que le dialogue se poursuivrait au-delà de la publication de ce rapport, lequel n’est qu’une première étape dans le diagnostic et les remèdes souhaités aux anomalies constatées dans la lutte contre le blanchiment en Principauté de Monaco.

Il ne fait aucun doute que ce rapport permettra sur ces questions une prise de conscience des Français comme des Monégasques, auxquelles nos homologues parlementaires monégasques nous ont rappelé leur sensibilité, afin que la Principauté de Monaco fasse évoluer dans des délais rapides sa législation, ses procédures et ses habitudes en cette matière si grave de la lutte contre le blanchiment de l’argent illégal.


Source : Assemblée nationale. http://www.assemblee-nationale.fr