A) L’HISTOIRE DU DEPARTEMENT DES JEUX A MONACO

En 1863, l’homme d’affaires François Blanc, qui devait sa fortune à la création d’un casino, à Hombourg se rend à Monaco pour remettre en jeu une part de ses gains. Il fonde alors une société par actions la fameuse société des Bains de mer la SBM à laquelle le Prince régnant Charles III accorde le monopole des jeux.

La SBM resta longtemps entre les mains d’intérêts privés. Aristote Onassis fut en son temps l’actionnaire majoritaire de cet ensemble jusqu’à ce que le Prince Rainier, conscient qu’il fallait désormais attirer dans la Principauté une clientèle moins richissime mais plus nombreuse, décida de reprendre en mains les destinées de la SBM.

En 1966 au terme d’une " OPA " lancée sur Aristote Onassis, l’Etat monégasque devenait l’actionnaire principal et se trouvait chez lui à la SBM.

Ce changement de propriétaire fut bénéfique à la SBM qui multiplia ses gains et par voie de conséquence ceux de l’Etat monégasque.

Aujourd’hui encore, la SBM, si elle détient et exploite un important parc immobilier et touristique, continue de retirer de son monopole de l’exploitation du casino l’essentiel de ses recettes (environ 70 %).

En conséquence tout ce qui peut advenir dans la gestion ou le fonctionnement du casino de Monte Carlo qui entacherait sa réputation, concerne très " intimement " le Gouvernement Princier, le Souverain lui-même étant aussi à titre personnel actionnaire de la SBM.

B) LA TECHNIQUE DU BLANCHIMENT AU CASINO DE MONACO

Le casino de Monte-Carlo fait appel, comme il est d’usage en d’autres lieux semblables, à des agents chargés de faire venir aux tables de jeux des clients gros joueurs.

Ces agents sont rémunérés sous forme d’une commission calculée en général soit en fonction de la perte des clients soit en fonction du volume des sommes qu’ils engagent.

L’enquête interne menée au Casino de Monaco par un fonctionnaire de la police française a conclu dès 1994 à une utilisation abusive de ces deux modes de rémunération à des fins illégales de blanchiment.

Dans le cas où la commission est calculée en fonction des pertes, le client présenté par l’agent achète des plaques pour lesquelles il laisse au casino un chèque représentatif de leur valeur.

Si le client gagne, son chèque lui est rendu. Si le client perd, situation de loin la plus fréquente, son chèque n’est pas déposé à la banque mais il est remis à l’agent qui en encaisse le montant en liquide auprès du joueur.

C’est dans cette relation que se situe le maillon faible du contrôle antiblanchiment puisqu’avec la complicité du client, l’agent peut majorer le montant des pertes et par conséquent celui de sa commission. On peut également avec l’indulgence de la direction des jeux augmenter le montant des chèques.

L’autre méthode consiste à fixer la rémunération de l’agent en fonction du montant des sommes misées par le joueur.

On peut alors surévaluer le volume d’argent joué par le client, mais cela suppose que ce dernier soit un gros joueur afin que la situation reste plausible et n’attire pas l’attention.

Il est donc plus simple et plus sûr de procéder différemment et d’affecter de façon théorique à l’agent complice un ou plusieurs joueurs importants qu’il connaîtra à peine et n’aura jamais introduits au casino.

D’après les conclusions de l’enquête de police conduite en 1994, c’est cette dernière procédure qui a été la plus utilisée pour rémunérer très grassement plusieurs agents auxquels avaient été attribués des joueurs assidus et fortunés.

Les éléments d’information collectés par la Mission font apparaître que les commissions versées aux agents peuvent être de l’ordre de 400 à 500 000 F par semaine. Cet argent, détourné au détriment de la SBM, qui a invité à ses frais, ces gros joueurs à séjourner à Monaco, a utilisé un circuit qui a permis le blanchiment de sommes non négligeables et à ses bénéficiaires de se constituer de jolis patrimoines immobiliers.


Note d’un fonctionnaire de la police française :
" Dysfonctionnements dans la gestion du Casino"

" L’enquête en cours a fait ressortir que divers intermédiaires ont perçu des commissions trop élevées. Un casino a besoin d’agents et les moyens pour les rémunérer sont simples, mais encore faut-il en user avec probité. Les deux manières normales et généralement utilisées par des salles de jeux pour rémunérer les agents ont été perverties par le Casino de Monte-Carlo. Les agents ont ainsi été surpayés et ont pu rétrocéder, à certains cadres, une partie de ces libéralités.

" 1.- Premières méthode de calcul d’une commission : sur les pertes des clients

" Pour les joueurs italiens, les commissions sont payées sur le montant des chèques encaissés par le Casino et censés représenter les pertes des clients. La réalité a montré que les chèques ont souvent été supérieurs aux pertes des clients. .../...

" Pour en être certains, les enquêteurs ont dû se plonger dans la technique parfois ardue des opérations : lorsque le client italien, présenté par l’agent, veut jouer, il achète des plaques pour lesquelles il laisse un chèque en lires. S’il ne perd pas, le chèque lui est rendu. S’il perd, le chèque n’est pas déposé en banque mais remis à l’agent qui l’encaisse en liquide auprès du client.

" C’est ici que risque de se produire la perversion : l’agent peut, avec la complicité du client et la bienveillance passive des Jeux et de la Caisse des Crédits, majorer le montant des pertes, gonfler celui des chèques et grossir d’autant les commissions. Il faudra, évidemment, dédommager les observateurs bienveillants dont les enquêteurs ont d’ailleurs reçu les aveux des sommes qu’ils ont perçues.

" 2.- Une deuxième méthode est de rémunérer l’agent sur les simples venues des (gros) clients et leurs volumes de jeu, qu’ils gagnent ou qu’ils perdent.

" Pour être très généreux envers l’agent, les responsables du Casino ont à leur disposition deux systèmes :

" - on surévalue les montants joués par le client présenté par l’agent. Faisable mais seulement rémunérateur si l’agent emmène des joueurs significatifs car on ne pourrait exagérer les volumes de clients discrets sans attirer des suspicions

" - il est plus simple d’attribuer abusivement à l’agent complice certains joueurs très importants et reconnus tels par tout employé ou client. Aucune contestation possible ; mais quant à savoir si c’est bien l’agent qui les a introduit...

" L’enquête a fait ressortir que c’est ce système dont on a abusé pour rémunérer à tort certains agents. Ainsi M. D. a été attribué indûment à Mme Q., M. M. à M. B. etc. exemples pouvant être multipliés.

" Les enquêteurs ont découvert les sommes mirobolantes que certains ont touchées et mis en évidence des patrimoines immobiliers, voire des comptes bancaires à l’étranger. Actifs constitués, bien évidemment, sur le dos de la S.B.M.

" Laissera-t-on ces mêmes personnes arrondir un peu plus leur magot ?

" Les jeux et les mouvements d’argent qu’ils impliquent sont souvent rapides et avec un minimum de trace. Il est possible de modifier totalement l’exploitation des jeux en la rendant plus lourde et plus contraignante comme le sont les modèles en vigueur aux Etats-Unis. A défaut, l’honnêteté des personnes qui supervisent toutes les transactions, dans les salons comme à la caisse, est indispensable.

" On a eu connaissance des " combines " et des détournements de toutes sortes auxquels ont pu se livrer certains employés et dirigeants de nombreux casinos avoisinants, français et italiens.

" A Monaco, les preuves sont désormais en mains.

" Saura-t-on en tirer les conséquences ? "


Source : Assemblée nationale. http://www.assemblee-nationale.fr