L’ensemble des affaires précitées font apparaître avec clarté les conditions dans lesquelles plusieurs magistrats français détachés dans la Principauté monégasque ont refusé de se soumettre aux exigences et aux pressions exercées par le Parquet Général de Monaco, lui-même rattaché au Ministère de la Justice, lequel paraissait répondre aux impulsions du cabinet princier.

Ce refus d’exercer une justice à plusieurs vitesses a provoqué des réactions vives de la haute hiérarchie judiciaire monégasque à l’encontre des magistrats considérés comme récalcitrants. Pourtant, ils exigeaient la simple application de la loi en matière de coopération judiciaire qui attribuait aux magistrats du siège plénitude de compétence et refusait le contrôle politique exercé par le Parquet Général contre l’esprit et la lettre même de la loi monégasque en vigueur.

L’une de ces réactions a consisté en une mise à l’écart temporaire de fait du substitut du Procureur Général, Monsieur Dominique Auter, magistrat français détaché dans ces fonctions, et par l’engagement d’une procédure disciplinaire à l’encontre du Doyen des juges d’instruction, Charles Duchaîne, lui aussi magistrat français détaché dans ces fonctions.

Les faits ayant motivé une telle procédure disciplinaire sont en relation directe avec le désir, tout naturellement républicain de ce magistrat détaché par la République Française, de faire appliquer la loi sans aucune distinction de condition, d’appartenance sociale ou de fortune.

La Mission tient à lui rendre l’hommage que la République doit à ceux qui en portent l’esprit et les couleurs.

Monsieur Charles Duchaîne, aujourd’hui juge d’instruction au pôle financier du Tribunal de Grande Instance de Bastia (Haute Corse), a finalement fait l’objet en octobre 1997 d’une sanction monégasque de nature symbolique, au moment même où le Ministère de la Justice français soutenait ouvertement ce magistrat dans l’exercice des fonctions que la Principauté lui avait confiées et pour lesquelles la France l’avait détaché.

Le Procureur Général, Monsieur Gaston Carrasco, le Premier Président de la Cour d’Appel, M. Jean-Charles Sacotte, auteur ou soutien des pressions sur le Doyen des juges d’instruction M. Charles Duchaîne et sur d’autres magistrats, se sont vus refuser le renouvellement de leur détachement à Monaco par la Chancellerie à la fin de l’année 1998. Ceux-ci vivent d’ailleurs toujours dans la Principauté, dont ils sont devenus les salariés, puisque le premier exerce les fonctions de conseiller du ministre chargé des questions sociales, et le second a été nommé avec de forts appointements, à l’Institut de droit maritime monégasque.

D’autres réactions sont directement venues du Gouvernement monégasque lorsque ce dernier décida d’instaurer par une loi ce que le Parquet général n’avait pas pu obtenir en faisant pression sur les juges. C’est ainsi que la loi du 13 janvier 1998 n° 1200 a modifié les dispositions relatives à l’instruction consacrant ainsi juridiquement le contrôle politique du Parquet sur l’exécution des commissions rogatoires internationales.

On ne soulignera jamais assez la dérive d’un système qui a conduit des magistrats français à se compromettre dans ce système monégasque.

M. Dominique Auter a confirmé à la Mission les abus résultant d’une présence trop prolongée de certains magistrats français à Monaco.


" Il y a eu des abus du fait que les magistrats restaient trop longtemps "

" M. Dominique AUTER : En effet, après ces problèmes législatifs, il y a celui du fonctionnement et de la mobilité des magistrats. Cela ne signifie pas pour autant que les magistrats, qui restent longtemps, sont malhonnêtes, mais il faut reconnaître que, par le passé, il y a eu des abus dus au fait que les magistrats restaient trop longtemps. C’est une petite Principauté dans laquelle tout le monde se fréquente, et notamment ceux qui ont du pouvoir.

" Au fil des années, comme partout ailleurs, que ce soit dans l’Ardèche ou la Drôme, quand vous êtes président ou procureur, vous tissez des relations. Par conséquent, avec le temps, votre perspicacité s’émousse, de même que votre esprit critique. On devient plus indulgent. C’est une constatation qu’on peut tous faire, mais ici peut-être encore plus qu’ailleurs, avec un climat où on peut jouer de cette situation. Certains en jouent d’ailleurs facilement, par exemple ceux qui ont intérêt, pas forcément à corrompre, mais à donner l’information. Quand vous connaissez le magistrat, vous avez l’information, et c’est déjà énorme. Ceci est l’un des problèmes.

" Par ailleurs, dès lors que les renouvellements successifs supposent l’agrément de la France et de Monaco, les magistrats s’imposent prudemment une sorte d’autocensure. On ne veut pas déplaire car sinon, ne va-t-on pas se retrouver dans une situation difficile ? En revanche, si vous savez qu’au bout de six ou huit ans, il vous faudra changer de poste, votre regard est différent. Néanmoins, si vous rentrez, Monaco considère que c’est parce que vous êtes inadapté. La Principauté est très attachée, au contraire, à garder les magistrats longtemps. C’est une réalité. "

Extrait de l’audition de M. Dominique Auter, Substitut du Procureur Général au Tribunal d’instance de Monaco.


Une trop longue immersion dans la réalité locale a fini par aboutir à un traitement des dossiers de délinquance financière ou de blanchiment qui n’est pas celui qu’on est en droit d’attendre de la part de magistrats français de la République.


Source : Assemblée nationale. http://www.assemblee-nationale.fr