La Mission d’information a procédé à l’examen de la monographie sur la Principauté de Monaco (tome I, volume 2 du rapport de la Mission) au cours de sa séance du mardi 20 juin 2000.

Le Président Vincent Peillon a tout d’abord rappelé les événements qui se sont produits au Liechtenstein où une vague d’arrestations de personnalités soupçonnées de procéder à des opérations de blanchiment, a eu lieu, consécutivement aux informations contenues dans le rapport des services secrets allemands.

Ces événements n’ont fait qu’accroître la crédibilité des travaux de la Mission ainsi que la méthode que celle-ci a choisi de continuer d’adopter pour analyser la situation de Monaco en matière de lutte contre le blanchiment des capitaux.

Il a estimé que les liens privilégiés que la France entretient avec la Principauté de Monaco, à laquelle elle accorde, dans de multiples domaines, son assistance et sa collaboration, ne devaient pas empêcher que soit menée par la Mission la démarche d’information et d’analyse qu’elle a entreprise dans tous les pays où elle s’est rendue.

Il a considéré que les critiques formulées à l’encontre de certaines places offshore dépendantes d’autres pays européens ne pouvaient se concevoir que si la Mission tenait partout le même langage, y compris dans les Etats voisins amis de la France qui lui sont liés de manière spécifique.

Il a indiqué que Monaco, actuellement, ne répondait pas aux exigences des standards français qui, eux-mêmes, respectent les normes internationales.

Le contrôle du système bancaire, la coopération judiciaire, le système des jeux, la pratique des achats en liquide constituent en effet autant de points fondamentaux sur lesquels Monaco ne répond pas de façon satisfaisante pour lutter efficacement contre le blanchiment des capitaux.

Avant de céder la parole au rapporteur, il a souhaité que la Mission se prononce d’une part sur le principe de la publication des entretiens qui se sont déroulés à Monaco lors du déplacement effectué les 16 et 17 décembre 1999, d’autre part sur le principe d’une publication sous forme anonyme de deux témoignages recueillis par le Rapporteur. Il a précisé que cette présentation se justifiait dans un cas pour des raisons professionnelles, le banquier entendu par le Rapporteur ayant de sérieuses craintes pour la poursuite de ses activités, dans l’autre cas pour des raisons tenant au statut de la personne entendue, actuellement en détention aux Etats-Unis et dont il convenait de protéger les déclarations afin qu’elles ne soient pas exploitées contre elle.

M. Arnaud Montebourg, Rapporteur a rappelé le contexte délicat dans lequel s’était déroulé le travail de la Mission en soulignant que cette démarche parlementaire accompagnait la volonté maintes fois exprimée du Gouvernement français de s’attaquer énergiquement à cette question du blanchiment des capitaux.

Il a donné lecture d’un passage de l’intervention de M. Dominique Strauss-Kahn alors Ministre des Finances exprimant cet engagement de la France et a considéré qu’il en allait de la crédibilité des travaux de la Mission si elle n’avait pas accepté d’aborder ce problème avec Monaco, Principauté liée à la France par un Traité d’Amitié protectrice.

Il a ensuite présenté les insuffisances du dispositif anti-blanchiment à Monaco telles qu’elles résultent de la confrontation des points de vue qui se sont exprimés devant la Mission.

Il a rappelé que Monaco avait délibérément conçu son développement économique sur une stratégie financière et fiscale assortie de la reconnaissance de mécanismes juridiques favorisant l’anonymat des transactions.

Monaco reconnaît ainsi les trusts, ce que le droit français n’admet pas, et permet à un système bancaire spécialisé dans la gestion de fortunes de proposer à ses clients des sociétés " coquilles vides ", implantées dans des territoires offshore, au nom desquelles des comptes bancaires sont ouverts à Monaco. Après avoir souligné que ce système était fortement critiqué par les magistrats monégasques eux-mêmes, le Rapporteur a indiqué que les banques à Monaco ne faisaient pas l’objet d’un contrôle et d’une surveillance suffisamment rigoureuse comme l’attestent les différents témoignages figurant dans le rapport et venant aussi bien d’un délinquant que d’un spécialiste de la déontologie bancaire.

Il a conclu en déclarant qu’en matière de déontologie bancaire Monaco ne respectait pas les recommandations du GAFI.

Le Rapporteur a d’autre part insisté sur l’état d’anémie dans lequel se trouvait le SICCFIN monégasque, équivalent du TRACFIN français, chargé de traiter les déclarations de soupçon établies par le secteur bancaire.

Alors que l’Ile de Man, place offshore régulièrement pointée du doigt, qui recueille 200 milliards de francs d’avoirs bancaires - contre 300 milliards de francs à Monaco - a effectué pour la seule année 1998 pas moins de 1 200 déclarations de soupçons, le SICCFIN en six ans d’existence n’a procédé qu’à 266 déclarations. Pour la même année 1998, Monaco enregistre ainsi un taux de déclarations quarante fois inférieur à celui de l’Ile de Man.

Dans ces conditions le Rapporteur s’est interrogé sur les attentes que la France pouvait exprimer à l’égard de Monaco dans le cadre des négociations visant à faire entrer la Principauté dans la zone euro. Il a considéré qu’il n’était pas illégitime de s’enquérir, dans cette perspective, des conditions dans lesquels fonctionnait le système monégasque anti-blanchiment et d’exiger de Monaco de remédier à ses insuffisances.

M. Arnaud Montebourg a ensuite fait état des pratiques délinquantes se déroulant au casino de Monaco, dénoncées avec beaucoup d’inquiétude en 1994 par six parlementaires, qui avaient adressé au Conseiller du Gouvernement pour l’intérieur une lettre dénonçant certains comportements. Il a précisé que ce document figurait dans le rapport et qu’il était corroboré par une note, également reproduite, d’un fonctionnaire de police français détaché au casino décrivant, de façon détaillée, les méthodes de blanchiment au casino, dont un troisième témoin a déclaré à la Mission qu’elles n’avaient toujours pas cessé.

S’agissant de la coopération judiciaire, qui constitue un critère essentiel pour le GAFI, le Rapporteur a fait observer que le SICCFIN demeurait une institution isolée qui n’avait conclu qu’un seul accord de coopération avec le TRACFIN français, un accord avec la CTIF belge étant actuellement en cours.

Il a ensuite insisté tout particulièrement sur la situation de certains magistrats français détachés à Monaco sur lesquels avaient été exercées des pressions inadmissibles, afin qu’ils exécutent les commissions rogatoires internationales, dont ils étaient chargés, dans un sens qui convenait au Gouvernent princier.

Ne pouvant obtenir satisfaction par la force, le gouvernement monégasque a fait adopter une législation dite de la loi 1200 qui instaure le contrôle politique préalable du Parquet sur l’exécution des commissions rogatoires internationales et place Monaco dans une situation de régression par rapport à la volonté des Etats européens de faciliter la coopération judiciaire pénale de juge à juge.

A ce sujet, le Rapporteur a tenu à rendre très officiellement hommage à ces magistrats français qui ont défendu l’esprit républicain dans l’exercice de la justice et ont résisté face à un système judiciaire surtout soucieux de satisfaire les préoccupations princières.

Il a constaté que certaines commissions rogatoires faisaient encore l’objet à Monaco de difficultés d’exécution, comme le Parquet anti-corruption espagnol en a fait l’expérience récente.

Le Rapporteur a conclu son intervention en mettant en évidence le reversement, au titre du compte de partage de la TVA, par les contribuables français, de plus de 800 millions de francs, à la Principauté de Monaco qui vit de la défiscalisation qu’elle accorde à ses résidents fortunés.

Il a, par comparaison, rappelé qu’un tel budget dépassait celui des départements du Gers, des Alpes de Haute Provence ou de l’Ariège et représentait l’équivalent des dépenses d’aide sociale de la Haute Savoie ou du Vaucluse.

Le Rapporteur a estimé, par conséquent, que si la Principauté de Monaco, souhaite accéder à l’euro il lui faudra également évoluer et construire sa prospérité sur d’autres fondements qu’une fiscalité privilégiée et une législation dérogatoire.

Le Président Vincent Peillon a partagé cette analyse et a estimé qu’il fallait fermement faire valoir à la Principauté de Monaco, comme le Général de Gaulle avait su le faire en son temps, que les avantages qu’elle peut retirer de son amitié avec la France trouvent aussi leur contrepartie dans le respect de certains principes.

M. Jacky Darne s’est félicité de la pugnacité du Rapporteur et a indiqué que le rapport se fondait fidèlement sur les propos qui avaient été tenus lors du déplacement d’une délégation de la Mission à Monaco.

Il s’est déclaré favorable à la publication, conformément à la tradition, de la totalité des entretiens qui se sont déroulés dans la Principauté, estimant que les réserves formulées par leurs auteurs n’avaient aucun caractère sensible.

S’agissant de la publication de deux auditions, sous forme anonyme, il a considéré que ce mode de présentation était en l’espèce justifié.

Il a conclu en souhaitant qu’une remise à plat soit opérée à Monaco tant sur le plan de la coopération fiscale concernant le compte de partage de TVA, que sur celui des relations judiciaires où le détachement de magistrats français dans la Principauté ne se justifie plus comme en 1930.

Il a estimé que les recommandations du GAFI s’appliquaient pleinement à Monaco et qu’il n’était pas possible pour la France d’accepter des insuffisances aussi flagrantes de la législation et du dispositif anti-blanchiment.

M. François d’Aubert a déclaré qu’il partageait pleinement l’approche du Rapporteur et que le rapport analysait précisément et objectivement la situation prévalant dans la Principauté de Monaco, situation qu’il a qualifiée d’invraisemblable.

Il a estimé en effet que le droit des sociétés y était ahurissant et qu’il ne faisait qu’encourager l’opacité transformée en vertu attractive pour la criminalité organisée.

Il a rappelé le rôle joué par le casino, véritable instrument de la délinquance, exploité par la Société des Bains de Mer dont il s’est demandé si cette société était bien toujours cotée à la Bourse de Paris.

Il a considéré également que le statut des magistrats détachés devait être revu.

Il a conclu en soulignant que, paradoxalement, la France contribuait par cette procédure de détachement à soutenir un " paradis juridique " dans une Europe qui se veut un modèle et a déclaré qu’à titre personnel il voterait ce rapport.

M. Christian Paul a fait part de sa crainte de voir encore se développer ce phénomène de délinquance financière qui constitue la part d’ombre de la mondialisation et de la libre circulation des capitaux.

Il s’est réjoui de l’attitude convergente des membres de la Mission pour porter cette question devant l’opinion publique et a interrogé le Rapporteur sur l’origine des fonds qui transitent à Monaco.

M. Arnaud Montebourg a reconnu qu’il était difficile d’avoir une idée très précise à ce sujet mais qu’il apparaissait avec certitude qu’il était tout à fait possible à Monaco de déposer plusieurs dizaine de millions de francs sur des comptes bancaires sans susciter de réactions particulières des autorités.

M. François d’Aubert a estimé que les investissements immobiliers réalisés dans la Principauté suscitaient des interrogations et faisaient apparaître d’inquiétantes rumeurs sur l’infiltration de Monaco par les mafias italienne et russe.

M. Arnaud Montebourg a souhaité insister à nouveau sur la prise de parole de certains magistrats qui ont souhaité, avec courage, décrire la situation impossible dans laquelle ils se sont trouvés à Monaco et a rendu hommage au travail accompli dans le passé par François d’Aubert en espérant que la Mission puisse en constituer un des prolongements.

M. Christian Paul s’est prononcé en faveur de la publication des auditions sur la base d’une information préalable des intéressés.

Le Président Vincent Peillon a indiqué qu’il avait notamment informé le Président du Conseil national, M. Jean-Louis Campora, de l’état d’esprit qui animait la Mission et des procédures qu’elle utilisait dans le cadre de ses travaux.

M. François d’Aubert a rappelé la portée limitée du principe de l’immunité parlementaire pour des propos tenus en dehors des limites géographiques de l’Assemblée nationale.

M. Arnaud Montebourg a précisé que tout propos qui aurait pu être considéré comme une mise en cause personnelle et qui n’aurait pu faire l’objet d’un débat contradictoire avec la personne en faisant l’objet n’avait pas été publié.

Mme Chantal Robin-Rodrigo a rappelé qu’elle faisait actuellement en tant qu’ancien membre de la commission d’enquête sur les sectes l’objet d’une procédure en responsabilité de la part de l’une des sociétés citée dans le rapport indépendamment du fait que le Président de la commission était condamné pour diffamation pour des interventions du Président de cette commission tenues en dehors de l’hémicycle.

Ayant fait partie des équipes de contrôle interne de la Banque de France, elle a, par ailleurs, témoigné du fait qu’une mission effectuée à Monaco n’était jamais renouvelée.

Le Président Vincent Peillon a estimé que la qualité du travail accompli restait le seul critère permettant de répondre aux éventuelles critiques et a exprimé la solidarité de la Mission à l’égard des magistrats français détachés qui ont choisi de s’exprimer.

La Mission a décidé la publication du rapport consacré à la Principauté de Monaco.


Source : Assemblée nationale. http://www.assemblee-nationale.fr