La difficulté à distinguer les coûts réels de gestion du régime obligatoire et du régime complémentaire témoigne de l’imbrication des deux activités. Cette situation a été critiquée par M. Denis Kessler, président de la Fédération française des sociétés d’assurance (FFSA) qui considère que la réalisation par un même organisme de ces deux types d’opérations constitue une distorsion de concurrence ainsi qu’une source de confusion : " d’où viennent les fonds qui financent les opérations marchandes, dans quel cadre, sous quel contrôle ? ". Sous l’effet combiné du versement de remises de gestion d’un montant supérieur aux coûts de gestion, de la mise en concurrence des mutuelles étudiantes gérant le régime obligatoire et de la dualité de leurs activités, la confusion des genres n’a fait que s’aggraver, entraînant les mutuelles étudiantes à dépenser plus que de raison pour s’attirer des affiliés générateurs de recettes.

La flambée des dépenses de communication

Dès 1993, l’audit réalisé par la CNAM soulignait le coût, qualifié de spectaculaire, des dépenses de communication des mutuelles étudiantes estimé dix fois supérieur à celui observé pour les 128 CPAM et jusqu’à treize fois supérieur à celui de la moyenne des 50 premières CPAM.

La CNAM s’indignait de ce gaspillage de moyens résultant de la concurrence à laquelle se livraient les mutuelles dans le but d’accroître le nombre de leurs affiliés. Cette situation a été soulignée également par le rapport précité de l’IGAS et de l’IGF qui s’inquiète du montant atteint par les budgets de communication.

Le rapport qui juge ces dépenses disproportionnées indique qu’en 1996-1997 elles atteignaient 51,3 millions de francs pour la MNEF, 4,7 millions de francs pour la SMEREP, 7,8 millions de francs pour la MGEL, 5 millions de francs pour la SMESO ... et conclut en disant que l’emploi de ces sommes ne peut être légitimement imputé au seul régime obligatoire et que la logique commerciale à laquelle répond aussi cette utilisation apparaît elle-même parfois très éloignée des missions des mutuelles.

Le rapport relève notamment des partenariats entre Mac Donald’s et la MNEF, la MGEL, la SMESO ou la SMERA.

La Cour des comptes a également relevé dans ses observations provisoires de juillet 1998 (1) la progression de 40 % des dépenses de communication de la MNEF entre 1993 et 1996, évolution qui s’explique surtout par le développement des partenariats et des relations publiques et l’augmentation du budget des dons et cadeaux.

Déplorant ce " phénomène pathologique ", M. Philippe Stoffel-Munck, président de l’USEM, a indiqué que l’an dernier une charte de bonne conduite avait été conclue et respectée entre la MNEF et la mutuelle étudiante régionale de la région lyonnaise afin d’éliminer les dérapages.

M. Vincent Béguin, président de la MGEL, a précisé que le budget global de communication de sa mutuelle représentait un peu moins de 10 % du budget global, soit 7 millions de francs sur 73 millions de francs et que seulement 1,3 million de francs était consacré stricto sensu à des dépenses de communication engagées au moment de la rentrée universitaire pour attirer les étudiants. Intervenant sur ce sujet, M. Pierre-Yves Le Dœuff, délégué national de la Mutualité étudiante régionale (MER), a tenu à souligner l’écart existant entre la MNEF consacrant environ 70 F par assuré en dépenses de communication contre environ 40 F pour les mutuelles régionales.

Quand bien même cet écart serait confirmé, il ne fait pas disparaître pour autant le caractère préoccupant de cette évolution. Comme l’a justement fait remarquer l’ancien trésorier de la MNEF, M. Matthieu Séguéla, il est difficile de justifier une telle concurrence alors que l’affiliation est obligatoire et qu’il serait surtout prioritaire de lutter contre le phénomène de démutualisation qui frappe les mutuelles étudiantes.

Une concurrence exacerbée

En 1948, au moment de l’adoption de la loi consacrant la spécificité du régime étudiant, deux mutuelles ont été créées, la mutuelle nationale des étudiants de France (MNEF) et la mutuelle générale des étudiants de Lorraine (MGEL).

Pendant plus de vingt ans, la situation a été celle d’un monopole de la MNEF partout en France sauf en Lorraine où la MGEL était implantée. Dans les années 1970, la situation a évolué à la demande des pouvoirs publics et neuf mutuelles régionales se sont créées qui ont reçu l’agrément de gestion du régime obligatoire.

Ce système de concurrence délibérément organisé a eu les classiques effets bénéfiques de dynamisation et d’amélioration de la qualité de service rendu mais très rapidement, cette situation, outre qu’elle a entraîné des dépenses de communication très élevées a été exacerbée par les spécificités du monde étudiant. Comme l’a souligné M. Olivier Spithakis devant la commission d’enquête. " Nous sommes confrontés à une situation de concurrence quasi-unique dans le système de sécurité sociale accentuée de surcroît par le taux de renouvellement de ses représentants et de ses affiliés qui est le plus élevé de France. Il s’agit du seul régime qui affronte une situation concurrentielle et qui renouvelle chaque année l’ensemble de ses affiliés. En votant la loi de 1948, le législateur n’a pas cru bon de préciser qu’un étudiant qui a choisi un centre de gestion doit y rester pour toute la durée de ses études. Cette concurrence, en matière de sécurité sociale, n’est pas un choix et, de ce point de vue, il ne serait pas raisonnable de comparer le fonctionnement de la MNEF ou des SMER à celui de la CNAM ou des mutuelles de fonctionnaires. "

A l’heure actuelle, le régime se fait concurrence à lui-même au prix, selon M. Luc Machard, conseiller à la Cour des comptes, d’une progression de 60 % sur trois ou quatre ans de certaines charges financées par les remises de gestion. Dans ces conditions, comment ne pas s’interroger sur l’usage de ces remises de gestion si elles doivent en grande partie être utilisées à financer la concurrence que se livrent entre elles les mutuelles. Comme l’a reconnu M. Jean-Marie Le Guen, " cette concurrence telle qu’elle se présente aujourd’hui est un peu folle " et il est quelque peu aberrant de dépenser des sommes aussi importantes pour proposer un produit public et par définition unique. Comme l’a également souligné Mme Karine Delpas, la présidente de l’UNEF SE : " Il n’est pas bon que les mutuelles se mettent en concurrence sur un régime (...) qui servira les mêmes prestations quel que soit le choix des étudiants. (...) En même temps si les mutuelles dépensent autant pour avoir des affiliés, c’est parce qu’ils représentent leur principale source de financement : c’est là que se situe le principal problème ! Aujourd’hui, les mutuelles devraient avoir des moyens pour exister en dehors des remises de gestion accordées par le régime général de sécurité sociale. " Toute la question réside effectivement dans l’utilisation rendue possible à d’autres fins du montant de ces remises de gestion.

L’affilié " vache à lait "

Les ressources des mutuelles étudiantes étant constituées par les remises de gestion versées par affilié et les cotisations complémentaires des adhérents, le phénomène de démutualisation a fait de l’affilié un personnage très recherché des mutuelles étudiantes.

La Cour des comptes constate dans ses observations provisoires en juillet 1998 sur la MNEF que le poids relatif des cotisations des adhérents diminue et passe de 47,36 % en 1992 à 42, 75 % en 1996 alors que celui des remises de gestion augmente et représente 52 % en 1996 contre 47 % en 1992.

La facilité avec laquelle chaque année l’étudiant peut changer de mutuelle en cochant simplement une case dans un dossier d’inscription fait de l’affilié un véritable " produit d’appel ", une source de financement pour les mutuelles étudiantes. cette recherche de l’affilié est d’autant plus vitale que s’accentue le phénomène de démutualisation des étudiants.

La démutualisation, soulignée dans le rapport de la Cour des comptes, n’a pas manqué d’inquiéter la plupart des intervenants devant la commission qui ont avancé différentes explications. Le président de la Fédération de la mutualité française (FMF), M. Jean-Pierre Davant, explique ce faible taux de mutualisation - 400 000 étudiants sur 2,2 millions - à la fois par le montant trop élevé des cotisations et l’attitude des mutuelles parties " à la pêche à l’inscription " avec des arguments purement commerciaux qui n’ont plus rien de mutualistes. M. Jean-Marie Le Guen a souligné que les mutuelles proposaient en matière d’assurance complémentaire des tarifs et des niveaux de remboursement assez proches de la logique assurancielle, qui ne font plus apparaître la spécificité et l’intérêt de l’engagement mutualiste.

Compte tenu des tarifs indiqués par les mutuelles allant de 300 à 500 à plus de 3 000 F, la moyenne se situant autour de 1 000 F, il n’est guère étonnant de constater une réelle désaffection pour les mutuelles étudiantes et une mutualisation dans d’autres mutuelles, mutuelles parentales notamment.

En conséquence, faute d’un niveau très satisfaisant de cotisations, et en l’absence de toute gestion et de toute comptabilité séparées, l’excédent des remises de gestion est utilisé à des fins sans liens avec la gestion du régime obligatoire. Cette situation ne choque guère les nouveaux administrateurs de la MNEF et notamment la trésorière Mme Anne-Charlotte Keller qui a déclaré que la mise en place d’" une comptabilité analytique qui séparerait complètement et a priori l’utilisation des remises de gestion d’une part et d’autre part l’argent des cotisations reviendrait à diviser les étudiants en deux catégories alors que ce qui fait le fondement (...) de la MNEF (...) c’est une conception globale du statut social étudiant ", soutenue en cela par le président Pouria Amirshahi qui a tout simplement considéré que la " remise de gestion (...) appartient, une fois dans la caisse de la MNEF, aux adhérents de la MNEF et à personne d’autre ".

Il est difficile d’adhérer à cette conception fusionnelle et généreuse. En effet, si les remises de gestion ne doivent pas exclusivement servir à financer des tâches purement techniques de gestion et doivent aussi permettre la réalisation d’actions de prévention à destination de tous les étudiants, il n’est pas sain qu’elles soient utilisées soit de façon vaine à des dépenses de communication, soit de façon inappropriée à satisfaire des besoins même légitimes qui ne seraient que ceux des adhérents mutualistes.

En conclusion, du point de vue des principes, les remises de gestion doivent servir largement mais exclusivement à la gestion du régime obligatoire, et il conviendrait de réfléchir, dans un cadre contractuel négocié cas par cas avec chacune des mutuelles étudiantes, à la réalisation d’objectifs quantitatifs et qualitatifs visant d’une part à diminuer les coûts de gestion, d’autre part à améliorer la mission de service public que constitue cette gestion du régime et les tâches de santé publique s’y rattachant.


Source : Assemblée nationale. http://www.assemblee-nationale.fr