Les mutations du monde étudiant

En une vingtaine d’années, de 1975 à 1995, le nombre des étudiants a plus que doublé passant de 980 000 à 2 200 000. Actuellement la situation n’évolue plus et on enregistre même une légère décrue. Cette forte augmentation s’est traduite par la multiplication des équipements universitaires. En France toute ville de plus de 100 000 habitants est devenue une ville universitaire. Les étudiants constituent donc aujourd’hui une population spécifique dont les besoins ont changé et se sont multipliés.

La santé des étudiants préoccupe très fortement les responsables des mutuelles étudiantes qui décrivent une population à la fois insouciante de sa santé, ce qui explique en partie le faible taux de mutualisation, et en même temps composée dans des proportions non négligeables de personnes angoissées et souffrant de troubles psychologiques mal pris en compte et mal remboursés. Pour M. Vincent Beguin, président de la MGEL, le mauvais état de santé de la population étudiante a conduit les mutuelles à ne plus se contenter d’assurer la gestion du système d’assurance maladie et les a incitées à développer un ensemble de services destinés à aider les étudiants à mieux vivre dans la société.

La SMEREP a développé des partenariats en décidant de travailler avec des associations ou des organismes tels que la Croix Rouge ou l’Office Santé Jeunes. Elle a récemment recentré sa diversification sur la santé en reprenant la gestion du centre de soins de la caisse d’allocations familiales de la rue Viala à Paris.

En matière de santé, la MNEF a privilégié une approche plus ciblée avec la création de neuf Maisons des Jeunes et de la Santé réunies en association, ces centres de santé polyvalents sont ouverts aux étudiants et à tous les jeunes en difficulté.

Pour préoccupant qu’il soit, notamment s’agissant du problème du remboursement des consultations psychiatriques limité à dix séances, l’état de santé des étudiants doit être replacé dans un contexte plus général pour être apprécié comparativement à sa juste valeur. Comme l’a exposé M. Michel Zorman, président de l’Association des médecins directeurs de médecine préventive universitaire, les étudiants connaissent avant tout les problèmes de leur âge et parmi les jeunes de cette tranche d’âge restent ceux qui vont le mieux et de très loin. Evoquant une étude menée auprès de 1 200 étudiants afin de savoir s’ils avaient les moyens de se soigner lorsque des médicaments ou examens avaient été prescrits, M. Michel Zorman a indiqué que " seuls 20 % des étudiants n’ont pas suivi les recommandations du médecin, dont 15 % pour des raisons financières. Parmi ces 15 %, 2 % des étudiants étaient dans une situation extrêmement précaire, les autres 13 % dans une situation financière tendue - leurs moyens étaient limités, et devant faire des choix, ils préféraient ne pas renoncer à leur mode de vie plutôt que de payer le ticket modérateur. Quoi qu’il en soit, l’accès aux soins n’est pas, pour eux, un problème. "

Par conséquent, même s’il s’agit d’une question importante, la santé ne constitue pas pour les étudiants le domaine dans lequel se sont exprimés leurs nouveaux besoins. Ceux-ci sont apparus essentiellement en matière de logement, de tourisme ou de culture, d’assurance ... Aujourd’hui, les étudiants qui cherchent à se loger ne veulent plus l’être dans les conditions d’il y a vingt-cinq ans et demandent des surfaces minimum plus élevées - 15 à 20 m2 au lieu de 8 à 9 m2 - des immeubles de plus petite taille qui ne soient plus isolés sur un campus, etc.

Pour M. Daniel Vitry, directeur du CNOUS, le logement social pose un énorme problème de coût puisqu’il faudrait 5 milliards de francs pour rénover 80 000 lits sur les 148 000 existants et qu’il manque 15 à 20 000 lits dont les trois quarts en Ile-de-France où la situation est décrite comme catastrophique.

Il n’est pas surprenant dans ces conditions que les mutuelles étudiantes aient diversifié leurs activités dans ce domaine pour proposer à leurs adhérents des logements dans des conditions plus avantageuses que celles du marché.

De proche en proche, le champ d’intervention des mutuelles s’est élargi, s’étendant du logement, au cadre de vie et au bien être étudiant en général. Les mutuelles étudiantes se sont alors lancées dans des activités d’assurance et de voyages. Comme l’a rappelé au cours de son audition le député Jean-Luc Warsmann, ancien directeur de la MGEL : " Chez nous, dans l’Est, la chute du mur de Berlin a entraîné un développement massif d’une nouvelle forme de voyage étudiant, les voyages en bus. Ce n’était pas cher, le week-end à Prague ou dans un pays de l’Est coûtait de l’ordre de 400 F. Ce sont des milliers, des dizaines de milliers d’étudiants qui, dans les mois qui ont suivi, ont fait ces voyages à l’Est. Dans un esprit de partenariat que la mutuelle entretient avec divers organismes, des démarches ont été entreprises avec des associations spécialisées dans ce domaine. Là encore, nous sommes à la limite de la légalité parce que l’acte de vendre du voyage est une profession réglementée. Il faut être agent de voyage, avoir un personnel qui ait une certaine ancienneté et une compétence professionnelle, qui puisse être agréé dans chaque lieu où vous faites du voyage. C’est la démarche qui a conduit à la logique d’agence de voyages qui offre des garanties au consommateur. "

La diversification dans des domaines où les professions sont réglementées a entraîné inéluctablement un phénomène de " filialisation " ou des prises de participation dans des sociétés purement commerciales. Cette stratégie a été rendue possible par l’attitude des pouvoirs publics qui ne se sont jamais, bien au contraire, élevés contre cette extension du champ d’intervention des mutuelles étudiantes.

Des pouvoirs publics incitateurs

Dans les années 1990, l’attitude des différents gouvernements confiant aux mutuelles étudiantes des tâches qu’ils ne s’estimaient pas en mesure d’accomplir, a été soulignée par de nombreux intervenants.

M. Philippe Evanno, secrétaire général de l’UNI, a même précisé que son syndicat, longtemps peu favorable au maintien d’un régime étudiant de sécurité sociale, avait changé de point de vue lorsque face au désengagement des pouvoirs publics, les mutuelles étudiantes " semblaient être capables de lancer des opérations dans toute une série de domaines importants pour les étudiants, notamment celui de l’emploi. "

Très sévèrement critiquée par le dernier rapport de l’IGAS pour sa politique de diversification (2), la MNEF s’est défendue par la voix de son ancien directeur général, M. Olivier Spithakis qui, devant la commission, a rappelé que cette stratégie de diversification s’était réalisée de façon publique et qu’elle fut même encouragée par les pouvoirs publics. Dans une note, communiquée à la commission, M. Olivier Spithakis, en réponse à une demande de la Cour des comptes, a dressé la liste des opérations dans lesquelles s’était engagée la MNEF à la demande des pouvoirs publics.

Cette collaboration de la MNEF avec les pouvoirs publics a pris des formes variées. Dans le cadre de la réflexion lancée par M. Michel Rocard, alors Premier ministre, sur le droit au prêt pour tous les étudiants, la MNEF a participé au Comité interministériel chargé de cette question, elle a également été associée par M. Lionel Jospin, ministre de l’Education, à l’élaboration du plan Universités 2000. M. Olivier Spithakis a par ailleurs été successivement nommé par Mme Edith Cresson, alors Premier ministre, dans le GEM Education pour travailler sur les conditions de vie des étudiants et par M. François Fillon alors ministre des universités, dans la Commission Laurent qui s’est prononcée sur les évolutions souhaitables en matière universitaire. La MNEF a également été associée par le Premier ministre Edouard Balladur à l’élaboration des mesures concernant les jeunes et notamment la création des maisons de jeunes et de la santé. L’Etat ayant d’autre part souhaité que la totalité du capital de Carte Jeunes SA ne soit pas seulement composé du secteur privé à but lucratif, la MNEF est entrée dans son capital.

Ces différents exemples ne justifient en rien les décisions prises par l’équipe dirigeante de la MNEF mais témoignent simplement du fait que les pouvoirs publics ne trouvaient pas illégitime qu’une mutuelle étudiante puisse intervenir et être entendue dans des domaines et sur des sujets plus vastes que celui de la santé.

En revanche en janvier 1994, la Commission de contrôle des mutuelles, après avoir constaté le redressement financier encore fragile de la MNEF, a formulé certaines recommandations touchant à la politique de diversification des activités de la MNEF qui lui paraissait devoir être maîtrisée. A ce sujet, la Commission précise : " le projet de création d’une Union d’économie sociale (UES) fédérant cet ensemble d’activités externes peut constituer une réponse appropriée " avant d’ajouter " la MNEF doit prêter une plus grande attention à l’opportunité de ses voies de diversification ... afin d’éviter la confusion des organisations ou la trop grande dispersion des initiatives. "

Loin d’avoir les effets escomptés, la création d’une UES n’a, en réalité, fait qu’accroître l’opacité, rendant les contrôles plus délicats, ainsi que l’a souligné M. Christian Rollet, chef de l’IGAS : " C’est une réponse sans doute opportune, mais qui ne fait que compliquer les choses parce que nous, nous avons trouvé un écran supplémentaire. Maintenant, on voit bien l’union d’économie sociale mais l’on ne sait plus ce qu’il y a derrière. A la limite, c’est encore pire en termes de connaissance de la situation d’avoir un écran supplémentaire, mais on peut dire, formellement, que cela répondait à une recommandation du rapport de 1994 ! " Sous cet artifice juridique, la MNEF a poursuivi la diversification de ses activités tout en restant en conformité avec le large objet social des mutuelles défini par le Code.

Un champ de la mutualité ouvert

L’article L. 111-1 du Code de la mutualité définit très largement l’objet social des mutuelles.

" Les mutuelles sont des groupements à but non lucratif qui, essentiellement, au moyen de cotisations de leurs membres, se proposent de mener, dans l’intérêt de ceux-ci ou de leur famille, une action de prévoyance, de solidarité et d’entraide en vue d’assurer notamment :

" 1° la prévention des risques sociaux liés à la personne et la réparation de leurs conséquences ;

" 2° l’encouragement de la maternité et la protection de l’enfance, de la famille, des personnes âgées ou handicapées ;

" 3° le développement culturel, moral, intellectuel et physique de leurs membres et l’amélioration de leurs conditions de vie. "

C’est sur cette base, et notamment sur le dernier alinéa de cet article, que les mutuelles étudiantes se sont fondées pour opérer la diversification de leurs activités en vue d’améliorer les conditions de vie des étudiants. Il faut bien admettre que la généralité de cette disposition fait rentrer dans le champ légal d’intervention des mutuelles les activités les plus diverses et qu’à ce titre, on peut considérer que l’obtention de places de cinéma à prix réduit contribue autant à l’amélioration des conditions de vie que la réalisation de campagnes de prévention contre les maladies sexuellement transmissibles. C’est donc à un problème d’interprétation que l’on se trouve confronté, car si les conditions de vie se sont fort heureusement améliorées pour l’ensemble de la société française depuis le lendemain de la guerre, cette notion ne doit pas être retenue abusivement pour justifier systématiquement l’intervention des mutuelles étudiantes. Il convient en s’adaptant aux exigences actuelles de la qualité de la vie de respecter l’esprit dans lequel le législateur est intervenu, il y a maintenant plus de cinquante ans, en 1945.

Plutôt que d’invoquer l’existence de l’article L. 111-1 du Code de la mutualité comme une justification imparable, il convient surtout de savoir si les actions de diversification entreprises par des biais juridiques divers s’inscrivent bien dans l’éthique mutualiste et en respectent les principes de solidarité, de non-sélection des risques et d’intérêt général des adhérents. Examinée sous cet angle, l’utilité pour la MNEF de prendre des participations dans une société détenant un bateau de croisière sur lequel le directeur général choisit d’organiser des colloques ou de passer ses vacances même à ses frais, s’apprécie très différemment.

Il n’est pas question de considérer que les activités annexes des mutuelles étudiantes ne contribuent pas directement ou indirectement à une amélioration générale des conditions de vie et donc de la santé des étudiants, néanmoins, comme l’a très justement fait ressortir le directeur de la CNAM, M. Gilles Johanet : " Là où nous commençons à percevoir, dans leur propre logique, une petite faille, c’est quand la conception de l’amélioration de l’état de la santé des étudiants va jusqu’à payer des places de cinéma. Je me réfère à la définition de l’OMS qui vise l’état complet de bien-être ; je ne pense pas que l’action publique soit de poursuivre pour chacun l’atteinte de l’état de béatitude ! Même si des films peuvent y contribuer, il y a des limites à poser. "


Source : Assemblée nationale. http://www.assemblee-nationale.fr