Aujourd’hui les multiples contrôles tardifs dont a fait l’objet la MNEF mettent en évidence la présence d’une série de faits qui ont permis le développement de la nébuleuse de la MNEF à des fins autres que l’intérêt bien compris des adhérents, même si l’ancien directeur général M. Olivier Spithakis a pu dire devant la commission d’enquête : " J’ai le sentiment qu’il nous est reproché aujourd’hui ce que la puissance publique nous a demandé de faire pendant dix ans. J’ai quitté la MNEF avec le sentiment d’avoir restructuré cette entreprise, d’avoir permis de répondre aux nouveaux besoins des étudiants ... ".

Le maquis des structures de la MNEF

L’immobilier, la communication, l’assurance et les services aux étudiants (restauration, stages, ...) constituent les secteurs dans lesquels la MNEF a développé ses activités regroupées en trois sous-ensembles : le premier constitué par l’ensemble des participations directes dans différentes entités commerciales, le deuxième défini par les sociétés fédérées dans l’UES Saint-Michel, le troisième formé par l’ensemble des parts détenues par la holding Raspail Participations et Développement (RPD).

 L’ensemble des participations directes

On trouve là les huit sociétés dans lesquelles la MNEF détient, dans des proportions extrêmement variables, une part du capital et dans lesquelles par conséquent siègent des représentants de la MNEF. De nombreux secteurs sont concernés, l’immobilier, la communication, l’informatique, l’édition :

· Une société holding, l’UES Saint-Michel, dont la MNEF détient 64,28 % du capital ;

· La SCI Immocampus, qui gère les baux immobiliers de la mutuelle (MNEF : 44 % ; mutuelles " satellites " MIJ, MIF, UTMP : 51 % ; AMJS : 5 %) ;

· La SCPI Foncier Etudes, sur le champ des résidences étudiantes (MNEF : 8,40 %) ;

· Carte Jeunes SA, dans le domaine de la communication vers les jeunes (MNEF : 39,17 %) ;

· CODLES Coop, qui intervient dans l’édition de l’économie sociale (MNEF : 7,24 %) ;

· Mind Soft International SA (MNEF : 0,04 %), dont le capital est détenu à 99,76 % par CONSULT, sous-filiale de l’UES Saint-Michel ;

· La Compagnie de Formation, dont l’objet est la prise d’intérêts dans toutes entreprises gérant des établissements d’enseignement (MNEF : 613,80 F sur un capital de 55 602 065,20 F) ;

· GIE Phone Campus, pour la mise en œuvre de systèmes d’information et de communication (pas de capital social : la MNEF détient 7 parts et la MIF 3 parts dans ce GIE) (3).

 L’ensemble UES Saint-Michel

Officiellement, cette structure de l’Union d’Economie Sociale a été choisie pour répondre en 1994 à une démarche de la Commission de contrôle.

Elle s’articule autour de quatre pôles, eux-mêmes subdivisés en sociétés filiales ou sous-filiales.

Le pôle services universitaires regroupe une partie des activités de la holding RPD (cf. infra p. 34).

Le pôle communication vers les jeunes comprend deux structures importantes Media jeunes et Carte Jeunes SA. Media Jeunes a une activité de régie publicitaire, elle a créé en octobre 1993 la SARL SPIM qui, elle-même, a racheté en 1996 à RPD sa participation dans Editif, anciennement EFIC, à l’origine imprimeur de la MNEF.

Carte Jeunes SA offre à ses détenteurs de 16 à 25 ans des avantages sur divers services. La MNEF, a la suite d’un appel d’offres, a bénéficié de l’exclusivité de l’exploitation de ce système sous forme d’une concession de dix ans signée en avril 1995.

A côté de ces deux entités, on trouve dans ce pôle la SA Cyberis spécialisée dans les réseaux en ligne, la société de presse Inform’Jeunes ou la SARL Transpromo intermédiaire en panneaux publicitaires.

Le pôle assurance est structuré autour de la holding Figeris qui comprend notamment la SARL CAP IRAM, société de courtage, de placement de police d’assurances.

Le pôle informatique est principalement constitué par la holding financière Consult, elle-même détentrice de Consult SA qui, entre autres, intègre une filiale de la MNEF, Mindsoft Mistintel.

 La holding Raspail Participations et Développement (RPD)

Cet ensemble est organisé autour de cinq types d’activités.

· Le secteur " conseil et études " qui regroupe les sociétés chargées du développement des résidences universitaires en France et en Espagne - ESPACE U et RUE.

· Le secteur " gestion des résidences étudiantes " où l’on trouve les sociétés Campus Habitat, Campus Gestion, Etud Invest et SGRS chargées de l’exploitation, la réhabilitation ou la location de logements ou de résidences étudiantes ...

· Le secteur " investissement immobilier " rassemble onze SCI spécifiques à une opération donnée de construction ou d’exploitation de résidences universitaires.

· Le secteur " aménagement des campus " comprend notamment la société SAIACU chargée d’opérations immobilières dans les universités, l’UES Interfaces qui regroupe trois sociétés dont les activités concernent la conception, la location vente et l’exploitation des espaces universitaires dans les campus.

· Le secteur " restauration et cafétérias " composé de deux SARL AGCT et CAF’SERVICES qui les exploitent.

Cette prolifération des filiales et sous-filiales de la MNEF a été justifiée devant la mission par M. Olivier Spithakis comme le résultat inéluctable de la concurrence : " Nous avons dû protéger notre marché. C’est d’ailleurs l’une des raisons de la diversification ". Pour l’ancien directeur général, tout commence en 1989 en réaction à une tentative de l’UAP qui cherche à conquérir le milieu étudiant en proposant des assurances complémentaires puis essaie de pénétrer le secteur de l’enseignement privé. " Nous réagissons avec la création d’un pôle communication Media Jeunes, la création d’un pôle assuranciel par lequel nous nous assurons une certaine protection du marché ". Poursuivant sa démonstration, M. Olivier Spithakis a déclaré devant la commission que, de 1990 à 1995, la logique qui prévalait dans cette stratégie de diversification n’était pas économique mais stratégique " pour la raison que la MNEF (...) ne remplissait pas les obligations fixées par le Code de la mutualité en matière de réserve, de ratio et de liquidité ". Ce constat n’a pas échappé aux corps de contrôle, même s’ils l’ont établi un peu tard.

Une diversification critiquable et critiquée

Les critiques formulées tant par la Cour des comptes dans son relevé d’observations provisoires que par l’IGAS dans son rapport de contrôle peuvent être regroupées autour des points suivants :

 La MNEF n’a pas respecté les obligations fixées par le Code de la mutualité ou des sociétés

La MNEF s’est largement appuyée sur la structure de l’UES Saint-Michel pour se développer. Cette union a bénéficié sur la période 1993-1994 à 1998-1999 d’un financement par la MNEF, de 64,545 millions de francs dont 14,7 millions de francs d’apports en capital et 49,84 millions de francs d’apports en compte courant pour un total des engagements de l’UES de 69,48 millions de francs.

Selon l’IGAS, la MNEF a mis à la disposition de l’UES des ressources de court terme qu’elle a utilisées dans des investissements de moyen et long terme. La MNEF a donc aujourd’hui des fonds immobilisés qu’elle ne peut plus rapatrier de l’UES.

De ce fait l’IGAS a constaté que, pour paraître en règle avec les obligations du Code de la mutualité, la MNEF a majoré artificiellement, dès l’exercice 1995-1996, son ratio de liquidité (article R. 124-5 du Code de la mutualité) en procédant à différents mouvements comptables sur les comptes courants et qu’après avoir abondé les comptes de la MNEF, Immocampus et l’UES Saint-Michel ont été remboursés de leurs avances quelques mois plus tard.

L’IGAS constate que cette opération s’est répétée pour l’exercice 1997-1998 et qu’en réalité la MNEF n’est jamais réellement parvenue à respecter ses obligations de liquidité avec un ratio égal à 1.

Sur ce point, M. Olivier Spithakis a communiqué au rapporteur les éléments de réponse suivants qui auraient été fournis à l’IGAS : " concernant le ratio de liquidité, il ne s’agit pas d’une majoration artificielle du ratio de l’activité, mais tout simplement d’une analyse bilantielle, d’une photographie à un moment donné puisque c’est à partir du bilan que l’on doit faire ressortir un certain nombre de ratios. On ne peut pas qualifier un mouvement de fonds "d’artificiel" à partir du moment où il a été réellement effectué. "

L’obligation de dispersion des actifs prévue par l’article R. 124-6 du Code de la mutualité n’a pas non plus été respectée ou ne l’a été, d’après l’IGAS, " qu’en raison des mouvements transitoires opérés sur les comptes courants de la MNEF auprès de l’UES ".

Cette appréciation de l’IGAS est confortée par les conclusions d’une expertise des comptes de la mutuelle confiée à la SEREC par le comité d’entreprise de la MNEF et portant sur la situation au 30 septembre 1996.

La Cour des comptes, quant à elle, relève que les comptes de l’UES Saint-Michel et de la holding Raspail Participations et Développement ne sont pas déposés au greffe du tribunal de commerce et que l’article 357-1 du Code des sociétés qui prévoit la publication de comptes consolidés ainsi qu’un rapport sur la gestion du groupe n’est pas respecté.

 La MNEF a enregistré de nombreuses pertes et a exposé ses adhérents à des risques financiers

La Cour des comptes relève qu’en dépit d’une capacité d’autofinancement et d’une trésorerie qui se dégradent, la MNEF poursuit sa diversification en engageant des fonds dans des sociétés commerciales. De 1992 à 1996, les immobilisations financières ont augmenté de 197 %.

L’IGAS, de son côté, rappelle que, de 1994 à 1998 , la MNEF a pris une centaine de décisions à caractère financier qui représentent un montant total de 50 millions de francs.

Ces engagements, dont ont également bénéficié de multiples associations, ont pris des formes diverses allant de la subvention à l’abandon de créances en passant par les prêts, le cautionnement, les avances en compte courant ou les prises de participation.

La Cour des comptes précise que les placements de la MNEF restent essentiellement constitués par des prises de participation mais qu’à partir de 1993-1994, leur proportion diminue au profit de la technique des apports en compte courant qui permet d’obtenir une rémunération et d’améliorer la structure du bilan des filiales concernées, puisque les comptes courants sont considérés comme des quasi-fonds propres. L’examen détaillé de la situation de chaque " satellite " de la MNEF a été entrepris par l’IGAS. La commission se bornera donc, à travers les quelques exemples qui suivent, de montrer comment peut s’organiser le développement de tout un système.

 " L’affaire Pirlot "

Pour développer ses activités dans le domaine du logement aux étudiants, la MNEF a chargé RPD de s’associer avec des partenaires privés. RPD s’est engagé à parité avec le groupe Pirlot en l’espace de trois ans dans la création, pour un coût total prévisionnel d’environ 290 millions de francs, de 7 SCI dont la société Immobilier Claude Pirlot (ICP) assurera la gestion et la comptabilité.

En septembre 1996, un tiers minoritaire récemment entré dans le capital de RPD, spécialisé dans l’immobilier, alerte M. Olivier Spithakis sur les difficultés financières du groupe Pirlot. Un audit révèle alors que le pré-financement des SCI a été assuré exclusivement par RPD et que la société ICP détournait à son profit les avances de fonds apportées par RPD.

Le groupe Claude Pirlot dépose le bilan sur différentes de ses sociétés et n’honore plus ses engagements de maîtrise d’ouvrage et d’associé des SCI.

Le 1er septembre 1997, le conseil d’administration de l’UES Saint Michel obtient que le montant des comptes courants versés à RPD passe de 15 à 25 millions de francs ; le 28 mai 1998, un avenant précise que le remboursement des sommes mises à disposition est bloqué à hauteur de 25,25 millions de francs pendant cinq ans jusqu’à 28 mai 2003. La MNEF a ainsi été amenée à assumer seule le renflouement de cette opération, sa filiale RPD ayant été contrainte de récupérer les parts de son associé défaillant. L’IGAS estime que cette affaire pourrait se terminer par environ 20 millions de francs de pertes et un surcoût financier d’environ 90 millions de francs.

L’opération se soldera par le licenciement de M. Plantagenest responsable de la diversification qui a simplement déclaré, lors de son audition " on m’a accusé d’avoir engagé la MNEF de façon abusive, dans une diversification qui avait donné de mauvais résultats, notamment dans le domaine du logement étudiant ... Je n’ai pas négocié mon départ ".

En se fondant sur l’analyse des termes de la lettre de licenciement de M. Philippe Plantagenest qui fait référence à " une mauvaise évaluation des risques encourus (...) s’avérant affecter gravement et de manière irréversible la situation financière de certaines filiales de la MNEF ", l’IGAS estime que l’expression filiales de la MNEF révèle le poids véritable de la MNEF et plus précisément celui de la direction générale sur l’activité de structures jouissant théoriquement d’une autonomie.

L’IGAS note également que l’affaire Pirlot a fait l’objet d’une simple évocation auprès des instances dirigeantes de l’UES Saint-Michel et de RPD ...

M. Olivier Spithakis a fait parvenir au rapporteur la réponse ci-après, notamment :

" s’il est vrai que la société RPD est passée très près de la faillite à cause de l’affaire "Pirlot", on ne peut vraiment considérer que ce soit de la responsabilité directe de la MNEF, mais de la responsabilité des dirigeants de RPD et notamment du directeur général adjoint, à qui toutes les opérations de gestion avaient été déléguées et qui a été sanctionné.

" La MNEF n’avait juridiquement pas à être consultée sur l’opportunité de chaque projet mené ou envisagé au niveau de ses instances, car il s’agissait de personne morale et de filiale de troisième niveau. "

 L’opération Les Messagers de la Santé

Il s’agit ici d’une opération menée non pas par une société commerciale filiale ou sous-filiale du groupe MNEF mais par une des nombreuses associations proches de la mutuelle percevant des concours financiers de sa part.

Créée en juillet 1996, cette association avait pour objet notamment d’apporter un soutien logistique aux actions de la Fondation Santé des Etudiants de France (FSEF), de la MNEF et de la MIJ avec la mise en place d’une base de données sanitaires et sociales sur le milieu jeune et étudiant et la réalisation d’études sur les besoins de cette population en matière de santé. Cette association était présidée par Mme Obadia, directrice de la communication de la MNEF.

Cette association, après avoir bénéficié d’1,2 million de francs de subvention de la MNEF, qui mettait de surcroît des locaux, du matériel et du personnel à sa disposition, s’est trouvée en 1998 en état de cessation de paiement.

Cette opération, qui a coûté en deux ans près d’1,7 million de francs à la MNEF s’est achevée par la dissolution de l’association, le 23 septembre 1998. L’IGAS relève qu’aucune mention des difficultés de cette association, de sa dissolution et de la décision de reprise de son passif par décision du bureau de la MNEF du 28 septembre 1998 n’a figuré dans les compte-rendu d’activité 1997-1998 des associations bénéficiant d’une subvention de la MNEF, dont le conseil d’administration a eu connaissance le 25 novembre 1998.

Cette aventure, qui n’est pas de la même ampleur que la précédente, est néanmoins caractéristique de l’emprise de la direction générale sur l’ensemble du système, qu’elle qu’en soit la structure juridique, sans qu’aucun contrepoids, aucune contestation ne soit jamais opposée par le conseil d’administration tenu à l’écart des décisions et maintenu dans un état de désinformation.

 Une coûteuse diversification dans le secteur de la communication

La société Media Jeunes est présentée par l’ancien directeur général comme un des fleurons de la diversification de la MNEF dans les activités de communication à destination des jeunes. En décembre 1997, Media Jeunes, détenue en partie par l’UES Saint Michel (88 %) et en partie par RPD (12 %), détient elle-même dans des proportions variables des parts dans différentes sociétés aux activités fort diverses : SPIM, société d’impression (76 %), Derya Force 1 (5,76 %) propriétaire d’un bateau, Calame studio graphique (51 %) et Cœur de cible société d’études des comportements de la jeunesse (14 %).

L’analyse faite par l’IGAS de la situation de ces différentes structures n’est pas aussi positive que celle présentée par la MNEF. L’IGAS constate que l’activité propre de régie publicitaire de Media Jeunes repose essentiellement sur la MNEF. Celle-ci loue 3,5 millions de francs par an le fichier de l’OFUP et le remet avec le fichier de la MNEF à disposition de Media Jeunes. Pour autant, la location de ces deux fichiers ne suffit pas à rentabiliser la location initiale du fichier OFUP et l’IGAS constate une charge nette d’1,5 million de francs par an pour la MNEF, ce qui représente le prix du gel du fichier OFUP auprès des concurrents utilisateurs potentiels. Sur ce point, M. Olivier Spithakis estime devoir répondre : " En ce qui concerne le fichier, la MNEF n’a pas acquis le fichier pour le mettre à la disposition de Media Jeunes. La MNEF a acquis le fichier de l’OFUP, après qu’il ait été loué par l’UAP, pour mener un certain nombre de campagnes sur des produits complémentaires maladie en milieu étudiant. Il s’agit donc d’une logique de protection de son marché. Le fichier n’a été ensuite reloué à Media Jeunes que justement pour diminuer cette charge. "

Media Jeunes développe d’autres activités (CD Rom, " bus mailing " ...) dont l’IGAS relève qu’elles proviennent avant tout de la MNEF et évalue à 40 % la part du chiffre d’affaires de Media Jeunes qui est due à la mutuelle. Dans le même temps, les participations de Media Jeunes dans les sociétés précitées se justifient difficilement si l’on considère l’intérêt des étudiants.

M. Olivier Spithakis l’a d’ailleurs admis au cours de son audition " ... je ne vous ai pas expliqué que nous avions diversifié que pour répondre aux besoins des étudiants. Je vous ai également parlé de la nécessité de protection de notre marché et des outils techniques ... Par ailleurs, il convient de ne pas confondre les activités où nous sommes majoritaires et celles où nous sommes minoritaires et dans lesquelles ... existent des structures en cascade ".

L’activité d’imprimerie de la société SPIM a été justifiée par la nécessité pour la MNEF d’avoir une autonomie technique. Ce dossier fait actuellement l’objet d’un examen par les autorités judiciaires. A l’origine, la faillite de l’imprimerie EFIC se traduit pour la MNEF par une perte de 0,5 million de francs sur des titres EFIC cédés 1 F à RPD et un abandon de compte courant de 4,5 millions de francs cédé pour 1 F à M. de Haynin. La société EFIC est reprise par Editif dont ce capital est détenu à 30 % par M. de Haynin et 40 % par RPD. Cette dernière cède en 1996 sa participation à la SARL SPIM créée par Media Jeunes. La SPIM bénéficie des travaux d’impression de la MNEF avec laquelle elle réalise la quasi totalité de son chiffre d’affaires, soit, d’après l’IGAS, 50 millions de francs de 1994 à 1996. En réalité, la SPIM n’a aucune valeur propre et n’est qu’un démembrement de la MNEF.

De façon laconique, M. Olivier Spithakis a déclaré devant la commission d’enquête qui l’interrogeait sur l’absence de mise en concurrence des prestataires de la MNEF et des surcoûts pouvant en résulter " En ce qui concerne l’impression, il y a effectivement un problème. La politique de fidélisation était liée au volume considérable que nous avions à imprimer. Cela étant, nous avons hérité, dans les années quatre-vingt-dix, d’une imprimerie en situation extrêmement difficile que nous n’avons pas su gérer. Cette imprimerie était, en plein mois de mai, en train d’imprimer notre brochure de rentrée quand un administrateur provisoire est arrivé et nous a dit : "Je liquide. Soit vous prenez la majorité de la société, soit je mets tout au pilon". Or, si la MNEF n’a pas cette brochure dans les délais requis, elle perd une année de "chiffre d’affaires" et n’a plus qu’à mettre la clé sous la porte ".

Parmi les autres sociétés détenues en partie par Media Jeunes, l’IGAS constate que le studio graphique Calame est géré par M. Obadia, époux de Mme Marie-Belle Obadia, directrice de la communication de la MNEF (cf. infra p. 44) et que cette SARL présente une situation nette négative.

Quant à la société Derya Force 1, propriétaire d’un bateau du même nom, on peut se demander en quoi il était indispensable que Media Jeunes en acquiert des parts, même minoritaires.

La réponse de M. Olivier Spithakis n’est guère éclairante. Selon lui, la MNEF, par le jeu mécanique des participations en cascade, se serait retrouvée en quelque sorte " à son corps défendant " en partie propriétaire de ce bateau. Puis, en 1995, lors de la modification de la composition du capital de Media Jeunes, repris majoritairement par l’UES Saint Michel, M. Olivier Spithakis aurait demandé la cession de cette participation de Media Jeunes dans Derya " La MNEF possédait à l’époque une sous-filiale dans laquelle elle détenait sans pouvoir décisionnaire 15 % du capital. Cette sous-filiale avait elle-même une participation de 5 % dans une société d’incentive qui possédait un bateau. Lorsque nous avons pris la majorité du capital de cette société de communication qui détenait ces 5 %, nous avons demandé que cette participation soit liquidée. Mais cela a suffi à la presse pour titrer "Le bateau de la MNEF" ... En ce qui me concerne, j’ai effectivement été amené à utiliser à quelques reprises ce bateau : deux fois pour un séminaire et quelquefois pour usage personnel, comme j’ai utilisé d’autres bateaux avant, comme je continue à en utiliser depuis que Derya a coulé ! Dans ce cadre-là, j’ai réglé mes vacances comme tout le monde ".

La prise de participation majoritaire de l’UES Saint Michel dans la société Media Jeunes est elle-même l’aboutissement coûteux d’une stratégie inexpliquée de revirements.

Créée en 1990 sous forme de SARL, Media Jeunes est détenue alors à 30 % par la MNEF et 20 % par M. de Haynin. En 1991, Media Jeunes a, par convention, l’exclusivité de la prospection publicitaire de la MNEF. En 1993, la MNEF se désengage en partie de sa participation dans Media Jeune qui passe de 30 à 14 %, celle de M. de Haynin augmente d’autant et atteint 36 %. Au passage, l’IGAS note que les procès-verbaux du conseil d’administration et de l’assemblée générale de la MNEF ne contiennent aucune explication sur les raisons tactiques ou stratégiques de ce désengagement.

M. Olivier Spithakis a également réagi à cette constatation et fait valoir : " La mission évoque les textes des délibérations du conseil d’administration. Il est bien évident que ces extraits de délibération étaient accompagnés d’explications qui ne sont pas retranscrites dans les procès-verbaux, comme cela se fait dans la quasi-totalité des relevés de délibérations des sociétés de droit privé.

" Chacun pourra constater que si seuls les éléments retranscrits dans les procès-verbaux avaient été évoqués, les conseils d’administration n’auraient duré que quelques minutes et non pas plusieurs heures. "

Les affaires de Media Jeunes prospèrent et la société se transforme en SA en mai 1995. A cette date, la MNEF cède sa participation de 14 % à RPD pour 840 000 F

La société Media Jeunes est valorisée à 6 millions de francs, mais cette valorisation est avant tout due à la MNEF, principal pourvoyeur du chiffre d’affaires de Media Jeunes. A ce moment, sans qu’il y ait eu de la part des instances élues de la MNEF le moindre débat, l’UES Saint Michel, en novembre 1995, acquiert 84,87 % de Media Jeunes valorisée non plus à 6 millions de francs, mais à 7 millions de francs. L’IGAS souligne que ces fluctuations stratégiques ont représenté pour la MNEF un coût d’1,1 million de francs et que cette dernière opération de prise de contrôle de Media Jeunes par l’UES Saint Michel a représenté pour M. de Haynin une bonne affaire financière de 2,5 millions de francs. Celui-ci est ensuite recruté par l’UES comme directeur chargé de la publicité et des régies avec la garantie d’une indemnité de licenciement d’environ 3 millions de francs.

L’opération est moins fructueuse pour la MNEF, car cette prise de participation s’est effectuée au moment où Media Jeunes connaissait selon l’IGAS, un exercice 1996 difficile avec un recul de 20 % de son chiffre d’affaires, un déficit de 468 000 F et une quasi disparition de sa trésorerie.

Sur la société Media Jeunes, M. Olivier Spithakis apporte les réponses suivantes :

" On constate que le regain d’intérêt pour Media Jeunes commence à l’instant où la MNEF ayant atteint ses réserves obligatoires se posait les problèmes de diversification, avec une optique financière et non plus simplement en terme de stratégie commerciale (...)

" Nous investissons à partir du moment où nous avons les moyens légaux d’investir, c’est-à-dire lorsque nous avons atteint nos réserves obligatoires mais lorsque nous avons aussi la certitude que c’est une société qui fonctionne de façon saine.

" L’écart d’1 million de francs vient du délai qui s’est écoulé entre le moment où le commissaire aux apports fait son rapport et l’acquisition qui intervient, me semble-t-il, un exercice plus tard.

" Encore une fois, les rapporteurs disent qu’il n’y a eu aucun débat qui permette d’examiner l’opportunité des conséquences de cette décision ; c’est un jugement purement subjectif, qui repose sur la lecture des procès-verbaux, qui ne reprennent que les délibérations à l’exclusion des débats de fond.

" La chute de 20 % du chiffre d’affaires de Media Jeunes en 1996 est très directement liée à la grève qui a affecté, au moment du plan Juppé, l’ensemble de la France et notamment les P&T qui ont cessé leur activité, au moment où les commandes passées à Media Jeunes sont les plus importantes, c’est-à-dire avant la période Noël. "

 La diversification de la MNEF a profité à une minorité

Dans son relevé d’observations provisoires, la Cour des comptes remarque que les prises de participation se sont accompagnées de la nomination aux postes clés de salariés de la MNEF et rappelle que les personnes chargées d’une mission de service public confiée par la loi - ce qui est le cas des mutuelles étudiantes bénéficiaires d’une délégation de gestion du régime obligatoire - ne peuvent avoir des intérêts dans des structures qu’ils avaient à administrer ou surveiller en tant que représentants de la mutuelle.

Si la MNEF a répondu que " la nomination de cadres de la MNEF à des fonctions de responsabilité dans différentes filiales à caractère commercial correspond à un souci de cohérence, d’économie de transparence et de contrôle ", la Cour des comptes a fait observer que, outre le directeur général M. Olivier Spithakis qui bénéficiait d’un cumul de rémunérations, soigneusement prévu par son contrat de travail, se trouvaient également dans cette situation M. Michel Proust, directeur du développement, M. Philippe Plantagenest, directeur de la diversification et des filiales, M. Philippe Conte, directeur de la production, M. Hervé Zwirn, directeur général adjoint.

Rémunérés à temps plein par la MNEF dans des emplois de direction, M. Olivier Spithakis et Michel Proust étaient rémunérés par la mutuelle satellite MIF, M. Frédéric Vigouroux, directeur de l’assurance-maladie et Mme Marie-Belle Obadia, directeur de la communication étaient quant à eux rémunérés par la MIJ.

Le tableau figurant en annexe donne une idée du montant de ces rémunérations auxquelles il faut ajouter les rémunérations en tant que salarié de la MNEF.

Interrogé à ce sujet, M. Olivier Spithakis a répondu devant la commission d’enquête en pointant certaines contradictions : " On nous reproche d’avoir détaché des cadres de la MNEF dans des filiales. C’est vrai. On découvre aujourd’hui que cela pourrait constituer une prise illégale d’intérêts, or deux mois plus tard, nous recevons une lettre de la Commission de contrôle de la Mutualité nous demandant de payer ces cadres et, en plus, sur les fonds de la MNEF. Excusez-moi, mais cela s’appelle un abus de bien social ! ".

Poursuivant les investigations de la Cour des comptes, l’IGAS a souligné la situation particulière de M. Hervé Zwirn, cadre salarié de la MNEF depuis 1983, devenu PDG, sans en détenir d’actions, de Mindsoft Prestintel avec une rémunération brute de 400 000 F début 1994. En mai 1994, une cession partielle du capital de Mindsoft Prestintel a lieu en partie au profit de la SARL Paradigme dont la gérante est l’épouse de M. Hervé Zwirn.

La commission d’enquête a retrouvé cet esprit de famille lors des auditions de MM. Olivier Spithakis et Salomon Botton. Interrogé sur l’absence de mise en concurrence des prestataires extérieurs de la MNEF, l’ancien directeur général a déclaré : " En matière de communication, la société Policité n’est pas une filiale (...) Nous avons commencé à travailler avec cette société, qui existe depuis 1989, seulement en 1994. J’ai hésité à le faire pendant longtemps parce qu’elle était dirigée par M. Obadia dont la femme faisait partie de mon équipe de direction. Et puis lors d’un appel d’offre (...) je me suis dit qu’il était anormal d’exclure cette société (...) au prétexte qu’elle était dirigée par M. Obadia. "

Sur cette question, la Cour des comptes fait néanmoins observer que l’agence Policité, de plus en plus souvent retenue par la MNEF, devient en 1996, sans mise en concurrence préalable, son agence attitrée de communication et de conseil en stratégie institutionnelle. Le montant des prestations de Policité semble élevé à la Cour des comptes qui constate des honoraires représentant en moyenne 35 % du coût total de certaines opérations. Policité a ainsi perçu 400 000 F pour organiser pendant trois jours les rencontres " l’étudiant, la ville, l’université " ou 150 000 F pour la réalisation d’une journée d’études sur l’intégration des étudiants handicapés.

Au cours de son audition, M. Salomon Botton s’est déclaré, quant à lui, très perturbé d’apprendre certains faits par la presse. " Nous avions des bureaux dans des locaux municipaux à Toulon. Lorsque le Front national a pris la mairie, la question de savoir si l’on devait rester dans ces locaux mis à disposition par l’ancienne mairie s’est posée. Le conseil d’administration a décidé de rester afin de mener le combat de l’intérieur. En application de cette décision, des campagnes d’information sont menées dans ces locaux sur la contraception ou les étudiants étrangers. Or quelques mois plus tard, j’apprends que la totalité de la gestion locative de l’immeuble, qui porte le nom de " Maison de l’étudiant ", est confiée à une agence immobilière de Toulon qui appartient à M. Spithakis - ou plus exactement à son ex-épouse à qui il venait de la vendre. "

Ces quelques exemples indiquent que le système s’est développé en dehors de toute considération des intérêts des étudiants dont les représentants étaient totalement inféodés à l’équipe dirigeante de la MNEF.

Sur la diversification, M. Olivier Spithakis a d’ailleurs déclaré non sans cynisme à la commission : " S’agissant des étudiants, je n’ai jamais dit qu’ils étaient incompétents ou pas assez formés. Les discussions avaient lieu, mais ils analysaient les problèmes dans leur globalité. On a parlé pendant des heures du partenariat avec Vivendi. Mais, ce qui les intéressait, c’était la philosophie ".

Des étudiants absents

Au cours de son audition, le président de la Commission de contrôle, M. Jean Fourré, a rappelé que l’objet du contrôle sur place demandé à l’IGAS " est de savoir si l’ensemble des prises de participation ont été délibérées, si elles sont connues et exactement chiffrées ".

Sur ce point les conclusions de l’IGAS sont claires et confortent l’analyse de la Cour des comptes. Les organes statutaires de la MNEF, adhérents et instances élus, ont bien reçu une information générale mais n’ont jamais disposé d’éléments précis leur permettant d’avoir une vision complète et dynamique de la situation d’ensemble de la nébuleuse MNEF. L’IGAS conclut que " tout concourt à considérer que la "politique de diversification" de la MNEF a été l’affaire de M. Spithakis et d’un nombre restreint de décideurs, sans que pour l’essentiel les responsables institutionnels élus en aient eu ni la maîtrise, ni le contrôle. "

La commission d’enquête arrive à des conclusions identiques au vu du caractère succinct des procès verbaux de réunion du conseil d’administration qui lui ont été communiqués et du contenu de l’audition de l’ancienne présidente, Mme Marie-Dominique Linale.

Certes, il est toujours loisible à M. Olivier Spithakis, pendant son audition devant la commission, de jouer non pas sur les mots mais sur les procédures. Tour à tour, en effet, l’ancien directeur général a affranchi les élus étudiants de toute responsabilité puis a déclaré à propos de ces mêmes anciens administrateurs : " Si ces derniers estiment aujourd’hui qu’ils n’ont pas participé aux décisions, à partir du moment où ils on voté un certain nombre de délibérations, on peut considérer qu’ils sont frappés d’amnésie ".

L’audition de l’ancienne présidente est tout à fait caractéristique de l’équilibre mis en place par M. Olivier Spithakis.

Après avoir déclaré que toutes les décisions d’orientation prises par la MNEF l’avaient été par le conseil d’administration après avoir fait l’objet d’une présentation par la direction générale puis d’une discussion, Marie-Dominique Linale a reconnu, non sans une certaine fraîcheur : " Je savais ce qui se passait dans l’UES Saint-Michel. J’aurais facilement pu savoir ce qui se passait dans ses filiales et sous-filiales mais, il est vrai, je me suis arrêtée à ce qui se passait au niveau de l’UES. Mais il n’y avait pas de blocage, j’aurais pu m’informer davantage si j’avais été plus intéressée. "

La situation est d’autant plus grave qu’une responsabilité pénale pèse sur les épaules d’un président de conseil d’administration de mutuelle. Comment la constitution d’un conseil d’administration aussi peu averti des affaires économiques et des techniques de gestion a-t-elle pu se mettre en place si ce n’est grâce à quelques failles dans le fonctionnement démocratique de la mutuelle.

Comme l’a souligné le député Jean-Claude Warsmann, ancien directeur général de la MGEL : " Sur le principe, je pense qu’il est assez difficile de contester la démarche de filialisation. Maintenant, évidemment, cela pose un problème de contrôle à plusieurs niveaux. Un problème de contrôle démocratique parce qu’il faut que les instances qui dirigent la mutuelle gardent le contrôle de ce qui se passe dans les filiales et un problème de contrôle, au moins aussi important, en termes de gestion. "

En conclusion, il ressort que cette mécanique de la diversification officiellement justifiée pour répondre aux besoins des étudiants s’est réalisée en l’absence de leur consentement éclairé. La Cour des comptes et l’IGAS l’ont montré, la commission d’enquête en a eu la confirmation à travers les auditions auxquelles elle a procédé, rien de ce qui s’est passé n’aurait été possible si les règles de fonctionnement interne de la mutuelle n’avaient pas été dévoyées.

A l’heure actuelle, la MNEF a commencé d’entreprendre une politique de désengagement de certaines de ses filiales ou sous filiales.

Les participations de l’UES Saint-Michel dans la société d’assurance Figeris ont été cédées ainsi que la société Media Jeunes.

L’actuel directeur général de la MNEF a d’ailleurs précisé à la commission : " C’est ainsi que la société Media Jeunes a été vendue après un appel d’offres et un tour de table qui a concerné sept entreprises et nous considérons que nous n’avons pas fait une mauvaise opération puisque cette société avait été, en quelque sorte, achetée à valeur de 5,5 millions de francs, qu’elle était valorisée à hauteur de 8,5 millions de francs et que nous l’avons vendue 11 millions de francs ".

D’après les informations recueillies par votre rapporteur, la MNEF souhaite se défaire des éléments déficitaires de la holding RPD. Il ne resterait à l’UES Saint-Michel que le groupe informatique et à RPD le secteur immobilier, celui des cafétérias et des galeries marchandes. Faute de repreneur intéressé par des activités aussi spécifiques tel que les CROUS ou le CNOUS, la MNEF, semble-t-il, aura du mal à se désengager de ces activités.

Pour l’instant, la restructuration est restée assez timide et la commission s’étonne du contenu peu contraignant de la motion adoptée par le conseil d’administration de la MNEF lors de sa réunion du 19 avril 1999 :

" Le conseil d’administration de la MNEF instaure le principe suivant :

û Les décisions, inhérentes aux filiales en général et à leur dimension financière en particulier, devront, chaque fois que cela sera possible, être précédées d’un débat en conseil d’administration.

û Dans tous les cas de figure, ces décisions feront l’objet d’un compte rendu lors du conseil d’administration de la MNEF suivant immédiatement lesdites décisions.

La motion est adoptée à l’unanimité ".

Si cette démarche va dans le bon sens, il ne faudrait pas qu’elle se ramène à un vœu pieu qui maintiendrait inchangé l’équilibre instauré jusqu’alors d’un conseil d’administration débattant à l’occasion d’idées générales face à une direction prenant en réalité les décisions.

Pour être complet, il faut indiquer que le conseil d’administration de la MNEF vient d’élaborer un plan d’économies de 11 millions de francs en supprimant notamment les diverses subventions accordées ici et là par M. Spithakis. Il a été indiqué à votre rapporteur que le projet de budget ainsi modifié avait été envoyé aux ministères de tutelle et n’avait pas, à ce jour, suscité d’observations. Un questionnaire a par ailleurs été envoyé aux adhérents pour connaître leurs besoins et mieux y répondre (cf. annexe p. 317).


Source : Assemblée nationale. http://www.assemblee-nationale.fr