La faiblesse de la participation
Au cours des dernières élections organisées par la MNEF au début de l’année 1999, la participation d’un peu plus de 30 000 étudiants sur 220 000 adhérents a été considérée comme un grand succès en comparaison de ce qui se passe généralement lors de consultations électorales du même type. Ce taux de participation qui, pourtant, ne représente qu’environ 15 % des électeurs possibles est néanmoins apparu au nouveau président de la MNEF, M. Pouria Amirshahi, " significatif du potentiel de participation des étudiants à la gestion de leur mutuelle " et a fait dire à M. Salomon Botton, directeur de cabinet de la direction générale de la MNEF qu’il n’était dans ces conditions pas possible de remettre en cause la légitimité démocratique de la nouvelle direction. Il est vrai que les taux de participation habituellement avancés oscillent entre 1,5 % et 3 %.
Dans ces conditions, comment ne pas être amené à s’interroger sur la signification de la démocratie au sein des mutuelles étudiantes, même s’il ne s’agit pas là d’un problème qui leur est propre. Le lien de proximité, entendu non seulement dans son acception géographique mais aussi dans son sens psychologique, a constamment été invoqué comme constituant un argument de poids pour défendre les mutuelles étudiantes considérées comme les mieux placées pour être à l’écoute des problèmes et du monde étudiant, puisque celles-ci sont dirigées par les étudiants. L’extrême faiblesse du taux de participation aux élections tendrait à montrer que les mutuelles étudiantes rencontrent aujourd’hui des difficultés à faire comprendre à leurs adhérents ce que l’on pourrait appeler l’éthique mutualiste et son corollaire qui implique, dans une structure collective d’économie sociale de cette nature, un engagement de ceux qui en font partie beaucoup plus important que s’il s’agissait d’une société ou d’une entreprise.
Cette question rejoint celle précédemment évoquée de la logique de concurrence provoquée par la course à l’affilié qui a placé les mutuelles étudiantes dans un contexte commercial de plus en plus éloigné de la philosophie mutualiste. Il n’est donc pas surprenant, dès lors, de constater que les liens pouvant exister entre les mutuelles et leurs adhérents se soient progressivement distendus au point de devenir parfois quasi inexistants. Le caractère " ridiculement faible " - pour reprendre les termes employés devant la commission d’enquête - de la participation étudiante conduit à se demander quelle représentativité peut avoir, dans ces conditions, un conseil d’administration et de quel poids ce dernier peut éventuellement se prévaloir face à une technostructure omnipotente, hypothèse qui n’est pas une simple hypothèse d’école.
Compte tenu par ailleurs du mode de désignation de certains responsables de mutuelles étudiantes, il apparaît qu’une partie du conseil d’administration peut en fait procéder de la direction générale et qu’entre démocratie et cooptation, la balance pencherait plutôt vers cette dernière.
Elections ou cooptation
Le règlement intérieur de chaque mutuelle étudiante définit les modalités des élections de l’assemblée générale et du conseil d’administration. Devant la commission d’enquête, M. Joël Dockwiller, président de la SMENO a décrit un processus de prospection entrepris par le bureau du conseil d’administration en vue de constituer une liste de 80 personnes exigée par les statuts. " Nous profitons de nos équipes de développement qui sont en contact régulier avec des personnes dans telle ou telle association, pour qu’elles nous introduisent auprès de celles qui nous paraissent intéressantes. Nous les rencontrons et nous leur présentons notre mutuelle ... Nous avons au moins une liste ...Cette liste est constituée par sections donc par ville. Dans chaque ville, on fait se rencontrer les gens ... ils choisissent une tête de liste ... une fois ... le calendrier électoral établi ... nous procédons à la distribution du matériel de vote ". Il n’y a donc pas de campagne électorale ou d’information, ni même de débats, les candidatures sont suscitées par les membres du conseil d’administration qui, d’une certaine façon, procèdent à un pré-recrutement de leurs successeurs. A la différence de la MNEF, qui entretient des liens étroits avec le monde syndical étudiant, la SMENO considère qu’il lui faut au contraire préserver l’indépendance politique et syndicale de ses équipes opérationnelles. De nombreuses mutuelles régionales partagent ce point de vue et se distinguent ainsi de la MNEF où, lors des dernières élections, des listes se sont constituées sur une base syndicale. Pour autant, les modalités des élections à la MNEF ne favorisent pas non plus les candidatures spontanées ou les candidatures locales qui n’auraient pas l’imprimatur au niveau national.
Evoquant ses fonctions de directeur général de la MNEF, M. Olivier Spithakis a déclaré devant la commission d’enquête " J’ai toujours pensé que la mise en place d’un plan de redressement passait par une dépolitisation de la MNEF, de ses orientations, de sa gestion ...j’ai fait jouer [la] clause de conscience à partir du moment où un rapprochement institutionnel s’est effectué avec d’une part, l’UNEF-ID, et d’autre part les organisations syndicales. La stabilité économique de la MNEF étant retrouvée, on a souhaité qu’il puisse y avoir une réappropriation du conseil d’administration de la MNEF par les forces syndicales. Or, cette orientation était en totale contradiction avec la mission que l’on m’avait confiée ... ".
La présidente du conseil d’administration de l’époque confirme cette analyse " Il fallait faire entrer au conseil d’administration de la MNEF les associations, les syndicats. La MNEF avait retrouvé une stabilité ... nous avions une bonne année en perspective ". Lorsqu’on sait aujourd’hui ce qu’est la situation économique de la MNEF, ces appréciations laissent perplexe. Mais il convient ici de s’interroger sur la traduction qu’a eue sur le plan électoral ce changement d’orientation.
Au cours de la période où le conseil d’administration ne comptait pas la présence de représentants d’associations ou de syndicats, les conditions à satisfaire pour présenter une liste étaient, semble-t-il, tellement opaques et le système mis en place tellement compliqué que, de fait " certains habitués " des élections à la MNEF comme les représentants de l’UNEF-SE n’ont pas réussi à présenter leurs propres listes et que les élections se sont déroulées le plus souvent sur la base d’une liste unique. Cet état de fait a été confirmé par Mme Karine Delpas, présidente de l’UNEF et dont le syndicat a retrouvé sa place à la MNEF lors des dernières élections, mais également par la présidente de l’UNEF-ID, Mme Carine Seiler, qui a indiqué " les élections étaient jouées d’avance, une seule liste était présentée, si l’on peut dire, composée par la direction sortante ".
Par conséquent, la politique affichée de dépolitisation de la MNEF, entreprise de 1984 à 1998, a eu pour effet de faire disparaître toute forme de pluralisme en organisant, via les modalités d’organisation des élections, une forme de présélection des élus étudiants.
La situation a-t-elle véritablement changé lors des dernières élections ? Interrogé sur cette question, l’ancien trésorier M. Matthieu Séguéla ne le pense pas. Selon lui, le conseil d’administration sortant présidé par Mme Marie-Dominique Linale et chargé d’organiser les élections aurait passé un accord avec le Président de l’UNEF-ID " lequel faisait entrer dans le conseil d’administration et dans le bureau national [de la MNEF] des syndicalistes de l’UNEF-ID qui n’avaient pas de légitimité mutualiste ".
Sur le plan électoral, une Commission de contrôle électoral a été mise en place par Mme Marie-Dominique Linale pour définir le processus des élections. A l’ancien système qui prévoyait huit sections de vote et le dépôt dans huit villes d’une liste entièrement différente à chaque fois, a été préférée la création de deux sections de vote et le dépôt d’une liste de 65 étudiants représentant les quatre cinquièmes des académies. Trois listes, dans la première section de vote, se sont constituées pour pourvoir 65 sièges sur 66, la deuxième section représentant les étudiants adhérents de l’étranger n’ayant, elle, qu’un seul siège à pourvoir. La liste " Changer la MNEF " était celle conduite par M. Pouria Amirshahi, ancien président de l’UNEF-ID et Mme Karine Delpas, présidente de l’UNEF-SE réunis pour la circonstance, la liste " Reconstruire ensemble la MNEF ", qui bénéficiait du soutien de la FAGE, était, elle aussi, composée de militants de l’UNEF-ID et dirigée par le président de la section de la MNEF de Pau. Enfin, la liste " SOS remboursement " était menée par M. Matthieu Lapprand, président de la section MNEF de Lyon, également élu de l’UNEF-ID. Le 11 mars 1999, la liste " Changer la MNEF " est arrivée en tête avec 40,8 % des suffrages exprimés, " Reconstruire ensemble la MNEF " ayant obtenu 33,05 % contre 26,87 % à la liste de " SOS remboursement ". Les décisions du conseil d’administration organisant les élections ayant été annulées par le tribunal de grande instance de Paris, les élections se sont trouvées elles-mêmes annulées puis confirmées indirectement par la décision d’appel du 11 juin 1999 validant les décisions du conseil d’administration précité.
Ces résultats appellent quelques constatations et commentaires suivants. Tout d’abord, l’UNEF-ID a, régulièrement, perçu de la MNEF une subvention de fonctionnement d’un montant de près d’un million de francs, même si elle n’a pas été reconduite pour l’année 1999 ; cette somme représentait un tiers du budget total du syndicat qui s’élevait à environ 3 millions de francs. La FAGE, dont le président était numéro 2 sur la liste " Reconstruire ensemble la MNEF " a, également, perçu des aides indirectes de la MNEF.
Dans ces conditions, comment ne pas s’interroger sur un mécanisme qui consiste pour la MNEF à subventionner des syndicats ou associations étudiants qui, eux-mêmes, vont pouvoir constituer et soutenir des listes de candidats aux élections de la mutuelle et pour finir les remporter sans grande surprise, puisque seules trois listes au total se sont retrouvées en lice.
C’est non sans une certaine amertume que M. Matthieu Séguéla, au cours de son audition, a déploré cette situation où dès la première assemblée générale, on a vu la liste " SOS remboursement " fusionner avec l’UNEF-ID et élire un conseil d’administration, même si cela est conforme aux règles de fonctionnement. On peut s’interroger sur la décision prise par la Commission de contrôle électoral de la MNEF de créer non plus huit sections de vote, mais seulement deux sections, la première regroupant les étudiants français résidant en France, soit 212 728 électeurs, la seconde ne comptant que 1 158 inscrits représentant les étudiants résidant hors de France. Dans ces conditions, on peut considérer que de fait, il n’existe qu’une seule et unique circonscription, la seconde permettant simplement d’être en conformité avec les textes exigeant plusieurs circonscriptions de vote. L’existence d’une seule circonscription constitue un frein à l’expression démocratique car, dans ce contexte, il est bien évident qu’il n’est pas possible à un étudiant adhérent dans une section locale de province de disposer de moyens suffisants pour réunir 65 noms d’étudiants représentants les 4/5e des académies. Il est indispensable, pour y parvenir, d’appartenir à une structure nationale qui désignera les candidats. Sur les raisons qui ont justifié la création de deux sections de vote aussi disproportionnées, la commission d’enquête n’a obtenu aucune réponse satisfaisante, l’argument de la simplicité ne pouvant être retenu à lui seul pour défendre un tel dispositif.
Une autre question est également restée sans réponse, celle du sort réservé au matériel électoral revenu au siège de la MNEF avec la mention " NPAI " c’est-à-dire " n’habite plus à l’adresse indiquée ". En effet, les élections ont lieu - à la MNEF comme dans d’autres mutuelles - par correspondance et ne se déroulent pas, comme on pourrait l’imaginer, dans des lieux de vie étudiante, comme les campus ou les établissements universitaires. De façon surprenante, la présidente et le vice-président de l’UNEF-ID ont défendu ce type de vote au motif qu’il permettait d’encourager la participation précisant même " dans les élections étudiantes, devoir se déplacer pour voter, cela signifie que tous les étudiants n’ont pas accès au vote ... la massification du monde étudiant conduit à ce que moins d’étudiants soient présents régulièrement sur le campus parce que beaucoup sont salariés ... ; les délocalisations universitaires se multiplient ". L’organisation d’un vote sur le campus sur plusieurs jours n’a, semble-t-il, pas traversé l’esprit des organisateurs et l’on découvre que la population étudiante se déplace ... avec difficulté ou en tout cas avec plus de difficulté qu’une population salariée à plein temps. Le vote par correspondance, justifié apparemment par le fait que les étudiants ne se rendent quasiment plus ni sur les campus, ni à l’université a donc été retenu ... La population étudiante changeant fréquemment d’adresse à défaut de pouvoir se déplacer facilement, il est par conséquent plus que probable qu’un nombre non négligeable d’envois de matériel électoral ont été renvoyés à l’expéditeur. La commission d’enquête a donc été très étonnée qu’aucun des procès-verbaux établis par les huissiers concernant les opérations électorales n’ait constaté ce qui avait été fait de ce matériel retourné et qu’aucune réponse précise sur ce point n’ait pu être apportée au cours des auditions.
Selon les informations recueillies par le rapporteur, l’Imprimerie nationale chargée du routage a procédé à l’expédition du matériel électoral qui a été affranchi au bureau de poste de Nanterre. Ce bureau par voie de conséquence a reçu l’ensemble des retours " NPAI " qu’il n’a pas comptabilisés, mais qu’il a remis aux responsables de la section locale de la MNEF de Nanterre.
Ces derniers les ont ensuite envoyés à la direction générale de la MNEF où ils ont été mis dans un coffre. Intervenant à ce sujet pendant son audition, M. Pouria Amirshahi a déclaré : " J’aimerais (...) vous dire que cette question, je l’ai posée moi-même, à mon arrivée, au service en charge des élections qui m’a montré un tas de cartons remplis de retours de courriers, de listings et de matériel électoral. Je dois donc vous confier que je me suis, personnellement, préoccupé de cette question, que l’on m’a montré beaucoup de matériel électoral - essentiellement des professions de foi - mais qu’il y avait également là-dedans des retours de courriers ... ".
Pour sa part, Mme Sylvie Enfert (4), désignée chef de projet sur le déroulement des élections par M. Delpy, directeur général de la MNEF, a déclaré à votre rapporteur que le nombre approximatif de " NPAI " qu’elle a réceptionnés et placés dans une armoire forte était de 3 250, soit selon elle un nombre faible par rapport aux élections précédentes. Elle a expliqué ce faible nombre parle traitement différent des fichiers des adhérents. Votre rapporteur fait observer qu’au cours de ce même entretien, Mme Sylvie Enfert a déclaré qu’elle n’avait jamais auparavant participé à l’organisation des élections de la MNEF. (voir par ailleurs lettre du 17 mai 1999 de Mme Sylvie Enfert p. 310).
On ne peut conclure ici qu’à un manque de rigueur dans l’organisation des élections.
Source : Assemblée nationale. http://www.assemblee-nationale.fr
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