Dans son rapport annuel (précité), la Cour des comptes fait un premier bilan :

" Alors que l’évolution de l’assurance maladie, et particulièrement les mutations profondes induites par le développement du dispositif Sesam-Vitale, constitue un véritable enjeu pour les mutuelles d’étudiants, peu d’entre elles, à ce jour, se sont préparées à ces changements. Il a même été constaté sur place que certaines continuent à mettre en œuvre des méthodes de gestion qui semblent dépassées."

" A ce jour, seule la mutuelle nationale a obtenu un accès direct au répertoire national d’identifiants de l’assurance maladie (RNIAM) et se prépare à accéder au Réseau de Santé Social. "

" Les mutuelles reprochent par ailleurs à la CNAM de ne pas les avoir suffisamment associées au projet Sesam-Vitale, même s’il est vrai que la diversité des systèmes informatiques qu’elles utilisent et la dispersion des moyens qui en résulte ne facilitent pas les relations avec les services de la caisse nationale. "

Lorsque l’on examine de plus près la politique suivie par certaines mutuelles en matière d’informatisation, on comprend mieux à la fois les coûts élevés et la faiblesse des résultats.

Le système de sous-traitance de la gestion informatique, pratiqué à la MNEF, a été étudié par la 6ème chambre de la Cour de comptes dans le cadre du contrôle des comptes et de la gestion de la mutuelle nationale, effectué pour les exercices 1992/1993 à 1995/1996 (15).

La Cour a constaté tout d’abord des coûts élevés : 4 millions de francs pour chaque exercice 94/95 et 95/96, dont la moitié au titre de la maintenance IBM. A cette somme s’ajoute les sommes versées à la filiale informatique de la MNEF, Mindsoft SA rachetée en 1996 par la société Consult SA dans laquelle la MNEF a une participation. Ces versements s’élèvent à 10 millions de francs par an d’après le compte de résultat détaillé examiné par la Cour des comptes, pour des prestations mal répertoriées mais confiées en exclusivité et sans appel à la concurrence, à la filiale.

Cette politique est d’autant plus critiquable que, selon la Cour des comptes, la CNAM a proposé d’offrir gracieusement son logiciel de gestion de prestations, mais la mutuelle a préféré recourir à son prestataire et verser des sommes importantes pour une application existante.

Le résultat est de surcroît très médiocre. En effet dans son rapport général pour l’exercice clos le 30 septembre 1998, le commissaire aux comptes de la MNEF, Mme Corine Maillard a formulé la réserve suivante à propos de la gestion informatisée :

" La refonte du système d’informatisation avec PREMUNI (mis en œuvre par Consult SA) comme logiciel de base, a entraîné le basculement informatique en juillet 1998. "

" Des anomalies de natures diverses ont pu être constatées lors de cette phase de démarrage avec des incidences plus ou moins fortes sur les processus de gestion et par voie de conséquences des incidences financières, notamment en ce qui concerne le montant de la provision pour dossiers reçus et non payés. "

" En raison des dysfonctionnements qui ont entraîné des anomalies de traitement, voir l’impossibilité de décomptes de certains dossiers, j’émets une réserve d’ordre général sur les procédures de traitement informatisées. "

Ces médiocres performances informatiques ont été également relevées dans le rapport d’enquête sur les remises de gestion allouées aux mutuelles d’étudiants (16).

Les inspecteurs de l’IGF et de l’IGAS indiquent que leurs investigations effectuées sur place leur ont permis de relever les carences des systèmes utilisés, " notamment au regard des nouveaux objectifs de l’assurance maladie ".

Ils considèrent que " l’éparpillement des mutuelles est peu propice à la modernisation d’outils informatiques qui nécessitent, à court terme, d’être adaptés pour répondre aux normes fixées par la CNAM ".

Cet éparpillement est préjudiciable " à la fois en raison de la redondance des dépenses de conception de développement et d’entretien, engagées par chaque mutuelle pour satisfaire in fine les mêmes objectifs techniques, mais également du point de vue de la nécessaire concertation avec la CNAM, qui se trouve ainsi confrontée à un nombre d’interlocuteurs disproportionnés par rapport à la population couverte ".

Les auteurs du rapport estiment que " en dehors des formules d’union technique choisie par les mutuelles adhérentes à l’UITSEM (17), ou de sous-traitance auprès d’autres organismes assureurs, comme dans le cas de la SMEREP, la faible masse critique des mutuelles régionales ne leur permet pas de faire face rapidement et avec efficacité aux nouveaux objectifs de l’assurance maladie dans le domaine informatique. "

A titre de comparaison, le rapport IGF/IGAS, indique que le seuil minimum de gestion des centres informatiques, agréés par le régime d’assurance maladie des professions indépendantes est fixé à 125 000 assurés soit 285 000 individus protégés.

Comme on l’a vu, seule la MNEF a près de 200 000 adhérents et près de 800 000 affiliés.

Sur le plan technique, les logiciels de liquidation sont souvent issus d’applicatifs anciens dont, selon le rapport sur les remises de gestion, " l’adaptation aux exigences de télétransmission a pris plusieurs années de retard ".

Il a été constaté dans le cadre de cette enquête que pour l’UITSEM, la SMESO, la SMEBA et la MGEL, la proportion de factures télétransmises par les pharmaciens par rapport au total des factures est inexistante et qu’elle est de l’ordre de 5 % pour la MNEF.

Comme pour la MNEF, la plupart des mutuelles régionales ont eu des difficultés pour faire évoluer leur outil informatique. Elles se sont souvent retrouvées tributaires d’un unique prestataire ou ont dû abandonner des projets à mi-chemin avec des répercussions financières toujours importantes.

Les auteurs du rapport s’interrogent sur " la capacité actuelle des mutuelles étudiantes à faire face rapidement aux exigences des cahiers des charges informatiques en cours, tant au plan de la compatibilité des architectures informatiques entre les sections locales mutualistes et les CPAM, qu’au plan des normes utilisées en télétransmission et qu’a fortiori aux contraintes liées à la mise en place de la carte Vitale. "

Selon la CNAM, le taux de rejet des données de production qui lui sont transmises par les mutuelles d’étudiants, bien qu’en diminution depuis 1995, s’élevait encore à près de 5 % pour l’année 1997.

A la décharge des mutuelles d’étudiants, il faut préciser que la CNAM n’a pas pris la peine de les associer aux travaux préparatoires et à l’information nécessaires à la mise en place de Sesam-Vitale.

Toutes ces observations conduisent les inspecteurs chargés de l’enquête à conclure que cette situation est peu compatible avec les contraintes nouvelles liées au dispositif des lois annuelles de financement de la sécurité sociale. Dans le domaine de la présentation d’objectifs quantifiés nationaux des dépenses opposables aux professionnels de santé, l’alimentation du système actuel inter-régimes géré par la CNAM suppose que les données transmises soient susceptibles d’être toutes agrégées, pour rendre compte, quel que soit l’organisme gestionnaire, de la nature et du montant des prestations payées. Or, les mutuelles étudiantes ne sont pas en mesure, en raison de leur gestion informatique peu performante, de transmettre utilement leurs données à la CNAM.

Cette partie du rapport de l’IGAS/IGF sur les retards dans la mise à jour de l’informatisation des mutuelles d’étudiants, a conduit Mme Martine Aubry à indiquer à la commission d’enquête qu’il faudrait dans le cadre des contrats d’objectifs à envisager entre la CNAM et les mutuelles d’étudiants, fixer des objectifs " en terme de mise à niveau informatique et de productivité. Dans ce cas, la CNAM pourrait voir son rôle élargi à celui de prestataire de service et assurer, contre rémunération, la conception et le développement des outils informatiques des mutuelles ". Une autre possibilité, selon la ministre, serait " que les mutuelles se regroupent pour développer ensemble leur réseau informatique. "

Il y a lieu toutefois de rester prudent sur la capacité technique de la CNAM à conduire un projet industriel de la dimension de Sesam-Vitale. C’est en tout cas une remarque formulée par la mission d’information sur l’informatisation du système de santé, créée par la commission des Affaires culturelles, familiales et sociales de l’Assemblée nationale et présidée par notre collègue Jean-Paul Bacquet, dans son rapport d’étape publié le 14 octobre 1998 (18).


Source : Assemblée nationale. http://www.assemblee-nationale.fr