L’extraction du pétrole au Nigeria et dans plusieurs pays d’Amérique latine a provoqué des catastrophes écologiques privant les populations proches des sites de leurs ressources et moyens de subsistance. Les redevances pétrolières étant versées par les compagnies au gouvernement central comme c’est la règle, les habitants des régions où il est produit n’en ont pas profité.

Les populations locales ont manifesté leur mécontentement et ont été durement réprimées par les forces de sécurité. Les installations pétrolières sont devenues l’enjeu de ce bras de fer au Nigeria, en Colombie, en Libye. Lasses d’être dépossédées et spoliées alors que leur environnement a été saccagé par l’exploitation pétrolière, les populations se rebellent. Une insécurité chronique règne dans ces zones mettant en péril le devenir de l’exploitation.

Les autorités gouvernementales réagissent en envoyant les forces de l’ordre contre les populations qui sont alors victimes d’exactions graves, exécutions extrajudiciaires, emprisonnements arbitraires, etc... Pour autant, la sécurité n’est pas mieux assurée, car les habitants rendent, à juste titre, les compagnies pétrolières responsables du désastre. Celles-ci se défendent en expliquant qu’elles versent les redevances à l’Etat central sans droit de regard sur l’usage qu’il en est fait à l’égard des zones d’exploitation. Certaines compagnies pétrolières (BP, Shell, notamment) s’efforcent, depuis deux ou trois ans avec l’aide d’ONG, d’aider directement les populations affectées par l’exploitation pétrolière en construisant écoles et hôpitaux, et en améliorant les infrastructures d’exploitation pour limiter la pollution. Mais cette bonne volonté arrive tardivement. L’insécurité, alimentée par des mouvements rebelles, perdure, tant dans le delta du Niger, qu’en Colombie, voire en Libye.

A) L’INSECURITE CHRONIQUE DANS LE DELTA DU NIGER : LA REPONSE DES POPULATIONS LOCALES.

Le pétrole représente entre 90 et 95 % des recettes d’exploitation du Nigeria (environ 12 milliards de dollars par an) et près de 80 % des recettes budgétaires du pays. Malgré la démocratisation du régime politique, le delta du Niger reste un théâtre de confrontation, comme le constatait M. Jean-François Bayart, directeur du CERI : "Dans le delta du Niger, les compagnies pétrolières vivent dans une grande insécurité et un climat social extrêmement détérioré. Aussi, l’illusion de la puissance des compagnies pétrolières doit-elle être relativisée, les responsables de compagnies pétrolières en sont conscients, même si les champs de pétrole offshore, nombreux dans cette zone de l’Afrique, sont plus faciles à gérer au niveau de la sécurité".

Le nouveau gouvernement s’efforce d’améliorer la situation des différents groupes vivant dans les régions produisant du pétrole. Des membres du groupe ethnique Ijaw, parmi les plus virulents du Nigeria, ont adopté la Déclaration de Kaiama le 11 décembre 1998, dans laquelle ils se déclaraient propriétaires de toutes les ressources naturelles se trouvant sur le territoire Ijaw. Mais les incidents dans lesquels les manifestants ont occupé des stations d’écoulement de l’industrie pétrolière, ont interrompu la production ou pris des employés de compagnies pétrolières en otages se sont quand même multipliés.

La catastrophe de Wari, le 17 octobre 1998, fut l’un des révélateurs de cette situation. 2000 personnes sont mortes dans l’explosion d’un oléoduc. La terrible pénurie de carburant est la cause indirecte de cette hécatombe. Exaspérée, la population, très pauvre, de cette région s’approvisionnait à l’oléoduc qui fuyai ; une étincelle a provoqué une gigantesque explosion. Persuadés que le Nord du pays pompe leurs richesses, les habitants de la région avaient pris l’habitude de détourner l’essence dans un contexte d’affrontements interethniques. Les attaques, destructions de matériels, occupations de puits et de terminaux d’oléoducs sont devenues fréquentes. Shell, Agip, Chevron ont dû suspendre leur exploitation. Il en est de même dans la région de Port Harcourt.

"Guerre de pirates sur le delta du Niger", "les gisements de pétrole du Nigeria menacés par l’anarchie, titrait l’article de M. Pierre Prier, dans Le Figaro du 14 août 1999. Dans une note de mai 1999, Human Rights Watch expliquait : "La crise dans les régions pétrolifères sera l’un des problèmes les plus urgents pour le nouveau gouvernement du Nigeria. Le degré de ressentiment contre le gouvernement fédéral et les compagnies pétrolières parmi les résidents des communautés signifie qu’il y aura certainement des manifestations, ainsi que des incidents, prises d’otages et autres actes criminels. La répression dans le Delta du Niger autour du Nouvel An est la preuve de la forte détermination de l’actuel gouvernement - qui jusqu’à présent a montré un respect accru pour les droits de l’Homme - d’utiliser la force militaire pour écraser les manifestations pacifiques, plutôt que d’essayer de résoudre les problèmes qui sont à la base des manifestations. Cependant, toute tentative pour arriver à une solution militaire aura pour conséquence certaine la violation généralisée des engagements pris par le Nigeria de respecter les droits de l’Homme reconnus internationalement."

L’ONG concluait : "Les compagnies pétrolières qui opèrent au Nigeria partagent la responsabilité de s’assurer que la production pétrolière ne continue pas aux dépens des droits des habitants de la région où le pétrole est produit."

Dans le delta du Niger, les compagnies pétrolières se trouvent dans une impasse qu’elles ont contribué à provoquer. Ayant pactisé, pour des raisons de sécurité, avec le régime dictatorial du Général Abacha, elles sont, quels que soient leurs efforts actuels, accusées par les populations victimes de l’incurie de la dictature précédente. Elles sont à leur tour victimes d’une insécurité qu’elles ont contribué à aggraver.

B) RENTE PETROLIERE ET DELITEMENT DES ETATS

 L’exploitation pétrolière et la guérilla en Colombie

Le cas de l’exploitation pétrolière en Colombie a été évoqué (voir supra). Les compagnies pétrolières n’ont pas de responsabilité particulière dans le délitement de l’Etat en Colombie. Leur présence en tant que source de revenu possible de cet Etat exacerbe les conflits entre celui-ci et les différentes guérillas qui s’y affrontent. Protégées par l’armée régulière moyennant finances, elles sont otages de leur investissement et menacent régulièrement de quitter le pays.

 L’instabilité de la partie cyrénaïque de Libye

M. Luis Martinez, chercheur au CERI, a rappelé que, "en Libye, depuis 1995-1996, une guérilla islamiste s’est développée dans la région pétrolière de la Cyrénaïque, qui est la plus pauvre du pays alors qu’elle détient la plupart des richesses pétrolières. Cette guérilla menace de couper le territoire en deux, de créer un émirat et de faire sécession. Malgré l’embargo, vingt-cinq compagnies pétrolières internationales, dont 1 % de françaises, exploitent le pétrole dans cette région où la violence n’apparaît pas comme un handicap. C’est aussi un Etat dans l’Etat. On assiste à une militarisation de la société, au développement des milices en Algérie comme en Libye, à l’effondrement des fonctions régaliennes de l’Etat. Il n’y a plus de représentants ; on transmet le pouvoir aux personnes de confiance qui ne détiennent pas de compétences. La notion de sécurité renvoie à une difficile répartition des richesses issues de l’exploitation pétrolière. La Cyrénaïque qui est la région d’exploitation du pétrole de Libye connaît des crises de subsistance et ne dispose pas d’infrastructures. Les richesses pétrolières n’ont donc aucune incidence sur les populations civiles et les infrastructures publiques. S’il n’y a pas de lien de cause à effet entre exploitation du pétrole et conflits, les ressorts du conflit qui ont des causes sociales, politiques et culturelles, sont à rechercher dans les enjeux pétroliers et gaziers. En raison des bénéfices qu’ils engendrent, ils justifient de nouvelles prises de positions qui anticipent les conflits."

La mission estime que la rente pétrolière rend l’exercice du pouvoir très attractif. De fait, l’existence d’une rente pétrolière élevée n’est pas un facteur d’alternance démocratique, d’autant qu’une pente naturelle, voire la force de l’habitude, pousse les grands groupes pétroliers à souhaiter le maintien des régimes en place, quels qu’ils soient.


Source : Assemblée nationale. http://www.assemblee-nationale.fr